11 août 2013

Entrevue avec Robert Morin (Réalisateur du film Les 4 soldats)

Nous avons eu le plaisir de rencontrer Robert Morin au lendemain de la première mondiale de son dernier film Les 4 soldats (dans la cadre du Festival Fantasia, où il a d’ailleurs obtenu par la suite le Prix du public du meilleur film canadien ou québécois). Le film prendra l’affiche au Québec le 16 août 2013 (Métropole Films Distribution)

Hier soir, Les 4 soldats était projeté en première mondiale à Fantasia. A priori, quand on pense à Fantasia, on ne pense pas forcément à vous…
Non…

Qu’est-ce qui a motivé cette présence dans ce festival?
D’abord, le système des industries culturelles étant ce qu’il est, les organisateurs ont des subventions s’ils diffusent des films québécois. Ils ont donc besoin d’avoir des films québécois, mais il ne se fait pas beaucoup de films de genre ici. Ils nous ont donc sollicité parce qu’ils avaient entendu dire qu’il y avait une guerre (…). De notre côté, on voulait sortir notre film mi-août pour éviter de le sortir avec tous les films de la rentrée. (...) Quand ils ont vu le film à Fantasia ils ont été enchantés. Ils nous ont même offert de faire l’ouverture du festival. Mais on a pensé que les spectateurs qui se déplacent pour le film d’ouverture voulaient un peu plus de fantastique. On a donc trouvé un terrain d’entente pour l’Impérial, vers la fin de l’événement. C’était parfait, je n’ai jamais vu un tel accueil.

J’ai vu le film hier matin en projection de presse, mais je crois savoir que l’Impérial était plein…
Oui, c’était sold out.

Ça va permettre à un large public qui vous connaît peut-être mal… ou du moins qui ne connaît pas forcément vos films, de vous découvrir.
Mais c’est un film qui reste assez pointu tout de même.

Un plus large public a eu accès à votre film cependant… et d’ailleurs, il y a peut-être un plus large potentiel commercial…
Oui oui, surtout par rapport à celui d’avant. Le journal d’un coopérant, on entendait les mouches voler dans la salle. Ce n’était pas touchant… c’était juste monstrueux. Au moins, ici, c’est triste, mais il y a de beaux moments dans le film… ça flotte… c’est une sorte de film contemplatif, le genre de cinéma que je n’aurais jamais pensé faire.

Il y a un peu de cinéma de genre dans Les 4 soldats, un peu de cinéma plus commercial, mais aussi beaucoup de cinéma d’auteur. Qu’est-ce que vous pensez de ce genre d’étiquettes? Est-ce que ça rime à quelque chose? C’est plutôt positif ou négatif de dire « ça, c’est du cinéma d’auteur, ça c’est du cinéma de genre? »
Je n’ai jamais trouvé que ça rimait à quelque chose. Pour moi, tout le monde est un auteur. Il suffit de décider de prendre un Kodak et de faire une vue. C’est prétentieux de dire que le cinéma d’auteur est du cinéma intelligent. Des auteurs veulent faire du gore comme d’autres veulent faire du cinéma esthétique. Il y a de plus en plus de cinéma transgenre. Je m’en fous des étiquettes. Je me rends compte que mon film est une sorte de bibitte qui est un peu entre plusieurs chaises, une sorte d’objet cinématographique non identifié.

Certains semblent parfois l’oublier, mais le cinéma est un art visuel!
Très. Et c’est particulièrement vrai pour Les 4 soldats!

L’aspect visuel est en effet très important pour ce film en particulier. Les couleurs désaturées, le cadre extrêmement soigné…
Les looks aussi, les costumes…

On a un peu l’impression d’évoluer dans une sorte de bulle hors du temps, hors du monde aussi…
Oui, c’est voulu. En fait, le concept original était de faire un conte filmé, avec tous les pré-requis d’un conte, avec un lieu hors du temps, pas trop défini, des personnages archétypaux, comme dans un conte. (…) Je voulais qu’on comprenne tout de suite qui ils sont en les voyant.

Cet aspect visuel très fort, c’est venu à quel moment?
Je viens de la peinture. Je travaille donc seulement sur du cinéma conceptuel. L’histoire n’est pas importante au départ. Je trouve un concept structural généralement, et je trouve l’histoire ensuite. Ce que je reproche au cinéma en général, c’est qu’il y a trop de belles histoires, et pas assez de cinéma. (…) Et là, le concept était celui du conte. Ce qu’il y a de reposant dans l’art conceptuel c’est qu’on ne peut plus s’évader du concept. Les choses viennent alors d’elles-mêmes. Il y a certes des inconvénients car cela nous oblige à faire certaines choses, mais il y a aussi des avantages car certains problèmes sont vite réglés.

Mais au-delà du concept. Il s’agit d’une adaptation d’un roman…
Attention, ce roman est un conte!

Oui, mais justement, votre envie de faire un conte vous a poussé à vous appuyer sur cette histoire, ou au contraire est-ce l’histoire qui a germé et vous a donné envie, petit à petit, de l’adapter?
J’avais envie de faire un conte depuis très longtemps. Ça faisait partie de ma liste de concepts. Et quand j’ai lu le roman… car je lis beaucoup de romans, mais je ne vais pas trop au cinéma! Quand j’ai lu le roman j’ai été touché par la mélancolie de cette fille qui a perdu ses amis… même si dans le roman, c’est un gars. La même année, j’avais perdu des amis chers et j’étais dans cet état de mélancolie, j’essayais de me rappeler comment on était devenu amis… J’ai adoré ce roman pour des raisons émotives, puis je l’ai mis de côté ensuite, j’y suis revenu et je me suis dit « mais tabarnak, c’est un conte! »

J’ai lu que vous avez travaillé très longtemps sur le scénario.
Oui… vingt-deux versions du scénario.

Quelles ont été les plus grosses évolutions entre la version initiale et la définitive?
Quand j’ai décidé d’adapter le conte je suis allé voir Hubert Mingarelli, l’auteur du livre, dans les Hautes-Alpes. J’ai passé une semaine avec lui, et on a essayé de se mettre d’accord. On s’est trouvé beaucoup d’atomes crochus. C’est un gars de mon âge, il vit dans le fond du bois... On s’est entendu sur une chose importante: l’esprit du roman, c’est une histoire d’amitié qui vire à la famille. Ces gens sont des amis, mais il vont commencer à adopter des comportements familiaux. Ils sont comme un père, une mère et des enfants. En partant de là, l’histoire peut se dérouler pendant n’importe quelle guerre. Personnellement, je n’aime pas les films d’époque. (...) Je voulais m’ancrer dans le contemporain. Le Canada venait d’entrer en guerre en Afghanistan, donc la première version mettait en scène des soldats canadiens en Afghanistan qui décident de sortir de leur enclos et qui trouvent un oued. Mais j’arrivais à un budget de 5 millions, j’ai eu plein de refus, j’ai mis le projet de côté et j’ai fait trois autres films, dont Journal d’un coopérant, que j’ai tourné en Afrique. J’ai gardé de bons contacts là-bas et je me suis dit que je pourrais faire ça avec quatre enfants soldats. Mais finalement, le projet a été difficile à monter (...). J’ai encore abandonné et après un certain temps, je me suis dis que mon budget ne devait pas dépasser trois millions. Il fallait donc que ce soit une guerre qui n’existe pas, une sorte de guerre civile tournée dans un décors qui ne coûte rien. (...) Après, j'ai compris que l’idée, liée à l'origine à des contraintes budgétaires, était encore mieux. Cela fait encore plus conte: quelque chose d’improbable, mais plein de vérité. Et là, j’ai arrêté d’avoir des refus et nous avons eu notre argent!

Et à l’arrivée, pour moi en tout cas, il y a deux thèmes principaux. Vous avez cité le premier, qui est l’importance de la famille, mais il y a aussi l’importance de laisser une trace. Ces deux thèmes sont aussi les plus importants pour vous?
Le leçon de vie globale que l’on peut en tirer est “on n’est jamais mieux servi que par soi-même”. La fille veut tellement garder des traces de la plus belle histoire de sa vie... mais confie ça à quelqu’un qui ne fait pas le travail. C’est important qu’à la fin du film elle devienne une auteure. Elle est devenue une artiste par la force des choses. La fin est à la fois triste et heureuse. Malgré toutes ses angoisses d'écrivain, un artiste est né. À chaque fois qu’on regarde un conte, on trouve de nouvelles petites leçons de vie. Et ça, on le retrouve dans Les 4 soldats. Dans le film, mais aussi dans le roman qui l’a inspiré. (...) Je n’ai rien inventé... cela dit, j’ai mis une fille à la place d’un gars et j’ai rajeuni le personnage...

Et pourquoi, justement, une fille?
Pour plusieurs raisons. Mais la principale est liée à l’idée de famille. Je voulais que le leader soit le père, et que l’angoissée qui s’occupe de tout le monde soit une mère. Au moment de trouver mes personnages j’ai auditionné beaucoup de jeunes gars (...). J’ai trouvé des personnages esthétiquement différents mais en faisant des essais, j’ai constaté comme une velléité d’homosexualité qui sortait car un personnage de cette sensibilité, qui s’intéresse comme ça à un de ses amis, de façon à frôler l’amour tout le temps, on finissait par se dire, “mais est-ce qu’il va faire son coming out?”. Ça modifiait beaucoup ma volonté de créer une sorte de famille. Les comédiens étaient excellents, ils le faisaient de façon sensible, mais ça ne fonctionnait pas. Au contraire, en mettant une fille un peu tomboy, qui refuse sa sexualité, ça passait mieux. (...) Je pense que ça a été une bonne décision. (...)

Et toujours à propos de la fille... la narration n’est pas toujours en voix off...
Oui... c’est une voix on et off.

Et lorsqu’elle est on, la fille prend à partie le spectateur. Elle regarde directement la caméra... Quand et pourquoi avoir fait ce choix?
Dès le début il y a eu deux décisions esthétiques de mise en scène: ça et le recours aux plans séquences. Ces décisions venaient du concept. Je ne sais pas si vous vous souvenez du premier texte que vous avez écrit. C’est probablement venu comme un bloc, comme si vous vous vidiez le cœur. Je me suis dit que quelqu’un qui prendrait une caméra et qui filmerait les choses de sa mémoire ne ferai pas de découpage. Je trouvais que le plan séquence épousait bien la gaucherie, la raideur du personnage. La deuxième décision était liée à sa naïveté et son intensité de se rappeler son souvenir. Tout le film est un flash back. Elle se revoit donc à différents moments dans son histoire, et elle est parfois tellement prise dans sa narrativité qu’elle parle au spectateur, dans sa naïveté d’auteur naissant. (...) Mais ce procédé fait parti de beaucoup de mes films. Pour les deux précédents, le gars regarde l’écran pendant une heure et demi.

Oui... mais la construction n’était pas la même. Dans ces autres films, la caméra faisait partie de l’histoire.
Alors que dans cas, c’est un film à la troisième personne... et parfois, la première personne intervient. En l’essayant, j’ai trouvé que comme il ne se passe pas grand chose car c’est un film surtout contemplatif, ça créait des moments de tension. C’est un peu comme un aparté au théâtre.

(...)

Pour conclure... j’ai vu que vous aviez pas mal de projets en ce moment...
Je termine un projet avec de jeunes autochtones (...). Ça s’appelle Trois histoires d’Indiens, un film choral avec trois groupes de jeunes Indiens. (...) Et contrairement à l’image qu’on a parfois des autochtones, ce sont des jeunes pro-actifs.

Après Les 4 soldats, ses plans séquences et ses travellings, vous allez revenir à une caméra à l’épaule?
Non... ça ressemble beaucoup à 4 soldats. Ça va être un autre film contemplatif, sans action dramatique. On achève le montage, mais ça va être encore une drôle de bibitte. Et on va peut-être faire une mini-série web avec Stéphane Crête, en donnant aux gens des trucs pour faire de l’évasion fiscale! On va aller aux Bermudes et montrer comment placer son argent!

(rires) C’est la suite de Papa à la chasse aux Lagopèdes...
Oui... mais en un peu plus hard, car Crête est un gars qui aime se déguiser. Et sinon, je viens d’écrire un scénario de long métrage: six instants importants dans la vie d’un personnage narcissique, genre Guy Turcotte, qui tue sa femme et ses enfants. Ça ne sera pas sur le meurtre comme tel, mais sur six instants qui préparent quelqu’un qui a cette maladie à commettre ce geste. Ça sera un peu plus heavy... plus proche de Michael Haneke!

Entrevue réalisée par jean-Marie Lanlo à Montréal le 6 août 2013
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