16 novembre 2018

★★★ | Widows (Veuves)

★★★ | Widows (Veuves)

Réalisé par Steve McQueen | Dans les salles du Québec le 16 novembre 2018 (20th Century Fox)

Le quatrième film du réalisateur Steve McQueen (Shame, 12 Years a Slave), nous plonge dans un univers de corruption politique et de crime organisé. Le scénario habilement construit dévoile une histoire de vengeance des plus jouissives. Le spectateur suivra un groupe de femmes réuni par des événements tragiques. Forcées de commettre un vol, elles élaboreront un plan afin de réussir leur coup. Si certaines comparaisons peuvent être faites avec le récent Ocean 8 (Gary Ross), Widows accorde un peu plus d’importance aux circonstances sociales et économiques qui mènent ses personnages à une vie de crime.
Une mise en scène solide nous révèle un thriller captivant. Attentif à chaque moment, le spectateur n’aura qu’une envie, celle de la réussite de ces quatre femmes. Est-ce parce qu’elles nous sont présentées en victimes au tout début du film ? Abusées et trahies par les hommes autour d’elles ? L’une des évidences du film tient en ce que les personnages masculins (pour la majorité) sont rapidement présentés comme des menteurs, abuseurs, amoureux du pouvoir, manipulateurs ou violents. Pourtant, plus on avance dans le récit, plus le réalisateur parvient à équilibrer et à nuancer notre perception des personnages (autant celle des hommes que celles des femmes). La distribution hors pair contribue énormément à projeter la dualité humaine.
Au final, ce grand coup qui réglera tous les problèmes de nos protagonistes devient un prétexte pour le réalisateur qui aborde finement des enjeux personnels et sociaux qui secouent encore notre époque. Malgré quelques écarts vers la fin (notamment une révélation qu’on aurait aimée plus nuancée), Widows demeure une œuvre tout aussi frappante que divertissante.

15 novembre 2018

★★★ | L'amour

★★★ | L'amour

Réalisé par Marc Bisaillon | Dans les salles du Québec le 16 novembre 2018 (Filmoption International)
Marc Bisaillon conclut sa trilogie sur le silence coupable avec L'amour, où il s'inspire d'un nouveau fait divers qui a ébranlé le pays: celle d'un jeune homme habitant le Québec qui s'est mis dans le pétrin en visitant son père aux États-Unis.
Si l'histoire est connue et que la «révélation» se devine aisément, le cinéaste emprunte néanmoins le chemin du suspense, brouillant constamment les pistes, jouant avec les attentes du cinéphile. Une décision courageuse qui se retourne parfois contre lui, car son film, trop court, aurait sans doute eu plus de portée sous le volet du drame psychologique. Ainsi la riche matière première du scénario (ce passé qui détruit, l'effet de la violence, la fascination pour les armes à feu) ne peut qu'étouffer au passage et n'être traitée qu'en partie.
Cette façon de compliquer ce qui aurait pu être si simple se fait également ressentir sur le plan de la réalisation, qui regorge d'ellipses et de sauts dans le passé. Sans doute que ce procédé existe pour étayer la confusion des protagonistes face à ce qu'ils doivent vivre, mais il risque seulement de désorienter un spectateur moins attentif aux détails et aux subtilités de la mise en scène. On note tout de même une excellente utilisation du montage parallèle, où la suggestion précède généralement l'explication. Au sein d'un récit émouvant qui ne peut qu'ébranler les certitudes en place, les scènes les plus déchirantes s'avèrent les plus réussies. C'est là que Bisaillon maîtrise son art, sachant constamment comment soutirer le meilleur des situations, parfois à l'aide d'une image forte ou d'une mélodie appropriée. Le chemin est toutefois plus sinueux lors des moments transitoires, d'une intensité relâchée, parfois court-circuité par des dialogues moins porteurs (ou qui sonnent un peu faux) ou une interprétation inégale d'un personnage secondaire.
Rien à dire cependant des premiers rôles. Pierre-Luc Lafontaine a rarement déçu au cinéma et il livre une autre prestation intériorisée en antihéros qui cherche une façon d'expulser son malaise. Face à lui se dresse un Paul Doucet plus touchant que jamais, dont l'habileté de passer de la séduction à la répulsion suscite l'effroi. Seule Fanny Mallette semble un peu coincée à l'écran. Il faut avouer que la construction de l'intrigue lui permet difficilement de briller, si ce n'est à la fin, où elle est particulièrement bouleversante.
Meilleur que La lâcheté mais moins marquant que La vérité dans la filmographie de son auteur, L'amour demeure une oeuvre en pleine ébullition, imparfaite mais sincère, d'un cinéaste qui se fait décidément bien trop rare.

9 novembre 2018

★★★ | Nos batailles

★★★ | Nos batailles

Réalisé par Guillaume Senez | Dans les salles du Québec le 9 novembre 2018 (Axia)
Olivier, interprété par Romain Duris, doit recomposer avec ses responsabilités au sein du syndicat de sa compagnie alors que sa conjointe s’enfuit, le laissant avec seul avec leurs deux enfants, sans avertir. Nos batailles, deuxième long de Guillaume Senez, s’établit comme film social mais trouve son identité dans l’intersection entre celui-ci et le drame familial.
La forme est typique : cadrages simples et montage invisible qui contribuent à laisser tout l’espace aux acteurs et à leur improvisation. Le film entend explorer comment l’exploitation de la classe moyenne devient un facteur dominant dans l’érosion de la cellule familiale. L’approche n’est certainement pas nouvelle, mais Senez en fait le cœur de son œuvre.
Sa démarche n’est toutefois pas sans défaut. La mère rapidement écartée du récit, le conflit familial n’est évoqué que dans les non-dits. La retenue est bienvenue, mais Romain Duris est alors laissé avec le beau rôle. En père surpassé, qui trouve le moyen d’être misérable et honorable d’un même geste, les échecs du personnage ne sont présentés que pour mettre l’emphase sur la difficulté de sa situation. Il ne semble exister que pour le conflit entre son travail et sa famille, et si la performance de l’acteur n’est pas en faute, Senez empêche le personnage d’atteindre sa pleine profondeur en le limitant à son épreuve.
Senez n’est pas parfaitement transparent dans sa façon de montrer les enfants à l’écran. Il réussit à sortir des performances crédibles des deux jeunes acteurs, ce qui est déjà un accomplissement considérable, mais plusieurs de leurs interactions forcent l’affect. Certaines scènes ont un aspect voyeuriste, le cinéaste cherchant à tout prix à provoquer chez le spectateur un sentiment d’empathie pour cette famille engluée dans une situation insoutenable.
Malgré toutes ses fautes, Nos batailles réussit à communiquer avec puissance comment la précarité d’emploi a des effets ravageurs sur la vie personnelle, les deux éléments ne sont pas traités comme des entités disparates et le film angoisse, cultivant une incertitude constante face au futur sur ces deux niveaux. Senez se permet aussi de déroger avec intelligence aux codes du cinéma social par quelques fulgurances et, du même coup, évite de faire de son film un misérable exercice de pitié. Le film n’est pas sans recherche d’affect forcée ou facile, mais le cinéaste trouve dans son conflit central une inquiétude évocatrice et bien réelle qu’il est impossible d’ignorer.

3 novembre 2018

Octobre 2018 selon Martin Gignac

Octobre 2018 selon Martin Gignac

An Elephant Sitting Still (Hu Bo)
Chaque mois, Cinéfilic revient sur les films qui ont fait... le mois, justement. Une façon de conserver à jamais ces moments marquants, de ramener vers la lumière des images avant de les laisser s'engouffrer dans l'ombre des salles de cinéma et de notre mémoire.

Sur le strict plan cinématographique, octobre fut le plus beau mois de 2018. Et il faut d'ailleurs remonter à très, très loin pour trouver un Festival du nouveau cinéma plus intéressant que celui de cette année. Tant d'œuvres marquantes, dont la plupart risquent de ne jamais sortir au Québec. Parmi les plus importantes se trouvent An Elephant Sitting Still, un gigantesque film choral de quatre heures du regretté Hu Bo (c'est son premier et unique long métrage), le majestueux Season of the Devil qui permet à Lav Diaz de mélanger tragédie et drame musical, et le fascinant Burning de Lee Chang-dong qui joue sur tellement de registres qu'il mérite plusieurs visionnements afin de mieux saisir son impact.

Octobre fut également l'occasion d'enfin revoir l'immense Félicité d'Alain Gomis, une des fresques les plus mémorables du FNC de 2017. Pensons à un opus des frères Dardenne à la sauce africaine, comportant la plus belle des héroïnes dans une quête transcendante parsemée de véritables moments de grâce. Frissons garantis. (Lire également la critique de Miryam Charles.)

Plus cérébral est le First Man de Damien Chazelle qui s'offre un anti-biopic sur Neil Armstrong où il confronte perpétuellement la vie au souffle de la mort et de la mélancolie, l'infiniment grand à l'intimité la plus intrinsèque. Un objet de haut calibre, dont le soin sonore dépasse l'entendement. (Lire également la critique de Miryam Charles, d'un avis très différent.)

L'aventure humaine se poursuit également du côté de The Sisters Brothers, un faux western de Jacques Audiard qui, contre toute attente (tournage anglophone, stars américaines, il n'est pas l'instigateur du scénario), livre un de ses récits les plus personnels. Dans ce film, il y a des plans qui marquent. (Lire également la critique de JM Lanlo)

Impossible de ne pas dire quelques mots sur Au poste! (lire la critique de JM Lanlo), nouveau récit hilarant et absurde de Quentin Dupieux qui signe probablement son meilleur effort cinématographique en carrière, ou sur Mid90s qui donne naissance à un improbable cinéaste en la personne de Jonah Hill. Comme petit frère de Skate Kitchen, il ne se fait rien de mieux.

Mais bon, novembre dévoile déjà ses charmes, par l'entremise du Festival Cinemania, et du percutant Les salopes ou le sucre naturel de la peau de Renée Beaulieu, que nous aborderons plus en détails dans le prochain numéro...

26 octobre 2018

★★★½ | Félicité

★★★½ | Félicité

Réalisé par Alain Gomis | Dans les salles du Québec le 26 octobre 2018 (Acéphale)
Récipiendaire du Grand prix du jury à Berlin l’an dernier, Félicité, du réalisateur Alain Gomis (Aujourd'hui), est une ode vibrante et pertinente à la beauté et la résilience de la femme Africaine. Une chanteuse de bar (une interprétation sublime de Véro Tshanda Beya Mputu) doit trouver rapidement le montant d’argent qui servira à l’opération de son jeune fils. Entre détermination et désespoir, elle se tourne donc vers les gens de son passé afin d’obtenir de l’aide. Malheureusement, son chemin de croix ne se fera pas sans heurts.
De prime abord, le récit pourra nous sembler manquer d’originalité: une mère, sans grands moyens, combattant vents et marrées afin de sauver son enfant. Cependant, par sa mise en scène sensible et intuitive le réalisateur parvient à révéler des moments d’une unique poésie. Durant ces instants, le temps nous semble suspendu et l’espoir renaît. À travers le chaos de la vie quotidienne, les querelles et les alliances peu communes, Félicité nous expose le pouvoir insidieux de l’argent (qui est à la fois un problème et une solution).
Le rythme de certaines scènes et le jeu des comédiens (pour la plupart des non professionnels) pourra peut-être en déstabiliser plus d’un. Toutefois, c’est dans son ensemble que le film tire toute sa force en combinant des séquences chancelantes à de purs moments de perfection. Avec Félicité, Alain Gomis nous offre une fois de plus une vitrine sur le cœur vibrant d’une Afrique vivante et forte malgré tout.