26 mars 2021

★★★ | Antoinette dans les Cévennes

★★★ | Antoinette dans les Cévennes

Réalisation : Caroline Vignal | Dans les salles du Québec le 26 mars 2021 (Axia films)

Labélisée Cannes 2020, la comédie réalisée par Anne Vignal relève à la fois de l’anti-comédie romantique, du récit initiatique, et de l’hommage (un peu trop insistant) au Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson.
Mais l’ambition du film réside surtout dans son apparente absence d’action et d’enjeu dramatique, la majorité du film consistant à filmer l’excellente Laure Calamy (Ava, Dix pour cent, Mademoiselle de Joncquières) en conversation avec un âne dans les beaux paysages des Cévennes. Il fallait oser faire une comédie susceptible d’intéresser le public avec si peu! Ce fut pourtant le cas comme en témoignent les 700 000 spectateurs attirés par le film en France, malgré (ou peut-être grâce à) la pandémie que nous connaissons actuellement. Pour y parvenir, Vignal a su parfaitement doser son scénario en exploitant un prétexte / fil conducteur (la relation avec l’amant) et en y ajoutant une belle galerie de personnages secondaires (les rencontres de hasard), des éléments de comédie bien dosés (aidés par le sens comique de Calamy), la petite touche initiatique très stevensonienne… et un premier rôle masculin très original (même si, en réalité, deux ânes se partagent le rôle de Patrick).
Soyons cependant honnêtes : même si l’ambition est louable, et si les longueurs sont totalement assumées (car indispensables d’un point de vue narratif), ces dernières ne sont pas sans poser quelques problèmes de rythme malgré le savant dosage dont fait preuve la scénariste/cinéaste et la parfaite osmose entre Calamy, son âne et les paysages cévenols! Fort heureusement, dans le dernier quart d’heure (à la fin du périple d’Antoinette), nous recevons comme elle les bénéfices de son voyage introspectif. Sa liberté retrouvée est belle à voir, comme ce personnage d’Antoinette, enfin libérée d’un poids dont elle ignorait l’existence avant son improbable rencontre avec un âne, un été, dans les Cévennes!

19 mars 2021

★★★½ | The Father (Le père)

★★★½ | The Father (Le père)

Réalisation: Florian Zeller | Dans les salles du Québec le 19 mars 2021 (Entract)
Déjà adapté en film par Philippe Le Guay sous le titre Floride, la réputée pièce The Father reçoit un nouveau traitement cinématographique, cette fois par son propre auteur Florian Zeller.
Anthony Hopkins succède au regretté Jean Rochefort et il porte le long métrage sur ses épaules. En homme atteint de démence, le grand acteur livre une performance phénoménale, une de ses plus éclatantes en carrière. Il ne fait qu'un avec ce vieil homme perdu qui tente d'éclairer ce qui devient soudainement ténébreux et le comédien s'investit corps et âme, séance de claquettes comprise.
Afin d'exprimer son état psychologique, Zeller et son coscénariste Christopher Hampton multiplient les fines joutes verbales, superposant allègrement passé et présent comme pouvait le faire Harold Pinter. Le héros perdu ne veut pas quitter son appartement et ce lieu devient la métaphore de ses souvenirs et de ses perceptions. Face à ce qui lui arrive, le cinéphile devra toujours réévaluer ce qu'il voit et entend afin de séparer le vrai du faux, le réel de la chimère, l'hallucination du rêve et du cauchemar. Par exemple, des personnages sont campés par deux interprètes différents (bonjour l'hommage à Bunuel!), rappelant comment la mémoire est loin d'être infaillible.
Ce dispositif des plus intrigants a toutefois tendance à laisser le spectateur en retrait. Ce dernier sera ébahi par l'exercice intellectuel tout en gardant ses distances, ne s'impliquant que tardivement. La réalisation théâtrale peut expliquer ce sentiment, même si Zeller l'agrémente de trouvailles heureuses, utilisant notamment le champ-contrechamp afin d'isoler Hopkins dans sa solitude. Mais lorsque son personnage se trouve en état de détresse et que la musique de Ludovico Einaudi se déclenche, il est plutôt difficile de demeurer indifférent.
Impossible de prévoir le sort que lui accordera l'Académie, alors que The Father a reçu six nominations aux Oscars, dont celle du meilleur film. Hopkins a ses chances, évidemment, tout comme Olivia Colman qui s'avère extrêmement touchante en progéniture dépassée par les événements. Peut-être trop campée dans l'esbroufe cérébrale, l'œuvre ne fait pas toujours le poids face à la compétition, d’autant plus qu'elle arrive après le magistral Amour de Michael Haneke. Malgré tout, le premier long métrage de Florian Zeller se révèle plus que recommandable, seulement pour l'immense brio de sa tête d'affiche.

12 mars 2021

★★★½ | La nuit des rois

★★★½ | La nuit des rois

Réalisation : Philippe Lacôte | Dans les salles du Québec le 12 mars 2021 (Axia films)
C’est dans un univers entre la réalité du milieu carcéral et les contes et légendes liés aux traditions ancestrales que le réalisateur Philippe Lacôte ancre son second long-métrage. Dans une prison d’Abidjan en Côte d’Ivoire, un monde sera détruit et rebâti durant une nuit de pleine lune rouge.
Avant la tombée du jour, un jeune homme fait son entrée dans l’endroit hostile. Il sera vite pris à partie par le grand chef qui le rebaptisera Roman. Malgré les dangers environnants, Roman devra raconter son histoire toute la nuit. Tous les prisonniers s’attroupent autour de lui. L’histoire va commencer.
Les mots et le langage libèrent. C’est à travers la parole que Roman s’évade de sa tragique réalité. De ce fait, la structure narrative du film est complètement en phase avec les habiletés de conteur du protagoniste. Il le dira d’entrée de jeu. Il ne sait pas raconter. Il en résulte un récit qui fait fi des structures narratives classiques. L’histoire racontée ne sera pas linéaire.
Roman fait des allers et retours dans le temps. On comprend graduellement que l’histoire de la légende qu’il tente de raconter se mêle à la sienne. Finalement, tout ceci a peu d’importance, car ce manque de cohérence dans la manière de conter cette histoire est l’une des plus grandes forces du film. Comme spectateur, on se laisse simplement porter par la parole et par les images qui nous dévoilent un splendide territoire et des personnages héroïques. Tout comme les prisonniers qui réagissent vivement à chaque mouvement narratif, on devient investi autant par le récit morcelé que par le sort de Roman. Parviendra-t-il à survivre à la nuit ?
Aidé d’un scénario lyrique, d’une solide distribution d’acteurs, d’une direction de la photographie soignée et d’un montage sensible, Philippe Lacôte livre un film singulier qui nous rappelle qu’au bout de chaque nuit, le jour se lève.

4 mars 2021

★★½ | My Salinger Year (Mon année Salinger)

★★½ | My Salinger Year (Mon année Salinger)

Réalisation: Philippe Falardeau | Disponible au Québec en VSD et en salle le 5mars 2021 (Metropole):

Quatre ans après Chuck, le québécois Philippe Falardeau tourne un second drame biographique d’affilée avec My Salinger Year. En adaptant le récit autobiographique de la journaliste indépendante, poète, critique et romancière américaine Joanna Smith Rakoff, Falardeau délaisse les gants de boxe pour la machine à écrire.
On reconnaît la facture de Falardeau dans sa façon un peu pédagogique d’aborder son sujet et les relations de pouvoir et de hiérarchie mises en place. Mais ce qui agace un brin dans cette plongée dans le milieu littéraire est sa formule empruntée à The Devil Wears Prada de David Frankel et cette douceur générale (appuyée par la musique de Martin Léon) qui se dégage, de telle sorte qu’on demeure toujours en surface. Un peu plus de profondeur n’aurait pas nui à l’ensemble, mais on arrive toutefois à saisir les enjeux éthiques de cette agence littéraire prestigieuse déphasée et le fossé générationnel qui sépare notre jeune aspirante écrivaine de la hiérarchie existante. En revanche, la relation amoureuse entre Joanna et son copain est somme toute assez banale alors que le récit d’apprentissage et le cheminement qui s’ensuit le sont encore plus. Ainsi, les embûches qui se dressent sur son chemin forcent notre jeune héroïne à se remettre en question sur son avenir et faire preuve d’audace.
Ceci étant dit, la reconstitution modeste mais efficace du New York du milieu des années 1990 et la lumière de Sara Mishara (La grande noirceur, Tu dors Nicole) sont au diapason avec la mise en scène assurée. Dans le rôle principal, la vedette montante Margaret Qualley est attachante avec son mélange de candeur et de détermination alors qu’à ses côtés Sigourney Weaver excelle dans un rôle toutefois plus stéréotypé de la directrice de l’agence laissant transpirer ses émotions au fil de l’intrigue. Malgré les maladresses, My Salinger Year reste un film agréable qui se veut une ode à la littérature et à la création.

26 février 2021

★★★★ | Minari

★★★★ | Minari

Réalisation : Lee Isaac Chung | Disponible au Québec en VSD et en salle le 26 février 2021 (Entract Films)
Minari, film américain tourné principalement en coréen, profite de la réouverture des cinémas du Québec pour faire son apparition dans nos salles (et en ligne) à quelques jours de la prochaine cérémonie des Golden Globes, où il est finaliste dans la catégorie meilleur film en langue étrangère.
Le film met en scène une famille d’immigrants coréens qui décident de démarrer une ferme dans l’Arkansas dans les années 80. Si on ajoute à ce point de départ d’autres éléments abordés dès le début du film (la maladie du cœur du jeune fils, l’arrivée prochaine de la grand-mère qui vivait en Corée, les difficultés pour entreprendre avec un apport financier limité, les tensions dans le couple), on obtient de nombreux éléments qui auraient facilement pu faire basculer Minari vers le drame familial digne d’un mauvais téléfilm d’une autre époque. Fort heureusement, l’écriture du scénario est d’une délicatesse et d’une intelligence rares. En moins de 2 heures, Lee Isaac Chung, traite judicieusement a minima les sujets attendus en évitant les passages obligés, distille quelques éléments dramatiques moins prévisibles avec subtilité et enchaine le tout sans avoir recours au moindre effet. Cette absence d’effets, associé à un sens de l’observation impressionnant (une scène suffit à nous faire comprendre un enjeu sur lequel il n’est pas utile de revenir par la suite) permet au cinéaste de nous en dire finalement bien plus sur le déracinement et le rêve américain que bien d’autres films qui se voudraient plus éloquents.
La mise en scène et la direction d’acteurs sont à l’avenant et finissent par conférer au film une modestie qui pourrait déstabiliser. Mais c’est justement la force de Minari. C’est cette modestie qui rend ces personnages beaux et attachants et qui nous aide à comprendre leurs craintes, leurs espoirs, leurs motivations et leurs doutes plus ou moins étouffés, mais d’autant plus touchants qu’il n'en est jamais fait étalage.
Minari, ou l’art (pas si fréquent dans le cinéma américain) de la simplicité, est une des très belles surprises cinéphiles de cette année si particulière!
★★★★ | Chers camarades! / Dear Comrades (Дорогие товарищи)

★★★★ | Chers camarades! / Dear Comrades (Дорогие товарищи)

Réalisation : Andreï Konchalovski | Disponible au Québec en VSD et en salle le 26 février 2021 (EyeSteelFilm)

Le cinéma russe ne cesse de puiser à même son histoire afin d'exposer les failles d'un système austère et gangrené. Ce fut le cas récemment de l'hallucinant Leto de Kirill Serebrennikov, du puissant Conference d'Ivan Tverdovsky et maintenant de l'excellent Chers camarades! de l'expérimenté Andreï Konchalovski, récompensé à la Mostra de Venise et qui pourrait très bien se retrouver aux Oscars.
Se déroulant à l'été 1962 dans une ville de l'URSS, le récit plonge dans le quotidien d'une bureaucrate prête à vilipender tout sentiment anticommuniste. Elle finit toutefois par désenchanter lorsqu'une séance de protestation tourne au massacre et que sa propre fille disparaît dans la foulée...
C'est la fin des illusions pour l'héroïne, incarnée royalement par la sublime et impériale Julia Vysotskaya, dont le personnage fait d'abord l'effet d'une mégère avant d'être confirmé comme victime. Manipulée à l'image de ses semblables par un système implacable, elle est en perpétuelle quête de liberté. Mais cela paraît impossible tant les mains invisibles se dressent pour l'arrêter et l'attraper. L'absurdité règne et si elle n'est pas aussi caustique que dans The Death of Stalin, un certain humour noir en émane... jusqu'au moment où la tragédie sonne.
S'attendre alors à une variation du chef-d'œuvre La grève d'Eisenstein serait bien mal connaître le cinéaste à la feuille de route complétement imprévisible, qui a écrit les scénarios des premières fresques d'Andreï Tarkovski et dirigé Sylvester Stallone! À 83 ans, Konchalovski adhère plutôt au calme méthodique, faisant beaucoup avec un budget limité. Sa mise en scène quelque peu statique se veut réfléchie et minutieuse, alors que ses exposés rhétoriques demeurent empreints de considérations morales et, ultimement, émotionnelles.
Sur une belle lancée depuis Les nuits blanches du facteur, le réalisateur tranche avec le côté âpre de son précédent Michel-Ange en renouant avec une superbe photographie en noir et blanc déjà exploitée dans Paradise. Mais son utilisation est ici beaucoup plus ingénieuse. Le cinéphile assiste à un combat permanent entre l'ombre et la lumière, cette dernière tentant de lever le voile opaque du silence et des mensonges. Puis il y a l'élaboration du cadre de l'image, plus serré que d'habitude, qui semble continuellement étouffer les êtres et même aspirer leur âme.
À l'image de Dostoïevski avec le bagne et de Soljenitsyne avec les goulags, Konchalovski tente avec ce qui est l'un de ses plus grands opus en carrière de faire œuvre utile en révélant ce qui fut longtemps tût. Porté par son titre ironique, Chers camarades! devient ainsi un important effort de mémoire qui éclaire autant hier qu'aujourd'hui et qui rappelle que le septième art russe est en pleine vitalité, entre la vision de ses maîtres (Sokourov, Zvyagintsev) et celle d'élèves ultra doués qui proposent des œuvres fortes comme Beanpole et DAU. Natasha.