14 octobre 2018

★★★½ | Guy

★★★½ | Guy

Réalisé par Alex Lutz | Dans les salles du Québec le 19 novembre 2018 (MK2│Mile End)
Critique rédigée dans le cadre du FNC 2018

Un homme (Tom Dingler) apprend qu’il serait le fils illégitime du septuagénaire Guy Jamet (Alex Lutz), ancienne gloire de la chanson française. Il décide de le suivre, caméra au poing, pour en faire le portrait et apprendre à le connaître.
Soyons honnête, cette prémisse avait tout pour nous faire craindre le film égotique au service de son réalisateur / acteur. Le concept rendait en effet logique que la caméra soit braquée en permanence sur Lutz, occasion idéale pour lui de montrer l’étendue de son talent par le biais d’une transformation physique (l’acteur a 40 ans, son personnage en a plus de 70). Pourtant, très vite, nous comprenons que ce double choix est plus au service de son personnage que de son ego. En mettant le spectateur à la place du fils illégitime (les images du film sont en effet celles filmées par sa caméra), il crée d’emblée une relation avec le spectateur qui lui permet de donner vie à son Guy Jamet et d’en faire ressortir les failles de manière presque instantanée. De plus, en se vieillissant pendant 95% du film (par le biais d’un maquillage d’une qualité exceptionnelle), il permet aussi à son héros de retrouver lors de flash-back une jeunesse crédible et particulièrement touchante (tous les personnages n’ont pas cette chance, à l’instar de son ancienne compagne, incarnée par le duo Dani / Élodie Bouchez, pour un résultat beaucoup moins convaincant). Mais pour que tout cela fonctionne, il fallait que l’écriture soit à la hauteur. Cela tombe bien… le scénario (signé Thibault Ségouin, Anaïs Deban et Lutz lui-même) dépasse nos espérances. Non seulement les répliques sont souvent très drôles, mais surtout, il est parfaitement construit et permet d’intégrer régulièrement des éléments qui transforment le film en une réflexion permanente (mais jamais prétentieuse) sur le changement d’époque (sans jamais sombrer dans la nostalgie réactionnaire), la vieillesse (et son lâcher prise progressif, à la fois salvateur et difficile à accepter), la fragilité de la gloire (et le mépris ressenti lorsqu’elle est derrière soi), le rapport avec le public (parfois trouble), la paternité, etc.
Certes, tout cela n’est pas non plus parfait. Le film, avec sa volonté apparente d’aborder le plus de sujets connexes possibles, donne parfois l’impression d’avoir voulu respecter avec trop d’application son propre cahier des charges, mais cette réserve est bien faible à côté du plaisir procuré par cette rencontre.
Malgré ses défauts (son petit côté vieux con), Guy Jamet est particulièrement touchant. À travers lui, Lutz rend un bel hommage à tous ces has-been qu’il est facile de mépriser, mais qui savent, comme nous tous, que le bonheur est éphémère. Raison de plus pour ne pas gâcher notre plaisir en allant à la rencontre de ce Guy Jamet, qui nous offre ici 1h40 de bonheur.

12 octobre 2018

FNC 2018 | ★★★★ | Un couteau dans le cœur

FNC 2018 | ★★★★ | Un couteau dans le cœur

Réalisé par Yann Gonzalez
Après avoir écrit le plus grand bien des courts-métrages de Yann Gonzalez (lire ici) et de son premier long (Les rencontres d’après minuit), nous sommes ravis de constater que le réalisateur remplit toutes ses promesses. Il reste fidèle à certains éléments clés (la nuit, la recherche du plaisir, le passage du temps, la mort), mais il affine son style et parvient à jouer à merveille avec les références sans se laisser étouffer par elles. En visionnant Un couteau dans le cœur, nous pensons en effet souvent au giallo ou à un film comme Change pas de main (incroyable thriller porno bisexuel de Paul Vecchiali, où le sexe et la mort se côtoient de manière troublante), mais la force de Gonzalez est de s'appuyer sur ces deux piliers pour créer son propre univers, qui prend régulièrement le risque de partir dans tous les sens, mais qui ne se perd jamais en chemin.
Pourtant, Un couteau dans le cœur est réalisé sous le signe de la transformation permanente: passage constant d'un genre cinématographique à un autre, transformation d'hommes en femmes, d'une productrice en tueur masqué (du moins le temps d'un film), d'un homme en oiseau, d'un visage ravagé par les flammes, du soleil à l'orage ou encore du jour à la nuit dans une belle scène dans un cimetière forestier… pour ne citer que ces quelques exemples. Mais la maîtrise formelle donne une unité à cet ensemble en constante transformation qui le fait presque ressembler à un rêve, c'est à dire à quelque chose de mystérieux, aussi cohérent formellement qu'improbable narrativement.
Un couteau dans le cœur ne se contente cependant pas d'être un bel exercice de style. Il est bien plus que cela, notamment grâce à la présence d'une Vanessa Paradis magistrale. Malgré un jeu limité (avouons-le, elle n'a jamais été une grande actrice), elle apporte à son personnage une fragilité désabusée par l'entremise d'un sourire triste mal camouflé sous un trop-plein de maquillage. Elle permet ainsi au film de devenir par sa seule présence (en plus de tout ce qu'il était déjà) un mélo sentimental désenchanté, touchant malgré ses excès.
Alors, qu'est-ce qu'Un couteau dans le cœur? Un mélo mélancolique? Un rêve? Un giallo visuellement splendide? Un hommage au temps où la pornographie, même un peu kitch, racontait quelque chose? Une comédie désabusée aux allures pop? Peut-être bien plus encore? Et si c'était justement la plus grande force du film de Gonzalez: proposer une multitude de contraires qu'il parvient à rendre cohérente, sans rien imposer, mais avec un talent fou!
★★½ | First Man (Le premier homme)

★★½ | First Man (Le premier homme)

Réalisé par Damien Chazelle | Dans les salles du Québec le 12 octobre 2018 (Universal)
Le réalisateur de La La Land s’éloigne de l’extravagance Hollywoodienne et de la comédie musicale pour se tourner vers le film biographique. Librement inspiré de la vie de Neil Armstrong (le premier homme à marcher sur la lune), First Man se concentre sur la vie de publique et intime de l’astronaute le plus célèbre de l’histoire des missions spatiales.
Au lieu de se livrer au sensationnalisme, le réalisateur nous offre un récit empreint de sobriété. La course vers la lune de la NASA et par conséquent d’Armstrong sera parsemée d’embûches et de tribulations qui affectera la famille de l’astronaute (déjà accablée par une tragédie personnelle). L’équilibre entre la vie familiale des Armstrong et la mission ultime n’est pas totalement atteint. Si on apprécie les scènes avec femme (excellente Claire Foy) et enfants, on aura souvent l’impression avec le temps, qu’ils constituent une distraction à toutes les scènes de réglages, de calculs et autres préparations qui mèneront les astronautes vers la lune. Dans le rôle d’Armstrong, Ryan Gosling propose une interprétation nuancée. Le reste de la distribution est solide mais a peu de profondeur à explorer. Tous ont le même objectif, se rendre là où aucun être humain ne s’est rendu auparavant.
Les scènes de montées vers l’espace sont d’ailleurs les plus vibrantes du film. Le réalisateur évite la musique d’accompagnement et les effets sonores évocateurs. Le résultat à quelque chose d’anxiogène pour le spectateur et à chaque fois, on se demande pourquoi un être humain s’imposerait une telle souffrance physique. Cependant, on ne pourra s’empêcher d’être déçu à l’arrivée tant attendue sur la lune. Alors que l’ensemble du film est une lettre d’amour au cinéma, où chaque plan est travaillé avec soin, la scène sur la lune est des moins inspirées. Chazelle veut peut-être faire apprécier au spectateur l’importance du chemin parcouru en ne se laissant pas distraire par la destination finale.

9 octobre 2018

★★★ | The Sisters Brothers (Les frères Sisters)

★★★ | The Sisters Brothers (Les frères Sisters)

Réalisé par Jacques Audiard | Dans les salles du Québec le 12 octobre 2018 (Entract Films)
Film vu dans le cadre du FNC 2018.

Le cinéma de genre est souvent présent dans l’oeuvre de Jacques Audiard en venant se greffer sur le reste du film de manière plus ou moins réussie (lire notre critique de Dheepan). Ici, le cinéaste assume pleinement son attirance et nous plonge dès les premiers instants dans un genre hyper codifié (le western) avec une scène de fusillade particulièrement efficace. Avec cette seule scène, le réalisateur nous en dit beaucoup sur ses intentions: assumer pleinement le cinéma de genre et ses codes, sans pour autant se laisser enfermer par eux (la manière dont il filme cette scène nocturne, totalement inhabituelle, est significative).
Malheureusement, nous comprenons très vite qu’Audiard éprouve des difficultés à courir deux lièvres à la fois, la force habituelle de son cinéma (les personnages) devenant ici son point faible. Cet aspect comporte pourtant des éléments positifs: les acteurs qui les incarnent leurs apportent une véritable complexité et leurs parcours sont improbables mais pourtant crédibles. Interprétation et écriture ne sont donc pas à mettre en cause. Le problème viendrait de la démarche même d’Audiard, et de cette envie d’assumer le genre dès le début du film. Même si ses personnages sont bien définis, le cinéaste peine à les faire exister pleinement, comme si son besoin de jouer avec les codes du genre étouffait les êtres… ou, dit autrement, comme si le cinéaste ne parvenait plus à filmer aussi naturellement les failles de ses personnages, ce qu’il faisait jusqu’ici sans en avoir l’air, d’un simple plan sur un corps, un regard, un geste.
Une fois de plus, Audiard a un peu le culs entre deux chaises, mais ici un peu plus que d'habitude. Jusqu’ici, ses qualités prenaient le dessus sur les maladresses. Avec ce film, c'est moins évident. Il est toujours talentueux, mais il lui manque son sens de l’observation habituel, qui suffit à faire naître l’émotion d’un rien. Mais ce n'est peut-être pas ce qu'il cherchait: plus que la vie, c'est le western, le mythe, les codes qui semblaient l'intéresser. Si on parvient à regarder son film sous cet angle, il est probablement plutôt réussi. On aurait juste voulu que son talent lui permette d’élever The Sisters Brothers au statut de grand western, c'est à dire de grand film!
Pour cela, un peu plus tôt dans l’année, il y a eu Hostiles. Le dernier Audiard n’est clairement pas de la même trempe!

7 octobre 2018

★★★ | Au poste!

★★★ | Au poste!

Réalisé par Quentin Dupieux | Dans les salles du Québec le 12 octobre 2019 (Axia Films)
Film vu dans le cadre du FNC 2018

Avec Au Poste!, Quentin Dupieux quitte le soleil californien pour la nuit française et nous plonge par la même occasion dans le cinéma français d’hier. Le point de départ fait en effet penser au Garde à vue de Claude Miller, l’affiche est digne d’un film avec le Belmondo au sommet de sa popularité, et l’ensemble flirte régulièrement avec le Blier de la grande époque grâce à des situations absurdes si impeccablement intégrées à la banalité du quotidien qu’elles en deviennent crédibles. Certes, l’humour y est moins inquiétant que chez le cinéaste de Buffet froid, mais la proximité des univers est indéniable. Elle est renforcée par deux éléments qui faisaient la force de Blier, et qu’on retrouve ici. D’une part, les comédiens sont dirigés avec maestria (et dans ce cas, proches du contre-emploi, comme Anaïs Demoustier, frisottée comme la Deneuve d’Agent trouble et amusante comme jamais), mais surtout, le scénario est construit avec une rigueur qui renforce l’impression que tout ce qui se déroule sous nos yeux est possible malgré son improbabilité. Avec une structure narrative plus cohérente et des dialogues omniprésents alimentant en permanence l'enquête policière, Dupieux nous éloigne de ses précédents films, qui pouvaient perdre le spectateurs à force de jouer avec un univers spatio-temporel plus qu’improbable.
Avec ce film ne se prenant jamais au sérieux, Dupieux rend également un hommage improbable au cinéma français, composé aux yeux des réfractaires (à en croire de nombreux témoignages entendus par votre serviteur ici et là) de deux éléments majeurs: des dialogues interminables et la description du quotidien. En alternant ces deux éléments (l’interrogatoire pour les dialogues, et le témoignage du suspect pour la description du quotidien), Dupieux plonge de plein pied dans cette caricature du cinéma français, tout en le rendant particulièrement divertissant.
Non seulement le résultat est drôle, mais il a également la bonne idée de ne pas épuiser son propre filon en optant pour un court 73 minutes. Dupieux semble avoir compris pour notre plus grand plaisir que les meilleures plaisanteries sont parfois les plus courtes!