8 octobre 2013

La vie d’Adèle: Chapitres 1 & 2 ****½

Adèle (Adèle Exarchopoulos) est attirée par une femme plus âgée issue d’une classe sociale différente (Léa Seydoux) qui l’initiera aux plaisirs de la vie et lui permettra de devenir une autre personne.

Réalisateur : Abdellatif Kechiche | Dans les salles du Québec le 9 octobre 2013 (Métropole Films)

Malgré sa prestigieuse Palme d’Or, on a surtout parlé de La vie d’Adèle pour tous les scandales qui l’ont touché : les scènes intimes lesbiennes ne respecteraient pas la réalité (s’il faut en croire Julie Maroh, l’auteur du roman graphique original Le bleu est une couleur chaud) et le tournage de plus de cinq mois aurait été particulièrement difficile pour les deux actrices et les techniciens. Abdellatif Kechiche a la réputation d’être perfectionniste et, comme les Kubrick et autres Pialat avant lui, cela sert l’art et c’est pratiquement tout ce qu’il faut retenir.
Son film est en effet exceptionnel et il ne s’oubliera pas de sitôt. Rarement a-t-on filmé le désir amoureux d’une telle façon (enfin, à l’époque post Persona). La caméra enlace le corps des comédiennes, ne lésinant sur aucun détail. Le cinéaste est fasciné par le quotidien et, comme il l’avait fait avec La graine et le mulet et L’esquive, il expose le microcosme de ses personnages au grand jour, les combats intempestifs à l’école auprès des amis et les repas en famille. Le réalisme l’obsède et il est difficile de ne pas se sentir touché par cette histoire tellement vraie d’un amour naissant et de ruptures, d’engueulades et de larmes séchées qui forment le caractère.
Avec une durée de trois heures, le long métrage prend son temps pour suivre sur plusieurs années ses héroïnes. Sa mise en scène souple et à fleur de peau évite les longueurs et les temps morts. Son utilisation des ellipses et de la musique impressionne, surtout dans sa première partie qui frôle la perfection. La seconde, un peu plus didactique, séduit tout de même amplement par son brillant scénario à tiroirs non dénué d’humour, où les métaphores et les symboles se répondent, et où la transmission semble être de tous les plans, autant lorsqu’il est question de peinture que de littérature, et même de cinéma, en filigrane, avec cet hommage au chef-d’œuvre La boîte de Pandore (alias Loulou) qui mettait en vedette l’intemporelle Louise Brooks.
Ce classique de Georg Wilhelm Pabst traitait du thème de Pygmalion et il en va de même de La vie d’Adèle qui doit beaucoup à ses deux interprètes, qui n’hésitent pas à se mettre à nu, au sens propre et figuré. À ce chapitre, les séquences intimistes, crûes sans être trop vulgaires, sont d’une sensualité exquise et renforcent l’union qui se fait entre les deux êtres, pour n’en former qu’un seul. Léa Seydoux tend à davantage s’impliquer ici que dans la majorité de ses précédents efforts (en faisant abstraction de Les adieux à la reine, Belle épine et L’enfant d’en haut) mais c’est la nouvelle venue Adèle Exarchopoulos qui lui vole la vedette.
Grand moment de cinéma, embrasant le corps et l’âme autant physiquement qu’intellectuellement et émotivement, La vie d’Adèle est une œuvre à ne rater sous aucun prétexte, qui trône jusqu’à maintenant au sommet de notre palmarès des meilleurs films de 2013.

Lire notre entrevue avec Abdellatif Kechiche
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