27 octobre 2023

★★★★½ | Anatomie d'une chute

Réalisation : Justine Trier | Dans les salles du Québec le 27 octobre 2023 (Entract Films)
Après le surcoté La Bataille de Solférino et les pas-trop-mal-mais-sans-plus Victoria et Sibyl, nous n’attentions pas de la part de Triet un film d'une telle maîtrise. Le point de départ est pourtant simple : un homme est seul avec sa femme dans leur maison. On le retrouve mort après avoir chuté. Est-ce une mort accidentelle, un suicide ou un meurtre ?
À partir de ce qui ressemble à un thème éculé digne d’un épisode d’une mauvaise série télé, Triet et son scénariste Arthur Harari (également son conjoint dans la vie) enchaînent les bons choix. Non seulement, les éléments qui permettent de comprendre les protagonistes apparaissent progressivement, de la manière la plus naturelle possible, sans le moindre effet de manche… mais en plus, les personnages restent toujours au centre du récit, se laissent découvrir graduellement, dans leur richesse et leur complexité, voire dans des paradoxes qui ne sont probablement pas étrangers à tout un chacun. Jamais Triet ne les réduit au statut de pions au service de son développement narratif. Les personnages sont si authentiques que la trame policière (meurtre ou accident) se transforme vite en drame humain et en réflexion sur le couple, sur le caractère indélébile de certains drames passés, sur le désir, sur la paternité/maternité, sur la frustration liée à la difficulté de créer, etc.
Mais un scenario d’une telle intelligence ne suffit pas à produire une œuvre aussi maîtrisée. La mise en scène de Triet est tout aussi irréprochable. Avec une apparente sobriété, elle prend des petits risques, par petites touches, notamment dans sa manière de faire revivre des flash-back. Ses effets sont mesurés, pensés, toujours justes (nous pensons principalement à l’effet sonore lié au témoignage du fils, ou à la mise en image de la scène de la dispute, qui dure juste le temps qu’il faut). Elle excelle aussi dans le choix et la direction d’acteurs, qui rendent encore plus pertinents les dialogues. Nous connaissions le talent de Sandra Hüller, Swann Arlaud ou Antoine Reinartz. Ils sont à nouveau remarquables… mais tous les autres sont au diapason, y compris l’enfant (Milo Machado Graner) ou le chien (cela semble absurde de parler d’un chien dans ce cadre, mais son "personnage" est essentiel).
Voilà donc 2 h 30 qui semblent filer sans qu’on s’en aperçoive, une anatomie d’une chute qui a des allures d’anatomie d’un couple, un palme d’or féminine enfin à nouveau hautement méritée, qui fait oublier celle, trop politique et surfaite, de Julia Ducournau.
Un grand film, tout simplement.
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