19 avril 2019

★★★ | Diamantino

★★★ | Diamantino

Réalisé par Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt | Dans les salles du Québec le 19 avril 2019 (MK2│Mile End)
Remarqué au dernier Festival de Cannes où il a reçu le Grand prix de la Semaine de la critique, Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt est une jolie curiosité, ce qu'annonçait déjà sa désopilante bande-annonce.
Il y a un peu de tout dans ce désinvolte film portugais: le foot comme opium qui détourne l'attention du peuple, l'illumination lorsque de «véritables» problèmes viennent frapper à la porte (la crise des réfugiés), des manipulations génétiques, une transgression des mœurs en place, etc. C'est à la fois une satire sociale, un pastiche des médias et une critique politique, parsemée d'hommages à James Bond, The Shining et Buñuel!
Après un début longuet où une vedette sportive perd sa touche magique et se retrouve la risée de son pays, la machine se met en route. C'est là qu'explosent des scènes bizarres, folles et originales. Tout peut arriver dans ce délire qui ne ressemble à rien d'autre et qui est constamment alimenté par une mise en scène inventive.
Évidemment, la coupe déborde avant la fin et le point de saturation est rapidement atteint. Terriblement naïf, le discours prend des tangentes plus moralisatrices vers la famille, se vautrant dans les clichés les plus éculés (avec clins d’œil au passage au cinéma de Terrence Malick). La charge glisse vers la série B volontaire, cocasse mais limitée.
Cela ne brime en rien le héros, un idiot attachant et sans malice incarné royalement par Carloto Cotta. Celui que l'on a pu voir dans les derniers opus de Miguel Gomes est délectable en représentant narcissique du genre humain. Son jeu caricatural s'agence d'ailleurs harmonieusement aux autres personnages qui possèdent tous une quête absurde.
En optant pour la démesure, Diamantino prend le parti d'un divertissement total, kitsch et sans inhibition, faisant de la triste réalité un spectacle où tout le monde est invité. Il y a pire comme proposition artistique!

12 avril 2019

★★★★ | Sunset (Napszállta)

★★★★ | Sunset (Napszállta)

Réalisé par László Nemes | Dans les salles du Québec le 12 avril 2019 (Métropole)
Avec son deuxième film, László Nemes se rapproche du procédé de mise en scène qu'il avait déjà utilisé pour Le fils de Saul, tout en l'adaptant parfaitement à son sujet. La caméra suit toujours son personnage principal, en l'isolant de ce qui l'entoure, mais de manière moins systématique et moins accentuée. Comme il était parvenu à le faire avec son premier film, le réalisateur trouve une nouvelle fois la distance juste pour permettre au spectateur de ressentir les choses plus que de les intellectualiser.
L'arrière-plan est plus distinct que celui du Fils de Saul, ce qui permet de comprendre l'environnement, l'époque (le début du XXe), l'opulence… mais aussi de ressentir progressivement ce petit côté «fin de siècle» qui va se traduire par la boucherie de la Première Guerre mondiale. Si celle-ci n'est évoquée qu'en toute fin de film, László Nemes nous y prépare en filmant la montée du mal et de la violence à sa manière: celle d'un cauchemar éveillé. Certes, la mise en scène devient oppressante à force de ne jamais donner de répit à son personnage principal, mais ce n'est pas tout: la progression narrative volontairement incertaine, presque labyrinthique, nous perd autant qu'elle nous fait avancer. La bande sonore, magnifique, contribue également à ce sentiment d'inquiétante étrangeté qui habite le film (mixage son impressionnant, avec une amplification parfaitement dosée et troublante de certains éléments, usage intelligent des musiques tour à tour intra et extra-diégétiques (les deux se chevauchant parfois, comme dans cette séquence remarquable d'un concert en plein air qui se transforme en tuerie), etc.).
Un film d'époque au scénario faussement confus, à la mise en scène qui n'est jamais loin du procédé, au mixage sonore irréel… Avec Sunset, László Nemes n'a pas peur de prendre des risques. Heureusement, sa maîtrise presque insolente lui permet de créer un cauchemar cinématographique qui accompagne parfaitement le cortège funéraire d'un XIXe siècle bientôt enseveli dans les tranchées putrides de la Grande Guerre!

11 avril 2019

★★ | Ville Neuve

★★ | Ville Neuve

Réalisé par Félix Dufour-Laperrière | Dans les salles du Québec le 12 avril 2019 (Funfilm Distribution)
Critique rédigée dans le cadre du festival de Venise 2018

Félix Dufour-Laperrière a déjà signé par le passé un long métrage documentaire (Transatlantique), mais c’est surtout avec le court métrage qu’il a montré le meilleur de son talent. Que ce soit par le biais des prises de vue réelles (le visuellement splendide Dynamique de la pénombre) ou de l’animation (sous différentes formes, mais citons par exemple Un, deux, trois, crépuscule), il a su montrer par le passé ses deux principales forces: un passionnant travail sur les formes (et la noirceur, très souvent) d’une part, et le soin apporté à ses bandes sonores d'autre part. Ces deux aspects étaient d’ailleurs probablement les plus réussis de Transatlantique, qui montrait de plus grandes faiblesses lorsque venait le temps de comprendre (et de faire parler) les individus. Ville Neuve confirme malheureusement cette impression. Le son y est soigné, certaines scènes sont visuellement très belles (surtout lorsqu’elles prennent des distances avec la représentation du réel), mais Dufour-Laperrière peine à développer ses thématiques ou à créer des personnages et des dialogues convaincants (à l’exception d’une belle scène dans laquelle un jeune homme décrit à sa compagne une scène d’Andreï Roublev).
Cette faiblesse compte malheureusement double pour ce film, en raison de la volonté du cinéaste de traiter aussi bien de l'individu (un couple a du mal à vivre ensemble) que du collectif, sur fond de souveraineté et de référendum (deux peuples ont du mal à vivre ensemble... ou: un peuple a du mal à rester uni, au choix). Certes, le cinéaste prend le parti de ne pas trop en dire sur chacun de ces deux thèmes finalement très proches, et donne judicieusement la place aux non-dits, mais il laisse aussi l’impression d’avoir le cul entre trois chaises (le collectif, l’intime et le travail formel), dont deux sont bancales (les deux premières), car mal maîtrisées au niveau de l'écriture.
Finalement, Ville Neuve est loin d’être sans intérêt, mais nous confirme le pressentiment ressenti au moment de la sortie de Transatlantique. Et si, en effet, Félix Dufour-Laperrière, était plutôt fait pour travailler sur les formes et les sons, sans trop se soucier de développement narratif, de dialogues ou des personnages? 

5 avril 2019

★★★★ | Grâce à Dieu

★★★★ | Grâce à Dieu

Réalisé par François Ozon | Dans les salles du Québec le 5 avril 2019 (MK2│Mile End)
François Ozon est un cinéaste inégal, mais au il n'a pas peur de prendre des risques et de refuser de se laisser enfermer dans un style. Ici, il prend un risque maximal avec un sujet sérieux et délicat, qui a sur le papier tout pour faire basculer un film à thèse vers le film à charge. Plusieurs adultes, après des années de silence, se décident à témoigner publiquement des agissements d'un prêtre pédophile qu'ils ont côtoyé dans leur jeunesse.
La force principale de Grâce à Dieu est de ne pas condamner sans jugement. S'il ne fait aucun doute que les personnages sont des victimes, son scénario est suffisamment riche et complexe, ses personnages secondaires suffisamment nombreux et bien définis, pour que la question de la culpabilité soit complexe. Certes, les agissements du prêtre sont intolérables et ont causé des souffrances indélébiles, mais Ozon prend la peine de ne jamais condamner aveuglément et s'interroge (et nous interroge) constamment sur le rôle des personnes indirectement liées au drame (la hiérarchie, les parents, un milieu qui a peur des remous liés au scandale) et la possible souffrance de l'autre, pourtant incontestable coupable d'actes inacceptables (le prêtre, qui n'a jamais nié mais que l'on a en réalité enfoncé en voulant cacher ses agissements).
La richesse du film vient également de la caractérisation des victimes: principalement trois, de milieux différents, aux parcours variés, mais aussi aux réactions parfois opposées face à la situation nouvelle et à la conduite à adopter.
Paradoxalement, ce qui pourrait être la force du film est aussi peut-être sa rare faiblesse: à force de vouloir porter un regard trop large sur une situation complexe, le film d'Ozon ressemblerait presque à un exercice trop scolaire qui voudrait être sûr de cocher toutes les cases d'une bonne représentativité des souffrances, des responsabilités et des enjeux. Nous avons cependant envie d'en faire abstraction. D'une part, le sujet le mérite (et peut-être est-il bon de rappeler que si on est moins armé pour faire face à des drames lorsqu'on appartient à un milieu défavorisé, le confort matériel n'empêche pas la souffrance), mais d'autre part, d'un point de vue purement cinématographique, Grâce à Dieu est une œuvre d'une grande maîtrise. Le cinéaste bâcle parfois un peu certains films, mais ici, il n'en est rien. La construction est exemplaire, avec ses passages de relais impressionnants entre les personnages principaux, l'introduction discontinue de personnages secondaires jamais anecdotiques, la maîtrise du dévoilement des informations (notons à ce sujet l'usage des témoignages ou des écrits pour faire avancer la narration de manière impressionnante).
Finalement, Grâce à Dieu est grand film sur un sujet grave. Certes, à force de vouloir tout dire et à s'intéresser à tous les enjeux, il perd une part de l'émotion qu'il aurait pu générer en se focalisant sur une situation précise … mais refuser la course à l'émotion, pour un tel sujet, n'est-il pas sa force? Chacun jugera, mais une chose est certaine: le dernier Ozon est un film à voir absolument!

29 mars 2019

★★★ | Une femme en guerre  / Woman at War (Kona fer í stríð)

★★★ | Une femme en guerre / Woman at War (Kona fer í stríð)

Réalisé par Benedikt Erlingsson | Dans les salles du Québec le 29 mars 2019 (Métropole)
Une femme, professeure de chant a priori très sage, se transforme le moment venu en véritable Rambo écolo au féminin. Sa mission: débarrasser sa belle Islande des lignes à haute tension qui dénature les vastes et belles étendues peuplées uniquement de moutons.
La première force de ce petit film islandais remarqué lors du dernier festival de Cannes (Semaine de la critique) est de trouver le ton juste, entre le sérieux d'une situation personnelle (le désir de maternité, nous y reviendrons) et le comique (certes froid et absurde, mais assumé) de sa mission écologique. Dans l'air du temps, mais pas vraiment réfléchis, les actes de sabotage de pylônes électriques sont traités avec une réussite indéniable. Non seulement ils permettent au réalisateur et à son chef opérateur de sublimer la beauté de la nature islandaise, mais ils donnent aussi les passages les plus amusants du film, lorsque la professeure de chorale se transforme en véritable guerrière, prête à se camoufler dans les entrailles d'un mouton pour échapper à la vigilance de la surveillance aérienne.
Cependant, à n'exploiter que ce filon, le film se serait peut-être épuisé bien vite. L'autre versant du film (l'adoption d'une petite Ukrainienne), qui semble dans un premier temps superflu, vient finalement donner un tout autre sens au film. Ni fable féministe, ni conte écolo (épithètes de plus en plus galvaudées ; une héroïne qui détruit des pylônes ne suffit pas à faire un film écolo féministe), Une femme en guerre est avant tout une réflexion sur le manque (ici, le désir de maternité) qui peut pousser à se réfugier dans une illusion (ici, un militantisme assez vain). Le constat de cette tragi-comédie est d'ailleurs plutôt amer. Entre un activisme dont la pertinence peu laisser perplexe et une soif de conformisme (on imagine en effet qu'une fois devenue mère, elle arrêtera de jouer les Rambettesson*), existe-il une troisième voie? En ce qui concerne notre héroïne, nous avons quelques doutes. C'est peut-être pour cela qu'elle est si attachante, tiraillée entre son besoin de conformisme et son désir de rébellion... C'est probablement d'ailleurs en cela que son personnage touche à l'universel. 

* forme féminisée et islandisée de Rambo. À prononcer comme il se doit... cela va sans dire!