27 janvier 2023

★★★ ½ | Infinity Pool (Débordement)

★★★ ½ | Infinity Pool (Débordement)

Réalisation : Brandon Cronenberg | Dans les salles du Québec le 27 janvier 2023 (Entract Films)
Avec son troisième long métrage, Brandon Cronenberg continue sa progression et commence à se trouver un style (relativement) débarrassé des affèteries qui alourdissait ses œuvres précédentes. Certes, on pourrait encore lui reprocher son esthétisme lourdaud ou un amour mal maitrisé (et contre-productif) pour un gore d’un autre âge, mais ses qualités sont de plus en plus évidentes. Il parvient notamment avec Infinity Pool à installer avec talent ses personnages. Ce jeune couple un peu naïf à la plastique parfaite, que l’on croirait presque sorti d’un mélange de Triangle of Sadness (pour les jeunes gens trop beaux pour vivre des vacances heureuses) et de Old (pour le tout inclus de luxe), est en effet rendu crédible en quelques plans, tout comme cet autre couple qui semble particulièrement sympathique (mais quand même un peu inquiétant: la toujours excellente Mia Goth et un Jalil Lespert en grande forme). Très vite, bien évidemment, les vacances tournent au vinaigre, et Brandon Cronenberg sait faire monter la tension de manière aussi rapide qu’implacable. Lorsqu’un événement dramatique intervient, le spectateur se dit que les beaux tourtereaux connaissent le pire... et pourtant ! Cronenberg, avec intelligence, développe un scénario dans lequel la tragédie prend les allures d’un cauchemar d’autant plus troublant que s’y croisent des sentiments presque perpétuellement contradictoires, passant régulièrement d’un état à l’autre (de la peur de la mort à un sentiment de liberté absolue qui prendrait presque des allures d’immortalité).
Finalement, ce petit voyage au paradis de l’absurde devient une réflexion aussi troublante qu’efficace sur l’impunité, l’altérité, la perte des valeurs, la manipulation subie et provoquée... le tout bercé par une bande-son déstabilisante comme les aime le réalisateur.
Il est vrai, comme nous l’écrivions plus haut, quelques éléments viennent encore ternir l’ensemble, mais une chose est certaine : le fils Cronenberg progresse de film en film. On aimerait qu’il continue sur sa lancée, et qu’il parvienne à faire plus confiance à son écriture ou à sa capacité à créer un univers inquiétant et à moins s’appuyer sur des effets de cinéaste pas encore assez sûr de son talent. S’il y parvient, le prochain film pourrait faire très mal. Nous n’attendons que cela !

23 janvier 2023

★★★½ | Aucun ours / No Bears (Khers nist)

★★★½ | Aucun ours / No Bears (Khers nist)

Réalisation: Jafar Panahi | Dans les salles du Québec le 20 janvier 2023 (Enchanté Films)
Avec Aucun ours, le réalisateur de la nouvelle vague iranienne Jafar Panahi nous plonge dans deux histoires parallèles. La première est celle dont il est lui-même protagoniste en tant que réalisateur; la seconde est une histoire d’amour, celle du film dans le film qu’il dirige.
Panahi se met en scène en train de réaliser un film à distance. Ceci donne aux spectateurs la possibilité de comprendre sa situation de cinéaste dans un pays ou l’exercice de sa profession lui est interdit. Cela permet également à Panahi de se laisser embarquer dans une tragédie fictive dont il est l’instigateur en raison d’une photo qu’il aurait prise — la photo d’un couple de villageois ne respectant pas les traditions. Cette partie du film est à mettre en parallèle avec l’histoire du réalisateur qui vit dans un pays où la production des images vient souvent avec conséquences graves.
À travers ses acteurs et actrices, on devine un réalisateur qui utilise presque l’improvisation, pour un résultat teint d’un réalisme frappant. Les drames qu’il filme sont poignants, spécialement celui d’un couple qui désire partir en Europe clandestinement — la seconde histoire, celle du film dans le film. Panahi les dirige à distance en brouillant les frontières entre la fiction et le réel. La tirade de l’épouse apprenant que son mari n’obtient pas de faux passeport comme elle, est bouleversante. Poussée par le désespoir à l’idée de partir seule, la femme mettra fin à ses jours en se noyant dans la mer. Malgré une prise de vue magnifique sur la station balnéaire, on devine ici le parallèle avec tous les migrants qui meurent chaque semaine en mer sans jamais pouvoir se sauver de leur terre sans avenir.
Partant d’un drame personnel (le cinéaste, qui n’a plus le droit de tourner depuis plus de 12 ans, est contraint à la clandestinité), Panahi parvient avec ce film tourné dans des conditions précaires, à toucher à l’universel.

13 janvier 2023

★★★½ | Broker / Les Bonnes étoiles (브로커)

★★★½ | Broker / Les Bonnes étoiles (브로커)

Réalisation : Hirokazu Koreeda | Dans les salles du Québec le 12 janvier 2023 (Entract Films)
Après un bref passage en Europe qui a laissé perplexe (La vérité, 2019), le réalisateur japonais Hirokazu Koreeda revient en Asie pour son nouveau long métrage, en s’arrêtant du côté de la Corée du Sud. Nous seulement cela lui permet de diriger Song Kang-ho, l’acteur emblématique du cinéma local, mais cela lui permet également de retrouver un peu ses marques.
Une nouvelle fois, le thème de la famille est au cœur de Broker. La délicatesse de la mise en scène nous charme à nouveau et la compassion que le cinéaste ressent pour ses personnages nous émeut. Jamais des voleurs d’enfants n’ont été aussi sympathiques, et le faux road movie que leur offre Koreeda, en compagnie d’un orphelin en fugue et d’une jeune femme qui fuit ses démons, est un ravissement de chaque instant. Leur complicité grandissante rappelle parfois la famille reconstituée d’Une affaire de famille, mais Koreeda s’offre ici un scénario d’une construction un peu plus complexe, avec une intrigue et des personnages parallèles qui pourraient facilement faire chavirer Broker du côté du thriller. Mais que l’on se rassure, ce sont bien les personnages qui sont au centre du film, et le cinéaste garde le contrôle sur son petit monde et ses intrigues en les enrobant comme à l’accoutumée de grâce, de bonté, et de quelques moments magnifiques (de l’émotion de la scène de la grande roue à l’amusement enfantin de la scène de lavage de voiture).
Malheureusement, il déraille un peu dans une conclusion dont la mièvrerie est indigne de son talent et de sa finesse habituelle. Mais qu’à cela ne tienne… ce drame aux allures de comédie possède malgré tout un charme à la fois amusé et émouvant qui nous enchante malgré son trébuchage final !

6 janvier 2023

★★★½ | Corsage

★★★½ | Corsage

Réalisation : Marie Kreutzer | Dans les salles du Québec le 6 janvier 2023 (Cinéma du Parc)
Avec Corsage, la réalisatrice autrichienne Marie Kreutzer se penche sur le destin de l’Impératrice Élisabeth d'Autriche, plus connue sous le diminutif de Sissi. Qu'on se rassure, le film n'a cependant rien à voir avec les célèbres Sissi des années 50; il est en effet plus à classer dans la catégorie « cinéma d'auteur ». Les libertés prises par Kreutzer sont d’ailleurs assumées puisque le film n’est ni au service d’une stricte réalité biographique, ni fait pour plaire au plus grand nombre. Ce qui compte ici, c’est avant tout le propos de la réalisatrice : une dénonciation intemporelle de la tyrannie de l'image (que l’on se doit de projeter) et des contraintes sociétales liberticides (principalement imposées aux femmes).
L'ensemble est servi par une Vicky Krieps impeccable, une très belle photo (signée Judith Kaufmann) et une mise en scène tout en précision et en rigueur, qui semble en permanence chercher à se libérer sans jamais y parvenir totalement. La réalisation semble d’ailleurs contribuer à corseter Sissi, à l’étouffer discrètement, à la plonger dans un état mélancolique quasi permanent. L’usage d’anachronismes vient renforcer ce sentiment : en faisant réinterpréter des chansons du XXe siècle par des personnages du film (le plus bel exemple est la très belle reprise As Tears Go By), la réalisatrice introduit un sentiment d’intemporalité particulièrement troublant. Mais si l’image et le son s’associent pour montrer l’implacabilité de ce corsetage, l’usage diégétique du cinéma est tout autre : c’est en effet lorsqu’elle est filmée par un personnage du film (par un dispositif bien évidemment non sonore) que l’impératrice peut enfin hurler ce qu’elle veut à la face d’un spectateur (et donc d’un monde) qui ne peut pas l’entendre. L’impératrice est prisonnière de ses contraintes, et ses instants de libertés sont limités à ces quelques minutes filmées par l'inventeur Louis Le Prince. Ne lui reste donc que l’issue qu’elle se choisit, dans une dernière scène libératoire filmée de manière onirique, malgré son caractère intrinsèquement tragique.

23 décembre 2022

★★★ | The Whale (La baleine)

★★★ | The Whale (La baleine)

Réalisation : Darren Aronofsky | Dans les salles du Québec depuis le 21 décembre 2022 (Entract Films)
Dans son va-et-vient habituel entre réussites impressionnantes (Requiem for a Dream, Black Swan, Mother ! etc.) et plantages prétentieux (The Fountain, Noah, etc.)*, Darren Aronofsky nous propose The Whale, qui flirte avec la première catégorie, sans être pour autant totalement à l’abri de la seconde.
En adaptant une pièce de théâtre de Samuel D. Hunter, le cinéaste fait le choix du huis clos, ici totalement assumé. Le film y suit en effet la réclusion volontaire d’un homme hanté par son passé, à la recherche à la fois de rédemption (en renouant avec sa fille) et l’autodestruction (sa boulimie qui le transforme en un être difforme aux mouvements de plus en plus difficiles). Cet aspect du film est probablement le plus réussi. La mise en scène d’Aronofsky, son obsession à filmer à la fois un corps qui perd sa mobilité et une maison qui devient pour lui dans le même temps un véritable parcours du combattant, mais qui reste pour les autres une maison bien banale, est probablement l’aspect le plus intéressant du film. S’ajoute à cela une réflexion qui va bien au-delà de la rédemption, puisque le film aborde de nombreux sujets, globalement bien traités (et qui tournent globalement autour du thème du bien et du mal que l’on peut faire aux autres). Cela lui permet de mettre en scène des personnages qui vont progressivement faire évoluer le récit et la réflexion… jusqu’à ce que le scénario (signé de l’auteur de la pièce) prenne le dessus sur le film lui-même. C’est-à-dire jusqu’à ce que les mots de Samuel D. Hunter prennent le dessus sur la mise en scène de Aronofsky (et, indissociable, de la prestation notable de Brendon Fraser et de ses prothèses). Lorsque le tout est bien installé, le film se perd alors dans un manque de finesse qui nuit à la résolution de ses enjeux narratifs en enfonçant de plus en plus les portes ouvertes (et en usant de l’analogie avec Moby Dick de manière de moins en moins subtile et de plus en plus indigeste).
Mais parce qu’il n’y a pas que la dernière demi-heure qui compte, le film reste à voir. Il confirme aussi que malgré ses excès parfois critiquables, Aronofsky est un metteur en scène passionnant, une sorte de roi des montagnes russes, ce qu’il prouve ici au sein d’un même film, pourtant en apparence bien plus sobre que ses œuvres passées.

* La liste des réussites et plantages n'engage que l'auteur de ces lignes... Les avis sur Noah ou Mother !, pour ne citer qu'eux, ne sont pas partagés par tous au sein de cinéfilic.

16 décembre 2022

★★★½ | Geographies of Solitude

★★★½ | Geographies of Solitude

Réalisation : Jacquelyn Mills | Sortie dans les salles du Québec le 16 décembre 2022 (Eyesteel Films)
Présenté lors de la dernière édition de la Berlinale, où il a remporté plusieurs prix, Geographies of Solitude de Jacquelyn Mills est une impressionnante immersion cinématographique. Avec une sensibilité et une écoute hors du commun, la cinéaste va à la rencontre de Zoe Lucas, une artiste reconvertie en naturaliste, qui tente de préserver l'équilibre naturel de l'île de Sable (île au large de la côte de la Nouvelle-Écosse).
Armée d'une caméra 16mm, la cinéaste propose un double portrait: celui du territoire ainsi que celui de la femme qui l'habite depuis des années. Le film se déploie à la manière d'une expérience visuelle et sensorielle. On a presque l'impression d'explorer le lieu en temps réel, et ce, malgré la structure narrative qui est tout sauf linéaire. On se retrouve à la limite entre l'errance et une visite guidée. On pourra entendre par moment des bribes de conversations entre la cinéaste et Lucas ou la voix de la protagoniste enregistrée lors de conférences pendant lesquelles elle explique la méthodologie derrière son travail (qui est en soi très tactile).
Cette matérialité du geste et des rituels se retrouvent dans la technique utilisée pour tourner le film. La cinéaste a fait le choix d'exposer, d'enterrer et de développer une partie de la pellicule avec des éléments naturels de l'île, ce qui engendre des images hors du commun.
Malgré la beauté des paysages et de la faune, on demeure à l'opposé du film carte postale. On soulignera d’ailleurs la précision du montage et de la bande sonore qui donnent vie à l'île tout en nous révélant l'importance du travail qu'accompli Lucas. Geographies of Solitudes est impossible à fixer dans le temps. On se réfère à la fois au passé, au présent et à l'avenir en soulevant des réflexions pertinentes sur notre responsabilité face à la crise environnementale.