2 avril 2016

Festival Regard 2016: Rencontre avec Loïc Darses

Dans le cadre de nos rencontres effectuées lors du festival Regard, nous donnons maintenant la parole à Loïc Darses. Présent sur le circuit des courts-métrages depuis moins longtemps que David Uloth  ou Pascal Plante, il s’est fait fortement remarquer dès son premier film, dans lequel il travaille à partir d’images filmées jadis par sa mère. elle pis son char, mention spéciale du jury dans la catégorie documentaire à Regard, a également remporté plusieurs prix lors du dernier gala Prends ça court, dont le prix de la critique AQCC.

Votre parcours.
J’ai 22 ans, et j’ai toujours été intéressé par le cinéma. J’ai toujours voulu en faire mon métier. Après avoir fait mon cégep en communication au Vieux Montréal, j’ai poursuivi en cinéma à l’UQÀM. elle pis son char est mon film de fin de bac.
Je pense que le film qui m’a donné le goût du cinéma, au début du secondaire, c’est Mulholland Drive, et le cinéma de David Lynch en général. C’est un cinéaste qui est peintre et musicien et je trouve qu’on ressent cette synergie dans ses œuvres. Je ne suis pas très multidisciplinaire mais quand j’ai vu ce film j’ai compris que le cinéma permettait d’explorer des univers forts. C’est vraiment le film clé qui m’a donné envie de m'intéresser à toutes les facettes du cinéma.

Le regard que vous portez sur le court-métrage (passage obligé, zone d’expérimentation, moyen de se faire connaître, moyen d’expression à part entière?).
Je pense qu’il y a plusieurs façons de concevoir, voire de créer le court-métrage, mais aussi plusieurs façons de le réfléchir. De mon côté, je me suis toujours plus intéressé aux formats longs, et c’est surtout ça qui m’intéresse. Je pense que certaines personnes ont une sensibilité propre pour faire des œuvres d’art dans un format court mais de mon côté, je ne pense pas être très bon pour cela. elle pis son char dure quand même 28 minutes… et je travaille sur un autre court qui va avoir environ la même durée. J’ai besoin de temps pour faire les choses. En ce qui me concerne, la pratique du court-métrage me sert surtout à faire mes premières armes, à tester des choses, dans le but de faire des plus longs formats plus tard. J’aime beaucoup les sujets sociaux ou la politique, mais dans le très court métrage, il y a plus la place pour les pamphlets ou les coups de poing. Je préfère les réflexions plus larges car je suis moins intéressé par les coups de poing… De plus, je ne les maîtrise pas. Je respecte beaucoup les courts-métrages qui ne pourraient vivre qu’en court-métrages. Je ne pense pas que ce soit le cas pour ceux que j’ai faits ou que je ferai.

Votre film présenté à Regard (elle pis son char)
Souvent, on me demande si mon intérêt pour le cinéma vient de cette histoire. En fait, j’ai toujours voulu faire du cinéma et cette histoire est arrivée dans ma vie sans que je m’y attende. Quand on est élevé par quelqu’un qui a vécu un passé difficile, c’est quelque chose qui se ressent, même si on n’en parle pas. J’ai toujours su que ma mère avait eu une enfance difficile, sans en savoir vraiment plus. Il y a cependant eu un déclencheur lorsque je devais avoir onze ans. Ma mère écrit beaucoup de poésie et m’a fait lire un recueil qu’elle avait écrit, dans lequel il y avait un poème qui s'intitulait Abus. C’était le plus fort, mon préféré. Quand j’ai lu, je me suis dit que quelqu’un qui a écrit quelque chose d’aussi brut, d’aussi dur, avait dû vivre cette expérience. J’ai donc compris ce qui lui était arrivé. Durant cette période, elle nous laissait la fin de semaine avec notre père pour aller filmer des choses, et j’avais l’impression que c’était lié à cette histoire. Mais ma mère n’a jamais rien fait avec ces images, et tout a fini par sombrer dans l’oubli. Nous ne sommes jamais revenus la dessus… jusqu’à il y a un an et demie, lorsque j’approchais de la fin de mon bac. Je devais chercher un projet, et j’ai alors demandé à ma mère si les images qu’elle avait tournées quand nous étions jeunes étaient en rapport avec l’abus. Elle m’a dit oui et m’a tout de suite demandé si je voulais les voir et faire un film avec. Elle voyait une possibilité de faire quelque chose avec le projet qu’elle avait commencé. Je lui permettais avec ma formation de cinéaste de faire quelque chose de cette histoire. L’idée du fils qui reprend les enregistrements de la mère, je trouvais ça très cohérent. Cet aspect m’intéressait d'ailleurs plus que l’abus ou la douleur. Avec mes yeux un peu naïfs, je me voyais avec mon petit frère comme le résultat de sa rédemption, dans le sens où malgré ce qui lui était arrivé, elle pouvait avoir une vie et des enfants. J’aimais l’idée de prolonger cette notion de filiation.
C’est aussi elle qui m’a proposé de ne pas intervenir dans la création du film. Elle avait filmé les images en mini DV, mais elle a expliqué que la raison pour laquelle elle n’avait pas terminé le film, c’est son manque de distance. Elle n’était pas capable de se libérer de sa douleur pour raconter cette histoire. Filmer l’avait libérée de l’abus, mais il fallait que quelqu’un d’autre libère le film d’elle. C’était un peu ma position dans le film. J’ai alors décidé de m’approprier cette histoire sans me mettre au centre. J’ai utilisé le cinéma comme véhicule.

Vos projets ou désirs d’avenir?
À la base, comme j’ai été élevé avec du cinéma très américain, j’ai une graine très narrative en moi, d’où l’intérêt pour le long métrage, mais aussi pour la fiction. Cependant, mon parcours à l’université m’a ouvert les yeux sur le documentaire, ce qui m’a permis de découvrir un univers des possibles dans le documentaire. Je développe un projet à l’ONF en documentaire, mais je pense que je vais me diriger vers la fiction car j’ai envie de jongler avec les deux. Comme je le disais tout à l’heure, je suis près politisé et j’ai envie de questionner la collectivité québécoise, l’identité, le rapport à notre histoire. C’est un moteur important pour moi. Je pense que dans un avenir proche, c’est vraiment sur ça que je vais me concentrer car ça me fascine.

Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo le 19 mars 2016 à Chicoutimi
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