25 janvier 2019

★★★½ | La grande noirceur (The Great Darkened Days)

Réalisé par Maxime Giroux | Dans les salles du Québec le 25 janvier 2019 (Funfilm)
Contrairement à ce que pourrait laisser imaginer son titre, La grande noirceur ne nous plonge pas dans le Québec des années 1950 mais nous entraîne aux côtés d'un sosie québécois de Chaplin, déserteur et réfugié aux États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale.
Malgré cela, il ne s’agit pas d’un véritable film historique non plus. Le passé semble avoir ici moins d'importance que le rêve, ou plutôt le cauchemar, comme en témoignent de nombreux éléments : perte de repères géographiques, anachronismes assumés, villes trop désertes uniquement peuplées de rares  et improbables personnages. Le travail visuel et sonore contribue également à situer perpétuellement le film à la frontière du rêve et du réel, pour un résultat particulièrement troublant, toujours légèrement décalé, un peu à la manière de ce vagabond québécois, sorte de double de Buster Keaton, qui gagne pourtant un concours de sosie de Chaplin (Martin Dubreuil, décidément l’acteur québécois le plus fascinant, le plus instinctif, le plus animal, le plus troublant… le plus génial de ces dernières années).
Giroux nous parle aussi paradoxalement de notre époque, sans manichéisme et avec une certaine complexité : un déraciné qui fuit est confronté à d’autres déracinés qui cherchent à profiter du chaos. Mais en cette période de Seconde Guerre mondiale, contrairement à la nôtre, ce sont les francophones qui fuient, ce qui permet à Giroux de diriger deux acteurs français tout aussi instinctifs et parfait que Dubreuil: Romain Duris et Reda Kateb, qui confèrent à leurs personnages une improbabilité troublante. Malheureusement, le personnage interprété par Duris est aussi le vecteur d'une des rares faiblesses du film: un discours sur l’Amérique beaucoup moins subtil que le reste du propos.  Citons comme autre point faible la dernière rencontre (le vendeur de cigarettes), il est vrai justifiée sur le plan narratif, est moins maitrisée que l’ensemble du film.
Mais ces faiblesses, certes regrettables, sont cependant mineures. Le film demeure globalement beau, inventif et fascinant. Il est également le portrait touchant d’un homme fragilisé par une époque et un environnement anxiogènes, parfaitement restitués par ce décidément fort talentueux Maxime Giroux!
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