16 janvier 2015

American Sniper (Tireur d'élite américain) **

L’histoire de Chris Kyle (Bradly Cooper), jeune star de rodéo texan reconverti en tireur d’élite le plus meurtrier de l’histoire de l’armée américaine.

Réalisateur : Clint Eastwood| Dans les salles du Québec le 16 Janvier (Warner)

Après une décennie passée à prendre le pouls de l’ambiguïté morale d’une Amérique assoiffée de vengeance (Mystic River), à en disséquer le patriotisme aveuglant (Flags of our Fathers), ou encore à en briser les tabous avec une bouleversante humanité (Million Dollar Baby), on était en droit de se demander ce que le cinéma eastwoodien allait faire. Il y eût bien la tentative africaine (Invictus) et même l’élévation vers l’au-delà (Hereafter), comme successeurs au beau Gran Torino, film-bilan à partir duquel on avait cru qu’Eastwood s’adonnerait à une bonne retraite bien méritée. Mais, non, rien de cela. Encore une fois, il déjoue les pronostics et six mois après Jersey Boys nous revient avec American Sniper, nouvelle plongée dans l’horreur et la sauvagerie de la guerre. Mais cette fois, il rate complètement sa cible (Kathryn Bigelow avait placé la barre bien haut, il faut bien le dire).
Le républicain en lui, ressuscité, (autour de sa prestation à la convention républicaine de 2012?) revient à la charge avec un film qui se regarde avec amertume et incompréhension. Tout au long de ses deux heures une question persiste ; comment un homme qui huit ans plus tôt (dans l’incroyable et nuancé dyptique Iwo Jima) s’indignait des mensonges d’état et des horreurs guerrières, peut aujourd’hui se livrer à un film si suspect dans sa morale et son propos? Souvent captivant, solidement porté par Bradley Cooper, American Sniper n’est pas simplement l’adaptation cinématographique des mémoires du plus meurtrier tireur d’élite de l’armée américaine. C’est surtout un produit douteux comme on en réalisait voilà 50 ans, ethnocentré, l’œuvre d’un homme qui accueille à bras ouverts les clichés (ah ces entraînements militaires sous un soleil couchant!), les représentations simplistes autour du bien et du mal (toute présence non-américaine est considérée comme « sauvage » et donc envisagée comme ennemie). Quand il ne filme pas le chaos sanglant de la guerre, Eastwood s’aventure avec peu de conviction dans des compartiments plus intimes, donnant à voir un mariage dont la solidité est mise à rude épreuve par l’expérience militaire de Kyle. Point de limite au patriotisme de ce dernier (retournant à quatre reprises en Irak) qui finira tué en sol américain, près de chez lui, par un ex-soldat souffrant de syndrome post-traumatique que « Kyle cherchait simplement à aider », comme Eastwood ne manquera pas de nous rappeler en guise de finale. Jamais à court d’idées pour valider toute la grandeur patriotique de son personnage, la réalisateur va jusqu’à recourir à des images d’archives présentant les obsèques nationale de Kyle. Ces dernières images, consternantes, en disent beaucoup sur l’Amérique, son rapport à l’héroïsme et au patriotisme. Elles posent également une question à la fois cruciale et terrible: et tous les journalistes, médecins, autres soldats criblés de balles, oubliés, ne détenant pas le triste record détenu par Kyle…tous ceux-là on en fait quoi, Clint ?
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