29 août 2011

Entrevue avec Micheline Lanctôt (réalisatrice de Pour l'amour de Dieu)

À quelques jours de la sortie de Pour l’amour de Dieu (lire notre mini-critique), nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec sa réalisatrice, Micheline Lanctôt. Cette trop courte rencontre nous a permis de revenir brièvement sur sa carrière avant de parler de religion et de premier amour…

Jusqu’à maintenant, je pense qu’on peut dire qu’il y avait beaucoup de tension et de violence dans vos films. Avec pour l’Amour de Dieu, il y a de grands signes d’apaisement. Partagez-vous ce point de vue?
Oui.

Ce n’est pas un film léger… mais apaisé…
Oui, c’est vrai… c’est une bonne façon de voir ça. J’ai toujours été sollicitée par des sujets durs, ce qui m’a valu des box-offices assez confidentiels. Je ne sais pas si c’est un effet de la vie et de l’âge, ou si c’est le sujet lui-même qui veut ça. Peut-être qu’à mon âge, je n’ai plus envie de me casser la tête… J’ai passé quatre ans avec ce film, trois ans avec Suzie, trois ans avec Le piège d’Issoudun. C’est long… j’ai peut-être eu envie d’aller vers des sujets plus lumineux et moins lourds. Mais je ne choisis pas mes sujets, ils me tombent dessus…

Justement, comment se déroule votre processus de création?
(...) Je n’arrive pas à identifier de point d’origine, mais il y en a toujours un. J’ai une famille extrêmement romanesque. Il y a donc des choses qui viennent de ma famille. Mon premier film [L’Homme à tout faire] avait été inspiré d’un personnage qui avait travaillé pour moi. Mon deuxième [Sonatine] avait été inspiré par une boutade que je m’étais faite quand j’étais en dépression. (…) Je ne sortais plus de chez moi depuis plus de trois semaines. Je vivais à la campagne, très isolée, et je me suis dit « je vais mourir chez nous et ils ne trouveront pas mon corps pendant deux mois ». C’était vraiment très déprimant, mais je me suis dit « C’est le fun ça… c’est une belle idée de film : des gens qui font un suicide public de peur que les autres ne trouvent pas leurs corps! » (…) La vie d’un héros, c’était une histoire de famille. Deux actrices, c’est venu de deux étudiantes. J’avais Pascale Bussières et Pascale Paroissien dans mon cours. Je les regardais et je me disais « il y a de quoi entre eux autres ». Dans ce cas, c’était donc vraiment les personnages qui me fascinaient. J’ai donc écrit l’histoire à partir des personnages. Le piège d’Issoudun venait d’une idée que j’avais eu 15 ans avant. J’avais lu quelque chose sur une femme de Québec qui était venue à Montréal, qui s’était installée au Motel, qui avait noyé ses deux enfants dans le bain et qui était repartie à Québec. Son voyage de Montréal à Québec m’obnubilait. Qu’y avait-il dans sa tête? Je suis partie de cette question. (…) Mon idée, c’est que lorsqu’on élève des enfants aujourd’hui, on est seuls. La raison qui peut pousser les parents jusqu’au suicide collectif ou au meurtre, c’est que personne ne leur a pris la main pour leur demander : « As-tu besoin de quelque chose ? » Ils ne parlent pas à leurs voisins, leur famille n’est plus là, les amis sont éparpillés, travaillent trop fort, n’ont pas le temps… et cette détresse des parents, je l’ai ressentie très fortement.

Et après, il y a eu Suzie… on retrouve cette détresse!
Et ces gens à qui on n’offre pas de soutien. J’avais beaucoup lu sur l’autisme, et je sais que pour des parents, c’est extrêmement ingrat de faire l’éducation d’un autiste. Une fois de plus, c’était un sujet social! (…) Mais en fait, le film est parti de mon désir de jouer. Je voulais jouer une femme seule, âgée, (…) qui a décroché de la vie. (…)

Revenons maintenant à Pour l’amour de Dieu. Pouvez-vous rapidement nous présenter le film?
C’est un mélodrame, au sens noble du terme. (…) C’est un drame de sentiments qui concerne un premier amour. Un premier amour ne s’oublie jamais. Ça nous reste même si c’est à l’état de souvenir spectral. (…) L’émotion qu’on a dans un premier amour marque à vie (…). Pour l’amour de Dieu est donc l’histoire d’un premier amour partagé par trois personnes. Malheureusement, l’une est religieuse, l’autre est père dominicain et la dernière est une petite fille de onze ans. Cherchez l’erreur (rires). La problématique est donc lancée. C’est sûr qu’il va y avoir une rivalité amoureuse!

Il y a beaucoup de thèmes dans le film : l’amitié, l’amour, la trahison, la foi…
Mais tout cela découle du premier amour, et de l’intensité de cet amour.

Pour vous, tous ces thèmes tournent autour de cet amour?
Du premier amour… pas de l’amour ordinaire. Quand on fait des compromis, quand on commence à dire « bon, OK, c’est un trou de cul mais je vais rester avec car je l’aime », on n’est plus du tout dans le même sentiment.

Avec le premier amour, il y a la pureté des sentiments?
Oui, c’est totalement absolu! Il n’y a rien de relatif dans un premier amour. C’est total… et ce sont ces peines d’amour qu’on charrie le plus longtemps. Moi, ma première peine d’amour a été épouvantable… j’ai mis des années à m’en remettre! Je pense que je n’ai jamais plus été capable d’aimer pareil après, et c’était mon premier amour… enfin, mon premier véritable amour, c’était mon père dominicain (rire), mais celui-là n’a pas laissé de traces négatives car j’avais onze ans, et j’en ai juste gardé un souvenir d’adoration béate(…).

Vous me tendez une perche! En voyant votre film, j’ai vraiment eu l’impression qu’il y avait quelque chose d’autobiographique.
Ah oui?

Et c’est visiblement le cas!
Totalement. Le point de départ est autobiographique, même si l’histoire est fictive.

Pourquoi vous avez attendu trente ans pour parler de ce sujet?
Car il ne m’a pas chatouillée avant! C’est très long le processus qui m’a mené à Pour l’amour de Dieu. Ce sujet-là, ce premier amour-là, je l’ai traité dans un numéro de la revue XYZ sur le thème du coup de foudre. En cherchant un coup de foudre, je suis tombée sur le père, et j’ai ranimé ce souvenir… c’était il y a une vingtaine d’années. J’avais juste une image, et dans la nouvelle, j’essayais surtout de faire comprendre ce qu’une petite fille peut ressentir quand elle ne sait pas ce qui arrive. Puis ce souvenir est revenu à la surface quand j’ai fait une voix hors champs pour un documentaire sur le Québec des années 50. Mon volet était sur la religion. Le réalisateur m’a demandé ce qu’étaient mes souvenirs sur la religion. Il y en avait un : il était dominicain, portugais, est entré dans ma classe en 7ème année et j’ai capoté complètement! Mais je n’avais pas d’autres souvenirs.

Et ça, c’était quand?
Ça doit faire à peu près quatre ou cinq ans. C’est le réalisateur qui a googlé le nom du père sur internet et qui m’a donné son adresse email. J’ai envoyé un courriel et j’ai eu une réponse rapide. C’était bien lui! Et là, tout m’est revenu d’un coup. (…)

Pour finir j’aimerai vous parler de la religion. Déjà dans vos deux derniers films, il y avait quelque chose d’à la fois laïc et très chrétien…
Rédemption, pardon, grâce… c’est vrai. Je suis ben judéo-chrétienne! Je ne peux pas m’en défaire! J’ai été formée là-dedans!

Avec ce film, vous faites un pas supplémentaire vers Dieu?
Non… car en fait, si je suis quelque chose, je suis plus animiste. C’est une spiritualité qui me parle, celle des Amérindiens. Pour moi, les choses ont une âme, les végétaux ont une âme, j’ai beaucoup de rapports intimes avec la nature. C’est plutôt là qu’est le peu de spiritualité que j’ai. Mais j’ai passé dix-huit ans chez les religieux, mon père est un ancien Jésuite et mes valeurs sont des valeurs chrétiennes, et je ne les renierai jamais. J’ai souvent dit qu’on a trois éléments d’identité qui sont des clés absolues : l’ethnie, la religion et la langue. Et il y a trois choses que l’on fait toujours dans sa langue maternelle : compter, jurer et prier. (…) Je ne sais plus où j’ai lu ça, mais c’est totalement vrai parce que c’est foncièrement qui on est. Je pense que les Québécois sont identitairement de religion catholique. Ils ne veulent pas et ils sont en colère contre cette religion, ils sont écœurés et ont décidé de faire table rase de ça, mais je considère que c’est une erreur. Ça fait un peu partie de la perte d’identité qu’on vit actuellement et des repères qu’on recherche. Notre langue est en train de foutre le camp, la religion a été enterrée il y a longtemps… qu’est-ce qu’il reste? Nord-Américain, c’est flou en maudit comme identité… je ne veux pas être associée aux Nord-Américains! Si le Nord-Américain c’est les États-Unis, je ne veux pas!
Propos recueillis à Montréal par Jean-Marie Lanlo le 24 août 2011
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