13 février 2020

★★★★½ | Portrait de la jeune fille en feu

★★★★½ | Portrait de la jeune fille en feu

Réalisé par Céline Sciamma | Dans les salles du Québec le 14 février 2020 (MK2│Mile End)
Portrait de la jeune fille en feu commence sous le signe de la peinture. Une jeune artiste se retrouve face à une toile qu’elle a peinte jadis et qui la plonge (et nous avec elle) dans le souvenir de la création de l’œuvre, qui sera l’occasion pour Céline Sciamma de nous rappeler ses qualités de scénariste.
C’est en effet dans un premier temps la maîtrise du scénario (récompensé à juste titre à Cannes… même si le film aurait mérité un prix plus prestigieux) qui impressionne. Progressivement, par un jeu d’écriture laissant place à un développement narratif tout en subtilité, l’histoire d’une peintre à qui l’on confie la mission de peindre une femme qui refuse de poser se transforme en fascination, en amitié, en désir puis en amour impossible.
Le film progresse ainsi par petites touches, qui rappellent les coups de pinceau qui permettent aux toiles de prendre vie. Les nombreux silences, quant à eux, renforcent les liens entre les personnages et rendent de plus en plus prégnant ce qui les unit.
L’autre force du film est Adèle Haenel. Une nouvelle fois remarquable, elle est comme l’incarnation du travail d’écriture et de mise en scène, se dévoilant progressivement, se libérant petit à petit de sa carapace d’animal craintif dans un mélange de beauté brute et de fragilité.
Mais Portrait de la jeune fille en feu ne doit pas être réduit à un film conceptuel sur la construction lente d’un personnage, d’une histoire ou d’une œuvre. Le film de Sciamma nous offre en effet aussi bien une suite de très beaux portraits de femmes (la modèle bien sûr, mais aussi la peintre et dans une moindre mesure la jeune servante), qu’une réflexion sur la naissance de l’amour et la difficulté de vivre lorsque cet amour est impossible pour des raisons sociétales (l’homosexualité ici, mais la portée du film est bien plus universelle). C’est également la confirmation du talent de mise en scène de Sciamma, qui vient renforcer les qualités d’écriture pour nous donner quelques scènes inoubliables (la soirée à l’origine de la « jeune fille en feu »; des adieux discrets et troublants; une scène finale qui prouve qu’une conclusion attendue peut être magnifique si elle est filmée avec autant de force et de justesse).
Et si Portrait de la jeune fille en feu faisait partie des grands films français de ces dernières années?

7 février 2020

★★★½ | Le traître / The Traitor (Il traditore)

★★★½ | Le traître / The Traitor (Il traditore)

Réalisé par Marco Bellocchio | Dans les salles du QUébec le 7 février 2020 (Métropole)
En 2019, la mafia a été le sujet de deux films réalisés par deux vétérans du cinéma mondial. Le grand Martin Scorsese est en effet revenu sur le sujet central d’une grande partie de sa carrière avec un Irishman frisant singulièrement l'autoparodie et évitant in extremis le désastre en devenant une réflexion sur la vieillesse. Marco Bellocchio (cinéaste important, mais beaucoup moins connu du grand public) a pour sa part regardé au-delà de son nombril pour se pencher sur un pan douloureux de l’histoire récente de son pays : le témoignage du repenti Tommaso Buscetta, qui allait entraîner la chute de centaines de personnes en lien avec la mafia (et qui allait provoquer la mort du juge Giovanni Falcone).
En 2 h 25, Bellocchio donne vie à des dizaines de personnages que l’on retrouve à différentes époques de leurs vies tout en abordant de nombreux enjeux en lien avec son sujet… sans jamais nous égarer dans la complexité de son propos. Il traditore devient ainsi à la fois l’histoire d’un homme, d’une organisation, d’une société, d’un pays, mais aussi une réflexion sur les convictions, l’honneur, les valeurs, les manipulations systémiques et leur corollaire : le devoir de dénoncer (certains diront: de trahir).
Très maîtrisé au niveau de l’écriture, Il traditore l'est tout autant au niveau de la mise en scène, relativement sobre, mais traversée d’idées brillantes aussi bien que de moments inoubliables, allant d’un attentat (filmé de manière aussi brève que glaçante) à des scènes de procès, très nombreuses, qui retrouvent la force tragicomique des comédies italiennes les plus sombres de l’âge d'or du genre.
Ceux qui cherchent un film coup de poing resteront peut-être sur leur faim, mais les amateurs de cinéma hyper maîtrisé y trouveront certainement leur compte.
 ★★★ | En attendant Avril

★★★ | En attendant Avril

Réalisé par Olivier Godin | Dans les salles du Québec le 7 février 2020 (La Distributrice de Films)
Texte initialement publié à l'occasion du FNC 2018

Il y a peu de cinéastes aussi idiosyncratiques qu’Olivier Godin, encore moins au Québec. On ne pourrait pas prendre En attendant Avril comme le film d’un autre réalisateur. Le cinéma de Godin, que l’on qualifierait trop vaguement de surréaliste, multiplie les points de référence avec des influences aussi révolues que contemporaines, réussit toujours à faire beaucoup avec des moyens limités et, quoi que l’on en pense, fait toujours impression.
Cela étant dit, En attendant Avril est très proche du précédent film du cinéaste, Les arts de la parole. Les deux forment une sorte d’abstraction du film policier : enquêteur, enquêtrice dans le cas présent, au premier plan dans une quête qui tient du prétexte permettant au réalisateur de déployer sa poésie. Les deux font aussi un contrepoids à ce genre typiquement commercial en allant puiser dans le folklore québécois, la présence du conteur Michel Faubert, ici mis au premier plan, complétant ce geste. Dans la filmographie du cinéaste, En attendant Avril s’établit comme une continuation plutôt qu’un renouvellement.
Formellement, En attendant Avril est certainement moins désuet que Les arts de la parole. Très statique, la mise en scène a tout de même son lot de petites trouvailles. On retiendra particulièrement l’utilisation des couleurs pour donner corps à des décors limités, ou encore l’utilisation constante de mains pour mimer les fermetures d’iris de la caméra. Les idées déployées par Godin impressionnent par leur créativité, touchent par leur simplicité.
C’est dans les dialogues que le cinéaste est à son naturel. Drôles et beaux d’un même geste, ils établissent un ton de poésie singulière. Les acteurs se prennent au jeu avec un plaisir apparent et, même si les performances sont dans l’ensemble inégales, cela ne fait qu’ajouter au charme artisanal du film.
Si le cinéma de Godin provoque au premier abord la surprise, l’effet est grandement estompé pour ceux qui ont suivi le parcours du réalisateur depuis Nouvelles, Nouvelles. Il ne faudrait toutefois pas ignorer le film pour si peu. Godin est un cinéaste inimitable et c’est un plaisir de voir une nouvelle œuvre de sa part.

31 janvier 2020

★★½ | Le rire

★★½ | Le rire

Réalisation : Martin Laroche | Dans les salles du Québec le 31 janvier 2020 (Maison 4 : 3)
Jusqu’ici, les films de Martin Laroche ont été financés sans l’aide des institution, y compris ses deux grandes réussites (Les manèges humains et Tadoussac).
Avec Le rire, le cinéaste accède enfin à des conditions de production plus confortables. Malheureusement, en changeant de braquet, il perd une partie de ce qui faisait la force de son cinéma. La perte la plus importante est probablement son rapport aux interprètes. Dans ses deux films précédents, le lien qu’il entretenait avec eux (et, surtout, avec elles... ses personnages féminins étant, comme ici d’ailleurs, les personnages centraux) était marqué par une impression de proximité, comme si le cinéaste, la caméra et les interprètes avaient trouvé une intimité artistique qui donnait aux personnages une sensibilité et une vérité comme on en voit peu. Dans Le rire, cette magie n’opère plus. Certes, Micheline Lanctot et Léane Labrèche-Dor sont irréprochables, mais elles œuvrent avec une maîtrise et un indéniable professionnalisme qui ressemblent ici étrangement et paradoxalement à un défaut... surtout si on compare leurs prestations aux prestations antérieures de Camille Mongeau, Isabelle Blais et Marie-Evelyne Lessard, qui étaient empreintes d’une urgence, d’une nécessité, d’une fébrilité qui collaient à merveille aux personnages et à l'univers du cinéaste.
Malheureusement, ce n’est pas tout. Laroche perd en effet le contrôle d’un autre élément qui était une des grandes forces de son cinéma. Certes, ses dialogues sont toujours très justes, mais son scénario veut emprunter tellement de pistes qu’il finit par se perdre dans un trop-plein d’ambition mal maîtrisée et de prises de risques mal contrôlées. La très courte première séquence du film, qui se conclut par une chorégraphie dont on aurait pu se passer, en est le premier exemple. Cependant, la seconde séquence, plus longue, est à l’image d’une autre facette de ce film qui possède heureusement quelques moments nous permettant de retrouver un cinéaste que l’on a beaucoup aimé. Cette séquence de charnier est en effet maîtrisée d’un bout à l’autre : de la tension dramatique à l’interprétation, en passant par ses choix de mise en scène (avec une caméra tour à tour souterraine et aérienne). Très rapidement, le film nous annonce la couleur: il aura des allures de montagnes russes, alternant (un peu de) bon et (trop de) moins bon. Cela n’est cependant pas assez pour nous faire oublier le talent de Laroche. Il a essayé quelque chose d’ambitieux. Il est passé à côté. Nous n’avons qu’une envie : attendre son prochain film, en espérant qu’il retrouve ce qui faisait de lui le réalisateur québécois de films fauchés le plus indispensable de ces dernières années.

25 janvier 2020

★★★★ | The Forest of Love

★★★★ | The Forest of Love

Réalisé par Sion Sono | Pas de sortie en salle au Québec — Disponible en VSD
Ayant réalisé une vingtaine de films dans la dernière décennie, allant de l’opéra rap au drame de science-fiction intimiste, Sion Sono est un cinéaste impossible à cerner. Pourtant, en s’appropriant une histoire vraie avec The Forest of Love, produit par Netflix, le cinéaste semble s’être donné le projet fou de faire son film somme des années 2010. Ce qui est certain, c’est que personne n’en sortira indemne.
Jouant a priori sur deux récits, celui d’un groupe de cinéastes amateurs (très similaires aux Fuck Bombers de son Why Don’t You Play in Hell) et celui d’écolières habitées par un traumatisme (on pense alors à Tag), Sono crée un scénario à la fois porté par l’ambition et les regrets. Sans perde l’énergie foutraque des meilleurs films du réalisateur, The Forest of Love dévoile lentement un intérêt malsain à faire vivre à ses personnages un nombre incalculable de violences, d’abus et de souffrances.
Loin d’être le rêve d’un réalisateur sadique, on sent Sono très touché par ce qu’il présente. Le film explore le trauma sous toutes ses formes avec tellement d’aplomb qu’il en devient désarmant, à fleur de peau, alternant entre l’angoisse la plus totale et la mélancolie tranquille. Des idées entières de sa filmographie sont ici recyclées et réinterprétées, tournant parfois des gags de ses autres œuvres en tableaux d’une tristesse infinie. The Forest of Love est un film hanté par le passé, abattu face à la marche du temps, et pourtant, même en connaissant ses référents, c’est l’œuvre surprenante d’un cinéaste extrêmement prolifique qui semble avoir toujours beaucoup à dire. Sono a rarement été aussi émouvant.