Quand l’une de ses filles lui demande de l’aider financièrement à conserver sa maison, Gaby (Gabriel Arcand, immense) décide de démanteler sa ferme et de tout vendre, de la maison jusqu’à son troupeau.
Le deuxième film de Sébastien Pilote a beau se passer en territoire québécois, son histoire pourrait se dérouler n’importe où ailleurs. Structuré en trois chapitres liés entre eux par des thèmes universels comme la transmission, la paternité et la famille, Le démantèlement capture dans un premier temps le dur labeur de Gaby, un paysan taiseux vivant seul sur sa terre, toujours talonné par son fidèle chien. Les premières scènes installent très rapidement l’idée d’un quotidien de profonde solitude, de monotonie (rares se font les visites, mise à part celles de son ami et comptable, son seul lien avec l’extérieur). À cette existence triste et solitaire s’oppose la majesté du décor (superbement rendu dans ses plans larges donnant à voir Gaby marcher avec son troupeau d’agneaux) qui ne vient jamais pour autant surplomber la matière humaine du récit. A coups de longs plans silencieux, sans jamais forcer le trait et surtout dans une belle économie dramatique, Sébastien Pilote rend compte de la dureté d’un métier très demandant physiquement, sa mise en scène détaillant les gestes fatigués de Gaby, les rituels du travail agricole, jour après jour, saison après saison.
Sur un rythme lent ponctué d’ellipses et de guitares country-folk, Pilote nous laisse appréhender avec douceur un monde précaire (scène de la banque), qui se meurt dans le silence. On pense alors à la série paysanne de Raymond Depardon (particulièrement le second chapitre, Le quotidien) ou encore, dans un registre plus fictif, L’hiver dernier, malheureusement passé inaperçu ici. Ces films ont en commun le même regard frontal et sans illusions sur une paysannerie en sursis. Une impression de funeste renforcée d’ailleurs dans cette inoubliable séquence où Gaby se rend au démantèlement de la ferme d’un ami, « ses funérailles ». Ce sont des hommes d’un autre temps dont les corps et les visages portent l’empreinte des ravages de la vie, des solitaires qui préfèrent taire leurs sentiments, plus enclins au silence, à l’action, qu’à l’explication. Des cow-boys modernes semble nous dire Sébastien Pilote en souterrain, faisant de Gaby un personnage eastwoodien par excellence, le filmant dans toute sa dignité et complexité, sans une once de sentimentalisme mais avec une infinie tendresse et affection (cette scène-confession incroyable entre Gaby et Frédérique)... Quand sa fille lui dit avoir besoin d’argent pour garder sa maison, Gaby, dont le sentiment de paternité va jusqu’à la déraison, n’écoute que son cœur au grand dam de ses amis et sa famille. Au plus profond de lui-même, il sait bien qu’il consent là à sa propre fin et à la précarité en se dépossédant de son héritage, sa seule fortune. Mais voilà, comme il le dira à Frédérique au tournant du troisième chapitre, son bonheur de père est de pouvoir tout donner à ses filles. Dans ce geste d’amour désespéré et ce sacrifice de soi gît toute la beauté de ce film, tragique et magnifique à la fois.
Lire également notre entretien avec Sébastien Pilote
Lire également notre entretien avec Sébastien Pilote