3 juin 2022

★★★ | Babysitter

★★★ | Babysitter

Réalisation : Monia Chokri | Dans les salles du Québec le 3 juin 2022 (Maison 4:3)
Après un premier long métrage que nous avions globalement apprécié, Monia Chokri est de retour avec Babysitter. Malheureusement, nous y retrouvons une des faiblesses déjà évoquée ici même à propos de La femme de mon frère : le sens du burlesque dont Chokri voudrait faire preuve est très défaillant. Ainsi, les passages qui se voudraient rythmés et filmés de manière cartoonesque tombent à l'eau, voire frôlent le ridicule. En plus de laisser le spectateur perplexe, son absence de maîtrise du comique met également dans l'embarras ses acteurs, à qui l'on demande de surjouer de manière stérile (même Patrick Hivon, que nous apprécions pourtant grandement, est ici peu à son avantage). Mais malgré nos réserves, le film possède des qualités salvatrices. L'une d'elles est Nadia Tereszkiewicz, qui, malgré un rôle difficile, parvient à jongler entre la grâce et le ridicule requis par son personnage. L'ambition cinématographique de Chokri est également intéressante. En effet, en dehors des tentatives burlesques sur lesquelles nous ne reviendrons pas, la volonté de jouer les touche-à-tout cinéphiles porte souvent ses fruits. Ses emprunts, clins d'œil ou références confèrent au film un vrai charme, et certaines de ses propositions sont vraiment réussies.
Mais la plus grande qualité du film vient de son traitement du complexe et épineux sujet de la misogynie et du #MeToo. La volonté de légèreté parvient en effet à désamorcer les potentiels excès qu’un tel sujet peut susciter, et permet au film de l'évoquer en évitant nombre d'écueils.
Alors non, Babysitteur n'est pas un chef-d’œuvre, le cinéma de Chokri n'est pas aussi drôle qu’il le voudrait et est plus référentiel que totalement maîtrisé, mais son charme et l’intelligence du traitement de son sujet difficile en font un film agréable. Mineur et très imparfait, mais agréable!
★★★½ | Crimes of the Future (Les crimes du futur)

★★★½ | Crimes of the Future (Les crimes du futur)

Réalisation: David Cronenberg | Dans les salles du Québec le 3 juin 2022 (MK2 - Mile End)
Huit ans après Maps to the Stars, le plus célèbre des réalisateurs canadiens contemporains sort de sa «retraite» et livre avec Crimes of the Future un film phare qui lui permet de revisiter ses nombreux thèmes de prédilections, dont celui du corps en constante mutation et évolution ainsi que la sexualité déviante qui en découle. Malgré son titre homonyme et un décor rétro futuriste, cette nouvelle incursion dans le futur n’a pratiquement rien à voir avec un des premiers films du cinéaste tourné en 1970, et c’est tant mieux puisque ce premier essai brouillon était loin d’être convaincant. Les admirateurs du réalisateur seront enjoués et se plairont à décortiquer cette nouvelle incursion dans le monde du body horror où on peut s’amuser à faire un parallèle avec de nombreuses œuvres antérieures. Et par extension, Crimes of the Future se laisse voir comme une excroissance transhumaniste de Videodrome alors qu’ici la télévision et le cinéma sont remplacés par l’art contemporain. Le né pour une nouvelle chair devient ainsi le corps est une réalité et la chirurgie est la nouvelle sexualité.
Tourné à Athènes dans des décors naturels et industriels qui évoquent un monde en pleine décrépitude, l’action de Crimes of the Future se déroule dans un futur rapproché et fourmille d'idées et réflexions sur notre société actuelle. Une vision amère et apocalyptique où l’humain cherche par extension à assouvir sa sexualité et où le corps, en constante évolution imprévisible dépasse les capacités intellectuelles et les intentions de l’humain. À l’aube d’être octogénaire, Cronenberg démontre à nouveau qu’il n’a pas perdu de sa superbe et est encore capable de mettre en scène des images qui provoquent un certain inconfort chez le spectateur. Moins rythmé et plus bavard et théorique, on retrouve derrière ce constat sur l’évolution humaine une fragilité palpable qui empêche le film de sombrer dans une froideur impénétrable. Cette horreur intérieure est incarnée à merveille à l’écran par l’acteur fétiche de Cronenberg et son double imagé Viggo Mortensen. Ce dernier est parfait en artiste conceptuel maladif cherchant à conserver une parcelle d’humanité et préserver son intégrité tout en poussant son art dans les plus grands replis de la chair.

26 mai 2022

★★★ | Gabor

★★★ | Gabor

Réalisation: Joannie Lafrenière | Dans les salles du Québec le 27 avril 2022 (Maison 4:3)
D’emblée, la réalisatrice Joannie Lafrenière annonce sa complicité avec son sujet: elle se place dans des mises en scènes amusées avec Gabor Szilasi, photographe d’origine hongroise installé à Montréal dont la carrière parcourt plus de six décennies. Au premier abord, c’est le rapport que la réalisatrice entretient avec le sujet, voire leur filiation artistique, qui semble porter le film. Lentement toutefois, Lafrenière s’efface pour laisser place au photographe et, si le film reste méritant et fascinant, elle se contente d’une approche plus simple, mais aussi moins féconde, pour faire hommage à l’artiste.
Le documentaire s’amorce en revisitant avec le photographe les lieux où celui-ci a pris ses clichés. L’exercice est au fond anecdotique et sert surtout à laisser le sujet s’exprimer sur ses thèmes et son approche artistique. L’idée s’effrite vite et c’est en fin de compte le charisme et l’œil de Gabor qui soutiennent le film. La valeur à la fois historique et artistique de son travail est indéniable, et le film, à son meilleur, réussit à en transmettre la force.
Plusieurs intervenants énonceront alors ce qui deviendra une des faiblesses du film : Gabor lui-même est plutôt discret, peu enclin à s’ouvrir sur sa vie et son parcours, préférant laisser son travail de photographe parler. Lafrenière le présente avec beaucoup d’affection tout en gardant une distance respectueuse avec lui. Limité ainsi, mais peu intéressé à explorer des histoires parallèles à son sujet, Gabor, le film, fait office de gentil hommage, de présentation de l’œuvre d’un artiste, mais peine à devenir une œuvre en elle-même.

20 mai 2022

★★★ | Les Intranquilles

★★★ | Les Intranquilles

Réalisation : Joachim Lafosse | Dans les salles du Québec le 20 mai 2022 (Axia films)
Joachim Lafosse
avait déjà observé un couple qui se déchire sous les yeux de ses enfants dans le très bon (mais non exempt de faiblesses) L’économie du couple. Il reprend ici ces éléments, mais en modifiant le sujet central (qui est ici la bipolarité du personnage masculin).
On retrouve avec Les Intranquilles ce qui fait la force du cinéma de Lafosse (une grande justesse dans l’observation de ses personnages, des acteurs toujours impeccables), mais également ce sempiternel sentiment que chacun de ses films est amoindri par des faiblesses plus ou moins majeures. Une nouvelle fois, c’est dans le développement du scénario que se trouve la faille. Lafosse donne pourtant l’impression de vouloir développer son film par petites touches, de manière progressive. Mais très vite, il fait du sur-place en insistant sur certaines évidences, comme s’il réalisait plus un film consacré à un sujet fort (la maniaco-dépression) qu’un film focalisé sur ses personnages et ce qu’ils vivent (ce qui est justement, pour nous, le meilleur moyen de parler d’un sujet fort!). Même si on peut comprendre la volonté du cinéaste de montrer le caractère implacable (et répétitif) de la situation, l’évolution du récit est de plus en plus démonstrative et semble ainsi de moins en moins naturelle. Ce penchant récurrent chez Lafosse vers le film dossier fait une nouvelle fois de l’ombre à ses personnages. Comme il les filme à merveille (et qu’il semble les aimer tout autant, avec leurs faiblesses et leurs contradictions), on ne peut s’empêcher de se dire à tout moment qu’on passe à côté de quelque chose qui aurait pu être bien plus grand. Mais ce qui exacerbe ses faiblesses est aussi paradoxalement sa force, et c’est aussi grâce aux personnages que le film trouve son salut. Ils sont si attachants, si bien incarnés (Damien Bonnard et Leïla Bekhti sont exemplaires), que l’on peut aussi choisir de faire fi des maladresses scénaristiques!
Le film mérite donc bien évidemment d’être vu. On aurait juste envie qu’un jour, les scénarios des films de Lafosse deviennent aussi délicats que ses mises en scènes et directions d’acteur!

13 mai 2022

★★★¾ | Petite maman

★★★¾ | Petite maman

Réalisation Céline Sciamma | Dans les salles du Québec le 13 mai 2022 (Entract)
Après son magistral Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma nous revient avec un film d’apparence beaucoup plus modeste. Pourtant, si la forme est moins sophistiquée et si les rôles principaux tiennent sur les frêles épaules de deux fillettes de 8 ans, ce très court film devient vite fascinant.
Dès le départ, les images très sobres sont mises au service des personnages (une mère et sa fille font face au deuil de leur mère / grand-mère). Sciamma observe et nous offre de beaux moments de complicité (ce qui est déjà beaucoup) mais soudain le film bascule dans un fantastique minimaliste, filmé le plus modestement du monde, comme si sa proposition pourtant invraisemblable ne faisait aucun doute. La simplicité de la démarche, des décors (une vieille maison bordée d’une forêt), des actrices (deux petites filles qui évoluent sous la caméra sans vraiment « jouer ») mais également l’apparent refus des développements narratifs trop complexes font que cela fonctionne à merveille. Sciamma construit en effet son scénario comme s’il ne se passait pas grand-chose… comme si permettre une rencontre qui relève de l’impossible n’était pas un élément sur lequel il fallait insister (ni douter!). Alors l’improbable devient possible, et le film transforme progressivement sa délicatesse en grâce et nous permet, l’air de rien, d’imaginer que peut-être, quelque part, grâce à la magie du cinéma, il est possible de devenir l’espace de quelques jours l’ami du même âge d’un parent redevenu enfant, ou de dire au revoir, l’air de rien, à une grand-mère récemment disparue.
Finalement, sur un mode faussement mineur, Petite maman est un grand film sur l’enfance, les liens entre les générations et le deuil... le tout en 1 h 13. Superbe!

6 mai 2022

★★★½ | Vortex

★★★½ | Vortex

Réalisateur: Gaspar Noé | Dans les salles du Québec le 6 mai 2022 (Cinéma du Parc)
Plus la filmographie de Gaspar Noé se développe, plus elle devient passionnante et cohérente, même lorsque ses films ne sont que partiellement convaincants (ce qui est souvent le cas… ).
On pourrait pourtant facilement se dire que Vortex est l’antithèse de ses films précédents (une histoire centrée sur un couple de vieillards; une mise en scène presque naturaliste, dénuée d’effets graphiques, visuellement proche d’un documentaire). Mais il n’en est rien : après quelques secondes, Noé nous propose un petit effet de style comme il les aimes : ici, un split screen scindant l’écran en deux mondes, en deux solitudes, et qui traduit la rupture générée par les déficiences cognitives de l’épouse. Noé reste également fidèle à ces thèmes (la déchéance, la mort, la séparation, la dépendance…), à ses faiblesses (des dialogues ou des développements narratifs souvent maladroits, presque naïfs, même s’ils sont rares) et à quelques facilités exercés cependant avec un certain talent (dans les dernières minutes principalement, avec ces images qui se voudraient trop ostensiblement marquantes).
Mais à côté de tout cela, il y a quelques moments sublimes (dont une discussion à trois sur un avenir incertain), une Françoise Lebrun et un Alex Lutz excellents (oublions le grand Dario, qui est plus à l'aise derrière la caméra), et surtout l’évidence, à chaque instant : du caractère écorché vif du cinéaste ; de sa peur de la déchéance, de la mort, de la séparation (bis repetita) ; de l’importance de la création pour (se donner l'illusion de) lutter contre l’inéluctable fin. C'est d'ailleurs plus pour cela que Vortex est bouleversant.
Et s’il était moins un film sur la séparation d’un couple par la mort qu'un film sur les doutes existentiels de Noé, dans le prolongement d'une œuvre hautement cohérente et indispensable, malgré les petits agacements qu’elle peut parfois susciter?