31 mai 2020

★★★ | Brumes d'Islande / A White, White Day (Hvítur, hvítur dagur)

★★★ | Brumes d'Islande / A White, White Day (Hvítur, hvítur dagur)

Réalisation : Hlynur Palmason | En VSD au Québec à partir du 29 mai 2020 (Cinéma Moderne)
Film d’enquête, film de famille et film de possibles fantômes, Brumes d'Islande fascine par son formalisme et la beauté du paysage islandais. Une route envahie par la brume. Une voiture qui disparaît. À travers la brume, entre le monde des vivants et celui des morts, le film de Hlynur Palmason explore de manière délicate les complexités du deuil. En suivant la construction de sa maison par un homme veuf (également policier), le film nous expose parallèlement une structure émotionnelle fragilisée par la perte d’un être cher. En apparence, tout semble sous contrôle. Cependant, derrière la tristesse et le vide laissé par la mort de sa femme, le policier en arrêt de travail ne peut s’empêcher de vouloir des réponses sur la mort de sa femme. Qui était-elle vraiment ?
Enquêtant dans le plus grand secret de ses collègues et de sa famille, il observe discrètement la vie d’un homme du village qui aurait peut-être eu une aventure avec sa femme. C’est également dans cette pratique d’observation que le réalisateur place son regard. Malgré le drame que vit le personnage, la mise en scène (qui pourrait paraître froide) garde une certaine distance pour nous permettre d’être plus à l’écoute (à la fois des personnages et de l’excellente trame sonore qui ajoute au mystère). Sans trop d’effets, le film nous dévoile les petits faits étranges de la vie.
Si n’y a qu’un mystère qui sera vraiment résolu dans le film, c’est que l’amour demeure malgré la mort. Palmason nous rappelle que c’est aussi au cinéma que l’on peut prendre le pouls de sa vie. En observant d’autres que nous, on peut s’interroger sur notre rapport à la vie et ce que représente le fait d’être vivant. Au-delà des prix, des festivals, et autres prestiges de l’industrie, le bon cinéma nous offre ça.

29 mai 2020

★★★½ | Jeanne

★★★½ | Jeanne

Réalisation : Bruno Dumont | En VSD au Québec à partir du 29 mai 2020 (Cinéma moderne)
Après Ma loute, ses Petits Quinquin et une Jeanette très décalée, Bruno Dumont est de retour à un cinéma plus austère, mais qui symbolise presque en lui-même l’art du grand écart que le réalisateur semble de plus en plus apprécier. D’un côté : certains acteurs totalement perdus face à des enjeux et des textes qu’ils semblent ne pas comprendre. De l’autre, des parenthèses qui touchent au sublime (l’apparition de Christophe, qui met en musique un texte de Peguy; les regards silencieux et habités de la petite Lise Leplat Prudhomme; un ballet équestre magnifique). Entre les deux, il y a un peu tout et n’importe quoi: des bunkers allemands transformés en prisons anglaises; des réunions surréalistes sur les dunes; un Nicolas l'oiseleur (Fabien Fenet) dont les gesticulations et les tics sont d’un burlesque irrésistible; une chef de guerre de 18 ans incarnée par une enfant de 10.
L’ensemble aurait pu ressembler à un grand n’importe quoi, mais la force de Dumont est de parvenir à lier le tout. Pour cela, il a recours à un sens du cadre impressionnant d’un bout à l’autre, à une superbe photo signée David Chambille et à la musique envoûtante de Christophe.
Et la magie opère : ces trois éléments parviennent à donner une unité à ce qui aurait pu ressembler à un fourre-tout hétéroclite. Le sublime et le vulgaire se mélangent; la maîtrise répond à l’amateurisme; les opposés forment un tout pour ressembler à un dialogue de sourds qui a des résonances avec la situation de cette pauvre Jeanne, guidée par une force supérieure qui la rend totalement imperméable à la logique (et à la bassesse) des hommes.
En nous offrant Jeanne, Dumont nous parle du monde qui nous entoure. La médiocrité est partout. La beauté aussi… encore faut-il pouvoir la voir. Et si la première était indispensable à l’appréciation de la seconde?

23 mai 2020

★★¾ | Adults in the Room (Conversations entre adultes)

★★¾ | Adults in the Room (Conversations entre adultes)

Réalisation : Costa-Gavras | En VSD au Québec à partir du 22 mai 2020 (Cinéma du Parc)
Avec Adults in the Room, Costa-Gavras revient sur un épisode qui a marqué l’histoire récente de la Grèce (et de l’Europe), en prenant le point de vue d’un des protagonistes, Yanis Varoufakis, alors ministre de l’économie dans le gouvernement d’Aléxis Tsípras. Ce point de vue, assumé dès le départ (le film est l’adaptation du livre écrit par Varoufakis en personne) est particulièrement risqué lorsqu’il s’agit de traiter un événement historique récent, mais Costa-Gavras a l’intelligence de désamorcer d'emblée de possibles critiques (la subjectivité des faits relatés) en ajoutant une voix hors-champ, dispensable d'un point de vue narratif, mais qui a le mérite d’insister sur le parti pris (et donc de l’assumer). Malheureusement, si le procédé atténue les critiques potentielles, il ne les rend pas caduques en raison du manque de nuance dans la caractérisation des personnages. Certes, film à la première personne oblige, Varoufakis a le beau rôle, est charismatique, comprend tout plus vite que tout le monde. Mais le portrait du reste des protagonistes est particulièrement malhabile. Ils sont soit totalement insignifiants (à l’image du “traître” Alexis Tsípras), soit caricaturaux (comme le ministre allemand Wolfgang Schäuble). Seul, peut-être, le personnage de Christine Lagarde (présidente du FMI ) est sauvé. Sur les plus de deux heures que dure le film, le petit jeu de massacre (du genre “personne à sauver sauf moi”) finit par lasser. Il finit aussi par désamorcer une réflexion qui aurait pu être passionnante sur l'action politique (convictions/realpolitik; conquête du pouvoir / conservation du pouvoir; etc.)
Tout ceci est fort dommage, car le travail de scénarisation de Costa-Gavras est impressionnant dans sa manière de simplifier et de rendre tout à fait compréhensible par le plus grand nombre un épisode plutôt complexe.
Avec une plus grande nuance (qui, il est vrai, n’est pas la qualité première du cinéaste), Adults in the Room aurait probablement pu être un grand thriller politico-économique. Il devra se contenter d’être un témoignage historique imparfait mais rondement mené... ce qui n’est déjà pas si mal!

17 mai 2020

★★★ | Alice

★★★ | Alice

Réalisation : Josephine Mackerras | En VSD au Québec à partir du 15 mai 2020  (Cinéma du Parc)
Alice, premier long métrage de Josephine Mackerras, débute dans une bulle. Une bulle familiale à l’apparence idyllique. Un couple amoureux, parents d’un charmant petit garçon. Cependant, sous la surface, une tension que l’on ne peut nommer et dont on ne connaît pas encore les implications, gronde sans relâche. Par cette introduction somme toute très courte, la mise en scène sans effets de style de Mackerras, aidé du jeu nuancé des comédiens, parvient à captiver par sa simplicité. Les petits moments, les failles entre les deux parents ne laissent pas présager le mur qu’ils vont tous frapper.
Mackerras porte un regard lucide sur les doubles standards de la société et de la perfection imposée aux femmes (encore plus aux mères). Face à la rigidité du système économique, Alice est forcée de trouver une solution rapide si elle ne veut pas se retrouver à la rue. Elle se tournera donc vers la prostitution, métier qui aurait causé l’implosion de son mariage ainsi que sa ruine financière. Si on fait abstraction des raisons qui poussent le personnage féminin à vendre son corps pour de l’argent (car il y a toujours moyen de justifier ses actions), la position du personnage demeure la plus intéressante. Il n’est pas question de honte ou de culpabilité. Pour elle, il s’agit d’un acte transactionnel qui lui permettra de sauver sa maison et d’assurer une stabilité à son fils. Ce n’est que la menace du jugement des autres sur sa respectabilité et sa capacité à être une bonne mère qui la pousseront à se remettre en question.
Le film nous présente une des facettes du milieu de la prostitution somme toute assez doux (clients de luxe, polis et respectables). Ce n’est finalement qu’un prétexte pour aborder la reprise du contrôle féminin. Tout d’abord sur le corps, mais également sur les attentes impossibles qui nous sont inculquées dès l’enfance. Malgré un troisième acte qui s’affaire à boucler toutes les boucles afin de nous offrir une finale lumineuse et optimiste, Alice demeure un premier film qui laisse présager une belle carrière à sa réalisatrice.

9 mai 2020

★★★★ | L'important c'est d'aimer

★★★★ | L'important c'est d'aimer

Réalisé par Andrzej Żuławski | Reprise | Disponible en VSD
Cette coproduction franco-italo-allemande est le troisième film du cinéaste polonais Andrzej Żuławski et le premier en dehors de son pays natal. Bien que ce film soit en partie un film de commande — Żuławski est le cinquième cinéaste à avoir été approché —, on retrouve les principales qualités de son premier film: une structure où règne le chaos marqué par une mise en scène d’une forte intensité visuelle.
En retravaillant l’adaptation du roman La nuit américaine de Christopher Frank, avec qui il signe le scénario, et en ajoutant plus de profondeur au personnage campé par Jacques Dutronc, le cinéaste ajoute cette rage filmique à cette histoire classique d’un triangle amoureux. Bien que le roman de Frank n’a rien à voir avec le film de François Truffaut, L’important c’est d’aimer est lui aussi un film sur l’amour,  l’art et le cinéma... Un cinéma vibrant et captivant, au pouvoir évocateur, où règnent un sentimentalisme et une sensualité éclatée.
Récompensée par le César de la meilleure actrice, Romy Schneider incarne cette actrice fragile et malheureuse dont la rencontre avec un photographe rempli de remords (Fabio Testi) va venir chambouler la vie sentimentale, alors qu'elle s’accroche à son compagnon obsédé par l’échec (Jacques Dutronc, dans son premier grand rôle à l’écran). Ce degré de fatalité est accentué par la musique de Georges Delerue qui offre une partition bien différente et en dehors de sa zone de confort. Empreint d’un lyrisme exalté et d’envolées de violence, L’important c’est d’aimer est un film où exalte le mal, la douleur et la souffrance. Żuławski a toujours été fasciné par l’œuvre de Dostoïevski et on retrouve cette dualité propre à l’auteur dans cette tribune où le bien et le mal sont le propre chez l’humain.
Quarante-cinq ans plus tard, L’important c’est d’aimer s’inscrit parmi les meilleurs films sur les coulisses du cinéma et ses répercussions sentimentales, au même titre que Le mépris de Godard ou encore Sunset Boulevard de Billy Wilder.

En location via le site internet du Cinéma moderne de Montréal.

13 mars 2020

★★½ | Wendy

★★½ | Wendy

Réalisation : Benh Zeitlin | Dans les salles du Québec le 13 mars 2020 (Fox Searchlight)
Les attentes pour le second long métrage du réalisateur de Beasts of the Southern Wild étaient très élevées. S’attaquant à l’univers de Peter Pan, Benh Zeitlin retrouve en quelque sorte le monde de l’enfance qu’il avait exploré dans son précédent film. Ici, son personnage principal est Wendy, une jeune fille rêveuse et débordante d’imagination. Elle a la certitude que sa vie banale ne peut être une finalité. Elle ne peut pas grandir et par conséquent devenir adulte comme sa mère, serveuse sans réel avenir. Pour elle, il existe autre chose. Un ailleurs teinté de magie et de liberté se révèle doucement le soir venu. Un enfant du quartier disparaît. Ce train qu’on entend arriver la nuit venue mènerait-il à une vie meilleure ?
Zeitlin qui signe le scénario avec Eliza Zeitlin (sa sœur) avait en main plusieurs éléments pour laisser respirer son récit. Les séquences sur l’île mystérieuse où les enfants font la loi et l’ordre sont fabuleuses. Malgré une orchestration musicale trop soutenue, les mouvements de caméra ainsi que le montage sont aussi libres que les protagonistes. Wendy, Peter Pan et le reste du groupe des enfants refusent de vieillir et l’antidote à la vieillesse est le courage. Ce courage se retrouve dans certains moments de mise en scène ainsi que dans la direction d’acteurs des jeunes comédiens. Le jeu est parfois inégal, imparfait et ce sont ces imperfections qui font le charme du film.
Le réalisateur oppose à la liberté de l’enfance la structure du monde adulte (et en quelque sorte sa logique). La vie adulte est grise, lourde et sans issue... mais le tout nous est démontré avec tant d’insistance qu’on est à se demander si, en plus des images évocatrices, d’une narration et de la musique, on ne va pas voir apparaître à l’écran les phrases : « C’est dur d’être un adulte. Voici à quoi ressemblera ta vie. Sauve-toi ! »
Wendy nous laisse un peu sur notre faim avec une finale aussi lourde de sens que son entrée en matière. On pourra se consoler en se rappelant qu’entre le début et la fin nous avons assister à des moments de pure magie.

6 mars 2020

★★★★ | Mektoub, My Love: Canto Uno

★★★★ | Mektoub, My Love: Canto Uno

Réalisation : Abdellatif Kechiche | Dans les salles du Québec le 6 mars 2020 (MK2│Mile End)
Les cinéphiles n'espéraient plus la sortie en sol québécois de Mektoub, My Love: Canto Uno, qui a été présenté à la Mostra de Venise en… 2017! Surtout pas après l'accueil assassin réservé à sa suite Intermezzo à Cannes l'année dernière. Mais les miracles peuvent survenir et l'attente valait la peine.
Évidemment, la mode est de vilipender son créateur Abdellatif Kechiche et de le traiter de voyeur, de libidineux. Le cinéaste aime filmer les corps jeunes et il se laisse aller pendant près de trois heures au sein d'une intrigue en apparence inexistante.
Il faudrait toutefois voir plus loin que le bout de son nez. Après une entrée en matière percutante qui baigne dans le sexe érotique de son précédent La vie d'Adèle, l'auteur de L'esquive se transforme en Éric Rohmer, remplaçant les mots par des regards, de la transpiration. À l’occasion de vacances d'été, il arrive à créer une utopie, un fantasme de perfection où les femmes sont séduisantes, les hommes généralement entreprenants, les dents toujours blanches, etc. Tout cela par l'entremise d'un jeune héros qui préfère se taire plutôt que d'agir et de se laisser aller comme son cousin et sa meilleure amie.
Fidèle à ses habitudes depuis La graine et le mulet, Kechiche allonge le temps. À tel point que le spectateur n'a plus l'impression d'être au cinéma, mais dans la vie réelle à discuter ou à manger des spaghettis. Un traitement immersif et naturaliste qui permet de se retrouver à la plage en train de bronzer ou dans une discothèque à danser. Rapidement, l'âge disparaît et le voyage dans le temps s'opère, à cette époque d'insouciance et de désir, dans le tumulte des hormones. C'est la jeunesse dans toute sa splendeur, qui se rappelle que les pulsions de vie doivent avoir le dernier mot.
Une liberté qui transcende les sens par une utilisation impressionnante du médium, de la lumière et du montage fluide, de cette caméra qui colle à la peau. Mais également des dialogues, si finement écrits et naturels, qui pourraient presque s'apparenter à de l'improvisation. Quant aux interprètes, professionnels ou pas, ils ont tous la gueule de l'emploi.
Le plus ironique est que cette œuvre d'exception prend l'affiche exactement le même jour que Roubaix, une lumière d'Arnaud Desplechin, autre fresque immense, sans doute plus crépusculaire celle-là. Le choix sera déchirant et il faudra voir les deux. D’autant plus que le cinéma de Kechiche se fait extrêmement rare et rien ne dit que Intermezzo prendra un jour l'affiche, ici ou ailleurs.
★★★ | Roubaix, une lumière

★★★ | Roubaix, une lumière

Réalisation : Arnaud Desplechin | Dans les salles du Québec le 6 mars 2020 (Axia)
Adaptant un fait divers de sa ville natale, Arnaud Desplechin se retrouve en terrains connus pour cependant s’aventurer dans un genre, le polar, inhabituel pour lui. Roubaix, une lumière démontre que le cinéaste est capable d’opérer dans de nouveaux registres, mais son dernier film n’a pas l’assurance de ses meilleures œuvres.
C’est la ville et la vie qui l’habite qui s’affichent comme les points centraux de son film. Le choc des classes pauvres face aux privilégiés (qui ont occupé une grande partie de l’œuvre de Desplechin) l’intéresse particulièrement. Le film se veut une observation sur les réalités de la ville et si on retrouve les tics du réalisateur, l’écriture épistolaire dans laquelle il excelle en étant l’exemple le plus évident, ceux-ci deviennent alors un contrepoint aux réalités observées.
La pauvreté, le crime et le travail de la police sont donc présentés sans affects, comme une réalité crue. Dans cette réalité, le cinéaste peine longtemps à trouver un point d’assise, rendant l’intrigue centrale de Roubaix plutôt brouillonne, pleine de sous-développements anecdotiques, et à la conclusion précipitée. Desplechin réussi beaucoup mieux à définir les individus que le contexte dans lequel ils vivent, réussissant à créer des personnages vivants et, à son habitude, permettant à ses acteurs de donner d’excellentes performances.
Il y a certainement un potentiel dans le prospect de voir Desplechin appliquer ses envolées lyriques sur des réalités moins romanesque, et le cinéaste se montre prêt à se renouveler. À son meilleur, Roubaix... propose une approche singulière, à la fois personnelle et observatrice, du polar. L’ensemble est toutefois trop brouillon pour exploiter cette approche à son plein potentiel.

Lire également notre entrevue avec Arnaud Desplechin.