5 octobre 2018

Septembre 2018 selon Martin Gignac

Septembre 2018 selon Martin Gignac

Assassination Nation (Sam Levinson)
Chaque mois, Cinéfilic revient sur les films qui ont fait... le mois, justement. Une façon de conserver à jamais ces moments marquants, de ramener vers la lumière des images avant de les laisser s'engouffrer dans l'ombre des salles de cinéma et de notre mémoire.

Après l'apothéose d'août, septembre fut un mois beaucoup plus tranquille (accusons le TIFF pour ça). Cela n'a pas empêché quelques œuvres d'hypnotiser et de traumatiser allègrement. Ce fut le cas de Mandy de Panos Cosmatos, qui conclut d'une magnifique façon son diptyque sur la foi et le contrôle entamé avec Beyond the Black Rainbow. On y retrouve cette même fascination pour les univers tordus, qui se définissent au sein d'une mise en scène étonnante, parsemée de lumière et de fureur. En plus, cela a permis à Nicolas Cage de faire revivre sa carrière. Un délire à vivre sur grand écran.

C'est le cas également de Assassination Nation, sans doute la fresque la plus bluffante et pertinente sur l'Amérique de l'ère Trump. Malgré sa provocation facile et sa grande violence, on est soufflé par tant de virtuosité technique, surtout dans cette première partie qui emporte tout sur son passage. Le cinéaste Sam Levinson s'est enfin fait un prénom, plaçant son film dans la lignée des Spring Breakers, Carrie et The Purge et offrant une nouvelle façon de concevoir la narration au cinéma.

Beaucoup plus subtil est le premier long métrage de Jeremiah Zagar, We the Animals, qui transcende un sujet classique  le récit d'initiation  à grand coup de lyrisme, d'animation et de musique vibrante. Même si on reconnaît les influences (Terrence Malick, Lynne Ramsay, Beasts of the Southern Wild), il est impossible de ne pas se laisser prendre au jeu tant tout sonne juste, à commencer par les performances des trois jeunes comédiens non professionnels.

On pourra résumer le reste du mois à des beaux documentaires sensibles et émouvants comme Primas de Laura Bari qui permet la guérison du corps et de l'âme par le biais de l'art, ou encore Pauline Julien, Intime et politique de Pascale Ferland qui offre la chance de découvrir différemment une des figures québécoises les plus inspirantes des dernières décennies. Impossible de clore le tout sans aborder Fahrenheit 11/9, le retour en forme de Michael Moore après plusieurs années de galère, qui est encore capable de susciter la réflexion et soutirer des larmes.

Mais on se plonge déjà dans le Festival du nouveau cinéma, qui offre sa programmation la plus alléchante depuis une décennie. Et avec l'ouverture du Cinéma Moderne et du Cinéma du Musée, les cinéphiles gardent espoir de découvrir du septième art qui sort des sentiers battus.

4 octobre 2018

★★ | A Star is Born

★★ | A Star is Born

Réalisé par Bradley Cooper | Dans les salles du Québec le 5 octobre 2018 (Warner Bros)
Pour son premier long métrage de fiction, Bradley Cooper s’attaque à un classique du cinéma américain. Suivant les traces de ses prédécesseurs (William A.Wellman en 1934, George Cuckor en 1954, et Frank Pierson en 1979), le film de Cooper relate l’histoire d’Ally (Lady Gaga), une jeune artiste pleine d’ambition qui croise la route de Jackson (Bradley Cooper), un chanteur établi mais désabusé. Le désir de création d’Ally sera confronté aux problèmes de consommation de son mentor et amoureux. Sans surprise, le récit nous expose à l’univers souvent superficiel du milieu artistique où chacun tente de réussir tout en conservant une certaine part d’originalité.
Au départ, le réalisateur (également coscénariste) nous présente son étoile Ally comme étant une tête forte, indépendante, qui n’a pas sa langue dans sa poche. Sa rencontre avec Jackson Maine (Cooper) viendra tout chambouler. Ally se transformera graduellement en une femme soumise aux désirs (et aux démons intérieurs) de son compagnon. Le problème ne vient pas du fait qu’elle évacue toute sa personnalité, mais plutôt que ce changement de caractère n’est jamais reconnu ouvertement dans le scénario (ce qui aurait amené un travail d’introspection). On ne peut que se désoler devant cette double descente aux enfers. Celle de Jackson qui est hanté par une enfance douloureuse et d’Ally (plus subtile) qui devient malgré elle un objet de marketing pour sa maison de disques.
S’il s’en tire bien au niveau de la forme, Cooper aurait gagné à peaufiner le scénario afin d’approfondir ses personnages principaux et d’insuffler plus de substance à ses personnages secondaires. Dès les premières notes, on ressent l’ampleur du talent de Lady Gaga. On assiste aux meilleurs moments du film lorsqu’elle est sur la scène et qu’elle interprète ses chansons. À tout moment, on s’attend à retrouver la promesse du début et enfin assister à la naissance de cette étoile qui n’aura jamais vraiment lieu.

21 septembre 2018

★★★ | La disparition des lucioles

★★★ | La disparition des lucioles

Réalisé par Sébastien Pilote | Dans les salles du Québec le 21 septembre 2018 (Les films Séville)
Sacré meilleur film canadien lors de la dernière édition du festival de Toronto, le troisième long métrage du réalisateur Sébastien Pilote (Le vendeur, Le démantèlement) est une ode au caractère tragi-comique de l’adolescence. Tout comme dans ses films précédents, le réalisateur continue son étude des questions humaines. On retrouve donc un personnage à la croisée des chemins, celui de Léo (Karelle Tremblay), sur le point de terminer ses études secondaires. Selon les membres de son entourage, c’est le moment de penser à l’avenir et de décider de ce qu’elle fera de sa vie.
Au lieu de nous présenter un personnage introverti dont les émotions seraient à décoder par le spectateur, Pilote choisit la voie de la rébellion. Son personnage principal prend la décision de ne pas se laisser immobiliser par la pression de sa famille ou de ses pairs (qu’elle confronte allègrement sur la question). Sans réelle certitude quant à sa destinée, Léo est toutefois ferme dans ses opinions. Confrontée également à des relations familiales tendues, elle aborde tous ces aspects de vie avec sérieux (sans se prendre au sérieux). Calqué sur le caractère de son héroïne, le film est nourri de situations et de dialogues pince-sans-rire.
La mise en scène est solidifiée par une direction photographique et un montage en phase avec le personnage de Léo. Dans le rôle principal, Karelle Tremblay se démarque de l’excellente distribution. Au final, La disparition des lucioles est une œuvre qui revendique la possibilité d’avoir son propre rythme de vie, libre des conventions sociales. Le film nous rappelle notre droit de forger notre avenir comme on le veut, sans avoir toutes les réponses à l’avance.

17 septembre 2018

FCVQ 2018 | The Green Fog

FCVQ 2018 | The Green Fog

Un film de Guy Maddin, Evan Johnson et Galen Johnson
Hier soir, le Festival de cinéma de la ville de Québec continuait à témoigner de son éclectisme en projetant The Green Fog, qui faisait passer le reste de la filmographie de Guy Maddin pour du cinéma mainstream.
À partir d’extraits de centaines de films ou séries se déroulant à San Francisco, Maddin et ses acolytes recréent à leur façon le Vertigo d’Alfred Hitchcock (film qu’il faut avoir déjà vu avant de visionner The Green Fog, sous peine d’être totalement perdu). Le résultat laisse des sentiments multiples et contradictoires, un peu à l’image du film lui-même, qui nous pousse par moments à nous remémorer le film qui lui sert de point de départ, mais qui nous perd également parfois avec des choix abscons. C’est justement un des points forts du film: montrer à quels points les traces que peut laisser une oeuvre dans l’imaginaire peut être différent d’une personne à l'autre. Ainsi, nous cherchons parfois en vain à retrouver le fantôme de certaines scènes de Vertigo. Inversement, à d'autres moments, nous ne comprenons pas les orientations que prend la relecture Maddinienne.
Finalement, avec The Green Fog, Vertigo change de statut, et passe de l’état de film à celui de somme de souvenirs personnels. En invitant les spectateurs à voir leur film, les cinéastes leur proposent de partir à la recherche d’un film parfait (Vertigo), fantasmé, qu’ils essaieront de retrouver malgré une forme différente. Ce n’est pas tant The Green Fog qui est une réinterprétation de Vertigo, mais  plutôt l’expérience de visionnement elle-même qui met le spectateur à la place de Scottie / James Stewart essayant de recréer la femme qu’il a jadis aimée.
Si cet aspect peut paraître le plus intéressant (et troublant) du film, il n’est pas le seul. The Green Fog comporte de surcroît quelques éléments qui pourront également faire réagir ceux qui n’ont jamais vu Vertigo. Là encore, la forme choisie, proche du patchwork a priori brouillon, laissera à chacun la liberté de s’interroger sur tel ou tel aspect, véritables points de départ à une réflexion sur le langage cinématographique. En ce qui nous concerne, nous retiendrons particulièrement l’importance de la musique (signée Jacob Garchik et qui revisite à merveille celle de Bernard Herrmann) utilisée comme lien entre des plans hétéroclites, et véritable fil conducteur permettant au spectateur de ne pas décrocher d’un développement narratif chaotique.
D’autres éléments sont tout aussi passionnants (les scènes de dialogues dans lesquelles les cinéastes ont justement coupé les dialogues, pour ne conserver que les mimiques ponctuant habituellement les conversations), mais il y en a beaucoup d’autres… à découvrir au fil des visionnements. À condition d’avoir la force (ou le courage... il en faut quand même un peu) de se replonger dans ce bien étrange brouillard vert peuplé des fantômes parfois fugaces de nos souvenirs cinéphiles!

15 septembre 2018

FCVQ 2018 | Ciné-concert | Metropolis

FCVQ 2018 | Ciné-concert | Metropolis

Un film de Fritz Lang | Musique de Gabriel Thibaudeau
En 2010, le festival Fantasia offrait aux spectateurs Montréalais la chance de découvrir une version restaurée du Metropolis de Fritz Lang comportant 25 minutes d’images que l’on croyait perdues à tout jamais, le tout mis en musique par Gabriel Thibaudeau.
Hier soir, le FCVQ donnait la chance aux spectateurs de Québec d’assister à la projection de la même version, accompagnée de la même trame sonore, mais cette fois interprétée par l’Orchestre symphonique de Québec, toujours dirigé par le compositeur lui-même.
D’un point de vue purement cinématographique, cette version de 2010 est une pure merveille. Certes, on peut toujours émettre les mêmes réserves à l’encontre du scénario de Thea von Harbou. Cela a déjà été fait à plusieurs reprises, et nous ne reviendrons pas sur ce point, le génie de la mise en scène de Lang (et la prestation hallucinante / hallucinée de Brigitte Helm) les atténuant grandement. Par contre, les 25 minutes supplémentaires représentent un apport artistique considérable. Non seulement de nouveaux enchaînements améliorent la structure de l’ensemble et rendent le film plus fluide, mais surtout, les nombreux plans supplémentaires ajoutés à la séquence de la fuite des enfants donne encore plus de force à cette partie du film, qui était déjà la plus impressionnante.
Pour sa part, la composition de Thibaudeau est remarquable. Assumant les ruptures de ton langiennes, les oppositions franches (noir et bas / blanc et haut pour Lang, cuivres et orgue / cordes et clavecin pour le compositeur) et capable de suivre le cinéaste dans la dernière partie ressemblant à une course folle qui laisse le spectateur hors d’haleine, Thibaudeau nous offre une prestation qui sublime le film sans jamais tenter de lui faire de l’ombre. C'est donc tout le contraire de l’horrible version mise en musique par Giorgio Moroder dans les années 80, quelques mois après la sortie de Flashdance... que le FCVQ nous proposait également hier soir, à la même heure, en plein air et à seulement à quelques mètre de là. Était-ce un clin d’œil des programmateurs du festival ou un pur hasard? Nous ne le saurons jamais, mais une chose est sûre: nous les remercions de ne pas avoir poussé leur goût du fun et du festif jusqu’à nous offrir le mauvais accompagnement musical pour Metropolis! Le kitsch des années 80 est amusant, mais à petite dose seulement!