14 juillet 2022

★★★ | La croisade

★★★ | La croisade

Réalisation : Louis Garrel | Dans les salles du Québec le 15 juillet 2022 (Maison 4:3)
Avec sa plus récente offrande cinématographique, Louis Garrel met en scène de manière sensible un film dont il signe aussi la coscénarisation. La croisade pose un regard à la fois lucide et ludique sur des thèmes et des enjeux universels. On se retrouve donc devant le sort de la planète qui est en jeu. Il faut absolument la sauver. Qui de mieux que des enfants pour y parvenir.
Sans jamais tomber dans la condescendance ou dans un regard moralisateur, Garrel met en scène une charmante fable à saveur écologique. Le réalisateur parvient à créer des parallèles entre la situation critique que nous vivons présentement de manière collective sans jamais oublier qu’il doit aussi divertir son public. La jeunesse prend en charge le futur de la planète en tentant de faire une révolution de manière peu commune. Ici il n’est pas tant question d’accuser les plus vieux, même si on comprend les nombreux sous-entendus face à l’inaction des générations précédentes.
Le réalisateur a un certain don pour diriger les plus jeunes. On s’attache rapidement à eux ainsi qu’à leurs convictions. On les suivrait jusqu’au bout du monde pour nous aussi faire partie de ceux qui vont faire une différence. Au final, La croisade est une œuvre divertissante qui fait sourire plus d’une fois mais malgré tout, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit d’un cri du cœur, d’un appel à l’action. Pour un présent et inévitablement un futur meilleur.

8 juillet 2022

Lignes de fuite

Lignes de fuite

Réalisation : Miryam Bouchard et Catherine Chabot | Dans les salles du Québec le 8 juillet 2022 (Séville)
Au moment décrire ce texte, les gros quotidiens du Québec ont déjà sortis leur critique. ★★★½ pour Le Devoir et Le Journal de Montréal, ★★★★ pour La Presse… À tel point qu’une question me taraude. Et si je n'avais pas vu le bon film? Ce film trop ostensiblement dans l'air du temps, qui prend un malin plaisir à enfoncer les portes ouvertes en cochant bien toutes les cases des sujets du moment, qui oublie que le langage cinématographique n'est pas fait que du dialogues et du jeu des acteurs et actrices, est-il bien celui qui reçoit les éloges! Bien évidemment, s'il s'agit bien du même film, je ne doute pas de la sincérité des personnes qui les ont dressées, et je suis heureux pour elles. J'aurais aimé partager leur enthousiasme. D’ailleurs, je dois admettre que la mise en avant de trois personnages féminins forts, dans un film coréalisé et produit par des femmes, fait plaisir à voir dans notre cinématographie. Je dois également admettre que la volonté de dresser un constat sur l’état de la société québécoise actuelle est louable, d'autant plus que cela est fait sans la moindre complaisance. Malheureusement, les intentions ne suffisent pas.
Pire: parmi les films québécois récents, si je devais choisir entre Lignes de fuite et Arsenault & Fils, je choisirais le film de Ouellet, qui parle de gens de régions que je ne connais pas, d'une histoire de braconnage, de gars pas intellos pour un sou qui ont des gros trucks, des chemises à carreaux et des guns (en clair, des gens que je ne connais pas non plus). Mais au moins, Ouellet sait écrire un scenario, sait dépeindre des personnages, et surtout, il sait réaliser des films, en faisant passer quelques idées aussi par la mise en scène (la position d'un corps, un geste, un regard, un petit rien). Je préfère ça à une adaptation théâtrale mal scénarisée (Émile Gaudreault, coscénariste, n'a pas fourni les films les plus subtils de notre cinématographie) et mise en scène comme une mauvaise série télé (avec quelques effets de mise en scène plus qu'une véritable mise en scène).
Mais comme c'est le début de l'été, je me permets de ne pas faire une critique du film, de ne pas attribuer d'étoiles. Et je retourne me coucher, en rêvant d'un film capable de nous regarder, en tant que société, droit dans les yeux, mais avec toutes les qualités qui font défaut ici. Dans le genre, le dernier commence à dater! Et depuis le temps, notre société a beaucoup changé.

1 juillet 2022

★★★★ | Les Passagers de la nuit

★★★★ | Les Passagers de la nuit

(Réalisation : Mikhaël Hers | Dans les salles du Québec le 1 juillet 2022 (EyeSteelFilm)
Les passagers de la nuit, quatrième long métrage de Mikhaël Hers, pourrait être le film nostalgique de la France des années 1980, avec ses espoirs politiques, ses promesses footballistiques, ses délices cinéphiles (et cette ressemblance vertigineuse entre Pascale Ogier et Noée Abita). Il aurait pu être un film sur l’enfer de la drogue, sur l’effervescence de l’adolescence, sur une femme abandonnée qui essaie de se reconstruire, sur les relations familiales, sur le départ des enfants devenus adultes, sur ces gens que l’on souhaite mystérieusement aider sans les connaître vraiment, sur le sentiment amoureux (possible ou improbable, apaisant ou douloureux, durable ou passager). Il aurait pu être un film trop artificiellement optimiste, dans lequel les gens sont bons, s’entraident, se font grandir rien que par leur seule présence.
Les passagers de la nuit est presque un peu tout cela, mais Mikhaël Hers a l’intelligence de ne jamais insister sur chacun de ces aspects, de suivre sa trame narrative de loin, sans en avoir l’air, en se préoccupant surtout de ses personnages, de leurs actions les moins ostensiblement signifiantes. Il les aime, les regarde, restitue des milliers de petits riens qui finissent par donner un ensemble troublant et beau comme des vies qui s’épanouissent, qui doutent, qui s’affirment, qui triomphent de la douleur.
Pour y parvenir, il s’appuie sur sa sensibilité, sur sa mise en scène toute en retenue… mais également sur une Charlotte Gainsbourg bouleversante comme jamais. Ses chuchotements et l’impression qu’elle donne de ne jamais être vraiment à sa place n’ont jamais été autant en phase avec un personnage, ne l’ont jamais autant nourri, n’ont jamais été si troublants.
Le personnage de Noée Abita, en parlant des Nuits de la pleine lune, dit que parfois, on ne sait pas vraiment si on aime des films, et qu’on met du temps à les aimer. Les Passagers de la nuit est un peu de ceux-là. Ou plutôt : on l’aime de plus en plus avec le temps. On a envie de penser à nouveau, une heure ou une jour plus tard, à ces petits riens, et on se laisse porter, dans nos souvenirs, par la beauté discrète de ce que le cinéma peut nous donner de plus simple et de plus beau à la fois!

24 juin 2022

★★¼ | The Black Phone (Le téléphone noir)

★★¼ | The Black Phone (Le téléphone noir)

Réalisation : Scott Derrickson| Dans les salles du Québec le 24 juin 2022 (Universal)

Après un passage chez Marvel (Doctor Strange et ayant abandonné sa suite parue il y a quelques semaines pour divergences artistiques), le réalisateur Scott Derrickson (Sinister) renoue avec l’horreur et aux productions plus modestes de Blumhouse avec The Black Phone. Adapté d’une courte nouvelle de Joe Hill (le fils de Stephen King), ce suspense offre un mélange de surnaturel et d’horreur plus classique parfaitement calibré pour plaire aux admirateurs de film d’horreur moderne. À ce sujet, on y retrouve de la nostalgie (l’action se déroule à la fin des années 1970), une reconstitution historique simple mais réussie, de bons jeunes comédiens et un esprit de camaraderie similaire à celle de la populaire série Stranger Things.
En revanche, ce qu’il manque à ce huis clos est l’élément de surprise. Les morceaux de l’intrigue s’emboîtent de façon soignée mais mécanique et la tension meurt rapidement dans l’œuf. Aussitôt le huis clos installé, la répétition des événements qui s’ensuivent donne dans la redite avec effets chocs propres au genre, de telle sorte qu’on décroche même si le téléphone noir continue de sonner à maintes reprises. Le reste n’est que du menu fretin à une intrigue convenue piétinante et chiche en éléments de surprises. De plus, le montage alterné final qui renvoie à un classique du genre et utilisé à maintes reprises dans des œuvres beaucoup moins réussies que son modèle de base (comme celle-ci), ne fait qu’infirmer le manque d’originalité des créateurs. Au final, malgré les qualités techniques et une trame sonore très atmosphérique à la Tangerine Dream du Canadien Mark Korven (The Lighthouse), on est loin d’un futur classique du genre qui passera à l’histoire.

17 juin 2022

★★★ | Arsenault & Fils

★★★ | Arsenault & Fils

Réalisation : Rafaël Ouellet | Dans les salles du Québec le 17 juin 2022 (Sphère Films)
Après plusieurs années d'absence au cinéma et une incursion peu convaincante dans un univers urbain (Gurov & Anna, 2015), Rafaël Ouellet nous revient avec un cinéma ancré en région, ce qui est plutôt une bonne chose. Alors bien évidemment, les fines bouches pourront regretter le Ouellet des débuts, plus radical, mais nous devons quand même avouer avoir été agréablement surpris par un film qui ne cache pas son intention d'aller vers un plus fort potentiel commercial, agrémenté pour l'occasion de touches de cinéma de genre… touches qui se font d'ailleurs de plus en plus prégnantes. Car si le film commence comme un drame régional, avec observation minutieuse de la vie des petites villes où tout le monde connaît tout le monde, il glisse de plus en plus ouvertement vers un sous-genre du polar que nous ne nommerons pas pour préserver le mystère. Au-delà des qualités évidentes d'emblée (un sens de l'observation, un amour pour ses acteurs et ses personnages, un sens du dialogue, une subtilité dans la mise en scène qui lui permet de dépasser la facture télévisuelle que l'on peut craindre un temps), c'est d'ailleurs ce glissement vers le cinéma de genre qui représente la plus belle surprise. On sait que la volonté de flirter avec le polar n'est pas toujours une réussite dans le cinéma québécois, mais ici Ouellet remplit son objectif et parvient à parler d'un sujet peu abordé (le braconnage), à livrer un beau portrait de groupe (la famille dans toute sa complexité), à jouer les fins observateurs de la vie d'une petite ville… tout en offrant un divertissement accessible au plus grand nombre, avec tout ce qu'il faut pour bien maintenir le spectateur en alerte!
Alors oui, avec les fines bouches, nous regretterons peut-être un peu le Ouellet d'antan… mais ce regret sera vite compensé par une autre évidence en forme d'interrogation: Et si, justement, c'était ce genre de cinéma, à la fois potentiellement populaire mais également intelligemment et rigoureusement exécuté, qui était encore trop rare dans la cinématographie québécoise actuelle?

10 juin 2022

★★★★ | En route / Hit the Road (جاده خاکی)

★★★★ | En route / Hit the Road (جاده خاکی)

Réalisation: Panah Panahi | Dans les salles du Québec le 10 juin 2022 (EyeSteelFilm)
Panah Panahi est peut-être le fils de Jafar, mais si Hit the Road vous est proposé en salle, ce n'est pas en raison de l'admiration qu'ont de nombreux cinéphiles pour son père, mais bel et bien en raison des qualités que comporte son premier long métrage.
D'emblée pourtant, il caresse le spectateur à rebrousse-poil en lui imposant un gamin en apparence insupportable et capricieux qui ne sait que hurler. Comme le film se déroule en grande partie dans une voiture, le voyage commence mal... Pourtant, ce gamin est un des éléments essentiels du film. C'est lui qui offre le contraste avec son grand frère adulte, renfermé et apeuré par l'avenir qui l'attend (et qui est l'objet du voyage), c'est lui qui permet au père d'exacerber son côté ronchon mais sécurisant, c'est lui qui renforce le côté charismatique mais rongé par l'inquiétude de sa mère, c'est lui qui permet un lien privilégié avec leur chien moribond… et ça sera lui le centre d’attention, à la fin, d’une des plus belles scènes du film.
Petit à petit, à partir d'un point de départ incertain (où vont-ils exactement?), la cartographie des personnages se dessine, les liens qui unissent les membres de cette famille composée de personnalités très diverses se renforcent. Au film de famille, se substitue progressivement un film à l'apparence légère sur l'exil, mais aussi sur la peine, la tristesse, le chagrin, qui un jour ou l'autre viendra éprendre chacun de nous. Tour à tour traité avec décalage (l'humour pince-sans-rire est omniprésent), distance (certaines scènes filmées en plans si larges que les personnages ne sont que des formes lointaines), burlesque onirique (une discussion improbable autour de Batman sur fond de nuit étoilée), le véritable sujet du film est toujours abordé avec délicatesse... jusqu'à ces derniers moments magnifiques où la musique apparaît comme le moyen provisoire d'atténuation du chagrin (le visage de la mère, dans la voiture, magnifique!) avant de devenir le meilleur moyen de l'accepter (le fils, face caméra, à l'extérieur, sublime).
Alors non, Panah Panahi n'est pas que le fils de son père... il est un cinéaste que l'on a envie de revoir. Surtout, Hit the Road est un des plus beaux films de cette année. Un premier film d'une inventivité, d'une fantaisie, d'une justesse, d’une délicatesse et dune maîtrise impressionnantes ! À voir d'urgence.