2 février 2013

Entrevue avec Régis Roinsard (réalisateur de Populaire)

Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Régis Roinsard, réalisateur cinéphile dont le premier film (Populaire, qui vient d’obtenir cinq nominations pour les prochains Césars) sera projeté dans les salles du Québec à partir du 8 février.

Populaire est votre premier long métrage de fiction. Nous vous connaissons donc peu! Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours?
En fait, je suis d’abord un gros cinéphile. J’adore regarder des films depuis que je suis tout petit. Mon parcours ne se résume pas à cela, mais c’est très important pour moi. (...) Et sinon, je viens de Normandie. Mon père était assureur, comme Louis Échard dans le film (le personnage interprété par Romain Duris, ndlr). (...) Ma mère a aussi un point commun avec Rose Pamphyle (le personnage interprété par Déborah François, ndlr) puisqu’elle s’est aussi affranchie de sa condition et du joug de ses parents. Je ne sais pas ce qui leur a pris, mais ils m’ont poussé à suivre ma passion... C’est fou, je n’ai jamais parlé de ça dans une interview en fait! (rires) Mais ils m’ont poussé à faire ce que je voulais! J’ai donc fait des études de cinéma à Paris. (...) Assez rapidement, j’ai fait mon premier court métrage, qui s’appelait Les petits salés. J’ai enchaîné les courts métrages, et j’ai fait des clips, car j’aime beaucoup la musique. J’ai fait aussi un peu de documentaire musical et un peu de pub, qui n’est pas mon genre préféré... mais ça m’a permis de vivre. Et quand on est à l’aise financièrement, ça permet d’écrire!

Vous avez notamment réalisé des clips à la manière de Scopitones avec Mareva Galanter! Je parle de ça car Populaire se passe dans les années 50, et les Scopitones datent de la fin des années 50 aussi! Vous êtes un nostalgique de l’image?
Je ne suis pas un nostalgique de l’image, ni un nostalgique tout court. Mais il y a des décennies que j’aime plus que d’autres! J’adore les années 50, les années 60, même les années 80. Je ne suis pas nostalgique, mais je me pose peut-être des questions sur l’incarnation des choses. Effectivement, j’ai fait des Scopitones, en pellicule 16 mm, avec des caméra qui font du bruit! D’un seul coup, il y a une incarnation, une sorte de chimie qui ne se passe pas avec le numérique. Je ne suis pas nostalgique, mais je trouve que pour l’instant, le numérique n’est pas à la hauteur du 35mm. (...) Ça ne vibre pas... ou ça vibre moins! Ce n’est pas une approche passéiste, mais si je compare une image haute définition et une image 35mm, la carnation n’est pas la même! Et pour revenir aux Scopitones, je pense qu’interroger le passé et s’immerger dans les années 60 ou dans les années 50 pour Populaire, c’est aussi s’interroger sur notre monde de maintenant. (...)

Il y pas mal de comédies en France qui se tournent vers le passé depuis quelques années...
Oui...

Est-ce que cette petite mode vous a aidé financièrement. Car Populaire est un budget énorme pour un premier film. Il a coûté entre 13 et 15 millions d’euros je crois...
Oui, 14 millions en fait.

Pour un premier film, c’est énorme! Il faut trouver l’argent!
Au début, on flippait. On se disait “est-ce qu’une histoire de concours de machine à écrire avec une actrice principale peu connue du grand public va attirer les financiers?”. On ne savait pas vers quoi on allait. C’est vrai que 14 millions d’Euros, pour un premier film, c’est beaucoup. Mais pour ce film en particulier, c’est juste! Il n’y a pas eu de dépassement de tournage. On a tourné en onze semaines et demie, alors que pour un tel film, il en faudrait quinze. C’est donc finalement même peu. On a fait beaucoup de préparations pour éviter les dépassements. C’était un tournage sportif! Après, pour revenir à savoir si le fait de situer l’intrigue dans le passé aide au financement d’un film... oui et non. La mode des années 50 aide peut-être... et le fait que Mad Men marche aussi. Mais de mon côté, je l’ai fait parce que j’aime les années 50. (...) Il y a des choses très belles les années 50, aussi bien en peinture, en architecture, en design ou dans l’habillement. (...) De plus, il s’agit d’une histoire récente. Même si on ne les a pas connues, nos mères ou nos grands-mères ont connu cette époque. Ça permet de partager et de s’interroger sur le monde de maintenant. C’est ce qui m’a plu. En faisant un film sur les championnats de vitesse, je m’interrogeais sur la vitesse en règle général. De plus, les comédies des années 50 de Billy Wilder... ou les comédies des années 40 de Capra ou de Hawks me plaisent beaucoup. Cela permet enfin de s’interroger sur le cinéma de maintenant. (...) J’ai commencé avec ce que j’aime énormément, mais le deuxième film sera peut-être très différent!

C’est vrai qu’on ressent énormément votre cinéphilie. La comédie américaine bien sûr, Hitchcock aussi... On dit souvent que le premier film est le plus personnel. Pour Populaire, c’est vraiment votre amour du cinéma que vous vouliez partager?
Il y a cet amour du cinéma, c’est sûr. Mais il y a aussi plein de choses personnelles, même très personnelles. C’est un film de genre (une comédie romantique et sportive... ou une comédie dramatique et sportive aussi), mais grâce aux couleurs, aux costumes ou aux décors, je peux glisser plein de choses très personnelles sans que les gens s’en aperçoivent. Et ça, ça me va! Il peut aussi y avoir des choses très personnelles dans les films de genre. J’y revendique donc mon amour du cinéma, mais aussi des choses plus personnelles car on y retrouve un peu mes parents, mes amis, mais également moi! Rose Pamphyle c’est une fille de Normandie qui va à Paris. C’est ce qui m’est arrivé! Et elle va devenir une star... mais je n’en suis pas encore une! (rires) C’est ça le cinéma, ça permet de parler de soi! Après, j’ai fait une comédie car j’aime le cinéma de divertissement (même si ça peut être un gros mot pour certains). J’aime les grands cinéastes populaires. Sergio Leone me passionne. (...) Dans Il était une fois la révolution, il parle de communisme et de révolution! C’est vachement plus politique qu’un simple divertissement! Dans Populaire, il y a un côté rose bonbon, mais le bonbon a plusieurs couches. Certains le voient, d’autre non. J’espère que ceux qui ne le voient pas vont tout de même prendre plaisir à rire et à être émus par certaines choses.

Vos courts métrages étaient déjà des comédies?
J’en ai fait quatre. Il y a deux drames et deux comédies... s’il faut les classer, car il y a des petits mélanges de genres. J’aime bien être ému au cinéma. Mon prochain film sera peut-être un drame. Je ne sais pas encore. Mais j’aime plutôt aller choper de la vérité dans des choses plus poétiques ou irréelles que d’aller choper du réel dans le réel! Je me méfie toujours de ça.

D’ailleurs, on a l’impression que Populaire est plus un regard sur le cinéma de l’époque que sur l’époque!
Oui...

Je ne sais pas si...
Si, c’est une bonne remarque. Je me suis interrogé sur l’époque, et c’est une époque qui est dans le fantasme. Elle est elle-même dans le fantasme de quelque chose. C’est ce qui m’a le plus surpris. A un moment, j’ai demandé à mes profs d’histoire avec qui je suis encore en contact si je devais parler de la guerre d’Algérie... et comment je devais en parler! Ils m’ont répondu que plein de gens étaient dans le déni parce que c’était tellement récent qu’on ne voulait pas en entendre parler. Seuls les gens qui avaient de la famille étaient touchés par ça... ou des gens engagés politiquement, en particulier les communistes. Mais la presse était contrôlée... et ce n’était même pas la guerre...

C’était les “événements”...
Tout à fait. Et il y avait quelque chose d’un peu irréel. Les gens vivaient dans une sorte de rêve. Ce n’est qu’au début des années 60 qu’ils sont sortis de ce rêve. Je m'interroge aussi là-dessus. D’une certaine manière, les années 80, c’est un peu ça aussi. Ce sont des années d’argent, un renouveau de la société de consommation. On ne veut pas s'apercevoir de ce qu’on fait. On le fait avec joie et gaieté!

Il reste peu de temps... je vais sauter au sport! Vous avez parlé de comédie sportive tout à l’heure! C’est vrai qu’il y a presque des combats de machine à écrire! Comment vous avez eu cette idée. Vous n’avez pas eu peur de l’absence de cinégénie de la machine à écrire?
En fait, en voyant un documentaire sur l’histoire de la machine et une séquence de trente secondes sur des championnats de vitesse...

Ça existe donc vraiment?
Oui! Ça a été créé par les marques de machines à écrire. C’est comme les courses de bagnoles, mais à un autre niveau! Et ça, ça me fascinait! Un sport avec un objet qui n’est pas destiné à ça me semblait incroyable. Et en le voyant, j’ai trouvé ça esthétiquement incroyable. Ça me rappelait des choses... il y avait presque un côté soviétique! Il y avait une étrangeté. Et j’aime le sport. Maintenant, on filme un sport avec un milliard de caméras. Moi, je n’ai pas un milliard de caméra, et il n’y a pas trop de documents là-dessus... je me suis dit que j’allais inventer ma propre grammaire. C’était un défi: comment faire que ce sport ressemble à des combats de boxe? Je crois que j’ai pas mal réussi...

Ça fait très boxe en effet!
Mais l’autre chose qui m’intéressait c’est qu’en voyant un match de tennis, j’ai l’impression de voir un match de Playstation. Je n’arrive pas à m’identifier tellement ça va vite, tellement ils sont balaises! C’est pareil pour d’autres sports. Au soccer, en France, il y a des mecs ultra balaises... du coup, il y a moins d’identification possible! (...) Avec la machine à écrire, comme on a tous tapé sur un clavier et qu’on a presque tous tapé sur une machine à écrire, on peut se rendre compte de ce que c’est. L’identification est plus simple. Au contraire, si on faisait un film sur le tennis, en 2013, qu’est-ce que ça apporterait finalement? J’avais envie de voir l’effort, j’avais envie de voir les corps. C’est pour ça qu’il n’y a pas de tricherie. Déborah s’est entraînée sept mois pour ça parce qu’il fallait apprendre. La relation du corps et de la machine m’intéressait aussi énormément!

Et pour conclure... je tenais à vous féliciter! Populaire est nommé dans cinq catégories aux Césars, dont meilleur premier film, et meilleure photo pour Guillaume Schiffman!
Merci!

Vous vous y attendiez un peu?
On ne s’attendait à pas grand chose. Déjà, nous n’étions pas dans la box set de DVD. Le film venait de sortir, et pour des raisons de piratage, on n’y était pas! Tous les votants ne l’avaient pas vu et on ne partait donc pas trop gagnant! En avoir cinq pour un premier film, c’est génial! Et pour celui du Meilleur premier film, je suis hyper fier... vraiment!

Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo à Montréal le 28 janvier 2013
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