6 août 2014

Fantasia 2014: Killers ***½

Réalisateurs: The Mo Brothers

Killers commence de manière assez brutale avec une scène de torture. Pourtant, s’il propose ce genre de scène de manière récurrente, il n'en abusera jamais, celles-ci restant toujours au service du récit et n'ayant pas pour but de jouer la surenchère avec une complaisance morbide.
L'intérêt du film réside en effet surtout du côté d'un scénario très intelligemment écrit et parfaitement servi par une mise en scène solide d'un bout à l'autre.
Le point de départ est pourtant assez risqué: Killers suit en alternance deux personnages, un à Tokyo et l'autre à Jakarta. Cet effet, aucunement original, est cependant toujours difficile à maîtriser, mais le passage d’un univers à l’autre se fait avec justesse et un sens parfait du timing. De plus, l’opposition passionnante des deux héros débouche sur une réflexion glaçante sur le voyeurisme moderne: les hommes mis en scène sont tous deux portés sur la violence, mais celle-ci se caractérise différemment. Le premier, qui souffre de graves troubles psychologiques (même s'il les cache bien) est amateur de violence gratuite. Il exécute et torture par pur plaisir. Le second ressemble à monsieur tout le monde et a seulement (du moins au début) une fâcheuse tendance au voyeurisme morbide, puisqu’il regarde des meurtres sur un site spécialisé, une fois qu'ils ont eu lieu. S'il est conscient de son vice, il peut toujours se rassurer en se disant qu'il ne fait rien de mal (d'autant plus qu'il se bat contre les injustices grâce à son activité de journaliste). Si sa fascination pour la violence finit par le pousser au meurtre et à la diffusion de ses exploits, il va même jusqu’à se cacher une nouvelle fois derrière sa bonne conscience puisqu’il exécute uniquement ceux qui le méritent à ses yeux.
L’intelligence du récit réside dans le rapprochement des deux individus. C’est d’ailleurs ce qui mettra en avant leurs divergences. Lorsque le psychopathe implique le voyeur dans son jeu en lui offrant une exécution en direct, le second prend vraiment conscience de la nature de son vice. En se cachant derrière l'anonymat d'internet et l'alibi du différé (des millions d'autres que lui regardent ces vidéos, et le mal est déjà fait lorsqu'ils assistent à ce spectacle), il pouvait prétendre ne pas être conscient de l'importance de ses actes. En devenant voyeur privilégié (et en direct), il devient en partie responsable (on tue pour lui). Il passe en quelque sorte de témoin d'un acte qu’il pouvait presque percevoir comme fictionnel à instigateur d'un acte barbare et bien réel.
En parvenant avec intelligence à nous interroger sur le rôle du voyeur à l'aire des nouveaux médias, The Mo Brothers nous donnent un film aussi pertinent qu’efficace et n’ayant pas peur de multiplier de nombreuses scènes de torture très dures mais jamais gratuites.
La mise en scène impeccable restituant constamment une forte tension sans avoir recours aux effets faciles et le scénario globalement très bien construit (malgré un ou deux faux-pas anecdotiques ici et là) contribuent à la réussite d'un film qui fait indéniablement partie des plus belles réussites de ce 18ème Fantasia!
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