photo: C.Hayeur |
Nous n'avons malheureusement pas pu nous entretenir directement avec Stéphane Lafleur à l'occasion de la sortie de Tu dors Nicole (lire notre critique), qui prendra l'affiche au Québec vendredi prochain. Le réalisateur a tout de même accepté de répondre à quelques questions par courrier électronique. Nous le remercions de s'être prêté au jeu!
Depuis votre premier film, on retrouve dans votre cinéma un ton très particulier, avec notamment un humour très pince sans rire et un petit quelque chose qui s’approche du fantastique. Cela ressemble à une démarche d’auteur, mais elle n’est pas sans risque: finir par sombrer dans le procédé. Avez-vous pensé à ce danger?
Il y a effectivement un danger de redite et de procédé. Je pense que Tu dors Nicole marque peut-être la fin d'un cycle pour moi. Je n'irais pas jusqu'à dire que mes trois premiers films constituent une trilogie, ou que le prochain sera foncièrement différent, mais j'ai l'impression qu'ils poursuivent un but similaire que je ne saurais nommer précisément. Il y a définitivement une parenté dans la quête des personnages qui cherchent à se défaire d'un mal-être.
Cela peut aussi donner l’impression que vos personnages sont avant tout au service de votre univers. Est-ce le cas?
Peut-être. J'essaie de ne pas trop analyser ce que je fais.
Quel a été le point de départ de la rédaction du scénario de Tu dors Nicole? Une ambiance, une saison, un thème?
C'est le titre du film qui m'est venu en premier. Ensuite je me suis mis à imaginer que cette Nicole aurait le début de la vingtaine. Le choix de la saison et l'idée d'intégrer un band dans l'histoire sont venus se greffer naturellement. J'écris rarement avec une idée très précise de l'histoire globale. Je connais généralement le début et la fin, mais il me manque tout le milieu. Ç’a été le cas pour mes trois films.
Le film se déroule en été, mais vous avez opté pour le noir et blanc, qui semblerait pourtant plus correspondre à l’hiver. Pourquoi avoir fait ce choix?
Le film n'a pas été réfléchi en noir et blanc dès le départ. Ce sont des photos de Robert Adams qui nous ont emmenés à faire ce choix. Il s'agissait de paysages de banlieue, la nuit, en plein été. Elles évoquaient exactement la sensation que je recherchais.
J'aimais aussi le côté intemporel que le noir et blanc apportait. Je pouvais ainsi m'attarder au début de la vingtaine, sans trop me soucier des détails concernant la mode ou les technologies.
Et vous avez tourné en 35 mm. C’est devenu assez rare de nos jours. Est-ce un choix purement graphique ou un attachement sentimental (voire philosophique) à la pellicule?
Sara Mishara (la directrice photo) et moi sommes encore très attachés à la pellicule. Il y a dans ce support une imperfection que j'aime et qui, j'en suis convaincu, procure une certaine distanciation entre l'image et le spectateur. Ce sont des images qui s'éloignent de celles que nous prenons avec nos téléphones, par exemple, et qui sont associées au réel. Je pense que la pellicule contribue d'une certaine façon au côté «réalisme magique» de mes films.
Je crois que vous n’avez jamais tourné en numérique. Le procédé a pourtant grandement évolué ces dernières années et offre même certains avantages face à la pellicule. Vous faites-vous à l’idée de réaliser un jour un film en numérique?
Le numérique évolue effectivement beaucoup chaque année. J'ai bon espoir qu'il atteindra éventuellement un rendu intéressant à l’œil.
Vous faites un cinéma très personnel… et pourtant, j’ai l’impression qu’il est très accessible. Est-ce important à vos yeux d’attirer le grand public vers le cinéma d’auteur? Pensez-vous pourvoir contribuer à ce mouvement?
Je trouve que l'expression «cinéma d'auteur» prend souvent une connotation péjorative, alors que ce ne devrait pas être le cas. D'autre part, le pire piège en création est d'essayer de comprendre ou de deviner ce que le public veut. Je tourne, il faut bien le dire, dans des conditions très enviables dans le contexte actuel. C'est une responsabilité que j'essaie de garder en tête. On espère toujours que le public sera au rendez-vous, mais on a très peu de contrôle là-dessus. Je pense que Tu dors Nicole est toutefois le plus accessible de mes trois films.
En plus d’être réalisateur, vous avez été monteur pour deux films québécois très importants (Monsieur Lazhar et Le démantèlement). Pourquoi? Est-ce que cela vous a servi comme réalisateur de monter pour les autres?
J'ai toujours aimé le montage. C'est ce qui m'a permis de gagner ma vie en sortant de l'école et d'apprendre beaucoup sur le métier de réalisateur. Puisqu'être monteur implique d'avoir accès à toutes les images, c'est un poste privilégié pour observer le travail des autres. Chaque réalisateur est différent et chaque démarche est différente.Je pense que mon expérience de monteur m'a parfois permis de sauver du temps en m'évitant de tourner des plans pour rien.
Vous êtes également musicien! J’ai envie de vous poser la même question que précédemment. Le musicien fait-il évoluer le cinéaste (et inversement…)?
C'est difficile à dire pour moi. Je pense que les deux médiums sont complémentaires en fin de compte.
Propos recueillis par e-mail le 11 août 2014 par Jean-Marie Lanlo