Affichage des articles dont le libellé est Allemagne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Allemagne. Afficher tous les articles

1 avril 2022

★★★½ | Le genou d'Ahed / Ahed's Knee (Ha'berech)

★★★½ | Le genou d'Ahed / Ahed's Knee (Ha'berech)

Réalisation Nadav Lapid | Dans les salles du Québec le 1er avril 2022 (Cinéma Du Parc)
Une route pluvieuse, une motocyclette file à toute vitesse. Sous le casque, une jeune femme qui se rend à une audition pour interpréter le rôle d’Ahed, adolescente qui a osé défier les forces armées israéliennes.
Le genou d'Ahed nous donne l'impression d'explorer une proposition déjà vue maintes fois au cinéma. Celle du film dans le film et du créateur qui doit lutter contre les conditions difficiles afin de créer une œuvre à la hauteur de ses ambitions. Nadav Lapid détourne rapidement et habilement les attentes en livrant une chronique incisive sur la relation entre l'artiste et l'État. À travers l'apparent cynisme du personnage d'un réalisateur invité à présenter l'un de ses films dans une petite ville, Lapid propose une exploration des liens que l'on entretient avec l'art (en tant que public ou créateur). Peut-on simplement consommer ou concevoir une œuvre dans le but d'échapper au réel ? Peut-on vraiment échapper au réel ou espérer le transformer à travers l’acte de création.
Ce combat entre réalité et fiction est soutenu par le combat interne du personnage principal lorsqu'on lui impose de choisir dans une liste de sujets à aborder lors de la discussion qui aura lieu après la projection de son film. C’est à l’extérieur de la salle de projection (le réalisateur déteste voir ses films) qu’on découvre l’étendue la complexité des effets de l'État sur sa population.
Sans jamais être lourd ou moralisateur, le film inscrit de manière presque ludique un tendre plaidoyer sur la nécessité de la création artistique et plus encore, de sa capacité à rejoindre tout type de public. La trame musicale, l’interprétation captivante de l’ensemble des comédiens, la structure narrative éclatée ainsi que les mouvements de caméra dynamique nous démontrent la maîtrise de la mise en scène.
Le genou d'Ahed est une œuvre saisissante qui ne cherche pas à imposer de vérité si ce n'est que l’acte de création est un risque qui ne devra pas reposer sur la répétition de schémas préétablis.

18 mars 2022

★★★½ | Great Freedom (Große Freiheit)

★★★½ | Great Freedom (Große Freiheit)

Réalisation: Sebastian Meise | Dans les salles du Québec le 18 mars 2022 (Mubi)
Dans l’Allemagne d’après-guerre, jusqu’au début des années 1970, Hans est emprisonné à de multiples occasions pour le même crime : il est homosexuel. Le film pourrait donc facilement ressembler à une condamnation de ces lois qui furent longtemps répandues dans nombre de pays (et qui, ne l’oublions pas, perdurent de nos jours dans beaucoup d’autres). Mais la force de Große Freiheit est surtout le basculement vers un sujet plus ambiguë, qui est le rapport à la liberté (ou à l’incarcération / la sanction). Libre, le héros est contraint à des rencontres fugaces dans des toilettes publiques. En captivité, il peut parler, échanger, développer une complicité. Il peut aussi développer des relations charnelles… mais là encore, dans ce cas précis, en faisant très souvent le choix d’être puni en même temps que l’objet de son désir. La dynamique est terrible : plus il est puni par la loi ou l’institution pénitentiaire, plus il peut vivre son homosexualité librement.
Lorsque l’homosexualité ne sera plus un crime, Hans sera libéré avec la certitude de ne plus jamais retourner en prison… du moins pour ce motif. La toute fin du film, que nous ne dévoilerons pas ici, fait basculer Große Freiheit vers une nouvelle interrogation. Est-il avant tout une réflexion sur les conséquences des punitions injustement infligées, ou plutôt sur la force du désir amoureux. Le spectateur sera libre de se livrer aux interprétations de son choix, tant les thèmes abordés, sans en avoir l’air, sont multiples. L’absence d’« interprétation imposée » de l’œuvre est notamment permise par une construction très morcelée, non linéaire, qui privilégie le langage des corps plus que les dialogues, les détails plus que les longs discours, les sensations ressenties plus que l'insistance sur un message à transmettre. Cela n’est pas sans risque : celui de perdre quelques spectateurs en route.
Mais est-il vraiment utile de le préciser : ce petit risque mérite d’être couru !

9 novembre 2020

Cinemania 2020 | ★★★½ | L'audition (Das Vorspiel)

Cinemania 2020 | ★★★½ | L'audition (Das Vorspiel)

Réalisation: Ina Weisse
L’audition, c’est d’abord et avant tout le plaisir de regarder jouer l’actrice allemande Nina Hoss. L’actrice fétiche des films de Christian Petzold (Yella, Barbara et Phoenix) offre une performance tout en nuances dans ce second long métrage en tant que réalisatrice de la comédienne allemande Ina Weisse (L’architecte). Avec le thème de la musique comme trame de fond, L’audition est un film sur la perfection insondable qui alimente une professeure de violon qui prend sous son aile un jeune prodige timide chez qui elle voit un grand talent. Ce degré de perfection se manifeste également dans toutes les sphères de la vie, aussi bien familiale que professionnelle. C’est dans cette spirale obsessionnelle que les enjeux de ce drame psychologique poignant et intériorisé vont se dérouler. En l’espace de quelques semaines, tout bascule et cette inévitable perte de repères passe avant tout par les non-dits et le regard de son interprète et de ceux qui l’entourent.
Si le film emprunte certains sentiers connus comme la relation entre l’élève et son professeur exigeant qui le pousse à aller plus loin ou si la réalisatrice use d’effets dramatiques parfois un peu forcés pour atteindre son objectif, Weisse brosse avec réussite le portrait opaque d’une femme aux comportements méticuleux et abscons. Un portrait que Nina Hoss magnifie avec une force tranquille. Cette mer d’angoisses est refoulée ou éclate par à-coups au détriment des autres : c’est dans cette description et dans ce beau (et complexe) personnage féminin que le film se révèle une belle réussite, tout en offrant un regard sur la musique comme instrument de performance similaire à celui dépeint dans le Whiplash de Damien Chazelle.

9 mai 2020

★★★★ | L'important c'est d'aimer

★★★★ | L'important c'est d'aimer

Réalisé par Andrzej Żuławski | Reprise | Disponible en VSD
Cette coproduction franco-italo-allemande est le troisième film du cinéaste polonais Andrzej Żuławski et le premier en dehors de son pays natal. Bien que ce film soit en partie un film de commande — Żuławski est le cinquième cinéaste à avoir été approché —, on retrouve les principales qualités de son premier film: une structure où règne le chaos marqué par une mise en scène d’une forte intensité visuelle.
En retravaillant l’adaptation du roman La nuit américaine de Christopher Frank, avec qui il signe le scénario, et en ajoutant plus de profondeur au personnage campé par Jacques Dutronc, le cinéaste ajoute cette rage filmique à cette histoire classique d’un triangle amoureux. Bien que le roman de Frank n’a rien à voir avec le film de François Truffaut, L’important c’est d’aimer est lui aussi un film sur l’amour,  l’art et le cinéma... Un cinéma vibrant et captivant, au pouvoir évocateur, où règnent un sentimentalisme et une sensualité éclatée.
Récompensée par le César de la meilleure actrice, Romy Schneider incarne cette actrice fragile et malheureuse dont la rencontre avec un photographe rempli de remords (Fabio Testi) va venir chambouler la vie sentimentale, alors qu'elle s’accroche à son compagnon obsédé par l’échec (Jacques Dutronc, dans son premier grand rôle à l’écran). Ce degré de fatalité est accentué par la musique de Georges Delerue qui offre une partition bien différente et en dehors de sa zone de confort. Empreint d’un lyrisme exalté et d’envolées de violence, L’important c’est d’aimer est un film où exalte le mal, la douleur et la souffrance. Żuławski a toujours été fasciné par l’œuvre de Dostoïevski et on retrouve cette dualité propre à l’auteur dans cette tribune où le bien et le mal sont le propre chez l’humain.
Quarante-cinq ans plus tard, L’important c’est d’aimer s’inscrit parmi les meilleurs films sur les coulisses du cinéma et ses répercussions sentimentales, au même titre que Le mépris de Godard ou encore Sunset Boulevard de Billy Wilder.

En location via le site internet du Cinéma moderne de Montréal.

19 décembre 2019

★★★★ | A Hidden Life (Une vie cachée)

★★★★ | A Hidden Life (Une vie cachée)

Réalisation : Terrence Malick | Dans les salles du Québec le 20 décembre 2019 (Buena Vista)
En s’inspirant de la vie de Franz Jägenstätter  un fermier autrichien qui a refusé de prêter allégeance à Hitler durant la Seconde Guerre mondiale  Terrence Malick revient dans les bonnes grâces de la critique internationale avec ce drame biographique profondément humain. On retrouve dans ce film ce qui fait la grande force du réalisateur de The Thin Red Line et The Tree of Life, à savoir un travail d’une beauté formelle immense mêlé à une fresque d’une ampleur très intimiste.
Lors de ses trois derniers films, Malick en a laissé plus d’un perplexe avec cette approche minimaliste et ses expérimentations visuelles en HD (haute définition) mais au fil conducteur quasi inexistant. On lui a surtout reproché de se perdre dans ses réflexions et de refuser toute forme de concession. Avec A Hidden Life, Malick explore un pan méconnu de l’histoire. À travers ce récit bouleversant filmé à l’état d’apesanteur et d’une grande richesse formelle (lumière naturelle, montage saccadé, grand angle), Malick réussit à conjuguer avec bonheur formaliste et réflexions métaphysiques et spirituelles. Ce fermier et père de famille a été emprisonné comme objecteur de conscience, car contrairement à la majorité des villageois des montagnes autrichiennes qui ont voté en faveur de l’annexion de leur pays à l’Allemagne nazie, ce dernier a refusé allégeance et fut condamné à exécution à Berlin en 1943. Il est aujourd’hui vénéré comme bienheureux et martyr par l’Église catholique.
C’est à partir de ce drame humain que le réalisateur de Days of Heaven explore de manière très austère le sens de la vie. Malgré la durée (le film fait près de trois heures), Malick filme de façon très contemporaine les saisons qui passent comme un long poème visuel étendu dans l’espace-temps. Avec des dialogues minimalistes, A Hidden Life s’impose comme une réflexion rigoureuse sur la foi chrétienne et s’impose comme un des meilleurs films de l’année et peut-être son film le plus accessible à ce jour. Un hymne poético-philosophique à la gloire de ce héros malgré lui dont la résistance n’a d’égard que le poids de ses convictions morales et humaines.