30 avril 2019

★★★½ | Girl

★★★½ | Girl

Réalisé par Lukas Dhont | Pas de sortie en salle au Québec — Disponible en VSD
Après avoir remporté la Caméra d'Or à Cannes en 2018, Girl n'est pas sorti en salle au Québec et a dû se contenter d'une sortie en ligne via la plateforme Netflix. Nous ne reviendrons pas ici sur cette pratique qui empêche les non-abonnés de visionner une œuvre qui mériterait d'être vu par un plus grand nombre, mais nous nous contenterons de parler du film!
Et soyons clairs, il possède de grandes qualités. Avec sa première œuvre, le jeune cinéaste belge Lukas Dhont confirme en effet la bonne santé de sa cinématographie nationale. D'une part, le sujet est ambitieux: une jeune femme née dans un corps de garçon doit faire face à la transformation trop lente de son corps, tout en lui faisant subir des entraînements éprouvants (elle souhaite devenir danseuse étoile). D'autre part, et c'est le plus important, l'ambition ne se transforme jamais en prétention incontrôlée grâce au talent et à la sensibilité de Lukas Dhont et de son coscénariste Angelo Tijssens. Avec une maîtrise impressionnante, ils parviennent à aborder de nombreux sujets (le changement de sexe, le passage à l'âge adulte, la poursuite d'une passion (la danse)) tout en donnant naissance à des personnages secondaires qui ne se limitent pas aux rôles de simple faire-valoir, et tout en évitant de sombrer dans certaines facilités dans le traitement des relations avec le père / le voisin / les camarades de classe / les professeurs, etc. Dhont a tellement confiance en son sujet, en son personnage principal (interprété par le magnifique Victor Polster) et en ses qualités de cinéaste qu'il n'a pas besoin d'attirer artificiellement l'attention du spectateur avec de potentielles dérives mélodramatiques interpersonnelles qui se seraient vite transformées en écueils. Tant mieux pour nous!
Certes, le rebondissement final ne nous semble pas à la hauteur du reste… mais la dernière miniséquence de déambulation dans un couloir de métro, simple et belle comme son héroïne, nous la ferait presque oublier.

26 avril 2019

★★ | Continuer

★★ | Continuer

Réalisé par Joachim Lafosse | Dans les salles du Québec le 26 avril 2019 (Axia)
Septième long métrage du réalisateur Joachim Lafosse (À perdre la raison, L’économie du couple), Continuer nous entraîne dans le désert du Kirghizistan... et dans un long (et ennuyeux) périple qui, derrière ses ambitions louables, ne réussit jamais à convaincre.
Dans cette adaptation du roman éponyme de Laurent Mauvignier, on suit une mère et son fils (Virginie Efira et Kasey Mottet-Klein, très bien) dans une intrigue dont l’action se déroule en pays étranger. Il ne se passe pas grand-chose dans ce voyage obligatoire et imposé où le duo familial va se retrouver à la fois seule et devant l’autre. Lafosse propose un environnement étranger et hostile pour une quête de soi sous forme de huis clos en plein-air désertique. Les paysages et la photo sont beaux à contempler et le film se veut empreint de lyrisme, mais les qualités camouflent à peine un film didactique aux enjeux très minces.
En mère écorchée et courageuse, Virginie Efira confirme son talent de comédienne, mais on se lasse rapidement de cette intrigue léthargique et de ce lourd voyage qui paraît interminable malgré la courte durée du film (moins de 90 minutes). L’absence d’un solide filon dramatique empêche le film de prendre son envol et on peine à garder un semblant d’intérêt. L’émotion (ou son absence) entre la mère et son fils est presque reléguée aux oubliettes et on se lasse rapidement de cette intrigue remplie de silence et de non-dits, où la tension n’est jamais palpable.
C’est dans le journal intime que Sybille écrit pour son fils qu’on trouve les réponses, car le fossé entre les générations est trop grand pour rompre le silence par la parole. Au bout du compte, le film se résume et aboutit à une banale évidence: il faut continuer pour enfin mieux apprendre à vivre.

19 avril 2019

★★★ | Diamantino

★★★ | Diamantino

Réalisé par Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt | Dans les salles du Québec le 19 avril 2019 (MK2│Mile End)
Remarqué au dernier Festival de Cannes où il a reçu le Grand prix de la Semaine de la critique, Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt est une jolie curiosité, ce qu'annonçait déjà sa désopilante bande-annonce.
Il y a un peu de tout dans ce désinvolte film portugais: le foot comme opium qui détourne l'attention du peuple, l'illumination lorsque de «véritables» problèmes viennent frapper à la porte (la crise des réfugiés), des manipulations génétiques, une transgression des mœurs en place, etc. C'est à la fois une satire sociale, un pastiche des médias et une critique politique, parsemée d'hommages à James Bond, The Shining et Buñuel!
Après un début longuet où une vedette sportive perd sa touche magique et se retrouve la risée de son pays, la machine se met en route. C'est là qu'explosent des scènes bizarres, folles et originales. Tout peut arriver dans ce délire qui ne ressemble à rien d'autre et qui est constamment alimenté par une mise en scène inventive.
Évidemment, la coupe déborde avant la fin et le point de saturation est rapidement atteint. Terriblement naïf, le discours prend des tangentes plus moralisatrices vers la famille, se vautrant dans les clichés les plus éculés (avec clins d’œil au passage au cinéma de Terrence Malick). La charge glisse vers la série B volontaire, cocasse mais limitée.
Cela ne brime en rien le héros, un idiot attachant et sans malice incarné royalement par Carloto Cotta. Celui que l'on a pu voir dans les derniers opus de Miguel Gomes est délectable en représentant narcissique du genre humain. Son jeu caricatural s'agence d'ailleurs harmonieusement aux autres personnages qui possèdent tous une quête absurde.
En optant pour la démesure, Diamantino prend le parti d'un divertissement total, kitsch et sans inhibition, faisant de la triste réalité un spectacle où tout le monde est invité. Il y a pire comme proposition artistique!

12 avril 2019

★★★★ | Sunset (Napszállta)

★★★★ | Sunset (Napszállta)

Réalisé par László Nemes | Dans les salles du Québec le 12 avril 2019 (Métropole)
Avec son deuxième film, László Nemes se rapproche du procédé de mise en scène qu'il avait déjà utilisé pour Le fils de Saul, tout en l'adaptant parfaitement à son sujet. La caméra suit toujours son personnage principal, en l'isolant de ce qui l'entoure, mais de manière moins systématique et moins accentuée. Comme il était parvenu à le faire avec son premier film, le réalisateur trouve une nouvelle fois la distance juste pour permettre au spectateur de ressentir les choses plus que de les intellectualiser.
L'arrière-plan est plus distinct que celui du Fils de Saul, ce qui permet de comprendre l'environnement, l'époque (le début du XXe), l'opulence… mais aussi de ressentir progressivement ce petit côté «fin de siècle» qui va se traduire par la boucherie de la Première Guerre mondiale. Si celle-ci n'est évoquée qu'en toute fin de film, László Nemes nous y prépare en filmant la montée du mal et de la violence à sa manière: celle d'un cauchemar éveillé. Certes, la mise en scène devient oppressante à force de ne jamais donner de répit à son personnage principal, mais ce n'est pas tout: la progression narrative volontairement incertaine, presque labyrinthique, nous perd autant qu'elle nous fait avancer. La bande sonore, magnifique, contribue également à ce sentiment d'inquiétante étrangeté qui habite le film (mixage son impressionnant, avec une amplification parfaitement dosée et troublante de certains éléments, usage intelligent des musiques tour à tour intra et extra-diégétiques (les deux se chevauchant parfois, comme dans cette séquence remarquable d'un concert en plein air qui se transforme en tuerie), etc.).
Un film d'époque au scénario faussement confus, à la mise en scène qui n'est jamais loin du procédé, au mixage sonore irréel… Avec Sunset, László Nemes n'a pas peur de prendre des risques. Heureusement, sa maîtrise presque insolente lui permet de créer un cauchemar cinématographique qui accompagne parfaitement le cortège funéraire d'un XIXe siècle bientôt enseveli dans les tranchées putrides de la Grande Guerre!

11 avril 2019

★★ | Ville Neuve

★★ | Ville Neuve

Réalisé par Félix Dufour-Laperrière | Dans les salles du Québec le 12 avril 2019 (Funfilm Distribution)
Critique rédigée dans le cadre du festival de Venise 2018

Félix Dufour-Laperrière a déjà signé par le passé un long métrage documentaire (Transatlantique), mais c’est surtout avec le court métrage qu’il a montré le meilleur de son talent. Que ce soit par le biais des prises de vue réelles (le visuellement splendide Dynamique de la pénombre) ou de l’animation (sous différentes formes, mais citons par exemple Un, deux, trois, crépuscule), il a su montrer par le passé ses deux principales forces: un passionnant travail sur les formes (et la noirceur, très souvent) d’une part, et le soin apporté à ses bandes sonores d'autre part. Ces deux aspects étaient d’ailleurs probablement les plus réussis de Transatlantique, qui montrait de plus grandes faiblesses lorsque venait le temps de comprendre (et de faire parler) les individus. Ville Neuve confirme malheureusement cette impression. Le son y est soigné, certaines scènes sont visuellement très belles (surtout lorsqu’elles prennent des distances avec la représentation du réel), mais Dufour-Laperrière peine à développer ses thématiques ou à créer des personnages et des dialogues convaincants (à l’exception d’une belle scène dans laquelle un jeune homme décrit à sa compagne une scène d’Andreï Roublev).
Cette faiblesse compte malheureusement double pour ce film, en raison de la volonté du cinéaste de traiter aussi bien de l'individu (un couple a du mal à vivre ensemble) que du collectif, sur fond de souveraineté et de référendum (deux peuples ont du mal à vivre ensemble... ou: un peuple a du mal à rester uni, au choix). Certes, le cinéaste prend le parti de ne pas trop en dire sur chacun de ces deux thèmes finalement très proches, et donne judicieusement la place aux non-dits, mais il laisse aussi l’impression d’avoir le cul entre trois chaises (le collectif, l’intime et le travail formel), dont deux sont bancales (les deux premières), car mal maîtrisées au niveau de l'écriture.
Finalement, Ville Neuve est loin d’être sans intérêt, mais nous confirme le pressentiment ressenti au moment de la sortie de Transatlantique. Et si, en effet, Félix Dufour-Laperrière, était plutôt fait pour travailler sur les formes et les sons, sans trop se soucier de développement narratif, de dialogues ou des personnages?