13 mars 2019

★★★ | La fin des terres

★★★ | La fin des terres

Réalisé par Loïc Darses | Dans les salles du Québec le 12 mars 2019 (ONF)
Vu dans le cadre des RVQC 2019

Après avoir fait une entrée remarquée dans le milieu du cinéma québécois avec le court métrage elle pis son char, Loïc Darses signe avec La fin des terres un premier long métrage qui avait l’honneur de faire la clôture des derniers RVQC.
D’emblée, au-delà de son intérêt pour des sujets de société forts, Darses confirme son intérêt pour la forme cinématographique. Sa proposition est ici ambitieuse: s’il laisse la parole à plusieurs jeunes afin qu’ils expriment leurs visions du Québec actuel, il ne les montre jamais, préférant laisser déambuler lentement sa caméra dans des paysages, urbains ou naturels, en lien plus ou moins direct avec les sujets évoqués. Lorsque le procédé commence à s'essouffler, Darses témoigne de son sens du rythme en lui redonnant un nouveau souffle: toujours en phase avec les propos, l’image se brouille de plus en plus, pour devenir abstraite, avant de revenir ensuite plus apaisée.
La maîtrise de Darses n’est pas la seule force du film. Alors qu’il parle du Québec, il donne la parole à une diversité souvent oubliée dans le cinéma québécois (certaines personnes ont des origines anglophones ou amérindiennes, d’autres trouvent leurs origines au-delà du Canada). Cependant, cette ouverture à l’autre est contrebalancée par une faiblesse qu’il est difficile de passer sous silence pour un film qui semble vouloir faire le portrait de son époque. Contrairement à ce que faisait Matthieu Bareyre dans l’excellent documentaire français justement intitulé L’époque (présenté à Locarno l’an dernier, malheureusement toujours inédit au Québec), Darses semble ne pas s’intéresser à l’ensemble de la jeunesse québécoise, mais seulement aux plus lettrés. Si on apprécie que le réalisateur donne la parole à ceux qui viennent d'ailleurs, on regrette qu’il ne la donne pas aux exclus ou aux oubliés du système éducatif... c'est à dire justement à ceux qu'on entend rarement. 
Ce choix, qui permet au film d’être plus agréable (de jeunes personnes intelligentes qui ont tout compris sur tout s’expriment sur de belles images filmées par un jeune homme talentueux) lui nuit un peu sur le plan idéologique… Mais lorsqu’on voit à quel point Darses maîtrise son sujet, on se dit que ce choix est probablement assumé. Tant pis pour nous! Surtout, cela n’enlève rien aux promesses que fait naître ce cinéaste que nous avons hâte de continuer à voir grandir dans nos salles de cinéma.

1 mars 2019

★★★ | Les oiseaux de passage / Birds of Passage (Pájaros de verano)

★★★ | Les oiseaux de passage / Birds of Passage (Pájaros de verano)

Réalisé par Ciro Guerra et Cristina Gallego. Dans les salles du Québec le 1 mars 2019
Après son superbe et trop méconnu deuxième film Los Viajes del Viento et le plus médiatisé El abrazo de la serpiente, Ciro Guerra (associé ici à la mise en scène à Cristina Gallego, qui a produit ses films précédents), nous revient avec un film certes moins réussi, mais non dénué de qualités. Parmi elles, celle qui nous intéresse le plus est paradoxalement aussi la principale faiblesse du film, liée au rapport à l'Autre, d'ailleurs très différent de celle décrite dans Abrazo. Dans ce dernier, l'étranger essayait de comprendre et d'infiltrer un milieu qui lui était hostile et qu'il ne comprenait pas. Dans ce nouveau film, dont l'action se déroule plusieurs décennies après le précédent, les étrangers (des Américains qui font de la propagande anticommuniste) se sentent (logiquement?) d'emblée chez eux. Le film, qui semble d'abord se dérouler hors du temps avec la description des traditions autour d'un mariage devient tout autre lorsque les blancs font leur apparition. En plus de prôner le capitalisme, l'étranger recherche de la marijuana… et le film devient un film d'une époque précise. Avec l'arrivée de l'Autre, synonyme d'ancrage dans une époque (et de perversion des traditions), un monde s'écroule, ce qui mènera la Colombie au désastre lié au narcotrafic.
Si certains aspects du film sont passionnants (principalement la place de la femme, le lien de plus en plus trouble entre traditions et crime organisé, certains aspects de l'ellipse narrative), d'autres laissent perplexe: si l'Autre vient pervertir les personnages, l'autre cinéma (le cinéma américain) vient en effet aussi pervertir celui de Guerra. Contrairement à ce qu'il faisait dans Abrazo, le cinéaste ne reste pas fidèle à sa culture, mais accepte celle de l'Autre en introduisant des éléments typiquement américains (un rythme plus soutenu, de l'action, des codes du film de gangsters) dans son cinéma. De manière troublante, il illustre ici de par l'exemple l'erreur fatale (c'est du moins le message que semble véhiculer le film) qui consiste à accepter ce qui vient d'ailleurs et qui pervertit (car soyons clairs, Guerra est plus à l'aise avec un film au rythme très lent comme Viajes).
Puisque le monde extérieur semble représenter un danger, souhaitons à Guerra de se focaliser à l'avenir sur ce qu'il connaît. Nous n'entrerons pas dans un débat idéologique à ce sujet… mais cela permettra peut-être au cinéaste de refaire des films qui ne sont pas avant tout intéressants pour leurs faiblesses!
★★½ | Climax

★★½ | Climax

Réalisation: Gaspard Noé. Dans les salles du Québec le 1 mars 2019 (AZ Films)
Critique rédigée dans le cadre du FNC 2018

Des danseuses et danseurs réunis dans un lieu clos participent à une soirée. Au programme: danse, discussions et sangria… Malheureusement, cette dernière ne comporte pas que du vin et des fruits, mais également une substance qui a pour effet d'éliminer toute inhibition. Progressivement, chacun va prendre le chemin qui va le conduire vers une soif de sexe ou de violence…
Les premières scènes sont remarquables, en raison notamment de ces acteurs / danseurs particulièrement à l’aise avec leurs corps. Le plan-séquence inaugural, ainsi qu’une séquence tournée en plongée extrême sont les grandes réussites du film. La suite (des discussions en petits groupes permettant à chacun de se dévoiler) ressemble à un passage obligé pour présenter les personnages de manière un peu laborieuse, mais nécessaire pour la suite. Malheureusement, c’est après que les choses se gâtent.
Plus la soirée avance, plus les gens perdent les pédales, et plus Noé cherche à choquer ou à déstabiliser le spectateur, avec un résultat rarement convaincant, et parfois ridicule à force de sombrer dans la facilité. Ainsi, l’enfant présent sur place va mourir de manière traumatisante et la jeune femme qui annonce attendre un enfant va se faire rouer de coups, avec bien évidemment son ventre pour cible! Ces idées ont l’effet d’un pétard mouillé, mais si cette envie de choquer le bourgeois amuse Noé, pourquoi pas! Le plus problématique n’est pas là, mais plutôt au niveau des limites (relatives) de sa mise en scène. Alors que Noé avait sous la main des acteurs capables, de par leur activité de danseurs, de jouer avec leurs corps et d’en faire ressortir de manière presque animale la bestialité destructrice ou sexuelle (ce qu'ils font un peu dans la première partie), il préfère abuser d’effets imparfaitement maîtrisés. Certes, certains moments sont troublants, dérangeants ou oppressants… mais ils sont trop peu nombreux et parfois trop bâclés, comme si Noé s’était contenté d’idées de mise en scène sans chercher à les remettre en question ou à les affiner (peut-être par manque de budget?), et surtout sans utiliser pleinement le potentiel de ses acteurs.
Au final, Climax n'est pas inintéressant, mais pas totalement abouti. Il est également gâché par les habituels défauts de son réalisateur, de l’usage de la facilité dans le désir de choquer aux messages plein écran inutiles. L’un d’eux est toutefois amusant: «Vivre est une impossibilité collective». Lorsqu’on voit à quel point Noé se regarde filmer sans se remettre en question, mais surtout sans exploiter pleinement le potentiel corporel de ses danseurs, on se dit que pour lui, c’est peut-être faire un film qui est une impossibilité collective! C’est bien dommage. Si seulement Noé avait mis un peu moins d’ego dans son trip!

22 février 2019

★★★½ | Doubles vies

★★★½ | Doubles vies

Réalisé par Olivier Assayas. Dans les salles du Québec le 22 février (Axia)
Avec Doubles Vies, Assayas donne d’abord l’impression de faire un exposé sur les débats qui occupent le milieu de la littérature à l’ère du numérique. Chacun des personnages se présente comme porteur d’une thèse sur le sujet et, dans des dialogues très verbeux, prendra le temps d’exposer ses idées dans toutes leurs nuances. A priori, Doubles Vies a tout d'une œuvre théorique d’un cinéaste qui ressent le besoin de faire un discours. Le réalisateur démontre toutefois plus de finesse, les arguments débattus par ses personnages n’étant qu’un prétexte à une comédie de mœurs ludique et plus humaine qu’elle n’y paraît.
Les dialogues incessants permettent aux personnages de cacher leurs réelles intentions. Le titre est alors peut-être trop littéral, mais c’est dans le double discours que le réalisateur trouve l’humour dans son exercice, permettant à la fois de truffer son film de répliques mémorables et de se moquer joyeusement de discours intellectuels qui tournent souvent à vide. Assayas brise en des moments clés le masque qui protège ses personnages pour laisser transparaître leur intériorité. Le cinéaste se permet alors quelques touches sentimentales sans nécessairement nier les défauts de ces personnages qui peuvent être à la fois touchants et ridicules, souvent dans un même moment.
Les acteurs possèdent le niveau d’ironie et de pathétisme nécessaire pour faire fonctionner un tel exercice, sans pourtant sombrer dans la complaisance. Un plaisir certain émane de leurs performances typées. Sans surprise, c’est Juliette Binoche qui se démarque le plus, dans un rôle aux forts accents réflexifs, mais dans les marges du récit, empêchant qu’elle ne fasse ombre à ses collègues.
Le film étant principalement porté par ses textes, Assayas offre alors une mise en scène sans artifice mais qui n’est pas sans idées. Celles-ci se découvrent dans l’agencement absurde de scènes disparates ou, au détour d’une réplique tantôt mordante, tantôt ridicule, dans de petits gestes d’acteur qui traduisent le double discours des personnages. Plus posée que les œuvres récentes du cinéaste, Doubles Vies n’impressionne peut-être pas autant, mais il ne faudrait pas non plus la qualifier d’œuvre mineure, tant Assayas démontre à nouveau ses qualités de metteur en scène et de scénariste.

21 février 2019

★★★ | Tout le monde le sait / Everybody Knows (Todos lo saben)

★★★ | Tout le monde le sait / Everybody Knows (Todos lo saben)

Réalisé par Asghar Farhadi. Dans les salles du Québec le 22 février (Séville)
Tout le monde le sait a laissé plein de gens indifférents lorsqu'il a été présenté en ouverture du dernier Festival de Cannes et ce n'est pas un hasard. Il s'agit de la création la plus ordinaire d'Asghar Farhadi depuis des lustres. Cela ne l'empêche pas de passionner avec parcimonie.
Comme dans son brillant À propos d'Elly qui l'a révélé à l'échelle planétaire en 2009, ce huitième long métrage naît à nouveau d'une disparition (L'avventura d'Antonioni a dû le marquer en bas âge). Une adolescente a été kidnappée et sa mère (Penélope Cruz) demande à son ancien amoureux (Jarvier Bardem) de l'aider à la retrouver.
Des fausses pistes à la multiplication des suspects, en passant par des retournements de situations attendus, le cinéaste iranien joue la carte du polar à la Hitchcock. Malheureusement, le suspense est complètement inopérant. 
Le film est surtout  comme toujours chez lui — un portrait de famille tendu et une étude des rapports entre les classes sociales. Le spectre de Chabrol n'est jamais bien loin, humour en prime (involontaire ou pas), avec ce combat psychologique et économique entre riches et pauvres, qui aura des conséquences désastreuses. À cet effet, la conclusion moralement douteuse — une autre marque de commerce après celle du Client — ne manquera pas d'ébranler.
Le scénario à tiroirs, où le manque de communication et les bonnes intentions compliquent la situation, commence à ressembler à une recette éprouvée et Farhadi ne surprend plus. Il a beau changer de pays — ici l'Espagne après la France du beaucoup plus accompli Le passé —, il sera toujours question d'échanges verbaux et de dilemmes moraux entre barbus.
Au moins les paysages sont différents, et le réalisateur s'applique à tirer profit de ce lieu en jouant justement sur sa lumière et les possibilités de ses ingénieux angles de caméra. Cela se fait ressentir dans la première partie, plus cinématographique que la seconde. Dommage que son symbolisme sur le passage du temps ne soit pas plus subtil.
Le constat s'applique également à l'interprétation. Cruz et Bardem en font parfois des tonnes, ce qui est moins dommageable pour le second. Ils sont heureusement entourés de solides comédiens, dont Ricardo Darin en père éploré.
Sans être un mauvais film, Tout le monde le sait manque de cette finesse unique qui faisait des précédentes offrandes d'Asghar Farhadi des objets d'exception. Peut-être est-il venu le temps pour lui de se remettre en danger.