26 novembre 2021

★½ | Mauvaise blague ou porno barjo / Bad Luck Banging Or Loony Porn (Babardeala cu bucluc sau porno balamuc)

★½ | Mauvaise blague ou porno barjo / Bad Luck Banging Or Loony Porn (Babardeala cu bucluc sau porno balamuc)

Réalisation: Radu Jude | Dans les salles du Québec le 26 novembre 2021 (Métropole)
Radu Jude n’est pas le premier venu. Il a en effet quelques films à son actif et a remporté l’Ours d'argent du meilleur réalisateur au festival de Berlin en 2015 pour Aferim. Pourtant, avec Mauvaise baise ou porno barjo, il semble vouloir jouer la carte du bon élève du cinéma de son temps en caressant les jurys de festivals dans le sens du poil, ce qu’il fait avec une telle réussite qu’il a cette année obtenu l'Ours d'or du meilleur film, toujours à Berlin.
Le film est donc très convenu dans sa volonté de déstabiliser et d’appuyer un propos d’une banalité affligeante avec un sens de la démonstration d’une lourdeur exemplaire.
Tout commence par une scène de sexe explicite (pas barjo du tout, contrairement à ce que le laisse supposer le titre, mais simplement composée d’une inoffensive fellation suivie d’une banale levrette). Après cette apparente volonté de choquer le bourgeois d’emblée, le film peut entrer dans le vif du sujet en suivant l’héroïne errant dans une ville aliénante où se côtoient une pollution sonore et visuelle (principalement les véhicules, qui viennent régulièrement au premier plan pour cacher le sujet de l’action) et une population nuisible (la violence de certains, pour un oui pour un non).
La démonstration commence donc à prendre forme (la représentation du sexe explicite est-elle si grave à côté de ce que nous offre notre mode de vie ?) sans le moindre intérêt cinématographique. Mais comme ce n’est pas assez, le cinéaste nous offre une seconde partie tout aussi théorique et sursignifiante : un montage d’images qui dénonce les bassesses et les horreurs de notre monde. Une fois encore, le message est clair.
Avec la troisième partie, commence à ce qui nous confronte le plus à l’enjeu narratif du film : le jugement par un tribunal de parents d’élève de la prof dont la vidéo évoquée plus haut est arrivée par malheur sur internet. Cet interminable segment continue d’enfoncer des portes ouvertes. (Rappelons une nouvelle fois la thèse du film : « L’hypocrisie, la bêtise et la violence sont bien plus obscènes que la franchise des corps.» Rien de nouveau sous le soleil ! A-t-on besoin d’un film aussi didactique et maladroit pour illustrer un propos d’une telle banalité et dénué ici de la moindre complexité ?)
Heureusement, à la toute fin, comme s’il était conscient du caractère ridiculement sérieux de son film, Jude se fait un pied de nez à lui-même en prenant des distances face à son indigeste démonstration. Rien que pour ça, nous aurions presque envie d’être indulgents. Mais ça serait trop facile… Nous préférons oublier et passer à autre chose !

19 novembre 2021

★★★ | The power of the Dog (Le pouvoir du chien)

★★★ | The power of the Dog (Le pouvoir du chien)

Réalisation: Jane Campion | Dans les salles du Québec depuis le 17 novembre | Sur Netflix à partir du 1 décembre

Après plus de dix ans d’attente, Jane Campion nous revient enfin avec un nouveau long métrage ! Elle y explore un univers très viril (celui du western), en suivant dans un premier temps la confrontation de deux frères aux personnalités diamétralement opposées. Très vite, un personnage féminin fera son entrée dans la danse, tout comme celui de son fils, jeune adulte éduqué et artiste, à des années-lumière du héros de western.
La cinéaste continue alors son petit jeu de confrontation des contraires entre ses différents personnages, mais également entre les grands espaces et les intérieurs, associés à des référents westerniens très signifiants (le masculin et le féminin), en prenant un malin plaisir à brouiller les cartes pour permettre aux contraires de se rapprocher (?), à certains liens de s’étioler, et surtout aux certitudes de se déliter.
Les enjeux multiples qu’aborde Campion avec une grande intelligence (car avec un refus de la facilité et un sens de la nuance parfaitement maitrisée), son indéniable sens de la mise en scène (la valse des personnages entre intérieur et extérieur) et ses qualités de direction d’interprètes (Benedict Cumberbatch, Kirsten Dunst et Jesse Plemons ont rarement été aussi excellents!) auraient pu contribuer à faire de The power of the Dog un très grand film. Il ne l’est malheureusement pas, comme il n’est pas la meilleure relecture d’un genre par Campion (nous préférions sa relecture du film noir avec le pourtant malaimé In the Cut, que nous conseillons plus que jamais de revoir).
La faute en revient probablement à sa durée, trop courte (malgré ses 2 h 06) pour aller en profondeur dans l’exploration du concept mis en place par la réalisatrice. La succession de confrontations qu’elle construit (les deux frères, les futurs époux, le fils et son oncle par alliance, etc.) qui n’a pas le temps de rendre compte de leur richesse, de leur complexité, de leur évolution. Le rythme aurait probablement gagné à être plus lent, le temps plus étiré, le film plus long. Pour cette raison, le film manque de “vie” et se transforme régulièrement en exercice certes intelligent et bien construit, mais rendu abstrait par des personnages qui ressemblent plus à des portevoix d’une intention de cinéaste qu’à des vecteurs de la complexité des sentiments et des relations.

12 novembre 2021

★★½ | Boîte noire

★★½ | Boîte noire

Réalisation Yann Gozlan | Dans les salles le 12 octobre 2021 (TVA films)
Boîte noire, du réalisateur Yann Gozlan, prend plaisir à opposer l’urgence d’un écrasement d’avion à la minutie de l’enquêteur chargé de découvrir ce qui s’est réellement passé. Il en résulte un film au rythme lent qui nous tient en haleine du début à la fin. La mise en scène est à l’image du personnage principal incarné avec brio par Pierre Niney. L’acteur interprète avec nuance un antihéros qui, dans des circonstances bien nébuleuses, sera chargé d’une enquête. Il nous est présenté comme un être antisocial, quelque peu arrogant, frôlant peut-être les limites du génie, à la recherche bien malgré lui de la vérité absolue. Cette recherche de vérité, ou ce besoin obsessionnel d’avoir raison, sert bien le récit. Dans la tête du héros, la ligne est mince entre le besoin de justice et les théories du complot. En ce sens, le scénario brouille habilement les pistes, en multipliant les suspects et les causes de l’écrasement d’un avion dans les Alpes. La source audio de la boîte noire est endommagée. Cet extrait audio qui sera repris plusieurs fois durant le film nous laisse entrevoir une vérité sans jamais parvenir à l’atteindre.
En jouant sur une probable paranoïa et sur le passé trouble de notre enquêteur, la mise en scène à la structure classique s’appuie énormément sur le travail du son. On regarde, mais surtout on est attentif à l’environnement sonore. Le personnage principal est doté d’une faculté particulière ou d’une condition médicale (ce n’est jamais précisé): il peut déceler des fréquences sonores que le commun des mortels ne pourrait saisir. Il excelle dans son domaine. Nous restons donc à hauteur (ou à oreille) du personnage principal qui s'enlise graduellement dans les multiples causes probables de l’écrasement.
Avec un film d’une durée d’un peu plus de deux heures, le dernier acte est toutefois décevant. Après avoir pris tout ce temps pour nous présenter une intrigue solide, on se précipite vers la finale à la vitesse de l’éclair. On boucle toutes les boucles et on finit par découvrir toute la vérité et encore plus. Il est dommage de constater que le film ne nous permet pas de tirer nos propres conclusions. La justice et la droiture finiront par l’emporter. Cela n’empêche pas de bouder son plaisir. Boîte noire demeure une œuvre divertissante qu’on prend plaisir à regarder et surtout à écouter.

5 novembre 2021

★★★½ | Spencer

★★★½ | Spencer

Réalisation: Pablo Larraín | Dans les salles du Québec le 5 novembre 2021 (Entract Films)

Cinq ans après Jackie, portrait poignant de Jacqueline Kennedy interprétée par Natalie Portman, Pablo Larraín présente Spencer, un nouveau drame biographique visant à représenter une femme emblématique et à l'élever du rôle de simple épouse d'un homme d'État (cette fois, Lady Diana, personnifiée par Kristen Stewart). Si certains craignent la redite, le réalisateur précise d’emblée au générique d’ouverture qu’il s’agit d’un conte de fées tiré d’une véritable tragédie. Un conte au parfum intériorisé débordant même vers le cinéma fantastique, qui se détache volontairement de la réalité et qui le distingue de la facture plus réaliste de Jackie. Deux perspectives diamétralement opposées pour des histoires complétement différentes malgré certaines similitudes dans l’essence du propos : une histoire douloureuse d’amour et de perte, mais également ce désir ardent de se réapproprier son identité, ce quise traduit également par des titres aux diminutifs affectueux.
En situant son action dans un espace clos et défini, Larraín propose un récit fragmenté comme de nombreux éclats alors que la vie de Lady Diana bascule à jamais en l’espace de trois jours tumultueux où elle sombre dans une forme de folie passagère qui l’amène à prendre la décision la plus importante de sa vie.
Kirsten Stewart  est parfaite pour exprimer le malaise et la fragilité de Diana. Accompagné par la musique oppressante de Johny Greenwood qui ajoute à l’atmosphère angoissante, Larraín joue habilement avec les attentes grâce à sa mise en scène audacieuse qui renvoie par moments à The Shining de Kubrick, avec cette immense et froide résidence aux nombreuses restrictions où les fantômes du passé rencontrent les frustrations d’aujourd’hui. On peut lui reprocher d’insister sur certains symboles ou parallèles (Anne Boleyn par exemple) mais il n’en demeure pas moins qu’il a réussi avec ce beau film à bien faire sentir l'angoisse insupportable d'une femme enfermée dans une cage dorée et son chemin intérieur qui l'a conduite à se libérer elle-même. Une angoisse accentuée par le magnétisme et l'expressivité de Kristen Stewart qui se reflète dans les scènes avec ses deux enfants, le véritable noyau émotionnel de ce projet original qui illustre bien ce contraste entre la rigidité de la maison royale et le progressisme de (Lady) Diana Spencer.
★★ |Eternals (Éternels)

★★ |Eternals (Éternels)

Réalisation: Chloé Zhao | Dans les salles du Québec le 5 novembre 2021 (Walt Disney Pictures)

Eternals est sans doute le long métrage de Marvel le plus attendu des critiques depuis des lustres. La présence de Chloé Zao (gagnante des Oscars du meilleur film et de la meilleure réalisatrice plus tôt cette année pour son magnifique Nomadland) derrière la caméra n'est sans doute pas étrangère à ça.
La déception est d'autant plus grande qu'on se retrouve devant une superproduction générique et sans âme, qui recycle les éléments narratifs habituels en alliant un peu n'importe comment l'intime et le spectaculaire. Le film présente pas moins de dix (!) nouveaux super-héros, mais aucun ne s'avère réellement attachant malgré la longue durée de l'entreprise (près de 2 heures 40 minutes).
Après l'agréable et léger divertissant Shang-Chi and the Legend of the Ten Rings, place à un épisode plus sombre qui tente de méditer sur l'existence, le sens de la vie, la notion de Bien et de Mal et même la théorie de l'évolution, en revenant notamment à des moments importants de la planète. Ce désir de profondeur s'avère seulement prétentieux et ridicule en raison d’un scénario rédigé à huit mains qui ne fait aucun sens et d'acteurs qui croient difficilement à ce qui se passe autour d'eux.
En se recentrant sur l'émotion et l'humanité des personnages (l'humour est rare et maladroit), le script verse régulièrement dans le kitsch le plus nauséabond, rappelant encore et toujours l'importance de travailler en équipe et la nécessité d'aimer. De la grosse guimauve collante qui se voit gratifiée d'une bonne dose de sirop.
Évidemment les fans ne sont pas nécessairement là pour l'histoire. Ce sont les scènes d'action qui les intéressent. Ces dernières, souvent redondantes, en mettent toutefois plein la vue et les oreilles même si le tout manque singulièrement d'originalité. Il y a bien quelques moments marquants, mais surtout une utilisation fastidieuse des plans sombres. Sans doute pour couvrir les effets spéciaux, inégaux et même risibles à certains endroits.
En continuant d'aseptiser son univers, Disney finit par vampiriser le talent à sa disposition pour offrir un énième produit lisse et interchangeable, bien de son époque (diversité, baiser homosexuel, etc.). Mais cette fois-ci, le résultat n'est vraiment pas à la hauteur. Chloé Zao méritait plus. Nous aussi. Il ne s'agit peut-être pas du pire Marvel au cinéma, mais certainement du plus décevant.

29 octobre 2021

★★★ | The French Dispatch (French Dispatch du Liberty, Kansas Evening Sun)

★★★ | The French Dispatch (French Dispatch du Liberty, Kansas Evening Sun)

Réalisateur: Wes Anderson | Dans les salles du Québec le 29 octobre 2021 (Searchlight Pictures)
Si l’on était critique à l’égard du cinéma de Wes Anderson, on pourrait dire que malgré ses immuables qualités (une inventivité visuelle, un sens du burlesque poétique, un amour pour des personnages atypiques), il possède aussi un sempiternel défaut : une tendance à aller dans tous les sens au sein d’un même film, démontrant d’ailleurs parfois que trop de rythme peut tuer le rythme.
Lorsque l’on apprend qu’il fait un film à sketches entrecoupés de saynètes jouant le rôle de liant/respirations, on se met alors à croire que cela pourrait bousculer sa tendance (pour un résultant, fantasmons-le, rythmiquement plus digeste).
Pendant le visionnement de la première heure de The French Dispatch, l’hypothèse se confirme. L'ensemble possède les mêmes qualités que d’habitude, mais la logique des sketches et des intermèdes porte ses fruits. Il faut dire que le premier segment (avec Benicio Del Toro la bête et Léa Seydoux la belle) et une vraie réussite, et que les liants sont de véritables enchantements. Le second sketch (avec Timothée Chalamet plus Chalamet que jamais et Lyna Khoudri pas encore très connue mais ça ne va pas durer) est un peu plus faible, mais on continue malgré tout à se laisser prendre au charme.
Malheureusement, la troisième partie est d’une grande faiblesse. Le cinéaste continue pourtant à donner vie avec réussite à cette ville imaginaire française d’Ennui-sur-Blasé, sorte de synthèse à la sauce Wes Anderson de la ville type du cinéma français des années 30 à 60. Il réussit de surcroît à reproduire un des plus irrésistibles clones du cinéma de ces dernières années (Mathieu Amalric en clone de Louis Jouvet dans le Quai des orfèvres de Clouzot costume rayé, nœud papillon, moustache improbable et enfant métisse inclus). Pourtant, la sauce de ce troisième sketch prend encore moins que celle du second.
Si l’art du crescendo aurait pu faire oublier un premier segment plus faible, le decrescendo de French Dispatch nous laisse sur notre faim et nous donnerait presque envie de rester dans la salle pour assister à la séance suivante... pour le plaisir de la quitter après la rencontre Del Toro / Seydoux, qui, à elle seule, vaut le prix du billet!