15 avril 2012

Entrevue avec Kim Nguyen (réalisateur de Rebelle)

Nous avons eu le plaisir de rencontrer Kim Nguyen à l’occasion de la sortie prochaine de son film Rebelle (lire notre critique), récemment revenu du prestigieux festival de Berlin auréolé d’un Ours d’argent de la meilleure actrice remis à la jeune Rachel Mwanza.

Tous vos films sont graphiquement très soignés… à tel point que je me demandais en regardant Rebelle si son origine vient de l’envie de raconter une histoire ou de l’envie de filmer un lieu ou des gens?
Ça part toujours d’une histoire je pense… oui! Mais effectivement, je crois que pour La cité il y a un esthétisme qui nous a peut-être éloignés de l’histoire, paradoxalement. C’est une prise de conscience qui m’a amené à casser le moule à certains égards pour Rebelle. C’est paradoxal, mais il est vrai qu’une fois le scénario de Rebelle écrit, en voulant raconter l’histoire, j’ai décidé de moins m’attacher à la trame narrative et d’être dans le moment présent dans chaque scène, et d’être là sans me préoccuper nécessairement de ce qui s’en vient, de ce qu’il y avait avant… de juste chercher à être authentique dans le moment présent, tout en cherchant des éléments de contraste qui permettent de raconter une autre histoire, de créer des sous-textes dans le film. Donc, c’est en partie vrai, effectivement, que dans ce film ci, il y avait une envie de capturer des moments, de lancer des atomes libres l’un face à l’autre et de voir ce qui se passe. Il y a presque un côté physicien à la démarche.

Et d’où vient l’envie de raconter cette histoire?
Initialement, cela vient d’un enfant soldat du nom de John Htoo, un enfant birman, qui s’est réveillé un jour en disant « Je suis la réincarnation de Dieu. Suivez mes enseignements et vous ne mourrez pas. » Il a guidé une centaine de soldats enfants et adultes contre l’armée du gouvernement. J’ai trouvé cette histoire dramatiquement très forte, et de fil en aiguille, en faisant de la recherche sur les enfants soldats, j’ai trouvé qu’il y avait une histoire à raconter, qu’il était important de raconter. J’en suis arrivé à cette jeune fille africaine qui passe à travers la vie, et qui connait à la fois l’amour et la guerre. Je pense que dans Rebelle, il y a à la fois de l’ombre et de la lumière. C’est quelque chose que l’on a essayé de capturer.

Je reviens un peu sur les origines… vous parliez de cet enfant birman… pourquoi avoir décidé de partir pour l’Afrique?
Très bonne question… Au fil des recherches, je me suis dirigé un peu vers l’Angola, la Sierra Leone… et la réalité des femmes enfants soldats était beaucoup plus présente en Afrique qu’en Birmanie. De plus, la réalité des enfants soldats est plus foisonnante en Afrique sub-saharienne, il n’y en a pas qu’un type. Mais je ne voulais pas que ça soit un film sur les enfants soldats. C’est un film sur cette enfant enlevée par les rebelles, mais elle a sa vie de tous les jours, elle tombe en amour, elle revient dans son village, etc.

Je reviens à l’Afrique… vous connaissiez l’univers de l’Afrique noire, la sorcellerie omniprésente?
À travers mes recherches…

Mais c’est au fur et à mesure de vos recherches que vous…
Oui… Ça fait une dizaine d’années que le projet est en gestation. Mais c’est effectivement une réalité qui m’a été révélée au fur et à mesure de mes recherches. De fil en aiguille, j’ai rencontré des ex enfants soldats… et c’est là que de nombreuses idées ironiques m’ont été suggérées, comme le coq blanc.

Le cinéma est quasiment inexistant en RDC. Le film de Djo Tunda wa Munga, Viva Riva (lire notre article, ndlr), a été le premier film réalisé là-bas depuis plus de vingt ans! Donc à priori, il n’y avait pas beaucoup de techniciens sur place. Pourquoi ce choix? Il y a des endroits en Afrique noire où le cinéma est plus développé tout de même!
Effectivement, mon collègue Pierre Magny (1er assistant à la réalisation, ndlr) avait déjà tourné au Congo sur le film de Djo Tunda wa Munga. Nous y sommes allés, ainsi qu’au Cameroun et au Kenya, mais pas en Afrique du Sud, car c’était trop dispendieux. Mais c’était flagrant. Premièrement, au Congo, tout le monde est un acteur. Et de plus en plus, je suis prêt à tout sacrifier pour l’authenticité du jeu. (…) D’après moi, on n’a pas de film si on n’a pas de jeu authentique! Il s’est avéré que même si le Kenya était plus fort techniquement, au Congo, les gens ont des âmes d’artistes. Il y a beaucoup de littérature, beaucoup d’artistes peintres… l’art y est omniprésent, et tout le monde est un acteur, comme au Brésil. Les gens sont capable d’improviser… j’ai été impressionné durant les auditions. (…) De plus Kinshasa est paradoxalement une ville esthétiquement d’avant-garde car elle s’approprie les matériaux recyclés ou rejetés de la société moderne et elle en fait quelque chose de nouveau. Je dis que c’est d’avant-garde car ça anticipe peut-être ce qui va se passer dans un futur à plus ou moins long terme, où notre société va réingérer les produits de la publicité, tous ces matériaux, tous ces plastiques, et va par besoin s’en servir d’une autre façon. Mais les symboles vont peut-être rester, comme dans cette maison sur pilotis où les murs sont faits de « pourunmondemeilleur.com »… sur place, c’est extraordinaire. Un artiste contemporain ne pourrait pas faire une meilleure installation que ce qu’on à vu sur place.

Et ça, vous ne l’avez pas revu dans les autres endroits où vous êtes allé en Afrique?
Nulle part… franchement, non! Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que le Kinshasa est vraiment un chaos organisé, une désorganisation totale qui force la résilience humaine à se débrouiller. Alors qu’il y a une meilleure organisation au Cameroun… nettement meilleure. Et au Kenya, c’est autre chose. Les infrastructures sont bien meilleures!

Pouvez-vous dire un petit mot sur Rachel Mwanza (Ours d’argent de la meilleure actrice à Berlin, ndlr). Comment l’avez-vous trouvée?
Un docu-fiction réalisé il y a un an ou deux avait fait des auditions pour trouver des « shégés », des enfants de la rue. Ils avaient rencontré 3000 shégés, et ils avaient identifié Rachel. Donc, nous avons bénéficié de ça, et il s’est avéré que personne n’arrivait près de Rachel pour son authenticité. Une chance, car en arrivant sur place en RDC, ma plus grande crainte était de ne pas trouver la Komona du film. Il n’y aurait pas eu de film sans elle. (…)

J’ai vu dans le dossier de presse qu’il s’agit d’un drame poétique… le terme vient de vous?
Nous, ce n’est pas moi… mais j’aime bien!

Ça me donne envie de vous donner mon point de vue. J’ai beaucoup lu que Rebelle est un film très réaliste. Pour moi, nous sommes dans des petites bulles de réalités temporelles…
Oui... oui… oui…

Mais nous ne sommes pas dans la réalité de la violence…
Je suis d’accord! C’est vrai que ce n’est pas un film réaliste, et ce n’est pas un film objectif. C’est un film très biaisé. C’est le point de vue de Komona. L’intention du film, c’est d’essayer de faire vivre au spectateur l’émotion et l’état d’un enfant soldat. Comment pourrais-je faire comprendre émotivement l’acte de tuer, qui est acceptable pour l’inconscient de ces enfants soldats. J’ai trouvé le mécanisme de transformer les victimes en fantômes plutôt qu’en corps ensanglantés. D’après mes lectures, c’est ce qui se rapprochait le plus du voile pudique créé par la drogue et la superstition. Je trouvais que c’était la meilleure solution pour amener le spectateur à l’émotion de ce que l’enfant-soldat vit. C’était le mieux pour le représenter visuellement et de façon sonore. Quand je dis « pas objectif », c’est parce que tout est biaisé selon sa vision.

C’est une sorte de réalité subjective en fait…
Exactement!

Je sais que beaucoup de spectateurs n’aiment pas voir des films sur des sujets durs. Votre approche n’est-elle pas aussi un moyen de faire venir plus facilement ces spectateurs à un sujet extrêmement difficile et de le rendre plus…
Acceptable…

Oui… vous avez pensé à ça?
Ce qui est terrible, c’est qu’en masquant la violence, elle devient plus terrible encore! De ne pas voir les choses, cela peut les rendre pires qu’en les voyant de manière très graphique. Mais effectivement, c’est extrêmement pudique par rapport à la violence, parce que ce n’est pas nécessaire.

Mais… il y a une chose que j’ai du mal à comprendre dans le film…
Tant mieux!

Mais c’est une chose qui est plutôt négative…
Pas de problème!

Nous parlons de cette réalité subjective… mais ce qui me pose un problème, c’est la voix off. Elle est magnifique, le texte est magnifique, l’accent est magnifique… mais l’actrice qui fait la narration (qui n’est pas Rachel Mwanza, ndlr) parle français, alors que le personnage (à qui est censé appartenir cette voix off, ndlr) parle et pense en Lingala! Pourquoi ne pas avoir choisi une voix qui est dans la langue du personnage?
Si vous êtes dans la tête de la personne, en théorie, vous n’avez pas de barrière de langue, donc vous allez comprendre comme une communication directe. Je ne voulais pas d’accent trop prononcé par exemple… quand on écoute l’âme d’une personne, il n’y a pas de masque… c’est un peu ça! (…)

OK… on n’entend pas la fille qui parle…
Mais son âme… c’est la voix de l’âme…

C’est une sorte de télépathie…
Exactement… (rire)

Le temps presse… je vais quitter le film pour la dernière question! Vous nous avez emmenés un peu partout dans le monde avec vos films. En Europe avec votre premier film, en Afrique du Nord, en Afrique Noire, dans un Montréal particulier… votre nom est à consonance vietnamienne…
Mon père est vietnamien…

Mais vous n’avez jamais tourné en Asie… ça vous…
J’ai déjà fait un court métrage sur la réalité du Vietnam contemporain. Le film a ses forces et ses faiblesses. Il est trop naïf par rapport à la possibilité de réconciliation. Je crois que j’ai présenté une réconciliation trop facile. De plus, je me suis rendu compte que ça serait trop difficile de faire un film sur le Vietnam. Je serai automatiquement jugé… soit trop pour le Nord, soit trop pour le Sud. (…) C’est une immense boîte de Pandore de faire un film sur le Vietnam. Je n’ai pas appris la langue, je suis né à l’extérieur…

Pour vous, c’est paradoxalement plus facile de faire un film sur l’Afrique que sur le Vietnam?
Oui oui oui oui oui oui!!! Absolument!
Entrevue réalisée par Jean-Marie Lanlo à Montréal le 4 avril 2012
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