25 juin 2018

★★ | La chute de l’empire américain

Réalisé par Denys Arcand | Dans les salles du Québec le 28 juin 2018 (Séville)

Les valeurs québécoises (judéo-chrétiennes) ont été progressivement remplacées par les valeurs américaines (le triomphe de l’argent, qui était le titre initial de ce projet). Arcand l'a notamment constaté  à l'émission Tout le monde en parle en mai dernier et en fait le sujet de son dernier film. Cependant, s’il le déplore dans ses interventions publiques («L’omnipuissance de l’argent en est un des symptômes. Trouverons-nous des antibiotiques assez puissants pour combattre cette gangrène ?»), le message de son dernier film est plus ambigu. Avec ses personnages qui font des choix immoraux pour s'enrichir, mais qui s'achètent une bonne conscience en utilisant une partie de la somme volée pour aider les nécessiteux, il semble prendre position aux côtés de ceux qui ont opté pour une fusion entre ces deux valeurs (argent facile + rédemption = bonne conscience. Mais est-ce vraiment une fusion? N’est-ce pas un retour aux valeurs américaines d'antan?). Ce parti pris assez surprenant, qui permet à Arcand de remplacer son cynisme par un optimisme inhabituel, est-il sincère ou n’est-il qu’une concession accordée dans le but de plaire et de retrouver le succès? Le changement de titre du film (qui fleure bon l’opportunisme malhabile en faisant référence à un ancien succès), nous donne un élément de réponse.
Mais finalement, qu’importe tout cela. Quelles qu’en soient les raisons, Arcand peut bien faire les constats qu’il veut, même s’il nous semble avoir été déjà plus pertinent pas le passé. Ce qui inquiète surtout, c’est la perte de son cinéma. Certes, La chute de l’empire américain est nettement supérieur à son précédent film Le règne de la beauté, mais ce n’est pas une référence... et les faiblesses restent nombreuses.
En optant pour la comédie assumée, le cinéaste semble vouloir prendre des distances avec un certain réalisme, mais va un peu trop loin dans cette logique. Avouons cependant que certains choix sont pourtant intéressants, notamment en ce qui concerne les seconds rôles, très justes dans la caricature de ce qu’ils représentent: l’homme d’affaires respectable à l’extérieur, sans scrupule à l’intérieur, interprété par Pierre Curzi avec une rigidité bienvenue; l’escroc jadis au service d’un gang de motards, tout droit de prison et incarné par un Rémy Girard plus Rémy Girard que jamais; le duo de policiers très «série américaine», incarné par le couple le plus classe et sexy de l’année cinématographique québécoise: Louis Morissette et Maxim Roy. Malheureusement, en allant un peu plus loin dans la caricature avec les deux rôles principaux (Maripier Morin en pute intello au grand cœur et Alexandre Landry en docteur en philo «trop intelligent» pour s’intégrer à notre triste monde), Arcand trébuche et entraîne tout le film dans sa chute. Il semble vouloir obéir à une logique de comédie romantique (l’amour entre deux personnes que tout oppose), mais ne prend pas le temps de créer le terrain propice à leur rapprochement. Comme s’il avait oublié que la comédie réussie doit prendre le temps de créer un univers qui permet au spectateur d’en accepter les improbabilités, Arcand semble tout se permettre sans effort. Pour enfoncer le clou, le film souffre de la même faiblesse avec son pendant plus «polar»: les choses vont si vite, et de manière si improbable, que la facilité prend le dessus sur la fantaisie: plus le film avance, moins les incohérences multiples passent. Les petites touches personnelles (des références intellectuelles à l’arrière-plan social), ne font qu’aggraver le tout et accentuer le grand écart irréconciliable entre le cinéaste qui semble vouloir rester lui-même et celui qui cherche visiblement à plaire au plus grand nombre avec son mélange de caricature, de facilités scénaristiques et d’optimisme peu convaincant.
Le cinéaste avait touché le fond avec Le règne de la beauté… il remonte un peu, mais il n’est pas encore arrivé à la surface. Tant s’en faut!
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