25 février 2013

Entrevue avec Rafaël Ouellet (réalisateur de Finissant(e)s)

Nous avons eu le plaisir de rencontrer Rafaël Ouellet à l’occasion des Rendez-vous du cinéma québécois, où il présentait Finissant(e)s en première mondiale à quelques jours de la sortie québécoise prévue le 1er mars, soit près de quatre ans après la fin de son tournage.

Finissant(e)s a été filmé dans votre village d’origine, où vous aviez également filmé New Denmark, avec les mêmes jeunes. Vous l’avez tourné le même été?
Non, l’été suivant.

Pourquoi avoir décidé de retravailler avec les mêmes personnes, et dans le même lieu?
New Denmark partait d’une idée tout simple. Je l’ai écrit en peu de temps, je l’ai tourné en à peu près trois semaines et il a été monté rapidement. J’ai donné les rôles à ces jeunes sans savoir s’ils avaient du talent. C’était des visages, des prénoms, pratiquement des enveloppes corporelles. Lorsque j’ai allumé la caméra le premier matin j’ai été surpris de voir que Carla (Turcotte, ndlr) pouvait jouer, tout comme les autres gens qui l’entouraient. Personne ne m’a déçu. Je me suis rendu compte que c’était le genre de cinéma que j’avais envie de créer. J’ai donc décidé de retravailler avec eux. J’avais l’impression d’avoir déjà beaucoup filmé mon village dans mes trois films et j’avais peur de me répéter. J’ai donc décider de faire un documentaire sur eux.(...) Comme j’avais déjà filmé ces visages et ces lieux, j’ai décidé de confier la direction photo à un ami pour qu’on puisse avoir un regard frais et nouveau. Même chose pour le montage. J’avais besoin de quelqu’un d’autre pour le monter car j’avais fait trois films qui se ressemblaient un peu, qui auraient presque pu faire partie d’une même trilogie. Peut-être pas au niveau de la forme, mais au niveau des lieux. (...) Maintenant je vis à Montréal, j’ai fait des émissions jeunesse pour Vrak TV ou Musique Plus et je trouve que la jeunesse ne me ressemble plus. Quand j’ai rencontré les jeunes de mon village, j’ai par contre réalisé à quel point ils ont la même jeunesse que moi: peu de technologie, les mêmes valeurs, les mêmes inquiétudes, les mêmes passe-temps, les mêmes jobs d’été. J’ai presque eu l’impression que je faisais un documentaire sur mon dernier été à moi! D’ailleurs, dans le film, Carla vit dans la maison de mes parents... la maison où j’ai passé mon dernier été avant le Cegep. D’une certaine façon, c’est presque mon film le plus autobiographique, même si Camion allait puiser dans beaucoup de souvenirs et beaucoup d’influences. Finissant(e)s ressemble en plusieurs points à ce que j’ai vécu quand j’avais 16, 17 ou 18 ans.

Vous parlez de l’aspect documentaire. Pourquoi ne pas avoir fait clairement un documentaire? Pourquoi avez-vous apporté une forte dose de fiction?
Je ne voulais pas non plus faire un film sociologique. (...) Je savais ce que j’aurais comme matériel sous les yeux: des jeunes qui ont des jobs, qui font des feux de camp, qui parlent au téléphone. Je me disais je l’ai vu cet été-là. Il n’y a rien à documenter en particulier. J’ai décidé de flouter un peu les lignes. Dans votre texte (la critique du film à été publiée avant l’entrevue, ndlr), vous dites que c’est peut-être moins clair que dans les films de Denis Côté...

Je parlais des États Nordiques principalement...
On ne passera pas à travers toutes les scènes du film, mais je serais curieux de voir ce que les gens croient qui est vrai mais qui ne l’est pas, et ce que les gens croient être joué mais qui est de la fiction. À l’exception des accidents de voitures, les lignes sont plus floues que les gens l’imaginent. J’avais juste envie de m’amuser à mélanger tout ça. (...)

Vous n’avez pas peur que les deux morts du début et de la fin viennent justement nuire à l’aspect documentaire du reste du film en lui faisant un peu d’ombre? C’est comme si vous mettiez deux barrières très distinctes...
Absolument. Il y en a d’autres, qui sont moins importantes... la mort demeure la mort!

Il y a aussi la disparition en effet...
Oui, entre autres. Après le premier accident, il y a la scène du sous-sol avec les jeunes qui disent des mots d’adieu. J’ai vécu tellement souvent cette scène que pour moi, c’est vraiment du documentaire. C’est une reconstitution en fait. Ça va au delà de la fiction, mais c’est au-dessous du documentaire. La disparition dans la forêt par exemple, c’est arrivé exactement comme ça un mois plus tôt. C’est Carla qui s’est inquiétée la première, c’est elle qui a distribué les lampes de poche. Une de leurs amies était venue à la fête et avait décidé de partir sans prévenir personne. (...) Ça aussi c’est un peu une reconstitution. Dans un documentaire, la reconstitution est aussi considérée comme documentaire! De plus, dans mon village passe l’autoroute 185 qui était pendant longtemps l’autoroute la plus meurtrière du Québec (...). Les morts sur la route des amis proches, des parents d’amis, des amis d’amis, j’en ai connu beaucoup. C’était plus d’une par année. Là encore, c’était autobiographique. Mais pour répondre à votre question : est-ce que tout ça étouffe le documentaire? Le documentaire prétend tellement ne répondre à rien. C’est en fait plus comme un album de photos... je ne prétends tellement pas répondre à quoi que ce soit, que je ne pense rien étouffer!

Et comment est parti le projet, concrètement. Quelles étaient les premières intentions, et comment ont-elles évolué?
Pour ce qui de mes premières intentions, je pourrais dire que j’ai un peu échoué. Ai-je manqué de temps, de courage ou d’inventivité, je ne sais pas, mais c’était de multiplier les niveaux de documentaire. Par exemple, à un moment dans le film, j’interviens pour poser une question aux actrices présentes et je voulais multiplier ça au maximum. Je voulais que le film devienne comme un jeu de poupées russes, que la plus grande poupée soit la fiction et que les autres soient du documentaire. La radio devait nous aider à partir dans une autre sorte de documentation avec les adultes. Je n’ai pas vraiment réussi. J’ai donc limité le film à 72 minutes, c’est à dire à ce qu’il y avait de bon à mon sens. Mais à l’origine je suis parti avec une plus grande ambition pour en faire un ovni... je ne veux pas dire un ovni... ça appartient à Denis Côté... mais je voulais en faire une bibitte! Il l’est encore un peu. J’espère que les gens vont assumer en temps que spectateurs qu’ils regardent une bibitte. (...) Il y avait aussi l’intention de travailler avec ces jeunes-là. Je me suis aperçu qu’ils me ressemblaient tellement quand j’avais leur âge, que j’ai eu envie de filmer quelque chose que j’aurais aimé filmer à l’époque.

Et l’idée de l’accident était là dès le départ?
Je suis parti avec l’idée de l’accident. (...) Je voulais partir avec un choc pour les protagonistes. Je voulais que quelque chose les étouffe, les ramène au sol, et qu’ils passent le film à se relever tranquillement. (...) Une chose qui a changé dans mon village, c’est l’amour des voitures. À mon époque, on conduisait les voitures de nos parents de manière plutôt responsable mais aujourd’hui ils s’achètent une voiture de 5000$ puis remettent 5000$ pour ajouter un turbo et toutes sortes de choses, et les jeunes jouent littéralement avec leur vie. Un documentaire de Paul Arcand en a parlé (Dérapages, ndlr), Maxime Giroux en a parlé aussi dans Jo pour Jonathan, mais ce phénomène dans mon village m’inquiète beaucoup. On a déjà une route meurtrière, si en plus on met des bombes dans les mains des jeunes! Je voulais rendre compte de tout cela. Je ne voulais pas faire un film à message mais je trouvais que ça faisait partie de leur réalité à eux.

(...)

Et en tout, vous avez filmé combien d’heure à peu près?
En heures je ne sais pas mais ça s’est déroulé sur six semaines, même si nous n’avons pas été là à temps plein.

Et pourquoi avoir attendu 3 ans et demie pour commencer le montage... mais je ne sais pas d’ailleurs, vous aviez peut-être commencé le montage avant?
J’ai tourné un film par été pendant quatre ans. C’est extrêmement demandant économiquement, physiquement et moralement. Les trois premiers films ont été montés après le tournage, puis nous sommes partis en festival... et arrivé au quatrième, j’ai manqué de gaz. Il fallait que je travaille, il fallait que je me repose, il fallait que je retrouve mes esprits... et j’ai demandé à des monteurs de le faire à ma place. Comme je n’avais pas d’argent, j’ai dû accepter leur rythme. Finalement, ils ont été extrêmement sollicités pour des contrats payants et on dû me redonner mon film! J’ai recommencé l’aventure avec un nouveau monteur, Jules Saulnier, qui m’a également demandé de respecté son rythme car il avait également d’autres projets. Un jour, il m’a appelé pour me montrer une version de deux heures. J’étais impressionné. Ça ressemblait à ce que je voulais en faire. Nous avons donc commencé à sculpter, à jeter les moments où la fiction était trop apparente par exemple! Et entre temps, il y a eu Camion, avec l’écriture, le tournage, le montage... mais aussi les festivals! Dans un monde idéal, Finissant(e)s serait sorti 6 mois ou un an avant Camion. Ça aurait peut-être été mieux pour tout le monde, mais je ne regrette pas qu’il soit là aujourd’hui. On le sort un peu tard, mais sans regret!

(..)

Quand on voit le film, on a vraiment l’impression que Carla Turcotte capte vraiment votre attention et que vous trouvez un réel plaisir à la filmer. Le moteur du film, c’est elle?
Très tôt dans New Denmark je lui ai dit à quel point elle me faisait penser à moi. C’est peut-être un peu égocentrique de ma part mais j’avais un peu l’impression de me filmer moi! Je n’ai pas trouvé de garçons qui me ressemblaient autant qu’elle me ressemblait. Évidemment, elle a un visage de cinéma, elle a un visage scandinave (pour ceux qui connaissent mes intérêts pour la Scandinavie). C’est le moteur du film! D’ailleurs, elle a un crédit d’aide à la production sur ce film. Elle s’occupait de coordonner la figuration, les lieux de tournage... elle connaît tout le monde dans ce village. En même temps, qu’est ce qui prime? Mon envie de filmer Carla? Mon envie de filmer mon village? On pourrait peut-être dire la même chose de Julien Poulin dans Camion! Je ne sais pas. (...) Mais Carla correspondait en tous points à ce que j’avais en tête pour ces deux films. (...) J’ai eu aussi envie de prendre un directeur photo autre que moi-même pour avoir un autre regard sur son visage car je l’ai filmée dans New Denmark et c’était apparent que je prenais un certain plaisir à la filmer. Je voulais avec Finissant(e)s qu’elle soit filmée par un autre œil, qui était celui de Pascal (L'Heureux, ndlr). Mais elle est clairement le moteur. D’ailleurs, au début du projet, le film s’appelait Autour de Carla! Je partais d’elle, et il y avait ses parents, ses grands-parents, sa famille, ses amis... c’était un peu comme voir le soleil et toutes les planètes qui gravitent autour. J’ai peut-être manqué de courage ou d’ambition, mais j’ai ensuite limité ça à son cercle immédiat!

Le film a été terminé 3 ans et demie après le tournage. Vous pouvez donc avoir beaucoup de recul sur les images filmées. Comment percevez-vous le film après tout ce temps? Qu’est-ce qui vous rend le plus fier?
Je viens de la télévision live et du montage. Je suis habitué à faire avec ce qu’on me donne! Je n’ai jamais de problème à revoir mes images. C’est ce que j’ai. Je n’ai pas d’argent pour retourner en arrière. Je prends donc la matière et je la travaille. Je ne me demande pas si je suis déçu, surpris ou content. Je me demande surtout ce qu’il faut enlever ou ajouter pour rendre l’ensemble encore meilleur. Et pour répondre à votre deuxième question, ce qui me rend le plus fier (et ce n’est peut-être pas un compliment que je vais me lancer) c’est probablement cet aspect album photo. Ça ressemble à ce que j’ai vécu. Je suis content également de retrouver la langue car maintenant j’habite en ville, je fais attention, je me laisse influencer par la langue du Plateau, mais je suis content de retrouver cet accent, ces mots, ces expressions. Je suis content de retrouver des jeunes qui me donnent envie de croire à la jeunesse. (...) Je suis fier aussi d’avoir brouillé les frontières entre la fiction et la réalité. J’en suis fier même si le film ne correspond pas totalement à l’hypothèse de départ!

Et pour finir, le prochain projet sera un film plus écrit à la Camion, ou un autre “film laboratoire” comme Finissant(e)s?
En janvier 2014 je vais tourner un film que je n’ai pas écrit. C’est le scénario d’une scénariste anglophone de Montréal. Ça sera tourné à Montréal, principalement en anglais et un peu en français. Ça va être nouveau pour moi. (...) Vous le dites à la fin de votre article, mais ça ne me dérange pas de m’attaquer à un projet, d’essayer quelque chose et ensuite de montrer le résultat sans gêne. Je me lance donc dans ce film en anglais, avec un budget correct. Je suis aussi en train d’écrire un film assez personnel, un peu comme Camion, qui se déroule encore dans mon village, avec des hommes qui me ressemblent un peu. Ça avance bien, et j’aimerais le tourner aussi en 2014. Et je suis aussi en train de m’attaquer à un roman que je ne peux pas encore nommer... ça sera un gros film avec un gros budget et des gros noms. Et ça me stimule. J’ai envie de m’attaquer à ça!

C’est un roman québécois?
Oui, un roman québécois. J’ai assez confiance en ce projet. Au début j’étais un peu sceptique, j’ai écrit un premier quinze pages d’ébauche d’adaptation... et je me suis dit “j’embarque!”. Mais peut-être qu’à plus court terme, il y aura d’autres laboratoires. En mode laboratoire, ça sera peut-être quelque chose de plus urbain!

Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo à Montréal le 23 février 2013
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