15 mars 2014

Entrevue avec Guillaume Gallienne (Les garçons et Guillaume, à table!)

Les garçons et Guillaume, à table! (photo ci-contre) ne méritait probablement pas de remporter le César du meilleur film. Guillaume Gallienne n’étant en rien responsable de ce que nous considérons comme une injustice, et sa comédie comportant malgré tout de nombreux aspects fort intéressants, nous avons eu envie de rencontrer le néo-réalisateur à l’occasion de son passage à Montréal… et nous ne le regrettons pas!

Pouvez-vous nous parler un peu de la genèse du film. Avant lui, il y a eu une pièce. Quand avez-vous commencé à imaginer cette pièce et à avoir envie de l’écrire?
Chez un psy, en me souvenant que ma mère disait «les garçons et Guillaume, à table!» Je me suis dit que c’était quand même énorme. (...) J’ai souvent eu du recul sur des situations que je vivais mais je n’en ai jamais eu sur moi. Quand je suis rentré de ma thalasso allemande j’ai raconté ce qui m’était arrivé à des amis, et un pote m’a dit: «Mais tu ne t’es pas barré?» Je me suis dit qu’il n’avait pas tort. Je suis un grand garçon merde! Pourquoi j’ai accepté de me faire traiter comme un patient? Je n’étais pas malade, j’étais là pour me reposer, pour qu’on me fasse du bien. En réalité, on m’a fait un massage épouvantable et on m’a collé un tuyau dans le cul sans me prévenir! C’est quoi ces conneries? Pourquoi j’ai accepté? Par la suite, une amie psychiatre m’a demandé en sortant d’un dîner où j’avais raconté des anecdotes d’arrêter de raconter des histoires dans lesquelles je me faisais systématiquement humilier. Elle avait précisé: «pour les gens qui t’aiment, c’est très gênant». L’addition de tout ça m’a permis de me rendre compte que je devais mener une réflexion sur un jeune homme trop passif. Je me suis aussi aperçu qu’il y a pas mal de mecs de ma génération (...) à avoir été étiquetés sous prétexte qu’ils ne correspondaient pas à des critères de virilité, ou parce qu’ils n’étaient pas sportifs, ou un peu frêles, ou trop gros. J’ai voulu en faire un film mais je ne pouvais pas réunir le budget sur ma gueule. Un monsieur de théâtre, qui s’appelle Olivier Meyer, m’a alors donné ma chance. Il m’avait vu à la Comédie française pour un hommage qu’on avait rendu à Catherine Samie pour ces 50 ans de maison, et à l’occasion duquel je l’avais imitée. Olivier Meyer m’a appelé le lendemain pour me proposer une carte blanche dans son théâtre. Je lui ai dit «si c’est pour lire du Proust avec une harpiste derrière moi, je suis trop jeune». Il m’a répondu «Non, non, non… j’aimerais l’intituler carte blanche à Guillaume Gallienne». Et là, ça a fait tilt. (...) J’ai commencé à écrire, mais ma première scène était très violente. Je l’ai lue à ma belle-mère et à Catherine Salviat, une amie commune qui joue d’ailleurs dans le film. Les deux ont fait *** (petit cri de recul et d’inquiétude impossible à retranscrire, ndlr), et j’ai tout de suite compris l'écueil qu’il me fallait éviter. Cela ne devait pas ressembler à un règlement de compte ou à une rancoeur. J’ai donc tout mis à la poubelle et j’ai écrit avec la légèreté qui m’animait quand je racontais mes histoires dans les dîners. Cela correspondait d’ailleurs assez bien au milieu que je voulais décrire, qui est animé par le principe du «never explain, never complain.» J’avais aussi envie de faire depuis longtemps un film sur la grande bourgeoisie, très peu montrée dans le cinéma français. J’ai grandi dans un milieu très fantasque et en même temps très cinématographique parce qu’en claquant des doigts, on changeait de décor. Après ça, le passage du théâtre au cinéma est venu de mon envie de raconter la naissance d’un acteur. C’est pour ça que le théâtre est filmé presque comme un documentaire, au steadicam, en très gros plans, et que lorsqu’on plonge dans l’histoire le cadre est presque fixe, avec un décorum et un jeu qui sont très théâtraux, car la vie a été mon premier théâtre. C’est au fur et à mesure que le personnage grandit, se lève, se redresse, devient acteur actif, qu’il se débarrasse des ses clichés et de ses étiquettes… (en faisant mine d’enlever des choses sur son bras, ndlr) même si la colle reste un peu. Après, le décors et le jeu se simplifient, s’épurent… et la caméra devient plus mobile, fait à nouveau usage du steadicam, jusqu’à ce que le théâtre et la réalité se rejoignent… car c’est le théâtre qui m’a donné prise avec la réalité!

Je me posais justement la question de la nécessité d’intégrer la pièce au film. Vous ne vous êtes jamais posé de questions à ce sujet au moment de l’écriture?
En fait, c’est l’inverse. On cherchait un fil conducteur. Au départ, j’ai pensé à Guitry. Je voulais faire un film sur les clichés. J’ai donc pensé partir de clichés, c’est à dire de photos qui s’animent, un peu comme dans Si Versailles m’était conté. Mais c’était déjà fait et j’avais l’impression que la forme allait trop prendre le dessus. Avec Claude Mathieu, ma metteuse en scène et marraine de théâtre, on cherchait depuis un moment, car elle et son mari m’ont aidé à l’adaptation. Puis Isabelle Adjani, qui est venue voir la pièce, est entrée dans le foyer après la représentation sans me dire ni bonjour, ni bravo, ni merde. Elle m’a juste dit «C’est impressionnant à quel point on assiste à la naissance d’un acteur. En général, on ne veut pas savoir pourquoi ou comment on devient acteur. Ou alors on élude, on banalise… alors que vous, vous racontez vraiment comment vous êtes devenu acteur.» Je me suis dit «mais évidemment, c’est ça!»

Justement, vous êtes acteur avant tout… pourquoi avoir aussi décidé de mettre en scène?
Vous imaginez le pauvre réalisateur à qui je confie de mettre en scène ça… et qui aurait envie de me donner des indications sur mon jeu?

Mais en même temps, pour vous, c’est un poids énorme d’un seul coup.
Non… pas du tout.

La gestion du tournage…
J’ai adoré ça pour plusieurs raisons. D’abord, le fils de patron industriel s’est réveillé en moi. L’idée d’être responsable de la gestion du temps et des équipes a développé un sens des priorités de dingue. Je ne m’y attendais pas du tout à ce point. En plus, j’ai eu une chance incroyable. Peut-être parce que l’histoire était personnelle, mais je n’ai jamais eu l’impression que les techniciens ou les acteurs essayaient de m’imposer leurs egos ou leurs fantasmes. Il voulaient vraiment savoir ce qu’il y avait dans ma tronche et m’aidaient à le mettre à l’image. L’autre chose, c’est que j’ai calculé avant le début du tournage que le budget du film correspondait à ce qu’auraient gagnés huit personnes au SMIC (le salaire minimum, ndlr) et qui auraient travaillé de 20 à 65 ans. Ça représentait huit vies! Ça donne un peu un sens de la proportion. Ça responsabilise pas mal… alors le côté «c’est dur», non! Ce n’est pas dur!

Le fait de diriger vous a appris quelque chose sur vous?
Ça m’a surtout appris à raconter une histoire autrement. Je suis un fan de films depuis toujours. Ça a été ma manière de me sauver de tout, tout le temps. Quand ma mère m’a envoyé en Espagne pour apprendre l’espagnol dans la ville la plus laide d’Espagne, je me suis tout de suite dit «c’est pas grave, je suis dans Femmes au bord de la crise de nerf d’Almodovar». Quand mes parents m’ont envoyé en plein milieu de l’année dans cette pension anglaise, je me suis dit que j’étais dans un film de James Ivory, avec une lumière hyper belle… J’ai la chance de n’avoir aucun snobisme ou sectarisme au cinéma depuis toujours. J’ai autant aimé Dersou Ouzala que Working Girl. Je séchais les cours pour aller voir les films, donc pour moi, il s’agissait déjà d’une forme narrative intégrée.

Et vous avez envie de continuer?
Oui…

Mais vous ne vous sentez quand même pas plus metteur en scène qu’acteur?
Non… le socle, c’est la troupe.

Vous pourriez imaginer faire un film sans jouer dedans?
Oui. Le prochain, je ne sais même pas s’il y aura un rôle pour moi. C’est tiré d’une histoire vraie qu’une amie m’a racontée il y a douze ans. Ça fait douze ans que je la porte en moi. Et cette histoire ne peut exister qu’en film. Il s’agit d’une femme qui a grandi dans un milieu rural, avec des parents qui ne parlaient pas, qui ne recevaient jamais personne et qui vivaient les volets clos. Très jeune elle a décidé de partir pour être actrice mais elle n’avait pas les mots pour se défendre. (...)

Dans Guillaume et les garçons... vous vous cachez un peu derrière la comédie pour parler de choses intimes. Vous avez envie de vous en éloigner ou vous en avez besoin?
Je ne mets pas de frontières entre comédies et drames. Il m’est souvent arrivé d’éclater de rire seul dans une salle et de faire se retourner les gens qui me regardaient comme un OVNI. Et au contraire, il m’arrive souvent d’entendre les gens ricaner alors que je ne trouve pas ça drôle. En fait, je ne veux pas prendre une pose d’homme décalé mais je ne mets pas de frontières. Je n’écris ni pour que ça soit drôle, ni pour tirer une larme. Avec un peu de recul, je me dis que le prochain sera plus dramatique avec des moments drôles que l’inverse. En plus, ça dépend du tournage. Parfois, l’acteur propose un truc inattendu mais qui semble d’une telle évidence ici et maintenant. Il arrive souvent qu’on rie au tournage et pas du tout au montage… ou l’inverse!

Le temps nous presse… je veux terminer en parlant de sexualité. J’ai parlé à quelques homosexuels qui n’ont pas vraiment aimé le film. Vous avez eu des échos des réactions de la communauté homosexuelle?
Ça dépend lesquels. Quelques hystériques m’ont traité d’homophobe! Comme si je pouvais être homophobe… j’en ai tellement souffert! Je pense qu’à cause du débat en France, certains veulent nous corseter dans la théorie du genre et en gros, pour eux, il faut être soit l’un soit l’autre! Mais depuis quand? Si ces gens ont besoin de se rassurer et de me labéliser, on peut les rassurer en leur expliquant que je suis bi.

Ils trouveront le moyen de dire que c’est parce que vous n’assumez pas…
Je sais qu’ils me prennent pour une honteuse, avec un truc assez macho derrière qui est «tu ne peux pas aimer le ballet et ne pas te faire enculer». Alors, si ça peut les rassurer, je me suis déjà fait enculer, mais ce n’est tellement pas le propos. Ceux qui réagissent comme ça, je les trouve très machos. Ça veut dire que si on est précieux et si on aime trop sa maman, on est forcément homosexuel? Il y a que des mecs virils, qui ont des couilles et une grosse voix grave qui ont le droit d’être hétéros? C’est quoi ces gros clichés de merde. Je trouve ça super macho. C’est drôle car ça me fait réagir presque en femme. Je pense que mon film est profondément lesbien et que ça dérange en effet quelques mecs homos. Mais mon film en général dérange les gens qui ont un schéma extrêmement machiste… soit les gros bourrins, soit les folles qui adorent les gros bourrins. Moi, j’ai des amis folles qui me font hurler de rire, j’ai aussi quelques amis bourrins qui m’excitent assez, mais de là à me fondre dans l’un ou l’autre pour rassurer quelques hystériques en manque d’étiquette, non. J’ai une chance incroyable: je n’ai jamais eu le besoin de m’inscrire quelque part… mais en même temps, j’ai toujours besoin du cadre. J’ai toujours besoin de la troupe pour créer. J’ai besoin d'appartenir à… mais pas de m’inscrire. Alors que les gens dont vous parlez ont un vrai besoin d’inscription.

Entrevue réalisée à Montréal par Jean-Marie Lanlo le 14 mars 2014
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