5 décembre 2019

★★★ | Waves (Vagues)

★★★ | Waves (Vagues)

Réalisation : Trey Edward Shults | Dans les salles du Québec le 6 décembre 2019 (Entract Films)
Autant l’écrire d’emblée : le ★★★ attribué au nouveau film de Trey Edward Shults peut sembler sévère… mais l’incroyable talent du cinéaste de It Comes At Night mérite notre plus grande intransigeance !
Pour son troisième long métrage, le réalisateur/scénariste aborde encore et toujours le thème de la famille, traité de manière plus frontale (et beaucoup moins subtile) que dans son film précédent. Certes, le scénario est plus ambitieux, souhaite aborder sans ambiguïté de nombreux sujets, mais il le fait avec une telle insistance qu’il prend le risque d’agacer plus qu’il ne touche vraiment, ce qui a pour conséquence de faire perdre un peu d’impact aux thèmes qu’il nous impose trop maladroitement. Heureusement, certains aspects viennent contrebalancer ces faiblesses, comme la mise au premier plan (très maîtrisée d'un point de vue narratif), à mi-parcours, d’un personnage jusqu’ici secondaire, ainsi que l’intelligence (et la nuance) avec laquelle sont dépeints les personnages, tous d’ailleurs formidablement interprétés.
Mais la grande force du film est probablement la mise en scène très immersive de Trey Edward Shults. Épaulée par une bande-son très efficace, elle plonge le spectateur dans le film, aux côtés de ses personnages, de leurs défaillances, de leur perte de contrôle, ou au contraire de leur douceur… avec une originalité qui la situerait quelque part, de manière plus qu’improbable, entre Terrence Malick et Gaspar Noé. À ce titre, la séquence durant laquelle le jeune lutteur est mis en difficulté, et va être conduit à une blessure que l’on sait inéluctable, est exemplaire. Malheureusement, cette capacité de la mise en scène à happer le spectateur se retourne contre le film lorsque celui-ci nous décrit des situations tellement fortes qu’elles auraient pu se contenter d’un traitement plus délicat (la séquence charnière par exemple). Parfois, trop, c’est vraiment beaucoup trop, même lorsqu’on a du talent. Waves nous le rappelle plus souvent qu’autrement.
Alors, oui, il faut voir absolument Waves car Trey Edward Shults est à n’en pas douter un cinéaste qui va compter dans les années à venir… mais aussi parce que ce film possède de qualités qui combleront probablement de joie les cinéphiles les plus exigeants. Espérons juste qu’à l’avenir, Shults trouve son équilibre entre un scénario trop ambigu pour certains (It Comes At Night) et beaucoup moins subtil dans le traitement de ses thématiques pour d'autres (Waves).
À suivre…

28 novembre 2019

★★★ | Atlantique

★★★ | Atlantique

Réalisation : Mati Diop | Dans les salles du Québec et sur Netflix le 28 novembre 2019 (Netflix)
Surprise du dernier Festival de Cannes (Grand prix du jury), Atlantique débarque conjointement sur nos écrans et sur la plateforme numérique Netflix. Également en lice dans la course à l'Oscar du meilleur film étranger (représentant le Sénégal), ce premier long métrage de l’actrice/réalisatrice d’origine française et sénégalaise Mati Diop démontre un talent certain bien qu’il ne remplisse pas toutes ses promesses.
Le titre du film renvoie à cette tour futuriste à Dakar que des ouvriers non rémunérés cherchent à fuir pour des jours meilleurs, laissant derrière eux leurs femmes ou futures épouses. Une idylle entre un jeune ouvrier local et une jeune femme promise à un autre prend une tournure inattendue lorsque l'amant quitte la ville en pleine nuit.
Très ambitieux, ce film mêle une histoire d’amour impossible et une allégorie politique sur la condition des travailleurs et réfugiés au Sénégal. À cet égard, Atlantique prend une tournure onirique et fantomatique dans une seconde partie qui bifurque vers le conte fantastique. Le film, contemplatif et envoûtant, séduit par moments et soigne sa forme et son langage cinématographique (l’eau, l’horizon lointain, l’obscurité, etc.)... donnant parfois l'impression d’un croisement improbable entre Endless Love de Zeffirelli et l’univers des films de Claire Denis.
Cependant, comme beaucoup de premiers films, il souffre de cette tendance à vouloir en faire trop afin de faire passer les préoccupations allusives qui sont chères à son auteur. Cela donne un résultat mystérieux et somme toute intéressant, mais comportant son lot de lacunes dans la construction narrative.
Le mélange des genre n’est en définitive pas toujours concluant, principalement l’enquête policière des suites d’un mystérieux incendie qui se marie assez mal à l’ensemble, ajoutant à cette intrigue sinueuse un portrait collectif plus médusé que trouble.

21 novembre 2019

★★★½ | Marriage Story (L'histoire d'un mariage)

★★★½ | Marriage Story (L'histoire d'un mariage)

Réalisation : Noah Baumbach | Dans les salles du Québec le 22 novembre 2019 (Netflix)
Cette semaine encore, le film de la semaine est un film Netflix, une nouvelle fois (heureusement) disponible dans nos salles, conformément à ses nouvelles habitudes lorsqu’il s’agit de films réalisés par des réalisateurs majeurs.
Marriage Story commence en trompe-l’œil, en écho à son propre titre, avec le portrait croisé d’un couple qui a tout du couple éternel et parfait. Pourtant, le film est l’histoire d’une faille, d’un amour qui s’étiole et d’une séparation inévitable ! La force de Noah Baumbach est de prendre une certaine distance avec chacun de ses deux personnages principaux, pour les regarder de manière objective, comme s’il refusait de se laisser pervertir par des émotions qui pourraient affecter son jugement. L’écriture est à ce titre exemplaire. Chacun a ses raisons, ses torts, ses faiblesses… mais également ses qualités. Chacun va aussi se laisser prendre à des considérations extérieures (représentées par les avocats), qui vont venir pervertir leur jugement, pervertir leur situation pour la transformer en lutte. L’ensemble est d’une maîtrise absolue et donne l’impression que Noah Baumbach / scénariste a tout compté, tout mesuré, tout pesé, pour que l’égalité soit parfaite entre les deux composantes de ce couple en train de se séparer. Paradoxalement, cette maîtrise est aussi ce qui pourrait apparaître comme la faiblesse du film. Tout est si équilibré qu’il finit par manquer le facteur humain, le libre arbitre de cet homme et de cette femme, qui ressembleraient presque plus à des sujets d’étude qu'à des personnages (qui sont habituellement une des forces du cinéma de Baumbach).
Mais Baumbach cinéaste a du talent. Ses comédiens aussi (Scarlett Johansson et Adam Driver bien sûr, qui parviennent à donner à leurs personnages/cobayes une force insoupçonnée ; Laura Dern et Ray Liotta également, qui excellent tous les deux dans l’art délicat de la caricature). Ainsi, par petites touches, le couple, qui semblait écrasé par les intentions d’un scénariste, reprend vie au fur et à mesure que le cinéaste leur fait comprendre qu'ils sont plus importants et plus libres que ce que des personnages d’avocats hauts en couleur semblent vouloir leur faire croire !
C’est d’ailleurs le sujet du film : comment rebondir, et, à nouveau, exister.

17 novembre 2019

Cinemania 2019 | 3/3

Cinemania 2019 | 3/3

Curiosa (Lou Jeunet), présenté dans le cadre de Cinemania 2019
Cette vingt-cinquième édition du festival Cinemania a été un grand succès public, comme quoi il reste encore de la place pour le cinéma français et étranger dans le cœur des cinéphiles montréalais. Avec son mélange de films d’auteur et de films grand public, cette dernière édition a eu de quoi ravir les nombreux festivaliers présents. Voici un résumé des derniers vus au festival. Nous reviendrons sur les trois gros films du festival (Portrait de la jeune fille en feu, Roubaix une lumière et La vérité) lors de leurs éventuelles sorties dans nos salles.

* Curiosa (Lou Jeunet). S’inspirant de l’idylle entre la romancière, poétesse et dramaturge française Marie de Heredia et du poète et romancier français Pierre Louÿs, Curiosa est un drame historique de même qu’un récit d'initiation à l’amour et à l’érotisme. Avec son traitement résolument moderne (la musique électronique d’Arnaud Rebotini y contribue pour beaucoup), Curiosa prend des allures de film olé olé avec ses nombreuses scènes érotiques où la réalisatrice prend un plaisir fou à filmer les corps dans toute leur splendeur. Au final, Curiosa est un curieux film qui marque le triomphe de la forme sur le fond... comme si Just Jaeckin faisait la rencontre de Sofia Coppola.

* Alice et le maire (Nicolas Pariser). Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Fabrice Luchini aussi sobre que dans ce second long métrage de Nicolas Pariser (Le grand jeu). Ce dernier ausculte la politique française sans faire aucune concession avec ce film axé sur le dialogue. Aux côtés de Luchini, l’excellente Anaïs Demoustier (Bird People, Caprice) confirme l’étendue de son talent avec ce rôle d’une adjointe philosophe empreinte de délicatesse. Tournée en 35 mm, Alice et la maire est une comédie dramatique dépouillée de tous artifices, d’où cette froideur et cette lenteur dans le traitement qui pourrait ennuyer le spectateur ne s’intéressant guère à la politique étrangère.

* Exfiltrés (Emmanuel Hamon). Pour son premier long métrage, Emmanuel Hamon s’attaque au sujet d’actualité de l’exfiltration et du djihad en Syrie dans ce suspense assez efficace et bien mené. Inspiré d’une histoire vraie, ce film bien documenté dénote du passé de documentariste du cinéaste avec ce souci de véracité. Certains vont lui reprocher un traitement à l’américaine avec sa mise en scène nerveuse et son rythme sous tension en seconde moitié, mais les comédiens sont suffisamment concernés pour faire (parfois) oublier le manque d’épaisseur de leurs personnages.

* Les plus belles années d’une vie (Claude Lelouch). Cinquante-trois ans plus tard, Lelouch revient sur les traces de son premier et plus grand succès (Un homme et une femme). Il retrouve ses deux comédiens dans un ultime hommage à son cinéma et à l’amour (éternel). Fort mélancolique, Lelouch cherche l’émotion à chaque instant dans ce tête-à-tête parfois séduisant, mais souvent agaçant (comme l’ensemble de son œuvre). La vie est belle nous dit Lelouch, comme le personnage de Trintignant perdu dans ses mémoires et se rappelant ses beaux moments — d’où l’utilisation de nombreuses scènes marquantes de son film emblématique — tout en récitant des poèmes par cœur. Une lettre d’amour somme toute dispensable qui s’adresse d’abord et avant tout à son public, qui devrait y trouver son compte.

15 novembre 2019

★★½ | The Irishman (L'Irlandais)

★★½ | The Irishman (L'Irlandais)

Réalisation : Martin Scorsese | Dans les salles du Québec le 15 novembre 2019 (Netflix)
The Irishman réunit plusieurs conditions gagnantes qui ont fait le succès du cinéma de Martin Scorsese. L'excellente distribution ne déçoit jamais malgré l'aspect caricatural de certains personnages, et on retrouve avec joie les comédiens des premières heures : Robert De Niro, Harvey Keitel, Al Pacino et Joe Pesci.
Le récit de ce criminel aux origines irlandaises est conté à la première personne par le personnage principal. Désormais âgé et isolé, il se remémore les débuts de sa vie de crime, jusqu'à son ascension dans le milieu des syndicats et de la mafia new-yorkaise. L'aura de nostalgie n'est jamais bien loin, autant chez cet Irlandais qui nous relate avec une certaine bravade ses exploits du passé que dans l'ensemble de la réalisation.
Le réalisateur se trouve en terrain connu en effectuant un retour dans son passé de cinéaste. Luttes de pouvoir, alliances fragiles et loyautés éprouvées sont au cœur de ce film qui oscille entre drame et comédie. Le scénario signé Steven Zaillian (Moneyball) ne semble pas savoir sur quel pied danser. La détérioration des relations familiales (principalement père-fille) est si mal développée qu'on se demande si elle n'a pas été ajoutée pour justifier le drame. Sans ce déchirement intérieur que vit le personnage principal lié à la détérioration de sa relation avec sa fille (Anna Paquin), on a affaire à une comédie mettant en scène un sociopathe qui ne voit aucun problème à prendre une vie.
The Irishman ne sera probablement pas l'un des films marquants de Martin Scorsese. Pourtant, on ne boudera pas son plaisir devant l'intensité nerveuse et vulgaire du personnage interprété par Al Pacino et du jeu nuancé de Robert De Niro (qui conserve une part de mystère). Au final on y trouvera son compte à travers l'humour et la dérision (ou l'autodérision).
The Irishman demeure une expérience cinématographique à vivre dans sa totalité (3h29) sur grand écran.