27 septembre 2015

Entrevue avec Philippe Falardeau (Guibord s’en va-t-en guerre)

À quelques semaines des élections et à quelques jours de la sortie de Guibord s’en va-t-en guerre, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec son réalisateur. Nous avons bien évidemment parlé de son film, de politique ainsi que des hommes et femmes qui la pratiquent… mais également des électeurs et de leurs responsabilités!

Guibord s’en va-t-en guerre est un film qui parle de politique. Dans 95% des cas, au Québec, quand on fait un film politique, il est question de souverainisme. Ce n’est pas le cas ici… même si un personnage s’appelle Souverain!
Ce qui n’est pas banal!

(rires) Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard!
Non!

Mais pourquoi justement avoir fait ce choix?
Parce que c’est un cul-de-sac qui m’aurait forcé à me positionner et je n’avais pas envie de ça. Peut-être que la question nationale a fini par polluer tout le reste. On a l’impression qu’on ne peut aborder aucune question politique sans d’abord se positionner par rapport à la question de l’indépendance du Québec. Je n’avais pas envie d’aller là car ça aurait fixé à la fois la politique et le film dans quelque chose qu’on ressasse depuis 45 ans. J’avais envie d’autre chose. En appelant Souverain Souverain, je fais un clin d’œil à ça, mais je lui donne aussi une sorte de désinvolture et de liberté de penser. Pour moi, c’est un peu ça aussi la souveraineté. Ce n’est pas parce qu’on est pas totalement indépendant au niveau des pouvoirs législatifs qu’on ne peut pas penser différemment du restant du Canada. On oublie aussi que souveraineté n’égale pas forcément indépendance. La souveraineté, c’est le siège du pouvoir et en ce moment, dans les démocraties, c’est le peuple qui est souverain. Pour moi, ce sont des questions plus fondamentales lorsque vient le temps d’aborder la politique, que de savoir si le Québec va se séparer du Canada un jour… Peu importe ma propre opinion. Les gens ne la connaissent pas et ils seraient peut-être surpris de le savoir. Je trouvais ça plus riche, et ça fait aussi un film qui voyage mieux.

J’ai envie de vous poser une autre question sur un autre de vos choix. Aussi bien dans les situations que pour les personnages, vous êtes légèrement dans la caricature. Je trouve d’ailleurs l’équilibre bien trouvé car c’est assez casse-gueule en fait!
Oui…

Qu’est-ce qui a motivé votre choix d’aller dans la direction de la légère caricature?
Je voulais assumer la comédie car soit on y va, soit on n'y va pas! On ne peut pas rester devant la porte. En même temps, je voulais qu’on continue de s'intéresser aux personnages. Le personnage de Guibord est probablement le plus enraciné dans la réalité. Les autres portent leurs bagages de caricature, comme le camionneur, la mairesse ou le premier ministre. La caricature est un commentaire politique qui existe depuis très longtemps. Son avantage est d’être une image claire, digestible et compréhensible très rapidement. Je ne voulais par contre pas aller trop loin. C’est un équilibre fragile et difficile. Je sais que certains personnages ne plairont pas à tout le monde. Le personnage de la journaliste est joué de manière assez…

Elle va un peu au delà des autres… en effet!
Je l’ai assumé. C’est ce que je voulais car elle me faisait rire sur le plateau. En même temps, il faut comprendre qu’en région, le rapport avec les médias est un rapport de proximité. La journaliste aurait pu garder la fille de Guibord il y a quelques années. Les rapports ne sont pas les mêmes que sur la colline parlementaire.

Vous être aussi un peu dur… mais assez réaliste en fait, quand vous regardez les électeurs, qui sont en fait les spectateurs de votre film...
Oui.

Il y a notamment une scène que je trouve très réussie, quand le professeur vient expliquer la situation dans le pays qui est concerné par une éventuelle déclaration de guerre. Les gens s’en vont. Ils s’en foutent. Ils n’écoutent même pas. Ils ne peuvent donc pas prendre une décision en toute connaissance de cause car ils n’ont pas l’information… En fait, ils ne veulent pas l’avoir!
Oui… ils ne veulent pas l’avoir! Elle les ennuie pour mourir!

L’usage de la caricature n’est-il pas aussi une manière de poser un miroir face au spectateur pour lui montrer son absence d’implication, sans pour autant lui faire trop la leçon?
Ça aurait été très mal venu de ne cibler que les politiciens comme responsables du cynisme ou de la débâcle du système. Je devais nous cibler également… et je m’inclus là-dedans. Je m’inclus aussi dans la critique de la gauche pro-paix, avec cet autobus qui vient de Winnipeg, et qui Gros-Jean comme devant va manipuler le député. C’était essentiel de renvoyer la balle au spectateur. D’ailleurs, dès l’introduction je m’adresse à lui en disant «le film que vous allez voir etc.». Il y a donc tout à coup quelqu’un qui lui parle, qui brise le quatrième mur. Comme spectateur, je suis donc forcément inclus. Au final, quand les gens me disent que le film est cynique, je dis que non. Guibord finit par régler les problèmes dans son comté, la famille est intacte, une amitié est née... mais il va perdre son vote en chambre des communes. Ça fait quand même trois sur quatre. Ce n’est pas mal! Et entre temps, j’ai posé la question au spectateur «Et vous, quelle est votre part de responsabilité?»

De votre côté, on a l'impression que si vous croyez en quelque chose, ce n’est peut-être pas au système politique comme il est utilisé, mais au politique en général.
Je crois à l’institution du politique. Je crois que l’humain peut faire une différence dans un sens comme dans l’autre. Harper a commencé à se désengager des institutions, à les pervertir, à ne plus s’offrir aux médias. On a donc affaire à quelqu’un qui brise le contrat social. Guibord ne le brise pas. Il n’a pas l’envergure d’un premier ministre, mais il a quand même sa conscience et au final il peut au moins dire que sa conscience est intacte, ce qui n’est pas rien. Parmi tous les députés, certains sont ministres, ont du pouvoir et sont mauvais… mais il y en a qui sont bons. Il y a des premiers ministres qui sont en ce moment très peu inspirants, mais il reste ensuite des hommes et des femmes qui font leur possible dans un système qui leur attache les mains à l’arrière du dos.

En prenant cette définition du politique, qui est plus ou moins une paraphrase de Maurice Duverger, à savoir l’atténuation des conflits dans la société par la recherche du compromis… est-ce qu’on peut dire que ce qui incarne ça, c’est Guibord? Il n’est certes pas brillant, mais à son niveau, est-il pour vous l’incarnation de ce que devrait être un homme qui croit en la politique… un représentant du peuple?
Souverain dit que le représentant du peuple doit parcourir un territoire immense. Ensuite il parle des assemblées: «Des gens se sont interpellés, contredits, ont retourné leur veste… sans effusion de sang». On est dans un système où toute tension est résolue par la politique. En se sens, et dans le sens où Maurice Duverger l’entendait, vous avez raison. La contrepartie de ça, c’est qu’on est souvent dans une somme égale à zéro. On cherche le compromis, on va faire une décision, mais parce que tout le monde tire dans sa direction, les choses restent plus ou moins au même endroit. C’est très dur d’avoir une planification à long terme de la part du politique. Mais je préfère encore ce système-là, qui résout les tensions à travers les débats, les assemblées, les institutions, et à travers les représentants qui doivent encaisser les coups. Une de mes répliques favorites c’est quand il dit qu’on ne peut pas sortir la tête haute de la politique. On en sort meurtri. Le politicien s’expose énormément. C’est presque comme s’ils allaient volontairement au poteau pour se faire lapider. Ce processus fait en sorte qu’on vit dans une société relativement peu violente.

Cependant, vous parlez des débats, mais dans votre film, les débats sont assez stériles. Guibord peut jouer un rôle lorsqu’il essaie de régler un problème entre les camionneurs et les autochtones, mais sinon, on revient à une responsabilité qui vient encore du peuple…
Les gens n’écoutent pas.

Ils sont soit trop attachés à une idéologie, soit à une défense d’intérêts trop particuliers sans penser à l’intérêt général.
Défense de son travail, défense de sa tribu. On est encore très tribal. Dans une assemblée, au lieu de discuter de l’ordre du jour (pour ou contre une intervention militaire du Canada, ndlr), on va préférer parler des routes qui nous concernent ou des mines qui nous concernent. C’est un réflexe que je ne condamne pas car je le comprends. Mais en faisant ce portrait je dis que c’est ce qui fait qu’on place notre intérêt particulier avant notre intérêt commun. Jean-Jacques Rousseau a beaucoup réfléchi là-dessus dans Le contrat social. Qu’est-ce que l’intérêt général. Et est-ce qu’un représentant peut cristalliser l’intérêt général? Je pense que le politicien est un punching-ball. Il s’expose, on va se défouler sur lui et après on va le mettre dehors aux prochaines élections.

Pour finir, j’ai envie de parler d’un autre aspect très intéressant, qui est lié au personnage de Souverain et aux contacts qu’il a avec Haïti. On a une image complètement différente du débat, avec des gens qui s’intéressent beaucoup plus à ce qui se passe. Quand avez-vous envisagé de prendre ce personnage?
C’était la deuxième étape. J’ai eu l’idée du député qui avait le vote décisif, et je me suis demandé où j’allais avec ça. J’ai alors pensé qu’il me fallait un deuxième point de vue. Mais je voulais l’ancrer dans une réalité, et l’utiliser pour expliquer à mon spectateur des trucs très techniques. Mais comment faire sans que ça soit didactique? J’ai alors pensé au film dans le film, à cette fenêtre sur l’autre, sur le monde. Avec Skype, on est tout à coup ailleurs, et on a le chœur grec qui grossit et qui commente l’actualité politique canadienne comme si c’était le meilleur show en ville. Et venant des Haïtiens, nous ne sommes pas loin de la réalité car ils sont très là-dedans. Ils sont férus de politique internationale. Et moi qui suit toujours un peu dans la dramaturgie grecque, j’ai enfin un film avec un chœur grec qui commente l’action!

Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo à Montréal le 22 septembre 2015
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