1 juin 2023

★★★ | La nuit du 12

★★★ | La nuit du 12

Réalisation : Dominik Moll | Dans les salles du Québec le 2 juin 2023 (Cinéma du Parc)
La nuit du 12 nous plonge dans les dessous d’une enquête policière. La nuit du 12, Clara rentre chez elle. Sur la route, elle est brûlée vive. Par qui ? Pourquoi ? On ne sait pas. L’enquête n’est toujours pas résolue. Le film s’ouvre d’ailleurs sur des statistiques de nombreux crimes non résolus en France. Il n’y a aura pas de résolution. Par contre, le film dressera un constat lié à la condition des femmes ou plutôt aux rapports violents des hommes envers les femmes.
Présenté l’an dernier au Festival de Cannes, le film de Dominik Moll est basé sur des faits réels que Pauline Guéna a adaptés en roman. Cette dernière a d’ailleurs collaboré au scénario. Le film met en lumière le travail d’une équipe d’enquêteurs qui tenteront de découvrir la vérité sur ce crime atroce. Dès l’entrée en matière, le cinéaste prend le parti de s’éloigner de tout ce que l’on a l'habitude de voir dans les films ou de les séries d’enquêtes (refusant par le fait même les influences de la série policière ou du true crime). Le rythme est lent et méthodique. Moll évite les effets sonores chocs ou la musique qui force les tensions dramatiques. Il nous plonge dans le quotidien, où la banalité du travail croise la violence de la tragédie.
Ce qui fait la force du film est certainement la position féministe, pleinement assumée. Une équipe d’hommes enquêtent sur le meurtre d’une femme et sont confrontés à leurs préjugés et à leur biais. Il y a d’ailleurs un moment très fort entre une jeune recrue qui confronte le chef d’équipe sur le fait que les hommes commettent des crimes et que ce sont aussi les hommes qui font la police.
La nuit du 12 est une œuvre qui nous habite longtemps après l’avoir vue, pour ses qualités cinématographiques, mais surtout pour ses qualités humaines.

26 mai 2023

★★½ | You Hurt My Feeling

★★½ | You Hurt My Feeling

Réalisation : Nicole Holofcener | Dans les salles du Québec le 25 mai 2023 (Entract Films)
La réalisatrice Nicole Holofcener a tenu quelques fonctions (d’assistante de production à assistante monteuse) sur les films de Woody Allen pendant les heures de gloire du cinéaste New-Yorkais. L’ombre du géant déchu plane ainsi sur bon nombre de ses films, comme en témoignent les sujets abordés dans son dernier (conflits dans le couple, relations parfois difficiles entre parents et enfants, scènes de consultation chez le psy, New-Yorkitude assumée, etc.).
Hélas, nous sommes ici loin du Woody des grands jours, et nous ne pouvons nous empêcher, en visionnant le dernier film de la cinéaste, de nous souvenir qu’elle a également beaucoup œuvré à la télévision. You Hurt My Feeling, avec sa mise en scène paresseuse et ses dialogues omniprésents, nous donnent parfois l’impression de visionner un sympathique épisode d’une agréable mais mineure série New-Yorkaise. Certes, la photographie de Jeffrey Waldron est de bonne tenue et les thèmes abordés ont un petit potentiel (même si leur traitement est si frontal que le tout manque grandement de subtilité). Malheureusement, la mise en place d’environ trente minutes est laborieuse, et la suite, malgré quelques instants ou idées pertinentes, ne décolle jamais vraiment, comme si Holcener avait oublié certaines des leçons de la télévision (dont la plus importante: savoir aller à l’essentiel vite, bien et tenir en haleine).
Moins rythmé qu’une bonne série et moins virevoltant et inventif qu’un bon Allen, le Holofcener nouveau est  très oubliable, finalement sans grand intérêt (c’est un peu un « faut-il toujours dire la vérité ?» pour les nuls et les nantis), mais se laisse voir, ne serait-ce que pour le duo Julia Louis-Dreyfus / Tobias Menzies qui fonctionne plutôt bien, et pour le service minimum, qui semble respecter à la lettre le guide du bon petit film New-Yorkais qui aime enfoncer les portes ouvertes en se donnant l’impression d’être intelligent !

19 mai 2023

★★★ | Master Gardener (Les racines de la violence)

★★★ | Master Gardener (Les racines de la violence)

Réalisation: Paul Schrader | Dans les salles du Qubec le 19 mai 2023 (VVS Films)
Le scénariste et réalisateur américain Paul Schrader n’a pas besoin de présentation. Depuis près de cinquante ans d’une carrière élogieuse mais inégale, ce rebelle d’Hollywood semble a priori toujours revisiter ces deux thèmes réguliers: l’amour et la notion de pardon et de rachat. Avec Master Gardener, sa vingt-troisième réalisation, le scénariste de Taxi Driver raconte une histoire d’amour naissant en apparence simple mais qui bifurque vers une sombre histoire de passé trouble, chemin vers une rédemption impitoyable. Entamé par le sublime First Reformed (qui marquait un retour en grande forme après un passage à vide) en 2017 et suivi de The Card Counter en 2021, Master Gardener marque la fin d’une trilogie sur des personnages masculins marginaux à la conscience morale destructrice et prenant le chemin du pardon. C’est à nouveau sous la forme de la jeunesse (la nièce afro-américaine de sa patronne) que le chaos et les douleurs anciennes vont ressurgir pour ce personnage d’un jardinier expert en art floral, mais toujours tourmenté par les horreurs de son passé de néonazi. Sous cet éternel fardeau de la culpabilité (révélé par des rêves et flash-back), le protagoniste campé par Joel Edgerton (méconnaissable sous son faciès ressemblant étrangement à Conan O’Brien) est confronté à nouveau à ses propres démons.
On reconnaît la touche Schrader dans cette peinture de personnages marginaux moralement ambigus. Le racisme est au cœur de l’intrigue et sa nature controversée est à nouveau présentée avec la sécheresse et la cruauté propre à son cinéma, au détriment des préférences du public. Il se dégage de ce récit au rythme lent et délibéré une noirceur intrinsèque empreinte de mélancolie (présente également dans ses deux films nommés plus haut). À 76 ans, Schrader se dissocie peu à peu de son nihilisme antérieur et de ses êtres désespérés au bord de la désolation. Cette maturité émotionnelle est évidente, mais pas toujours crédible car l'incertitude de cette nouvelle romance improbable semble être le fruit de l’imagination de son auteur vers une lumière potentielle qui relève davantage du concept amoral que d’un ultime bonheur épanoui.

12 mai 2023

★★¾ | La petite bande

★★¾ | La petite bande

Réalisation: Pierre Salvadori | Dans les salles du Québec le 12 mai 2023 (Axia Films)
La petite bande de Pierre Salvadori est un ersatz des aventures pour enfants et jeunes adolescents d’Enid Blyton. Chacun des personnages vit des difficultés. Que ce soit le nouveau conjoint de maman, le papa contrôlant, le papa prisonnier ou encore le papa immigré qui travaille fort. On voit Cat, Antoine, Fouad et Sami vivre dans un cadre magnifique, la Corse. Quant au cinquième personnage, Aimé, c’est un enfant seul, rejeté et différent. On comprendra avec ce dernier l’ingratitude de l’enfance.
La petite bande se trouvera une mission. Faire sauter une usine, celle qui pollue la rivière de leur village depuis des années. Par hasard, ou dépit, Aimé sera intégré à la bande, ce qui amplifiera les désaccords fréquents entre les préadolescents. Défilent alors des dialogues maladroits et surtout une aventure qui ne décolle pas. Alors que nous aurions pu être plongés dans le monde de l’enfance avec ses codes et sa réalité qui n’est pas forcément la nôtre, Salvadori nous entraîne plutôt dans une suite d’événements peu crédibles qui défilent sous nos yeux et qui ne nous accrochent pas.
Heureusement, il y a le jeu d’Aimé. Magnifiquement interprété par Paul Belhoste. Ses grands yeux bleus et son vilain visage crèvent l’écran. Régulièrement filmé en gros plan, c’est ce personnage qui arrive à nous faire un peu vibrer. Alors que le réalisateur n’arrive pas à nous toucher avec les autres de la bande, ce petit Aimé, tout frêle et sensible, nous faire vivre une partie de sa souffrance et surtout sa folie. Ses cheveux, objet de sa différence, seront détruits par la pollution. Ce sera par le fait même l’occasion pour Salvatori de montrer comment Aimé se libérera de sa souffrance. C’est finalement lui, la brebis galeuse, la pièce rapportée de la bande, qui sauve le film.

5 mai 2023

Entrevue avec Lise Akoka et Romane Gueret (Les Pires)

Entrevue avec Lise Akoka et Romane Gueret (Les Pires)

Les pires, dans les salles du Québec le 5 mai 2023 (Fun Films)
Lise Akoka et Romane Gueret par Eric Dumont
Lauréat du prix Un certain regard au Festival de Cannes de 2022, Les pires est un magnifique premier long métrage de la part de Lise Akoka et de Romane Guéret, qui porte sur les aléas d’un tournage de cinéma dans une banlieue française. Rencontre avec ses cinéastes.

Vous pouvez me parler de votre parcours et de la genèse du projet ?
Lise Akoka : Avant de réaliser, nous étions toutes les deux directrices de casting et coachs d’enfants. Nous avons pratiqué le casting sauvage pendant plusieurs années tout en accompagnant des enfants sur les plateaux de tournage. Il s'agissait d'enfants qui n’avaient jamais demandé à devenir acteur et qui voyaient le cinéma débouler dans leur vie de façon un peu brutale. Ça faisait naître parfois des espoirs et des rêves… mais également des situations de rejet.

Le film est le prolongement de votre court métrage Chasse royale ?
L.A. : En effet. On avait envie de continuer cette réflexion avec le long métrage, d’interroger la responsabilité du cinéma, de cette profession vorace avec le réel qui se nourrit de la vie des gens, qui trouble subitement la vie d’un gamin et même d’un quartier.

Les enfants sont criants de vérité. Comment on arrive à soutirer de telles performances d’acteurs non professionnels ?
Romane Guéret : C’est lié au casting. On part sur un casting très long et exigeant. On revoit beaucoup les enfants. C’est une façon de faire attention à eux, d’être sûr et certain qu’on les fera tourner quand on dit qu’on les fera tourner. Une fois qu’on a eu ses coups de cœur, il y a l’exigence du texte. La méthode est différente selon les enfants, mais ce qui est commun, c’est qu’on leur demande d’apprendre leur texte parfaitement et après, une fois que c’est fait, on s’organise en fonction de chaque caractère, de chaque personnalité. C’est là-dedans qu’ils vont trouver leur liberté. Ensuite, on travaille en parlant beaucoup pendant la scène. On utilise des oreillettes qui permettent de ne jamais perdre l’énergie d’une scène, d’être toujours présent avec eux pour être certain qu’ils ne sortent pas de la scène ou qu’ils ne se regardent pas jouer. Ça permet aussi un lâcher-prise très fort chez eux. Tout ça fait qu’ils sont criants de vérité.

Qu’est-ce qui vous attire dans le monde de l’enfance ?
R.G. : Ce que raconte le film, c’est que l’enfance un peu cabossée et traumatisée existe dans toutes les classes sociales. C’est quelque chose d’un peu universel, qui nous touche certainement nous aussi dans notre enfant intérieur. En ce qui me concerne, c’est vraiment en faisant du casting sauvage d’enfants que je me suis passionné pour cette espèce de cinéma qui raconte un peu une génération qui pourrait rester comme le portrait réaliste de ce qu’est la jeunesse aujourd’hui. L’enfance est toujours très vivante chez moi, dans mon cœur et dans mon ventre. Je me sens encore un pied dans l’enfance.

C’est intéressant ce que vous dites sur la façon dont le septième art peut encapsuler le portrait de la jeunesse…
L.A. : Quand j’étais petite, ça m’arrivait d’être devant un film où il y avait des enfants et j’avais rarement l’impression qu’on montrait quelque chose de vrai, quelque chose de ma vie. Dans 99 % du temps, quand je voyais des enfants à l’écran, je me disais qu’ils étaient des adultes qui ont oublié et qui sont en train de raconter quelque chose qui ne me concerne pas. C’est comme si d’une certaine façon, j’avais envie de réparer ça. C’est une façon de rendre justice à la parole de l’enfant. J’ai envie qu’on puisse donner à voir la vie d’enfants telle qu’elle est et telle qu’on ne peut plus la regarder en étant adulte.

Les pires est également un long métrage sur le cinéma. Il y a toutes les séances de casting, de répétitions, etc. Il y avait un désir de fusionner fiction et documentaire ?
L.A. : À part cette première partie de casting au caméscope, on n’avait pas envie qu’on puisse penser que c’est un documentaire. On a fait ce film comme si c’était un film de fiction classique. Le film est très écrit, les enfants qui jouent sont des acteurs qui ont appris leur texte et qui ont travaillé pour arriver à un niveau d’interprétation. Après, c’est vrai que le film va de la vie vers le cinéma. Il part de quelque chose d’assez brute, assez documentaire, pour ouvrir le champ à quelque chose de plus fictionnel, de plus emphatique, de plus romanesque, de plus cinématographique. Donc pour laisser le champ à la fiction. Cela a du sens dans le propos du film qui est : « Comment on fait du cinéma à partir du réel ?» Le film a cette pulsation-là.

De quelles façons sentez-vous que ces jeunes comédiens obtiennent une sorte de rédemption et de réconciliation entre leur milieu et eux-mêmes grâce au pouvoir du cinéma ? Qu’est-ce que le cinéma peut leur apporter ?
L.A. : Ça peut leur apporter des choses à différents niveaux. C’est ce qu’on essaie de raconter à travers le film. Ce qui est beau, c’est qu’ils obtiennent la possibilité de se raconter au travers de personnages de fiction qui ne sont pas tout à fait eux-mêmes mais pas tout à fait un autre non plus. L’artiste sommeille en beaucoup de gens qui n’ont peut-être jamais dans leur vie l’opportunité d’exprimer cette partie-là d’eux. Le cinéma est un endroit privilégié pour exprimer ses émotions… Le jeu peut être cathartique pour eux : il y a quelque chose d’un peu thérapeutique. Ça peut aussi ouvrir des vocations. On peut être à l’aube de grandes carrières.

Entrevue réalisée par Martin Gignac à Paris le 16 janvier 2023 dans le cadre des Rendez-vous d’Unifrance.

28 avril 2023

★★★★ | Tommy Guns (Nação Valente)

★★★★ | Tommy Guns (Nação Valente)

Réalisation : Carlos Conceição | Dans les salles du Québec le 28 avril 2023 (Cinéma du Parc)
L’intrigue de Nação Valente débute en Angola en 1974, un an avant l’indépendance du pays. Par petites touches, elle suit différents personnages, ou plutôt des petits moments de vies perturbées à leur manière par les tensions qui règnent dans le pays. En s’appuyant sur un rythme lent, magnifiquement maîtrisé, et une photographie sublime (signée Vasco Viana), Carlos Conceição filme les corps, les peurs, les folies, la fragilité de la vie, mais également la nature, la terre, et ce lien puissant qui l’unit à ceux qui y vivent. (Ce dernier aspect, très présent dès le début du film, prendra encore plus de sens vers la fin.)
Après une demi-heure, le titre du film apparaît (« Nation courageuse », en français). Son arrivée tardive peut surprendre, mais elle marque en réalité une rupture que le spectateur comprendra progressivement. Certains indices, cependant, lui mettront dès le début la puce à l’oreille, avec une multitude d’éléments improbables que le réalisateur parvient à rendre plausibles (des relations trop fraternelles entre soldats, un officier supérieur trop gradé pour commander une petite poignée d’hommes, des apparitions nocturnes trop troublantes pour n’être qu’anodines). La force du cinéaste est de nous entraîner avec lui dans ce monde incertain, qui semble celui du rêve, à moins qu’il ne soit celui de la folie des (ou d’un ?) homme(s). Mais au-delà de la facilité avec laquelle Carlos Conceição rend plausible l’improbable, la force de son film est de nous parler de décolonisation, de déracinement, de spoliation, de folie meurtrière, mais également du besoin de réconciliation, malgré le passé, malgré les tensions, malgré la violence, malgré les excès. Pour cela, le cinéaste a recours aux symboles ou aux l’allégories, de manière toujours intelligente et foisonnante. Chaque élément est porteur d’un sens jamais imposé au spectateur, qui aura la possibilité de visionner le film comme s’il s’agissait d’un rêve… ou d’en faire une analyse d’une grande richesse, aux allures de réflexion postcoloniale, selon son bon vouloir.
À ne manquer sous aucun prétexte… en salle, évidemment !