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16 février 2024

★★★★ | Perfect Days (Les Jours parfaits)

★★★★ | Perfect Days (Les Jours parfaits)

Réalisateur : Wim Wenders | Dans les salles du Québec le 16 février 2024 (Entract Films)
L’amour de Wim Wenders pour le Japon est bien connu. Ce qui devait être un documentaire sur les toilettes publiques du quartier de Shibuya à Tokyo, est devenu une fiction mettant en vedette l’immense Koji Yakusho (Cure, 13 Assassins) dans le rôle d’un quinquagénaire taciturne qui travaille dans ces toilettes publiques. On suit sa routine quotidienne bien établie et on découvre ses passions tranquilles jusqu’à la visite de sa nièce fugueuse et d’autres rencontres inattendues. Très inspiré en cette terre étrangère, mais familière pour lui, Wenders retrouve la superbe de sa belle époque avec ce drame profondément humain empreint de tendresse et de poésie. Une véritable ode à la vie et à tous ses petits plaisirs du quotidien, menée de main de maître et magnifiée à l’écran par un acteur au sommet de son art et récompensé par le prix d’interprétation masculine à Cannes l’an dernier.
Coécrit avec le japonais Takuma Takasaki, le film permet à Wenders de retrouver le plaisir de filmer un personnage en marge avec ce voyage introspectif et cette quête existentielle, véritable invitation à se recentrer sur ce qui nous est essentiel pour aspirer au bonheur. Le réalisateur de Paris-Texas retrouve aussi ses thèmes de prédilection non seulement avec cette quête existentielle, mais aussi avec cette difficulté de communiquer à travers ce « road movie » à l’intérieur même d’un quartier animé de Tokyo. C’est donc à travers la musique, la culture des plantes, la photographie et la littérature que son personnage savoure le moment présent et que sa vie prend tout son sens dans un film empreint d’humour qui fait l’éloge du contentement du moment présent. On y entend entre autres des vieux tubes de Lou Reed, Patti Smith, Otis Redding et Nina Simone qui défilent au diapason des états d’âme de ce préposé à l’entretien et qu’il écoute en cassette audio dans sa camionnette en se rendant et revenant du travail. Dans sa façon de filmer le quotidien avec cette douce mélancolie, Perfect Days est à ranger auprès de Paterson de Jim Jarmusch, qui a été l’assistant de Wenders à ses débuts et dont les parcours cinématographiques et les thématiques ne sont pas étrangers l’un à l’autre.

25 janvier 2024

★★★½ | La salles des profs / The Teacher’s Lounge (Das Lehrerzimmer)

★★★½ | La salles des profs / The Teacher’s Lounge (Das Lehrerzimmer)

Réalisation Ilker Çatak | Dans les salles du Québec le 26 janvier 2024 (Métropole Films Distribution)
Une enseignante dédiée tente de découvrir la vérité sur une série de vols qui ont lieu à son école. Sans réel soutien de ses collègues, de la direction ou des parents, elle se lance dans une croisade dont elle ne ressortira pas indemne. À la fois drame social et suspense, le film joue avec brio sur cet équilibre de genres. Alors qu’une enquête se déroule sous nos yeux, on assiste également à une critique d’un système scolaire souvent rigide.
La force du film se trouve dans l’interprétation de Léonie Benesch qui incarne avec nuance une enseignante idéaliste qui ne veut que le bien de ses élèves et de sa communauté. Plus on avance dans le film, plus elle sera confrontée à ses idéaux. Ses doutes deviennent nos doutes. On se demande si au final, elle fait partie du problème ? Le désir aveugle de justice a probablement un prix. L’école devient alors le reflet d’un problème plus large de société.
Le film brouille les cartes entre les notions de bien et de mal, héros et antihéros et pose des questions morales sans pour autant prendre partie. On ressort de cette expérience cinématographique confrontés à nos propres idéaux. Et si finalement, on faisait aussi partie du problème?

22 janvier 2024

★★★★½ | Les filles d'Olfa

★★★★½ | Les filles d'Olfa

Réalisation : Kaouther Ben Amid | Dans les salles du Québec le 19 janvier 2024 (Métropole Films distribution)
Classer Les filles d’Olfa dans la section documentaire serait de réduire le film à sa plus simple expression. Récompensé de l’Œil d’or du meilleur documentaire au dernier Festival de Cannes, ce sixième long métrage de la Tunisienne Kaouther Ben Hania relate le parcours difficile d’une femme qui a acquis une notoriété internationale en 2016 lorsqu’elle a rendu publique la radicalisation de ses deux filles aînées. Le film est interprété par la mère elle-même (Olfa Hamrouni) et par deux de ses filles, mais également par des actrices professionnelles (dont l’actrice célèbre Hend Sabri) qui incarnent ces trois personnages pour les scènes plus difficiles. Avec cette proposition, la réalisatrice nous offre une expérience inoubliable d’une rare puissance émotionnelle. Ce film inclassable et très original se présente à la fois comme un processus de psychanalyse familiale et une réflexion sur le deuil.
Le film cherche à recréer  la dynamique familiale au moment où les deux filles aînées ont quitté le foyer pour aller combattre aux côtés de Daech en Libye. Cette expérience cathartique et profondément humaine permet un voyage intime et bouleversant rempli de souvenirs aussi heureux que douloureux. La réalisatrice utilise intelligemment tout le potentiel formel et narratif à sa disposition afin de livrer une réflexion sur les relations mère/fille dans une société patriarcale et son engrenage infernal qui musèle toute forme de liberté. Avec son mélange d’improvisation, de répétitions, d’images d’archives, de making-of et grâce à la puissance du cadre, on atteint ici le summum de ce que peut être l’essence même du cinéma et son pouvoir de transcender la réalité. Les protagonistes se révèlent tous à la fois émouvantes et attachantes. Leur complicité et leur sororité rehaussent l’intensité émotionnelle à la hauteur de l’intensité dramatique du récit. En raison de la situation actuelle au Moyen-Orient et des nombreux conflits dans le monde, ce film essentiel et déchirant risque d’être ancré dans vos mémoires pendant longtemps.

22 décembre 2023

★★★½ | Anselm – Le bruit du temps (Anselm – Das Rauschen der Zeit)

★★★½ | Anselm – Le bruit du temps (Anselm – Das Rauschen der Zeit)

Réalisation: Wim Wenders | Dans les salles du Québec le 22 décembre 2023 (Métropole Films)
Wim Wenders aime à l'évidence la 3D (procédé qui pourrait pourtant sembler de plus en plus désuet) pour créer des films qui sortent vraiment de l'ordinaire. Plus de 10 ans après le très beau Pina, il nous livre avec Anselm – Le bruit du temps un nouveau documentaire en relief de grande qualité. Ici, Pina Bausch laisse la place à Anselm Kiefer, artiste contemporain que Wenders admire profondément. Le documentaire suit en partie les conventions du genre, avec des images d'archives et des scènes montrant l'artiste au travail, ce qui permet au cinéaste d'introduire l'œuvre et la démarche conceptuelle et thématique de l'artiste, offrant des pistes de réflexion sur l'Allemagne (son histoire, sa mythologie) et son lien avec le temps qui passe (et donc, avec la mémoire).
Au-delà de cet aspect, le film atteint son apogée lorsque Wenders embrasse pleinement son rôle de cinéaste/observateur de l'œuvre d'un autre artiste. Il se crée alors une fusion entre le travail de Kiefer et celui de Wenders. Cette fusion (un artiste film les œuvres d'un autre artiste) rappelle parfois la grâce des Ailes du désir, notamment par le choix de la musique, des images flottantes et de la voix off chuchotée. Cela est tellement évident que le spectateur a presque le sentiment, par (trop) courts instants d'une beauté impressionnante, de devenir l'ange Damiel, personnage inoubliable de l'œuvre majeure du cinéaste allemand. Comme l'ange jadis incarné par Bruno Ganz, nous devenons à notre tour des observateurs bienveillants, cherchant à comprendre à la fois la souffrance, les déchirures et la beauté du monde que le duo Kiefer/Wenders nous propose.
Pour ceux qui en douteraient, Anselm – Le bruit du temps n'a rien à voir avec un documentaire qui serait plus à sa place sur un écran de télévision que dans une salle de cinéma. Il s'agit bien au contraire d'une expérience immersive par excellence, un documentaire/essai à voir absolument en salle… et en 3D, bien sûr.

6 janvier 2023

★★★½ | Corsage

★★★½ | Corsage

Réalisation : Marie Kreutzer | Dans les salles du Québec le 6 janvier 2023 (Cinéma du Parc)
Avec Corsage, la réalisatrice autrichienne Marie Kreutzer se penche sur le destin de l’Impératrice Élisabeth d'Autriche, plus connue sous le diminutif de Sissi. Qu'on se rassure, le film n'a cependant rien à voir avec les célèbres Sissi des années 50; il est en effet plus à classer dans la catégorie « cinéma d'auteur ». Les libertés prises par Kreutzer sont d’ailleurs assumées puisque le film n’est ni au service d’une stricte réalité biographique, ni fait pour plaire au plus grand nombre. Ce qui compte ici, c’est avant tout le propos de la réalisatrice : une dénonciation intemporelle de la tyrannie de l'image (que l’on se doit de projeter) et des contraintes sociétales liberticides (principalement imposées aux femmes).
L'ensemble est servi par une Vicky Krieps impeccable, une très belle photo (signée Judith Kaufmann) et une mise en scène tout en précision et en rigueur, qui semble en permanence chercher à se libérer sans jamais y parvenir totalement. La réalisation semble d’ailleurs contribuer à corseter Sissi, à l’étouffer discrètement, à la plonger dans un état mélancolique quasi permanent. L’usage d’anachronismes vient renforcer ce sentiment : en faisant réinterpréter des chansons du XXe siècle par des personnages du film (le plus bel exemple est la très belle reprise As Tears Go By), la réalisatrice introduit un sentiment d’intemporalité particulièrement troublant. Mais si l’image et le son s’associent pour montrer l’implacabilité de ce corsetage, l’usage diégétique du cinéma est tout autre : c’est en effet lorsqu’elle est filmée par un personnage du film (par un dispositif bien évidemment non sonore) que l’impératrice peut enfin hurler ce qu’elle veut à la face d’un spectateur (et donc d’un monde) qui ne peut pas l’entendre. L’impératrice est prisonnière de ses contraintes, et ses instants de libertés sont limités à ces quelques minutes filmées par l'inventeur Louis Le Prince. Ne lui reste donc que l’issue qu’elle se choisit, dans une dernière scène libératoire filmée de manière onirique, malgré son caractère intrinsèquement tragique.