4 octobre 2019

★★★★½ | Joker

★★★★½ | Joker

Réalisation: Todd Phillips | Dans les salles du Québec le 4 octobre 2019 (Warner)
Certains réalisateurs nous réservent parfois de belles surprises. Qui aurait pu en effet prédire que Todd Phillips, réalisateur de The Hangover et War Dogs (d’une qualité cependant supérieure à la moyenne de la production américaine), réaliserait un des meilleurs films de l’année 2019?
Pour arriver à cela, le réalisateur prend un univers dont commence à abuser la concurrence Marvel (les super-héros), utilise en apparence les mêmes recettes (on reprend les mêmes et on recommence en leur donnant un rôle plus important), assume certains codes du genre (et en particulier du sous-genre batmanien: le trauma lié à l'enfance), met de l’avant l’opposition entre les bons et les méchants (indirectement, c’est l’avènement du Joker qui est à l'origine de la naissance de Batman)… mais nous livre un film qui relève plus du drame social que du film de super-héros!
Pour réussir dans son entreprise périlleuse, il s’associe à Scott Silver à l'écriture et nous livre un scénario d'une maitrise absolue : tout y est parfaitement dosé: les origines du trauma, la description de l’arrière-plan socio-économique, les difficultés auxquelles le héros doit faire face (la misère, les inégalités, les humiliations, la bêtise des hommes).
Il ajoute à cela un acteur exceptionnel (Joaquin Phoenix), ici au top de sa forme, qui gère sa palette de jeu en dosant la folie, la peur, la souffrance et l’envie de son personnage de faire partie d’un monde qui le rejette.
Enfin, sa mise en scène parvient régulièrement, en des plans d’une grande richesse visuelle, à nous en dire autant sur un homme à la dérive (merci à Joaquin Phoenixpour son travail sur le corps) que sur une société qui l'est tout autant.
Finalement, par une alchimie parfaite, l’association de ses talents forme un film aussi anxiogène que douloureux... un film qui aborde avec justesse la souffrance d’un homme, mais aussi et surtout les ravages des inégalités et de l’exclusion (et de leurs conséquences). La multitude des sujets abordés confirme qu’il n’y a pas une seule explication qui pousse un homme à commettre l'irréparable, mais une multitude. Surtout, Philipps, avec un talent d’observateur rare, nous montre comment une société qui s’effrite peut devenir le terreau fertile à l'émergence du chaos. Lorsque plus rien ne va, l’acte désespéré d’un esprit fragile peut être vu par les opprimés comme le geste révolutionnaire d’un leader charismatique. Le constat de Phillips n’est pas nouveau, mais son film est par certains aspects si ancré dans notre époque qu’il en devient terrifiant.

3 octobre 2019

★★★★ | Kuessipan

★★★★ | Kuessipan

Réalisation : Myriam Verreault | Dans les salles du Québec le 4 octobre 2019 (Filmoption International)

Porté par l'interprétation sensible de ses comédiennes (Sharon Ishpatao Fontaine et Yamie Grégoire), le film de Myriam Verrault met en lumière la relation entre deux amies d'enfance qui sera confrontée à un nouvel amour. L'objet de cet amour (un Québécois) les forcera à remettre en question leur identité de jeunes autochtones ayant grandi dans une réserve. Adapté du roman du même nom de Naomie Fontaine, Kuesssipan parvient habilement à traiter d'un sujet intime (la question identitaire) tout en remettant en question diverses problématiques sociales et culturelles. Il s'agit plus ici d'un rapprochement des cultures que de jeter le blâme sur l'une ou sur l'autre.

Le récit qui aurait pu tomber aisément vers le mélodrame et le misérabilisme trouve son équilibre et nous démontre enfin que ce n'est pas parce qu'on vient d'un milieu moins favorisé que la vie n'est qu'une suite de larmes et de drames. Le film de Myriam Verreault n'évite pas les dures réalités qui sévissent dans les réserves, loin de là. Cependant, elle fait le pari de nous montrer des personnages résilients, forts (même dans les moments de faiblesse) et souvent très drôles. Kuessipan nous rappelle que ces recherches d'identité, d'appartenance et de dignité que vivent les personnages sont les mêmes que celles qui nous habitent.

Finalement, le film de Verreault nous démontre le pouvoir de la différence. C'est en acceptant cette différence en soi que l'on parvient pleinement à vivre en communauté.

27 septembre 2019

★★ | Vivre à 100 milles à l'heure

★★ | Vivre à 100 milles à l'heure

Réalisation: Louis Bélanger | Dans les salles du Québec le 27 septembre 2019 (Les Films Opale)
Le dernier film de Louis Bélanger est un film de pot(es).
Comme dans Les mauvaises herbes, le pot est en effet un moteur du récit... du moins au début. Un peu répétitif, mais pourquoi pas. Après tout, c'est maintenant légal au Canada, merci Justin, et c’est très bien comme ça (ou pas, chacun choisira!)
Mais Vivre à 100 milles à l'heure est aussi un film de potes... car d’adolescence, avec les amitiés qui vont avec (on le souhaite), plus ou moins durables, les chemins qui se séparent, les amis qu’on ne reconnait plus, etc. Et là, immanquablement, le petit «retour sur ma jeunesse, avec sa dose de nostalgie» ferait plutôt penser à la trilogie Trogienne. Ou plutôt: le début du dernier Bélanger semble prendre la même voie que 1981. Malheureusement, ça ne dure pas. Alors que Trogi prend son temps pour dépeindre un adolescent, un milieu, une époque, Bélanger respecte le cahier des charges affiché en gros à l'entrée des salles: Vivre à 100 milles à l'heure. Très vite, le film change de direction pour partir dans tous les sens et se perdre en même temps que le spectateur décroche. Trois acteurs, de trois âges, interprètent le personnage principal (il va site vite qu’il fait une trilogie en un seul film), et on a l’impression que chaque étape pourrait être le sujet d'un film, qui comporterait lui-même trop d'éléments qu'il n'arriverait pas à contenir. Du coup, à l'arrivée, il aborde plein de thèmes sans jamais trouver le bon angle, se perd avec trop de personnages dont il ne fait pas grand-chose, trop de sujets qui lui échappent ou qui l’écrasent, trop de genre (de la comédie ado au film de genre), trop de mauvais choix de mise en scène (la fusillade finale... ouch!).
Alors, comme il a malgré tout du métier, l’ensemble se laisse voir si l’on n’est pas trop exigeant... Mais nous sommes loin des Mauvaises herbes. Quant à Gaz bar blues, n’en parlons pas!

20 septembre 2019

★★★½ | Ad Astra (Vers les étoiles)

★★★½ | Ad Astra (Vers les étoiles)

Réalisation: James Gray | Dans les salles du Québec le 20 septembre 2019 (20th Century Fox)
Il n’y a pas si longtemps, James Gray se focalisait sur le New-York de la fin du XXe siècle / début du XXIe. Avec The immigrant, il a osé un saut dans le temps. Puis, avec The Lost City of Z., il nous a entrainé dans l’Amazonie de 1906.
Aujourd’hui, il nous propulse dans le futur et vers les étoiles. Pourtant, il reste fidèle à son thème de prédilection (la famille) et à ce qui a toujours fait sa force: un cinéma de l’intime (parfois malgré les apparences), et une capacité impressionnante à donner vie à des personnages. Car malgré son sujet, ce qui est important ici n’est pas le voyage spatial, mais le héros (et sa quête : la recherche du père). Il y a bien quelques scènes d’action (parfois d’une grande efficacité) et une bande-son très spatiale, mais l’ensemble reste toujours plus attaché à l’intime qu’à la démesure (à ce titre, la musique de Max Richter est remarquable). Surtout, l’humain reste au centre du film... et il est particulièrement bien servi en la personne de Brad Pitt, au jeu très sobre, très juste, et au visage presque immuable. La délicatesse de Gray et l’intelligence de jeu de Pitt (à des années lumière de son récent cabotinage tarantinesque) permettent au personnage principal d’exprimer ses doutes, ses espoirs, ses meurtrissures du passé, avec un nombre réduit de mots et un développement scénaristique d’un minimalisme particulièrement fécond.
C’est d’ailleurs paradoxalement cette force qui se transforme en faiblesse. Après nous avoir convaincu de l’efficacité de sa démarche, Gray vient affaiblir son propre film en le prenant à contre-pieds avec une conclusion qui se fait plus explicative.
Sans ce faux pas qui laisse un goût amer, Ad Astra aurait probablement été bien supérieur ! S’il n’est pas le chef-d’œuvre de son auteur, le film n’en demeure pas moins d’une grande qualité et nous confirme l’exploit incroyable qu’est en train d’accomplir James Gray: depuis ses débuts en 1994, il n’a toujours pas fait le moindre film raté, voire médiocre, y compris lorsqu’il sort (du moins en apparence) de sa zone de confort.

13 septembre 2019

★★★ | Il pleuvait des oiseaux

★★★ | Il pleuvait des oiseaux

Réalisation: Louise Archambault | Dans les salles du Québec le 13 septembre 2019 (MK2 | Mile End)
Six ans après Gabrielle, Louise Archambault nous revient avec un nouveau film qui partage avec le précédent certaines qualités.
La première est l'intérêt de la cinéaste pour les histoires d'amour qui sortent des sentiers battus. Après le handicap mental, Archambault place ici la vieillesse au cœur de son récit (adapté du livre de Jocelyne Saucier, XYZ éditeur). Elle n’est certes pas la première à le faire (souvenons-nous de La casa del sorriso, Marco Ferreri, 1991), mais elle fait partie des cinéastes qui osent montrer que l’amour passe (à tout âge) aussi par le désir charnel, ici très sensuel. Elle réussit parfaitement à montrer un amour naissant, la montée du désir, et nous livre une scène très belle (et plutôt crue) qui ose représenter des corps vieux et fripés pour faire l’éloge de la peau, des caresses, de la sensualité. Cette première qualité est d'ailleurs indissociable de la seconde: la sensibilité d’Archambault, son amour / respect pour ses personnages, sa capacité à les faire vivre et exister sous nos yeux.
Malheureusement, le film n’est toutefois pas sans faiblesses, souvent liées aux personnages de la photographe et du gérant de l’hôtel (Ève Landry et Éric Robidoux, cependant tous les deux irréprochables) dont les rôles trop fonctionnels de moteur du récit viennent un peu atténuer la force des qualités évoquées plus haut.
Quoi qu’il en soit, cette faiblesse d’écriture ne nous empêchera pas de conseiller le visionnement de ce film réalisé par une cinéaste qui, décidément, ose bouleverser les habitudes du spectateur sans sombrer dans la provocation facile... et qui parvient à trouver les images justes pour affirmer qu'il n'est jamais trop tard pour choisir une nouvelle vie!