17 novembre 2019

Cinemania 2019 | 3/3

Cinemania 2019 | 3/3

Curiosa (Lou Jeunet), présenté dans le cadre de Cinemania 2019
Cette vingt-cinquième édition du festival Cinemania a été un grand succès public, comme quoi il reste encore de la place pour le cinéma français et étranger dans le cœur des cinéphiles montréalais. Avec son mélange de films d’auteur et de films grand public, cette dernière édition a eu de quoi ravir les nombreux festivaliers présents. Voici un résumé des derniers vus au festival. Nous reviendrons sur les trois gros films du festival (Portrait de la jeune fille en feu, Roubaix une lumière et La vérité) lors de leurs éventuelles sorties dans nos salles.

* Curiosa (Lou Jeunet). S’inspirant de l’idylle entre la romancière, poétesse et dramaturge française Marie de Heredia et du poète et romancier français Pierre Louÿs, Curiosa est un drame historique de même qu’un récit d'initiation à l’amour et à l’érotisme. Avec son traitement résolument moderne (la musique électronique d’Arnaud Rebotini y contribue pour beaucoup), Curiosa prend des allures de film olé olé avec ses nombreuses scènes érotiques où la réalisatrice prend un plaisir fou à filmer les corps dans toute leur splendeur. Au final, Curiosa est un curieux film qui marque le triomphe de la forme sur le fond... comme si Just Jaeckin faisait la rencontre de Sofia Coppola.

* Alice et le maire (Nicolas Pariser). Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Fabrice Luchini aussi sobre que dans ce second long métrage de Nicolas Pariser (Le grand jeu). Ce dernier ausculte la politique française sans faire aucune concession avec ce film axé sur le dialogue. Aux côtés de Luchini, l’excellente Anaïs Demoustier (Bird People, Caprice) confirme l’étendue de son talent avec ce rôle d’une adjointe philosophe empreinte de délicatesse. Tournée en 35 mm, Alice et la maire est une comédie dramatique dépouillée de tous artifices, d’où cette froideur et cette lenteur dans le traitement qui pourrait ennuyer le spectateur ne s’intéressant guère à la politique étrangère.

* Exfiltrés (Emmanuel Hamon). Pour son premier long métrage, Emmanuel Hamon s’attaque au sujet d’actualité de l’exfiltration et du djihad en Syrie dans ce suspense assez efficace et bien mené. Inspiré d’une histoire vraie, ce film bien documenté dénote du passé de documentariste du cinéaste avec ce souci de véracité. Certains vont lui reprocher un traitement à l’américaine avec sa mise en scène nerveuse et son rythme sous tension en seconde moitié, mais les comédiens sont suffisamment concernés pour faire (parfois) oublier le manque d’épaisseur de leurs personnages.

* Les plus belles années d’une vie (Claude Lelouch). Cinquante-trois ans plus tard, Lelouch revient sur les traces de son premier et plus grand succès (Un homme et une femme). Il retrouve ses deux comédiens dans un ultime hommage à son cinéma et à l’amour (éternel). Fort mélancolique, Lelouch cherche l’émotion à chaque instant dans ce tête-à-tête parfois séduisant, mais souvent agaçant (comme l’ensemble de son œuvre). La vie est belle nous dit Lelouch, comme le personnage de Trintignant perdu dans ses mémoires et se rappelant ses beaux moments — d’où l’utilisation de nombreuses scènes marquantes de son film emblématique — tout en récitant des poèmes par cœur. Une lettre d’amour somme toute dispensable qui s’adresse d’abord et avant tout à son public, qui devrait y trouver son compte.

15 novembre 2019

★★½ | The Irishman (L'Irlandais)

★★½ | The Irishman (L'Irlandais)

Réalisation : Martin Scorsese | Dans les salles du Québec le 15 novembre 2019 (Netflix)
The Irishman réunit plusieurs conditions gagnantes qui ont fait le succès du cinéma de Martin Scorsese. L'excellente distribution ne déçoit jamais malgré l'aspect caricatural de certains personnages, et on retrouve avec joie les comédiens des premières heures : Robert De Niro, Harvey Keitel, Al Pacino et Joe Pesci.
Le récit de ce criminel aux origines irlandaises est conté à la première personne par le personnage principal. Désormais âgé et isolé, il se remémore les débuts de sa vie de crime, jusqu'à son ascension dans le milieu des syndicats et de la mafia new-yorkaise. L'aura de nostalgie n'est jamais bien loin, autant chez cet Irlandais qui nous relate avec une certaine bravade ses exploits du passé que dans l'ensemble de la réalisation.
Le réalisateur se trouve en terrain connu en effectuant un retour dans son passé de cinéaste. Luttes de pouvoir, alliances fragiles et loyautés éprouvées sont au cœur de ce film qui oscille entre drame et comédie. Le scénario signé Steven Zaillian (Moneyball) ne semble pas savoir sur quel pied danser. La détérioration des relations familiales (principalement père-fille) est si mal développée qu'on se demande si elle n'a pas été ajoutée pour justifier le drame. Sans ce déchirement intérieur que vit le personnage principal lié à la détérioration de sa relation avec sa fille (Anna Paquin), on a affaire à une comédie mettant en scène un sociopathe qui ne voit aucun problème à prendre une vie.
The Irishman ne sera probablement pas l'un des films marquants de Martin Scorsese. Pourtant, on ne boudera pas son plaisir devant l'intensité nerveuse et vulgaire du personnage interprété par Al Pacino et du jeu nuancé de Robert De Niro (qui conserve une part de mystère). Au final on y trouvera son compte à travers l'humour et la dérision (ou l'autodérision).
The Irishman demeure une expérience cinématographique à vivre dans sa totalité (3h29) sur grand écran.

11 novembre 2019

Cinemania 2019 | 2/3

Cinemania 2019 | 2/3

Les éblouis (Sarah Suco), présenté dans le cadre du festival Cinemania 2019
Le festival Cinemania bat son plein depuis jeudi dernier. Si l’on se fie aux nombreux spectateurs durant le weekend dernier, cette 25e édition semble être un franc succès jusqu’à présent. Bien qu’il reste encore plusieurs films fort attendus au cours des prochains jours, voici quelques impressions sur les films vus jusqu’à présent.

* Les éblouis (Sarah Suco). Ce premier long métrage à saveur autobiographique de l’actrice française Sarah Suco (AuroreLes invisibles) permet à l’actrice de régler ses comptes et de se pencher sur son passé tumultueux. En abordant avec une certaine forme de distanciation le thème de la communauté religieuse dépeinte ici sous forme de secte, la réalisatrice se moque de ses valeurs tout en dénonçant le mode de vie strict et radical. Entre le pathos et le drame, Les éblouis est un premier film impressionnant et bouleversant.

* Une intime conviction (Antoine Raimbault). Ce drame judiciaire relate le second procès de Jacques Viguier, qui a fait couler beaucoup d’encre il y a près de dix ans en France. Ce premier film dramatique rondement mené décortique de façon méthodique le système judiciaire français. On admire la performance d’Olivier Gourmet dans le rôle de l’avocat de la défense, mais on se demande pourquoi avoir inventé  pour les besoins du film  un personnage (incarnée toutefois avec conviction par Marina Foïs) dont l’acharnement et l’obsession pour cette affaire demeure un peu confus et artificiels.

* Chanson douce (Lucie Bordeleau). Cette adaptation du roman du même nom de Leïla Silmani (récipiendaire du prestigieux prix Goncourt) privilégie le suspense et les non-dits au détriment de la psychologie. La réalisatrice emprunte la formule du suspense à l’américaine et le résultat, qui rappelle étrangement The Hand that Rocks the Cradle (Curtis Hanson), est décevant. 

* Le milieu de l’horizon (Delphine Lehericey). Ce drame familial raconte une histoire classique d’apprentissage d’un garçon renfermé de treize ans, dont la vie familiale éclate sous ses yeux lors d’un été de canicule mémorable en 1976. Il y a de beaux moments de cinéma dans ce film  comme la scène de la pluie torrentielle  mais le regard uniforme tout au long du film du jeune Luc Bruchez nous empêche de nous laisser convaincre pleinement par les événements dramatiques qui se déroulent sous nos yeux.

* La source (Rodolphe Lauga). Pour ses débuts au cinéma le rappeur français Sneazzy West ne manque pas de charisme. Inspiré par le livre Zarla Sunset de Karim Braire, ce récit sur le dépassement de soi ne recèle aucune surprise si ce n’est que le surf soit un exutoire à une vie criminelle. Avec sa voix de plus en plus éraillée, Christophe Lambert amuse dans le rôle du mentor et coach spirituel lui-même obsédé par le culturisme. Bref, c’est un feel good movie avec de très belles scènes de surf qui se laisse regarder sans déplaisir, mais dont on se demande la pertinence d’être présenté dans le cadre d’un festival de cinéma!

7 novembre 2019

Cinemania 2019 | 1/3

Cinemania 2019 | 1/3

L'adieu à la nuit (André Téchiné), présenté dans le cadre du festival Cinemania 2019
Le festival Cinemania fête ses 25 ans cette année ! Du 7 au 17 novembre prochain, pas moins de 51 longs métrages y seront projetés. Le film Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma ouvrira en grand cette nouvelle édition. Le film a notamment remporté le Prix du scénario à Cannes en mai dernier. Donne-moi des ailes de Nicolas Vanier clôturera cette vingt-cinquième édition.
Parmi les films les plus attendus, notons La vérité  le premier film français du brillant réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda  avec Catherine Deneuve et Juliette Binoche, Chambre 212 de Christophe Honoré, Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin ou encore Tu mérites un amour, le premier long métrage de l’actrice Hafsia Herzi.
Cinéfilic sera au rendez-vous et voici un aperçu de quelques films vus avant le début des festivités.

* L'adieu à la nuit (André Téchiné). Cinq ans après L’Homme qu’on aimait trop, le vétéran cinéaste français André Téchiné retrouve son actrice fétiche Catherine Deneuve pour une huitième collaboration. Un très beau rôle que celui de Muriel, une propriétaire d’un centre équestre qui est heureuse d’accueillir son petit-fils (Kacey Mottet-Klein) pour des vacances de courtes durées, car ce dernier à d’autres plans en tête. En collaboration avec Léa Mysius (Ava) à l’écriture, Téchiné continue son exploration du fossé générationnel  un thème récurrent dans ses œuvres  tout en touchant avec doigté le sujet délicat de la radicalisation politique et du terrorisme. Au programme, émotion et suspense dans ce vingt-troisième long métrage et certainement son meilleur depuis Les temps qui changent en 2004.

* Sibyl (Justine Triet), porté à bout de bras par Virginie Efira qui crève l’écran dans le rôle-titre. Sibyl vaut le détour pour sa magnifique prestance. Mise à nue, elle est habitée par ce personnage d’une psychothérapeute qui se remet à l’écriture et dont la vie est chamboulée par la vie tumultueuse d’une nouvelle patiente (Adèle Exarchopoulos, très bien) et ravivant en elle d’intenses souvenirs. Avec son intrigue fragmentée et ses nombreux aller-retour entre le présent et le passé, on ne peut pas dire que la cinéaste manque d’ambition. Dommage toutefois que les rapports entre Sibyl et sa patiente empruntent certains clichés associés au film de psychanalyse, au dénouement somme toute prévisible.

* Convoi exceptionnel (Bertrand Blier). On ne l’attendait plus, mais Blier l’iconoclaste est de retour avec un nouvel exercice décalé et postmoderniste sur la fabrication d’un film. Une réflexion très «méta» comportant quelques moments savoureux avant de s’essouffler à mi-chemin. À voir surtout pour les farouches admirateurs du cinéaste ou pour ceux qui ont envie de voir ce cabot de Christian Clavier dans l’univers Blieresque.

* Rebelles (Allan Mauduit). L’accent est mis sur un humour noir féroce dans ce premier film efficace et jubilatoire d’un cinéaste à suivre. L’intrigue est menée à vive allure et est secondée par un chouette trio de comédiennes (Cécile de France, Audrey Lamy et Yolande Moreau). Si on oublie quelques coquetteries visuelles, on passe un bon moment dans cette fiction pulpeuse et son hymne à la solidarité féminine.

1 novembre 2019

★★★ | Le daim

★★★ | Le daim

Réalisation : Quentin Dupieux | Dans les salles du Québec le 1 novembre (AZ films)
Georges (Jean Dujardin) semble vivre le plus beau jour de sa vie en achetant la veste en daim de ses rêves pour une coquette somme d’argent. En prime, il gagne même en cadeau un caméscope. Ces deux objets l’entraineront dans une spirale de destruction que personne ne pourrait imaginer (forcément, nous sommes chez Dupieux). Portant, même si l’enchaînement des événements est fortement improbable, la force de Dupieux est de lui donner ici une certaine logique. Cependant, que les amateurs se rassurent, le cinéaste ne transforme pas sa dernière œuvre un mauvais film psychologique où tout doit avoir une origine précise et une conséquence implacable. Il dose, nous en fait comprendre le minimum, nous égare vers des éléments improbables, tout en gardant assez pied dans le plausible (certes très faiblement, mais tout de même) pour que son film soit plus troublant (malgré son humour omniprésent) que juste une succession habile d’excès mal contrôlés. Il confirme ainsi la tendance entamée avec son film précédent : en s’éloignant de l’Amérique, son cinéma se teinte d’une grande touche de Blier, même s’il reste suffisamment personnel pour éviter la faute de goût.
D’ailleurs, comme le cinéma de Blier, le Dupieux nouvelle période (nous verrons par la suite si la tendance se maintient) est avant tout un cinéma dont l’absurde des situations sert à traduire une angoisse face au monde qui nous entoure. Dans ce cas précis, il traduirait même une angoisse vers ce que deviennent à la fois ce monde et ceux qui le peuplent. Le héros jette son dévolu sur une veste démodée; il conduit une voiture d’un modèle qui ne se fait plus depuis quelques décennies; le peu de chose que l’on en sait nous confirme que sa vie a été une désillusion (mariage raté); il choisit de s’isoler dans un village hors du temps, doit tout payer en liquide en raison d’un blocage de sa carte bancaire, dit avoir reçu un message d'un autre siècle (un fax). En bref, il refuse de regarder devant et se réfugie dans le passé. Cette régression, nous le comprendrons vite, est à l’origine du début de sa psychose… tout en devenant petit à petit également sa conséquence.
Plus le film avance, plus il nous donne l’impression que sa progression narrative est minutieuse et implacable mais que le cinéaste/scénariste a tout fait pour gommer les détails signifiants afin de lui donner des allures d’un grand n’importe quoi dont il est en réalité fort loin. C’est probablement ce brouillage des cartes qui en fait la force, qui lui donne des airs de fable cruelle anxiogène dans laquelle aucune personne n’est qui elle semble être. Alors certes, Dupieux respecte tellement sa propre logique que son film s’égare un peu en chemin et menace de nous perdre. Fort heureusement, il peut compter sur un duo de comédiens talentueux (Dujardin / Haenel, tous les deux tout en retenue) et sur une durée suffisamment modeste (1 h 17) pour nous garder à ses côtés tout au long de ce voyage vers notre seule et funeste certitude.