22 septembre 2011

Entrevue avec Roschdy Zem (réalisateur de Omar m'a tuer)

Cinéfilic a eu la chance de rencontrer Roschdy Zem dans le cadre de la sortie de son deuxième film en tant que réalisateur: Omar m'a tuer (dans les salles du Québec à partir du 23 septembre 2011, lire notre critique)

Vous avez commencé votre carrière comme acteur, et vous en êtes maintenant à votre deuxième film comme réalisateur. Qu'est-ce qui vous a donné envie de devenir réalisateur?
C'est l'envie et la nécessité de raconter. J'ai eu envie de raconter des histoires moi aussi. Au départ, ce n'était pas forcément pour les mettre en scène moi-même, mais quand on est dans une phase d'écriture et de développement, très naturellement, on se retrouve à réfléchir à la mise en scène. (...) Ça a été quelque chose d'assez cohérent: passer par la phase d'écriture puis par celle de la réalisation. Et j'y ai pris goût. La vraie difficulté, après, c'est de faire le deuxième!

Parmi les gens avec qui vous avez collaboré, y a-t-il des réalisateurs qui vous ont particulièrement donné le goût de la mise en scène, ou est-ce que ça c'est fait naturellement?
C'est évident que beaucoup de metteurs en scène m'ont influencé, mais pas un en particulier.... ni deux, ni trois! En fait, je me suis servi de mon vécu d'acteur, des expériences qui m'avaient plu, pour appréhender toutes les phases d'un tournage, aussi bien dans la direction d'acteurs que dans la mise en scène... la mise en place des acteurs. Je me suis servi de mon expérience, tout simplement, et c'est vrai que pour chaque séquence, il me revient en mémoire des phases avec tel ou tel metteur en scène. Mais c'est l'accumulation de tout cela qui m'a servi.

Revenons maintenant à votre actualité: Omar m'a tuer. Pour un Français, ce titre veut dire beaucoup de choses. Pour un Québécois, beaucoup moins! Pourriez-vous brièvement parler de l'affaire Omar Raddad, qui est au centre du film?
C'est une sombre affaire criminelle qui a eu lieu en 1991, il y a donc vingt ans, mais qui est encore très présente dans la mémoire collective. C'est une femme riche, veuve, retrouvée assassinée dans sa cave de quinze coups de couteau et de trois coups de chevron à la tête, et qui avant de mourir aurait inscrit à deux reprises "Omar m'a tuer", avec cette fameuse faute d'orthographe. L'affaire a fait la une des journaux et les gens l'ont suivie un peu comme un épisode d'une série célèbre. Ça a duré des années, jusqu'au procès, et même plus tard... jusqu'à ce que le Président Chirac décide de gracier Omar Raddad après sept ans de prison, sans pour autant l'innocenter. Cet homme, aujourd'hui, continue à se battre pour sa réhabilitation.

Et qu'est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire? Vous intéressait-elle déjà à l'époque? Quel a été le déclic pour que ça devienne votre second film?
J'ai suivi cette affaire comme un citoyen lambda... c'était une affaire passionnante! Le déclic est venu de Rachid Bouchareb, qui m'a proposé d'interpréter Omar Raddad. J'ai alors décidé de lire tout ce qui avait été écrit autour, pour et contre Omar Raddad. Ça m'a passionné car il y avait beaucoup d'éléments essentiels qui nous avaient échappé à tous. Et il y avait ce personnage d'Omar Raddad, ce personnage mutique (je rappelle aux québécois que c'était un immigré marocain qui ne parlait pas le français et qui le comprenait très mal). Autour de ça il y avait une pléiade de personnages (...), des rebondissements et des zones d'ombre. On avait là un scénario qu'il était difficile pour un auteur d'inventer, (...) digne d'un Agatha Christie. (...)

Est-ce que, en faisant le film, vous vous êtes dit qu'il pourrait peut-être un peu faire bouger les choses, comme ça avait été le cas pour Indigènes par exemple... car Omar Raddad est toujours coupable aux yeux de la justice!
Je n'ai jamais eu cette prétention, vraiment! Je voulais surtout pointer du doigt cette machine judiciaire qui peut détruire un homme sans pour autant prouver sa culpabilité. Je parle d'Omar Raddad, mais ça a été le cas d'autres affaires récentes également. (...) Quant à faire changer le cours des choses à travers un film, ce n'est pas quelque chose qu'on peut anticiper. On peut éventuellement y croire secrètement, mais ça me semble compliqué, surtout en termes de décision judiciaire. Et au-delà de ça, je pense que ce n'est pas le rôle du cinéma!

Parlons maintenant plus de mise en scène et d'écriture... on a l'impression que votre approche évolue pendant le film. Dans un premier temps, on est plus centré sur le personnage de l'écrivain: le film est assez froid... nous sommes concentrés sur une enquête, sur les faits. C'est très analytique. Mais plus ça avance, plus le personnage de Raddad devient important. Le film devient plus fragile, plus humain. Pouvez-vous m'expliquer votre démarche?
Il y avait une phase évolutive qui me semblait importante. D'abord, j'ai voulu m'en tenir aux faits. Jusqu'à son procès, Omar Raddad est un homme assez naïf qui pense que la justice française a ce pouvoir d'être juste et qu'il va être innocenté. Il attend tranquillement en prison en se disant « on est en France, donc ils vont me dire "excusez-nous monsieur, on s'est trompé!" » C'est donc un homme passif jusqu'à la décision finale. C'est ce que j'ai voulu montrer à travers le film: cet homme qui se laisse mener par ses avocats, par le juge d'instruction, par les enquêteurs et à qui on ne demande pas de s'impliquer dans ce qui va devenir son propre avenir. Et puis, il y a cette décision qui va transformer cet homme passif en combattant, avec la colère... c'est la deuxième phase du film, où on voit un homme passer à l'offensive. On s'attarde alors un peu plus sur lui car c'est là où il devient intéressant... lorsqu'il décide de se battre pour lui, pour ses enfants, pour sa réhabilitation... d'où les deux niveaux d'interprétation du film et de l'acteur d'ailleurs!

Vous parliez des faits tout à l'heure. Le personnage de l'écrivain, interprété par Denis Podalydès, ressemble beaucoup à Jean-Marie Rouart, qui a écrit un livre sur cette affaire. Pourquoi, alors que la plupart des personnages sont réels, avoir inventé ce personnage de fiction?
Pour plusieurs raisons. D'abord, parce que je me suis permis quelques libertés avec ce personnage, notamment dans son intimité (des scènes d'ailleurs coupées au montage), et puis surtout parce que ce que je lui fais faire dans le film à travers son enquête c'est une accumulation d'enquêtes différentes: la sienne bien sûr, mais aussi celle de détectives, de journalistes, de policiers, que j'ai mis à l'intérieur d'un seul personnage. Donc, là, on est dans la fabrication et dans la fiction. (...) Mais je pense que tout le monde aura compris qu'il s'agit de Jean-Marie Rouart. (...)

La film est inspiré du livre de Rouart et de celui de Raddad. Ça a été la base de votre travail je pense. Vous-êtes vous aussi livré à une sorte de travail d'enquête, en rencontrant les différents protagonistes de l'affaire?
En fait, les livres de Rouart et d'Omar m'ont servi pour deux choses. Le livre d'Omar m'a servi pour raconter son intimité, sa vie carcérale, ses rapports avec la famille. Le livre de Rouart m'a intéressé car j'avais envie de faire cette enquête parallèle à travers un journaliste. Je m'en suis donc inspiré. Mais sinon, les vraies sources, c'est avant tout l'instruction et les témoignages et les principaux protagonistes de cette affaire comme Vergès, Raddad évidemment, maître Leclerc et plein de gens qui m'ont permis d'étoffer un peu cette histoire. (...)

Pendant la préparation du film, votre point de vue sur la culpabilité de Raddad a-t-il changé? Avez-vous eu des certitudes que vous n'aviez pas avant?
Ce n'est pas un dilemme dans lequel j'ai voulu rentrer. C'est vrai que mon film est quand même, il faut bien l'avouer, essentiellement à décharge (...). Beaucoup d'éléments auraient permis d'innocenter ou de condamner définitivement Omar Raddad, mais ces éléments ont été soit occultés, soit snobés par l'instruction. C'est ce que je voulais dénoncer. On n’a jamais réussi à prouver sa culpabilité, c'est un fait, ce n’est pas moi qui l'ai inventé. Ce qui m'intéressait avant tout, c'était de dire comment on peut condamner un homme à dix-huit ans de prison (pour un crime qui en mérite trente, entre nous!) sans preuve, mais en se basant uniquement sur la conviction intime sur un dossier aussi fragile. De mon côté, je n'ai pas vraiment d'opinion. C'est vrai qu'après avoir rencontré Omar Raddad, j'ai mes propres convictions (...). En le rencontrant, il me paraissait impossible que cet homme ait pu faire ça, mais c'est ma conviction, et elle ne vaut rien du tout. Ce n'est que ma conviction! Mais sur les faits et le dossier, il semblerait qu'une instruction digne de ce nom aurait dû lui faire obtenir l'acquittement.

J'ai maintenant envie de parler des acteurs... ou de l'acteur! Vous disiez à l’instant que Rachid Bouchareb vous avait proposé le rôle… pourquoi ne pas l’avoir interprété dans votre propre film?
Pour plusieurs raisons. D’abord parce que j’avais l’acteur pour interpréter Omar… et quel acteur! Le résultat me donne raison! L'autre raison est qu’il me semblait compliqué d’interpréter ce rôle et de le mettre en scène. C’est un rôle qui demande beaucoup d’implication. Mais la raison essentielle est que j’avais l’acteur. Je savais que Sami (Bouajila, ndlr) était l’homme de la situation. Il avait l’expérience, la sensibilité, la profondeur pour ce rôle. Pourquoi prendre un rôle alors que vous savez qu’un autre acteur peut le faire mieux que vous?

Pour vous, c’était une évidence? Même quand Rachid Bouchareb vous a proposé le film?
Oui, ça a été une évidence tout de suite. Ça a été immédiat. Vous savez, si je peux m’octroyer une qualité, c’est de savoir ce que je peux faire ou ne pas faire. Et je savais que ça, je ne pouvais pas le faire. Je n’avais pas le talent pour interpréter ce genre de rôle.

Le fait d’être un acteur vous rend t-il plus exigeant qu’un autre metteur en scène quand vous dirigez d'autres acteurs? Dans une entrevue (celle du dossier de presse, ndlr), j’ai lu que Sami Bouajila vous trouve autoritaire quand vous dirigez...
Je suis aussi exigeant qu’un metteur en scène qui veut donner une part importante à l’interprétation. C’est vrai que ça demande beaucoup de rigueur et il faut être exigeant, mais dans le bon sens du terme… en tout cas je l’espère. (...) Je pense qu’en matière d’interprétation, on n’est jamais trop exigeant! (...)

Surtout avec ce rôle, qui aurait pu très facilement être une caricature!
Oui… c’est vrai que j’ai eu de la chance. Sami était très disponible, donc on a pu faire un travail en amont plusieurs mois avant le tournage, ce qui était essentiel… Vous savez, quand vous avez des grands acteurs comme Sami, ou Denis (Podalydès, ndlr), ce n’est pas vraiment de la direction… c’est juste de retrouver ensemble les choses avec lesquelles on s’était mis d’accord et sur lesquelles on voulait s’attarder.

Pour finir, pouvez-vous nous dire si vous avez un projet de mise en scène, ou si vous allez vous reconsacrer à votre métier d’acteur?
Je pense à réaliser bien évidemment, mais je n’ai pas de sujet. Je ne veux pas faire un film par caprice. L’idée est de trouver un sujet qui me redonne cette envie de repasser derrière la caméra. C’est très compliqué. On le voit, dans le cinéma mondial, on ne fait que des suites, des remakes, des adaptations de BD, etc. Trouver des sujets qui en valent la peine c’est très difficile… donc actuellement, je suis à la recherche de sujets.

Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo le 20 septembre 2011 à Montréal
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