15 février 2019

★★★ | Répertoire des villes disparues

★★★ | Répertoire des villes disparues

Réalisé par Denis Côté Dans les salles du Québec le 15 février 2019 (Maison 4:3)
Avec ce onzième long métrage en quinze ans, le cinéaste indépendant Denis Côté persiste dans la singularité avec Répertoire des villes disparues, l’un de ses plus réussis à ce jour. Adaptée librement du roman de Laurence Olivier, l’action se situe dans le village fictif d’Irénée-les-Neiges, perturbé par l’apparent suicide d’un jeune homme de 21 ans. Dès les premiers instants, alors que des enfants aux masques étranges jouent dans le froid et la neige, le spectateur est plongé dans un climat mystérieux et inquiétant; un peu comme dans le Twin Peaks de David Lynch.
Flirtant avec le drame psychologique (la difficulté et l’acceptation du deuil), le drame de mœurs et le film choral, tout en métissant le tout d’une bonne dose de fantastique, le dernier essai cinématographique de cet ex-critique de cinéma nous emmène sur plusieurs pistes et dans des directions différentes. Féru de cinéma d’horreur dans sa jeunesse, Côté témoigne d’un savoir-faire indéniable lors des moments plus tendus où le film bifurque légèrement vers le cinéma d’épouvante. C’est d’ailleurs la première fois qu’il flirte avec les codes du cinéma d’horreur (espérons qu'il le revisite dans des films à venir). Avec son montage abrupt, des images tournées en 16 mm qui confèrent au film un look dénaturé aux couleurs désaturées et une bande sonore souvent angoissante, la réalisation fait montre d’une maîtrise indéniable.
Le thème principal qui ressort sous forme de métaphore, en filigrane au début mais de façon plus explicite lors d’un dernier tiers (moins réussi et plus explicatif), est la peur de l’étranger et la désertion des habitants des villages québécois vers les grandes villes... qui renvoient aussi au titre du film. Même si Côté nous conduit sur différentes pistes de réflexions et d’interprétations, l'évolution du traitement fait perdre au film un peu de son charme vers la fin :  Répertoire des villes disparues aurait peut-être gagné au change en assumant un peu plus sa part de mystère ou d’étrange.

31 janvier 2019

★★★ | Une colonie

★★★ | Une colonie

Réalisé par Geneviève Dulude-De Celles | Dans les salles du Québec le 1 février 2019 (Funfilm Distribution)
Texte rédigé dans le cadre du FCVQ 2018

Après un court-métrage qui s’est fait grandement remarquer il y a quelques années (La coupe) et un premier long-métrage documentaire qui nous semblait très prometteur (Bienvenue à F.L.), Geneviève Dulude-De Celles nous livre avec Une colonie son premier long-métrage de fiction. Elle reste ici fidèle à ce qui semble être son thème de prédilection (l’enfance et l’adolescence) en donnant vie à la jeune Mylia (Émilie Bierre, l’enfant de Catimini, une nouvelle fois parfaite) prise entre sa petite sœur (la très jeune Irlande Côté, impressionnante de naturel), l’effritement de la structure familiale et la difficulté de trouver sa place (à l’école et dans la vie). Dans ce énième récit initiatique, certains choix sont particulièrement judicieux (la fille qui se sent exclue est la plus jolie de toutes alors que la fille hot est plus quelconque et un peu boulotte: le paraître (vêtement, maquillage, attitude) est ici clairement plus important que le physique), d’autres beaucoup moins (le traitement pourtant discret de la situation familiale; le traitement de la volonté de sortir du cadre, à la fois trop insistant et trop naïf). Pourtant, ces faiblesses se transformeraient presque en force. Si la réalisatrice semble peiner à prendre des distances par rapport à son sujet (ce qui est un handicap), cela lui permet d’être si près de la naïveté de l’enfance qu’elle parvient à donner à son film une sorte de charme fragile et maladroit. Mais les plus grandes qualités d’Une colonie sont ailleurs et confirment ce que nous avions aimé dans le précédent long-métrage de Dulude-De Celles. Non seulement elle aime ses personnages (et à travers eux ses acteurs), mais elle sait les filmer, avec un mélange de respect et de bienveillance. Lorsqu’elle les laisse évoluer devant sa caméra, ils n’ont plus besoin de dialogues pour exister, pour nous toucher, ou pour nous dire qui ils sont et ce qu’ils ressentent.
Geneviève Dulude-De Celles a du talent, aime diriger les acteurs (enfants, adultes, pro ou non pro, tous sont impeccables), sait laisser parler ses images (le party d’Halloween après l’«acte» avorté est une grande réussite), possède une sensibilité touchante… Laissons-lui le temps d’affiner encore son écriture, et espérons le meilleur pour la suite!

25 janvier 2019

★★★½ | La grande noirceur (The Great Darkened Days)

★★★½ | La grande noirceur (The Great Darkened Days)

Réalisé par Maxime Giroux | Dans les salles du Québec le 25 janvier 2019 (Funfilm)
Contrairement à ce que pourrait laisser imaginer son titre, La grande noirceur ne nous plonge pas dans le Québec des années 1950 mais nous entraîne aux côtés d'un sosie québécois de Chaplin, déserteur et réfugié aux États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale.
Malgré cela, il ne s’agit pas d’un véritable film historique non plus. Le passé semble avoir ici moins d'importance que le rêve, ou plutôt le cauchemar, comme en témoignent de nombreux éléments : perte de repères géographiques, anachronismes assumés, villes trop désertes uniquement peuplées de rares  et improbables personnages. Le travail visuel et sonore contribue également à situer perpétuellement le film à la frontière du rêve et du réel, pour un résultat particulièrement troublant, toujours légèrement décalé, un peu à la manière de ce vagabond québécois, sorte de double de Buster Keaton, qui gagne pourtant un concours de sosie de Chaplin (Martin Dubreuil, décidément l’acteur québécois le plus fascinant, le plus instinctif, le plus animal, le plus troublant… le plus génial de ces dernières années).
Giroux nous parle aussi paradoxalement de notre époque, sans manichéisme et avec une certaine complexité : un déraciné qui fuit est confronté à d’autres déracinés qui cherchent à profiter du chaos. Mais en cette période de Seconde Guerre mondiale, contrairement à la nôtre, ce sont les francophones qui fuient, ce qui permet à Giroux de diriger deux acteurs français tout aussi instinctifs et parfait que Dubreuil: Romain Duris et Reda Kateb, qui confèrent à leurs personnages une improbabilité troublante. Malheureusement, le personnage interprété par Duris est aussi le vecteur d'une des rares faiblesses du film: un discours sur l’Amérique beaucoup moins subtil que le reste du propos.  Citons comme autre point faible la dernière rencontre (le vendeur de cigarettes), il est vrai justifiée sur le plan narratif, est moins maitrisée que l’ensemble du film.
Mais ces faiblesses, certes regrettables, sont cependant mineures. Le film demeure globalement beau, inventif et fascinant. Il est également le portrait touchant d’un homme fragilisé par une époque et un environnement anxiogènes, parfaitement restitués par ce décidément fort talentueux Maxime Giroux!

18 janvier 2019

★½ | Glass (Verre)

★½ | Glass (Verre)

Réalisé par M. Night Shyamalan | Dans les salles du Québec le 18 janvier 2019 (Universal)
Glass incarne les ambitions de M. Night Shyamalan nées il y a plus de vingt ans. Est-ce l’attente de ne pouvoir mettre en scène ses désirs et ses rêves qui explique le surplus d’informations véhiculées durant les deux heures que durent le film? Les trois super-héros/vilains (ou le sont-ils réellement?) sont enfermés dans un hôpital où ils seront analysés à outrance. Ainsi, le scénario révèle à travers les personnages d’une psychologue (Sarah Paulson) et celui de Monsieur Glass (Samuel L. Jackson), tout ce qui aurait pu échapper au public.
Malgré cette faiblesse scénaristique, le film peut compter sur le jeu impeccable de ses comédiens. James McAvoy est toujours impressionnant lorsqu’il incarne de multiples personnalités. Bruce Willis est fidèle à lui-même dans le rôle du héros taciturne tandis que Samuel L. Jackson et Sara Paulson s’en tirent bien malgré des rôles ingrats d’informateurs. Visuellement maîtrisée, la direction photographique permet d’accentuer la tension dramatique.
Glass est également le film de la libération pour le réalisateur. M. Night Shyamalan ouvre en effet la voie à un nouvel univers et annonce la fin d’une trilogie amorcée il y a dix-neuf ans par Unbreakable. Cependant, le réalisateur n’a pas dit son dernier mot. Alors que le film tire à sa fin, il nous explique clairement sa pensée à travers le personnage de Monsieur Glass: il y a toujours un plan derrière le plan (en nous expliquant ce plan). On aurait aimé que le film trouve un équilibre entre la description dans les moindres détails et l’évocation des intentions, des doubles-jeux et autres luttes de pouvoir. Malgré son message pertinent sur les différences et les traumatismes (qui font de nous des héros), Glass est une œuvre qui en laissera plus d’un indifférent.

11 janvier 2019

★★★★ | La guerre froide / Cold War (Zimna wojna)

★★★★ | La guerre froide / Cold War (Zimna wojna)

Réalisé par Pawel Pawlikowski | Dans les salles du Québec le 11 janvier 2019 (Métropole)
Quelques années après Ida, le cinéaste polonais Pawel Pawlikowski nous revient avec un film qui partage avec le précédent certaines caractéristiques (un amour pour le noir et blanc et une tendance à cadrer un peu haut certains plans sont les plus caractéristiques). Cependant, le cinéaste maîtrise beaucoup plus son scénario (et l'art de l'ellipse). Il atteint ici un niveau d'excellence qui classe Cold War parmi les grandes réussites de l'année 2018. 
En à peine plus d'1h20 (si l'on fait abstraction du générique final), Pawlikowski nous entraine dans une histoire d'amour de 30 ans, en pleine guerre froide, entre la Pologne fraichement soviétisée et le Paris jazzy d'après-guerre. De l'appropriation d'une culture populaire par un régime totalitaire au sentiment de liberté retrouvé après des années de privation et d'occupation, de la fougue d'un amour naissant à l'évidence d'un amour qui résiste aux difficultés de la vie et du temps qui passe, Pawel Pawlikowski nous permet de ressentir et de comprendre, souvent uniquement en un plan. Le scénario (justement récompensé à Cannes l'an dernier), très épuré, qui touche toujours juste en n'abordant que ce qui est essentiel (c'est-à-dire bien souvent des petits détails) et en se séparant du superflu (c'est-à-dire des moments trop explicatifs), permet au film d'être toujours incisif. Il permet surtout au spectateur de comprendre tout sans qu'on ne lui impose rien, de ressentir les émotions des personnages avec une facilité impressionnante.
Cependant, ne nous méprenons pas. Si l'écriture donne un tel résultat, c'est parce qu'elle est soutenue par un travail de reconstitution et de mise en scène qui frôle la perfection. Jamais en effet la reconstitution historique ne vient phagocyter les personnages. Elle vient toujours soutenir l'épure scénaristique en aidant le spectateur à percevoir d'emblée une époque, une société. La mise en scène au sens très large (direction d'acteur, composition des plans, utilisation du noir et blanc) joue le même rôle. Le noir et blanc renforce certains contrastes qui jouent un rôle descriptif essentiel (insouciance ensoleillée, grisaille, libération nocturne, rigidité soviétisée, etc); l'attention que porte le réalisateur à ses acteurs permet à un visage ou une posture de remplacer plusieurs lignes de dialogues ou d'explications psychologiques... Par la même occasion, comme par enchantement cinématographique, un scénario faussement simple et une image faussement esthétisante s'associent pour parvenir à l'essentiel : nous faire croire à une époque, à des lieux, à des êtres et à un amour improbable.