21 mars 2011

Entretien avec Patrick Demers

Le réalisateur québécois Patrick Demers signe avec le thriller Jaloux son premier long metrage de fiction. Il nous en dit plus sur son parcours, ses influences, mais aussi sur sa méthode de travail si particulière.

Jaloux est votre premier long métrage de fiction. Pourriez-vous présenter votre parcours?
C'est mon premier long métrage, qui a été construit, conçu et exécuté de la même façon que mes deux courts métrages précédents. C'est-à-dire que j'essaie de répartir l'écriture du film sur toute la production et de collaborer avec les comédiens pour construire les personnages et l'histoire du film. Je monte moi-même, et il y a une partie de l'écriture qui est aussi au montage.

Vous avez quelle formation?
J'ai étudié le cinéma et l'écriture. J'ai participé à la Course destination monde, qui a été aussi une école pour moi, qui est du reportage documentaire. J'ai aussi travaillé en publicité, je suis passé par Musique Plus, je travaille en télévision, j'ai aussi fait un documentaire, de l'animation, et je monte. Je suis réalisateur... c'est mon métier.

Pourriez-vous maintenant présenter Jaloux?
C'est l'histoire d'un couple qui va mal. Ils s'en vont dans un chalet en forêt pour essayer de se retrouver. Ils croisent un homme qui se fait passer pour le voisin. Qui est-il? Que veut-il? En revenant de ce périple, le couple sera uni par un terrible secret.

Jaloux est donc un thriller. Mais il est également basé sur l'improvisation. Quelle était l’idée première? Faire un thriller ou continuer à travailler dans le prolongement de ce que vous aviez fait avant?
J'ai utilisé le thriller pour m'assurer que je pourrais présenter quelque chose au grand public au bout de mon travail de création, de mon expérimentation. Je ne voulais pas avoir un résultat expérimental (…). Je trouvais que pour faire ce travail et essayer de démontrer qu'on peut écrire un film par son médium, et moins par l'écriture, je devais me frotter à la technique même. (…) Le thriller me semblait la bonne chose pour y arriver, en servant de balise et de point de repère pour moi, les comédiens, le public... (…)
Je trouvais que ce genre permettait d'explorer le thème de la jalousie, ce qui était à la base mon  idée. (…) J'utilise ses codes, et je pervertis le genre également, je pense, car à la fin... Qui sont les bons? Qui sont les méchants? Je pense que je ne livre pas ce que je promets au début. Je ne fais pas un thriller. J'utilise plus le thriller.

Est-ce que dès le départ, il y a une trame narrative précise, avec une improvisation qui se fait uniquement au niveau des dialogues, ou l'histoire a-t-elle évolué durant le tournage?
L’histoire est écrite sous forme de scène-à-scène non dialogué. À partir de six mois de rencontres, je mets sur papier en une vingtaine de pages un résumé de cinq à dix lignes de chaque scène. Le tournage commençant, ce scène-à-scène se modifie à mesure, s'enrichit et se raffine au gré des idées qui se rajoutent. Tout le monde est isolé en forêt, personne ne retourne chez lui, on en parle le soir, en déjeunant le matin. On regarde les rushes chaque jour, on raffine, on raffine, on raffine. Et puis au montage, il y a un très grand travail de sélection. J'élague énormément car j'ai beaucoup de possibilités et de dialogues. J'en garde très peu. C'est déjà prévu qu'on travaille de façon linéaire et qu'à la fin je vais déconstruire l'histoire au montage. (…) En déconstruisant je voulais exprimer le flou dans lequel les personnages se retrouvent, qui les pousse aux gestes qui vont poser. On ne sait pas s’ils savent qui était où le lendemain matin, ce qui s'est passé cette soirée là. Le spectateur est dans le même état car lui aussi les choses lui sont présentées de façon non linéaire et il doit remettre les pièces du puzzle ensemble dans sa tête.

Le dénouement final était-il le même dès le scène-à-scène?
Le dénouement a été modifié. Un dénouement plus intéressant nous est apparu à force de travailler les personnages. Un personnage a été redéfini… mais je ne peux en dire trop! On avait déjà tourné une scène et je l'ai retournée pour qu'elle soit perçue de la bonne façon par le spectateur... c'est la dernière scène du film. C'est le dénouement. (...)

Pour le montage, vous aviez beaucoup d'heures de film?
Une quarantaine d'heures. Pour commencer, je l'ai monté en linéarité. J'ai fait une projection avec mon équipe, on en a parlé, et dans un deuxième temps on a amorcé les flash-back, la déconstruction, la nouvelle façon de le présenter, en corrigeant les défauts qu'on trouvait dans cette première version linéaire. Je clarifie, je simplifie, je ne présente que ce qui est intéressant. J'élague... j'élague... et je suis arrivé à ça.
C'est un travail de quatre à cinq mois, réparti sur un an.
C'est de l'écriture...

Oui, c'est ce que vous disiez tout à l'heure: l'écriture se fait à tous les niveaux. Du départ jusqu'à la dernière version du montage.
L'idée de révéler tout de suite que Ben n'est pas Ben, vous l'aviez dès le départ? C'était une évidence?
Oui, ça me semblait évident. Je ne veux pas attirer l'attention des gens la dessus.

Parfois le thriller insiste sur des révélations tardives qui ne sont pas les plus subtiles...
Ce n'est pas un whodunit, c'est un whodoesit (rires)!

Je crois que vous êtes amateur de Cassavetes...
C'est à cause de lui que je suis rendu là.

Le côté expérimentation, c'est Shadows?
Non, C’est Love Streams que j'ai vu quand j'avais 20 ans. J'ai rarement vu un film aussi intense et aussi fort au niveau du jeu et du réalisme, même si ça n'a pas l'air vrai du tout, mais il y a quelque chose qui est transcendant dans ce film. Il y a une partie qui se retrouve dans Jaloux. (…)

L'envie de faire de l'improvisation, c'est une envie de retrouver un réalisme que vous ne pensez pas retrouver avec un texte et un dialogue pré-écrit?
C'est un peu cette envie là. C'est aussi l'envie de revenir à quelque chose de plus près du théâtre. Ce n’est pas que de l'improvisation, c'est une collaboration avec les comédiens. Dans cette collaboration, il y a  de l'improvisation. Mais ce n'est qu'une partie. La collaboration avec les comédiens et ce travail de création de personnages, de scènes, de situations, de réactions, de psychologie... j'y crois.
Les gens disent « mais les comédiens n'ont pas peur d'embarquer dans une aventure comme ça? » Non, au contraire. Ils font du théâtre, ils font ça à l'année. Ils adorent faire ça. Ils préfèrent faire ça que de simplement donner quelques lignes et retourner s'asseoir entre deux prises.

Ils doivent se sentir plus impliqués entre deux prises. Est-ce qu'ils parlent beaucoup entre eux?
On ne fait que ça… on ne fait que ça. On ne parle que de ça, pendant tout le temps du tournage, c'est très intense, on cherche la note juste constamment. Par moment elle arrive, et moi j'essaie de faire un film avec ces moments là.

Comment avez-vous trouvé des producteurs qui acceptent de financer un tel film? Avez-vous eu des subventions?
Le producteur est un ami qui croit à ma démarche, qui a vu mes courts métrages, qui y croit, je n'aurais jamais pu être mieux épaulé. J'ai eu une bourse du Conseil de Arts du Canada (60.000 dollars). On est allé voir les films Séville, Pierre Brousseau particulièrement, et on l'a convaincu d'investir 25.000 dollars pour débuter un tournage. Après avoir été sélectionnés en festivals, on a réussi à trouver la fin du financement pour sortir des copies. Ce qui amène notre budget à un peu plus de 400.000 dollars.

Pour finir, est-ce que vous êtes en train de préparer un autre film? Toujours basé sur la même méthode de travail?
Le deuxième va poursuivre le même travail, la même exploration. J'espère l'affiner, corriger certaines choses que j'ai identifié dans Jaloux. Il sera différent cependant.

Ça sera toujours un film de genre?
C'est une bonne question... c’est une bonne question. Ça va être un quatuor de comédiens. Deux couples. Le thème sera l'hypocrisie. Pour l'instant, j'organise ça autour d'une prise d'otages ratée.

Entretien réalisé par Jean-Marie Lanlo le 16 mars 2011 à Montréal

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