Nous avons eu le plaisir de rencontrer Martin Laroche à quelques jours de la sortie de son troisième film, Les manèges humains (lire notre critique), présenté il y a peu dans le cadre des Rendez-vous du cinéma Québécois.
Avant de parler de l’excision, qui est le sujet central de votre film, je voudrais parler un peu de mise en scène. Dans Les manèges humains la caméra est presque un personnage du film. Pourquoi avoir fait ce choix?
Avant de parler de l’excision, qui est le sujet central de votre film, je voudrais parler un peu de mise en scène. Dans Les manèges humains la caméra est presque un personnage du film. Pourquoi avoir fait ce choix?
Je ne sais plus exactement quand j’en ai eu l’idée, mais quand j’ai commencé à scénariser je savais que ça allait être un faux documentaire. Cette approche donne une richesse au personnage de Sophie. Sa caméra lui donne la force nécessaire pour passer au travers de son problème personnel. La caméra est un peu ce qui la détache de son corps. Son film est plus son but que le fait d’avoir une relation sexuelle, ce qui l’aide à passer à travers son problème. Ça lui donne son côté fonceur, frontal, et ça définit son personnage. L’excision est dénoncée par tout le monde, du moins en occident, et le problème est plus de pouvoir en parler que d’en débattre. Ces femmes doivent passer à travers leurs tabous. C’est un peu ce que fait Sophie. Son film lui permet d’en parler, de dire « regarder, l’excision, c’est ça! ». Je voulais faire réfléchir à cela à travers le faux documentaire.
Elle commence à faire un documentaire sur un parc d’attraction parce qu’on le lui demande et de fil en aiguille son film dévie vers un autre sujet. Sans cela, elle n’en aurait probablement jamais parlé.
Probablement pas. Ou alors, elle serait restée avec ce problème en elle pendant plus longtemps. Elle aurait plus hésité…
(...)
C’est une sorte de found footage en fait. Dans ce genre de film, il y a beaucoup de pièges. Parmi ces pièges, lesquels vous faisaient le plus peur?
Il y a eu beaucoup de remises en questions dans la phase de scénarisation. Pourquoi faire un faux documentaire, pourquoi se donner cette béquille? J’y tenais pour les raisons que je viens d’évoquer mais les pièges étaient que le film ne soit pas réaliste ou que les plans tournés ne l’auraient pas été pour un vrai documentaire. J’ai entendu il y a quelques temps Philippe Falardeau parler de son premier film, La moitié gauche du frigo, qui est lui aussi un faux documentaire. Il disait qu’une fiction qui explore ce style-là doit être plus vraie qu’un documentaire, car les spectateurs se questionnent constamment pour savoir si les plans sont crédibles. Alors que lorsqu’on voit un documentaire, on ne se questionne pas. C’est un documentaire, donc c’est arrivé! Avec la fiction, il faut presque que ça fasse plus vrai que le documentaire. (…) Il a vraiment fallu y réfléchir, mais je trouve que ça passe quand même bien. Le jeu des acteurs a été très important. J’ai insisté pour qu’on ait beaucoup de répétitions. Le film a été beaucoup répété, de A à Z, pour que le réalisme y soit le plus précis possible.
C’est une sorte de found footage en fait. Dans ce genre de film, il y a beaucoup de pièges. Parmi ces pièges, lesquels vous faisaient le plus peur?
Il y a eu beaucoup de remises en questions dans la phase de scénarisation. Pourquoi faire un faux documentaire, pourquoi se donner cette béquille? J’y tenais pour les raisons que je viens d’évoquer mais les pièges étaient que le film ne soit pas réaliste ou que les plans tournés ne l’auraient pas été pour un vrai documentaire. J’ai entendu il y a quelques temps Philippe Falardeau parler de son premier film, La moitié gauche du frigo, qui est lui aussi un faux documentaire. Il disait qu’une fiction qui explore ce style-là doit être plus vraie qu’un documentaire, car les spectateurs se questionnent constamment pour savoir si les plans sont crédibles. Alors que lorsqu’on voit un documentaire, on ne se questionne pas. C’est un documentaire, donc c’est arrivé! Avec la fiction, il faut presque que ça fasse plus vrai que le documentaire. (…) Il a vraiment fallu y réfléchir, mais je trouve que ça passe quand même bien. Le jeu des acteurs a été très important. J’ai insisté pour qu’on ait beaucoup de répétitions. Le film a été beaucoup répété, de A à Z, pour que le réalisme y soit le plus précis possible.
Justement, le jeu des acteurs est très important pour que ça marche. On demande généralement à un acteur de ne pas regarder la caméra et là, ils s’adressent à la caméra tout le temps. Pour les acteurs, comment ça a été perçu… et pour vous aussi d’ailleurs, au niveau de la direction d’acteurs?
En plus, c’est un caméraman qui tenait la caméra, ce n’était pas Marie-Evelyne (Lessard, ndlr). Elle était à côté, mais les comédiens ne pouvaient pas la regarder. Il fallait qu’ils regardent le caméraman. Au début il y a eu beaucoup de confusion. Les regards des comédiens se détournaient vers celui de Marie-Evelyne car elle parlait. À un moment donné elle ne regardait plus les comédiens pour ne pas les déconcentrer et nous avions mis un ruban adhésif rose sur le pare-soleil de la caméra en demandant aux comédiens de le regarder. C’est sûr que c’est assez particulier. Pour sa part, Marie-Evelyne était collée à Félix (Tétreault, ndlr), le caméraman, pour qu’il puisse sentir ses émotions et bouger comme elle le ressentait. Je pense que ça passe quand même bien dans le film. (...)
Et il y a eu de l’improvisation?
Pour les scènes de présentation des manèges par exemple, oui, mais sinon tout est très écrit. Je n’écris pas d’une façon normative. J’écris vraiment un texte avec les hésitations, les “je... je... je...”. J’écris pour que le texte soit vraiment parlé. Les acteurs disent donc pratiquement ce qui est écrit. Ils peuvent naturellement changer des choses, mais 90% du film est scripté.
Je voudrais aussi parler de Marie-Evelyne Lessard. Elle a le premier rôle, elle est omniprésente, mais on ne la voit presque jamais. Au moment du casting, vous avez procédé comme pour n’importe quel rôle ou vous avez accordé une importance particulière à sa voix?
Si j’avais fait un casting la question se serait posée. Mais j’avais déjà Marie-Evelyne en tête en écrivant Sophie. Il n’y a donc pas eu d’auditions. Mais c’est intéressant... et d’ailleurs, au moment des répétitions, je le regardais en me disant “Qu’est ce qu’elle est bonne...” avant de me dire qu’il fallait que j’arrête de la regarder car on ne la verrait presque pas dans le film. Je regardais donc ailleurs, ce qui me permettait de plus me concentrer sur sa voix. (...) Il a fallu cibler certaines choses. Lors de la scène de relation sexuelle, on n’entend que sa voix... or, dans ce genre de relation, la sonorité des cris peut être aussi bien proche de la souffrance que du plaisir. Nous avons donc dû être particulièrement précis avec certains détails.
(...)
Et pourquoi avoir pensé à elle dès le début?
Je la connais depuis un moment car on faisait partie de la même ligue d’improvisation à Sherbrooke. On ne se connaissait pas tant que ça mais je l’ai revue dans une pièce de théâtre et je l’avais trouvé très bonne. Elle a un beau charisme, elle est aussi très belle. C’est une femme très décidée, mais elle est aussi capable d’aller chercher une certaine vulnérabilité. J’ai donc vraiment pensé à elle en construisant le personnage de Sophie.
Et en même temps, elle a une légèreté, une vitalité...
Exact!
Je pense que pour le rôle, c’est important! D’ailleurs, contrairement à ce qu’on disait tout à l’heure, on la voit au début du film avec ses ballons derrière elle. On prend le temps de la voir, de s'imprégner d’elle, de sa fraîcheur...
Il fallait comme vous le dites que le film ne soit pas trop dense tout le temps, qu’il y ait des moments de légèreté, d’humour. Comme elle a fait de l’impro je savais qu’elle était capable d’être drôle, d’être spontanée. C’est aussi le cas des autres acteurs d’ailleurs. Ils ont tous fait de l’impro. La scène du feu de pierre c’était assez facile pour eux car ils étaient capables d’aller chercher cette spontanéité.
Mais par contre, cette scène là est improvisée?
Non. En fait, elle est pratiquement écrite en entier mais je me suis aperçu que les gags que j’avais écrits passaient plus ou moins bien. On a donc improvisé quelques gags. (...)
Nous allons maintenant passer au sujet du film, qui est l’excision. Qu’est-ce qui vous a donné envie de parler de ce sujet. Vous êtes un homme, québécois de surcroit... a priori ce sujet est très loin de vous?
Je me fais souvent dire ça: “Tu es un gars, tu es blanc, tu es né au Québec... pourquoi tu parles d’excision?”. Mais pourquoi Kim Nguyen est allé faire Rebelle?
Mais quelque chose vous a poussé tout de même?
Je pense que ce sujet m’a toujours horrifié et fasciné. Qu’on fasse ça à des femmes de façon systématique, j’ai toujours trouvé ça révoltant. Le déclencheur a été le livre d’Ayaan Hirsi Ali, Ma vie rebelle. C’est une Somalienne qui a été excisée et qui a été élue députée au Pays-Bas. (...) En lisant la partie dans laquelle elle parle de son excision j’ai été troublée. Je pense que c’est à partir de ce moment que j’ai eu l’idée d’avoir un personnage ayant subi ça. Mais j’aurais eu de la difficulté à situer l’histoire en Afrique, je me serais senti imposteur. J’ai donc décidé de le faire avec mes référents culturels. En prenant un personnage qui a été excisé à quatre ans et qui est venu ensuite à Montréal, je montrais aussi que l’excision est un problème mondial. Il y a des filles excisées partout. Une étude faite en 2007 stipulait qu’il y avait 50.000 femmes excisées en France.
Le fait d’être un homme québécois vous enlève peut-être le regard passionné que vous pourriez avoir sur le sujet et vous permet de l’aborder avec une plus grande neutralité?
Peut-être. Mais j’ai de la difficulté à dire ça. Il existe des films fait par des gens qui ont été concernés par des événements mais qui ont pu prendre la distance nécessaire pour en faire des films. Je pense par exemple à Gaz Bar Blues. C’est la vie de Louis Bélanger, mais il a été capable de prendre assez de distance pour analyser chaque personnage de son entourage. Bien sûr, le sujet n’est pas aussi trash, mais je pense que ça fait partie du métier de prendre de la distance pour faire les choses le plus réalistement possible. Mais je ne sais pas trop en fait. J’ai tout le temps une approche assez frontale.
(...)
Avez-vous rencontré des personnes excisées?
J’ai fait pas mal de recherches mais n’est pas rencontré de femmes excisées. Par contre, j’ai rencontré un gynécologue spécialisé dans le traitement de l’excision. Il m’a éclairé sur un plan physique et pratique sur ce qu’est l’excision. Il m’a aussi parlé de ces femmes et des séquelles psychologiques qu’elles peuvent avoir.
(...)
Jusqu’à maintenant, les films que vous avez réalisés traitent de sujets sociaux assez durs. Vous allez continuer à explorer...
Je voudrais faire une comédie!
D’ailleurs, il y a un peu de comédie dans Les manèges humains!
J’aime la comédie. J’aime la bonne comédie. Je suis un fan fini de Woody Allen. En ce moment, j’adore Edgard Wright, qui a fait Scott Pilgrim vs. the world, Hot Fuzz, des films vraiment bien faits. En ce moment, j’ai l’idée d’une comédie noire. Ça ne se fait pas tant que ça au Québec! C’est l’histoire d’un monsieur de 75 ans qui a été looser toute sa vie. À 75 ans, il a une vision et se voit mort avec un trou de balle dans le ventre. Il est convaincu que ça va lui arriver, mais il est aussi convaincu que personne n’a intérêt à le tuer. Il décide donc de devenir “tuable”. Il va voir tous les gens qui l’ont fait chier et se met à les faire chier à son tour dans le but de se faire tuer!
C’est une sorte de comédie noire qui explore quelque chose de trash, mais ça peut être le fun à faire. C’est mon prochain projet! Mais je travaille aussi sur un drame, un peu dans le même genre que Les manèges humains... mais qui ne sera pas un faux documentaire.
Votre comédie sera donc une “comédie d’auteur”... on en voit assez peu au Québec!
En général, les films d’auteurs sont des drames qui nous font réfléchir. C’est bien, il en faut, mais en même temps, une comédie d’auteur, c’est le fun. Il n’y a pas beaucoup de frères Coen au Québec, et il en faudrait! Mais en même temps, comment financer The Big Lebowski au Québec? Comment justifier ce film? Il faut toujours justifier! C’est juste que c’est purement jouissif, mais ce n’est pas évident à faire passer!
Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo à Montréal le 27 février 2013