15 juin 2012

Les adieux à la reine ****

Pour Marie-Antoinette (Diane Kruger), sa lectrice (Léa Seydoux, une fois de plus parfaite) et le reste des habitants du château de Versailles, le 14 juillet 1789 est une journée comme les autres. Mais le lendemain, des rumeurs portant sur des événements ayant eu lieu à Paris viennent perturber la petite mécanique parfaitement huilée du quotidien de la cour.

Réalisateur : Benoît Jacquot | Dans les salles du Québec le 15 juin 2012 (Les Films Séville)

Si Les adieux à la reine nous donne l’occasion de voir une fois de plus le luxe de Versailles, il présente aussi l’intérêt de nous en dévoiler son envers (les appartements des servantes ou les logements sordides où sont logés les nobles qui ont quitté leurs châteaux pour former la cour du roi). Mais au-delà du décor, le plus intéressant est la période choisie : les trois jours où l’ancien régime s’écroule. Du premier jour, où l’information de la prise de la Bastille n’est pas encore connue de Versailles, aux jours suivants, nous assistons au dérèglement progressif du petit train-train de la cour jusqu’alors parfaitement réglé. Pour nous guider, Benoît Jacquot fait preuve d’une belle maitrise technique, jamais gratuite ni laborieuse. Des plans larges restituant la beauté des lieux aux gros plans charnels, en passant par les plans moyens (associés au format 2,35 :1) qui semblent peser sur les personnages, les étouffer, les emprisonner dans leur monde qui s’écroule, Jacquot fait toujours le bon choix. Il parvient ainsi à faire naitre un univers de fin d’époque, une impression de régime de plus en plus anachronique qui risque de broyer ceux qui s’y accrochent. La peur, la lâcheté, le déni de la réalité ou au contraire la sincérité nouvelle (presque rédemptrice) ou la loyauté poussée jusqu’à l’absurde se mélangent pour restituer à merveille ce sentiment de désordre croissant ou de débâcle annoncée, véritable arrêt de mort de ce monde qui n’existe déjà plus!
Comme nous l’avons vu il y a peu avec Cosmopolis (qui parlait lui aussi d’un monde qui s’effondre), une mise en scène irréprochable et de bonnes intentions ne sont pas toujours suffisantes pour permettre à un film de tenir parfaitement debout. Alors que Les adieux à la reine aurait pu se contenter d’être un bel exercice de mise en scène un peu froid, il prend une dimension supplémentaire grâce au personnage de la lectrice. Elle sert de passerelle entre deux mondes et nous fait passer de la luxuriance aux couloirs sordides, des bijoux aux rats crevés, de la rumeur à la certitude, d’un parler moderne à un parler d’une autre époque. C’est surtout elle, en raison de la relation qu’elle entretient avec la reine, qui met en évidence la complexité d’une Marie-Antoinette bien plus intéressante que celle de Sofia Coppola. Là encore, le travail de Benoît Jacquot ne laisse rien au hasard. Il filme à merveille les corps, les mains, les visages, le dévouement aveugle ou au contraire l’indifférence, avec force et justesse.
Les adieux à la reine, film à la fois historique et très moderne mais jamais anachronique, parvient à traiter avec autant de justesse de l’individu que du collectif, en s’appuyant sur une mise en scène d’une grande intelligence. Voilà une raison suffisante pour aller voir ce film… même si vous n’aimez pas les films d’époque!
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