18 janvier 2019

★½ | Glass (Verre)

★½ | Glass (Verre)

Réalisé par M. Night Shyamalan | Dans les salles du Québec le 18 janvier 2019 (Universal)
Glass incarne les ambitions de M. Night Shyamalan nées il y a plus de vingt ans. Est-ce l’attente de ne pouvoir mettre en scène ses désirs et ses rêves qui explique le surplus d’informations véhiculées durant les deux heures que durent le film? Les trois super-héros/vilains (ou le sont-ils réellement?) sont enfermés dans un hôpital où ils seront analysés à outrance. Ainsi, le scénario révèle à travers les personnages d’une psychologue (Sarah Paulson) et celui de Monsieur Glass (Samuel L. Jackson), tout ce qui aurait pu échapper au public.
Malgré cette faiblesse scénaristique, le film peut compter sur le jeu impeccable de ses comédiens. James McAvoy est toujours impressionnant lorsqu’il incarne de multiples personnalités. Bruce Willis est fidèle à lui-même dans le rôle du héros taciturne tandis que Samuel L. Jackson et Sara Paulson s’en tirent bien malgré des rôles ingrats d’informateurs. Visuellement maîtrisée, la direction photographique permet d’accentuer la tension dramatique.
Glass est également le film de la libération pour le réalisateur. M. Night Shyamalan ouvre en effet la voie à un nouvel univers et annonce la fin d’une trilogie amorcée il y a dix-neuf ans par Unbreakable. Cependant, le réalisateur n’a pas dit son dernier mot. Alors que le film tire à sa fin, il nous explique clairement sa pensée à travers le personnage de Monsieur Glass: il y a toujours un plan derrière le plan (en nous expliquant ce plan). On aurait aimé que le film trouve un équilibre entre la description dans les moindres détails et l’évocation des intentions, des doubles-jeux et autres luttes de pouvoir. Malgré son message pertinent sur les différences et les traumatismes (qui font de nous des héros), Glass est une œuvre qui en laissera plus d’un indifférent.

11 janvier 2019

★★★★ | La guerre froide / Cold War (Zimna wojna)

★★★★ | La guerre froide / Cold War (Zimna wojna)

Réalisé par Pawel Pawlikowski | Dans les salles du Québec le 11 janvier 2019 (Métropole)
Quelques années après Ida, le cinéaste polonais Pawel Pawlikowski nous revient avec un film qui partage avec le précédent certaines caractéristiques (un amour pour le noir et blanc et une tendance à cadrer un peu haut certains plans sont les plus caractéristiques). Cependant, le cinéaste maîtrise beaucoup plus son scénario (et l'art de l'ellipse). Il atteint ici un niveau d'excellence qui classe Cold War parmi les grandes réussites de l'année 2018. 
En à peine plus d'1h20 (si l'on fait abstraction du générique final), Pawlikowski nous entraine dans une histoire d'amour de 30 ans, en pleine guerre froide, entre la Pologne fraichement soviétisée et le Paris jazzy d'après-guerre. De l'appropriation d'une culture populaire par un régime totalitaire au sentiment de liberté retrouvé après des années de privation et d'occupation, de la fougue d'un amour naissant à l'évidence d'un amour qui résiste aux difficultés de la vie et du temps qui passe, Pawel Pawlikowski nous permet de ressentir et de comprendre, souvent uniquement en un plan. Le scénario (justement récompensé à Cannes l'an dernier), très épuré, qui touche toujours juste en n'abordant que ce qui est essentiel (c'est-à-dire bien souvent des petits détails) et en se séparant du superflu (c'est-à-dire des moments trop explicatifs), permet au film d'être toujours incisif. Il permet surtout au spectateur de comprendre tout sans qu'on ne lui impose rien, de ressentir les émotions des personnages avec une facilité impressionnante.
Cependant, ne nous méprenons pas. Si l'écriture donne un tel résultat, c'est parce qu'elle est soutenue par un travail de reconstitution et de mise en scène qui frôle la perfection. Jamais en effet la reconstitution historique ne vient phagocyter les personnages. Elle vient toujours soutenir l'épure scénaristique en aidant le spectateur à percevoir d'emblée une époque, une société. La mise en scène au sens très large (direction d'acteur, composition des plans, utilisation du noir et blanc) joue le même rôle. Le noir et blanc renforce certains contrastes qui jouent un rôle descriptif essentiel (insouciance ensoleillée, grisaille, libération nocturne, rigidité soviétisée, etc); l'attention que porte le réalisateur à ses acteurs permet à un visage ou une posture de remplacer plusieurs lignes de dialogues ou d'explications psychologiques... Par la même occasion, comme par enchantement cinématographique, un scénario faussement simple et une image faussement esthétisante s'associent pour parvenir à l'essentiel : nous faire croire à une époque, à des lieux, à des êtres et à un amour improbable. 

20 décembre 2018

★★★★ | Une affaire de famille / Shoplifters (Manbiki Kazoku)

★★★★ | Une affaire de famille / Shoplifters (Manbiki Kazoku)

Réalisé par Hirokazu Kore-eda | Dans les salles du Québec le 21 décembre 2018 (Métropole)
La famille a toujours été au cœur du cinéma d'Hirokazu Kore-eda. Il l'a pourtant rarement traitée d'une aussi belle façon que dans Shoplifters, Palme d'Or du dernier Festival de Cannes.
Suite à un détour moins mémorable par le drame judiciaire (avec The Third Murder, inédit au Québec mais disponible en dvd), voir le cinéaste nippon revenir à la source de ses obsessions est toujours un plaisir incommensurable. Après avoir aiguisé davantage son style avec Notre petite sœur et Après la tempête, le voilà qui s'attaque de front au problème de la pauvreté au Japon. Il ne le fait pas en prêchant dans le désert comme Ken Loach et compagnie, mais en concentrant son regard sur une famille unie malgré les intempéries.
Ce cocon familial devient ainsi source de protection pour une petite fille retrouvée et adoptée par le clan. Ses membres, dysfonctionnels en solitaire, se renforcent au contact de leurs semblables, que le lien soit de sang ou pas (une question déjà abordée sur Tel père, tel fils). La laideur et la dureté du monde extérieur sont alors transformées par l'amour des autres, bien que les manières d'y arriver — par le vol, notamment — s'avèrent évidemment discutables.
Le réalisateur ne romance jamais la condition de ses individus, créant peu à peu une brèche dans leur fondation qui s'ébranlera avant la fin. Il ne les juge en aucune occasion, évitant tous les pièges (ils sont si nombreux: misérabilisme, morales d'usage, mièvrerie, sensibilité bien pensante, etc.) en portant un regard noble et empathique sur la situation, qui n'est pas exempt d'humour.
Cela passe évidemment par la mise en scène, d'une justesse inouïe, pas esthétisante comme celle d'Alfonso Cuaron dans Roma, et qui sert parfaitement son sujet. Elle s'oublie pour laisser le quotidien se manifester réellement à l'écran. On semble vraiment être avec les personnages, qui sont campés avec délectation par la traditionnelle famille de cinéma du cinéaste. Cela n'empêche pas les plans de rivaliser de beauté au sein d'un montage expert au rythme organique, dont les métaphores subtilement intégrées amènent tour à tour tension, émotions et libération. C'est le cas notamment du dernier plan où une fillette hésite à sauter par-dessus une clôture.
Auteur d'une filmographie essentielle dont Nobody Knows et Still Walking sont ses principaux porte-étendards, Kore-eda rappelle avec Shoplifters qu'il fait toujours partie de l'élite de son art. Impossible de ne pas ressortir bouleversé d'humanité de cette œuvre magnifique où la vie triomphe pendant deux heures.

14 décembre 2018

★★★½ | The Favourite (La favorite)

★★★½ | The Favourite (La favorite)

Réalisé par Yorgos Lanthimos | Dans les salles du Québec le 14 décembre 2018 (20th Century Fox)
Tout comme The Killing of a Sacred Deer et The Lobster, The Favourite n’échappe pas au regard critique et ironique que porte le réalisateur sur l’environnement qu’il met en scène. À la cour de la reine Anne (Olivia Colman), deux femmes de classes différentes (Rachel Weisz, Emma Stone) se disputent les faveurs de la femme la plus puissante d’Angleterre. Derrière les portes closes de son luxuriant domaine, la frêle reine (que la maladie ravage) est utilisée par la majorité de son entourage. Poussée malgré elle à faire la guerre ou à augmenter les taxes, elle ne sait plus vers qui se tourner. Cette confusion interne fera naître une guerre ouverte entre ses deux conquêtes.
Le film est porté par son formidable trio d’actrice. Les personnages féminins offrent au film l’une de ses plus belles qualités. C’est avec une certaine irrévérence qu’elles forgent leurs propres destinées. Sans trop se soucier des hommes qui les entourent, ce sont elles qui font avancer (ou reculer) les affaires d’État. Le rapport de forces entre les deux sexes produira d’ailleurs les scènes les plus comiques du film. L’humour acerbe (et parfois cruel) des dialogues ainsi que la mise en scène soutenue par une direction artistique extravagante donnent au film des allures de vaudeville complètement déjanté.
The Favourite confirme le talent indéniable d’un réalisateur dont l’univers nous dévoile une étrange beauté. Yorgos Lanthimos prend un certain plaisir à mettre en lumière les failles des systèmes établis. The Favourite est un remarquable plaidoyer qui témoigne d’une affection particulière pour un cinéma hors des sentiers battus.

12 décembre 2018

★★★ | Under the Silver Lake (Sous le Silver Lake)

★★★ | Under the Silver Lake (Sous le Silver Lake)

Réalisé par David Robert Mitchell | Dans les salles du Québec le 14 décembre 2018 (Métropole)
Critique rédigée dans le cadre du festival Fantasia 2018

Avec son dernier film, David Robert Mitchell nous rappelle d’emblée qu’il est extrêmement talentueux. Sans la moindre gêne, il multiplie hommages et références, aussi bien à Hitchcock qu’à la comédie adolescente, à la comédie romantique d’antan qu’à David Lynch, tout en redonnant naissance à Marilyn Monroe et en frôlant l’overdose de clins d’œil sous toutes leurs formes (dans l’utilisation d’une musique, la manière de filmer un plan, mais également en multipliant les affiches et extraits de film). Loin de tourner à la bouillie référentielle, sa première partie est un pur bonheur cinéphile qui nous prouve à chaque instant à quel point Mitchell peut tout faire et maîtrise aussi bien sa force comique que son goût pour un cinéma formellement exigeant. 
Pourtant, progressivement, les choses se gâtent. L’humour déraille, le développement narratif aux allures de remplissage bâclé prend le dessus sur la maîtrise formelle, la fantaisie est plus poussive que nonsensique, le rythme s'essouffle, et le talent de David Robert Mitchell semble fondre comme un bonhomme de neige à Los Angeles. Semble… car le cinéaste prend la peine de nous rappeler qu’il reste en contrôle de tout, y compris des maladresses, trop flagrantes pour ne pas être souhaitées: au milieu d’un film qui semble perdre pied, il nous rassure régulièrement avec un plan, une idée, une scène ou un détail. Ce n’est certes pas suffisant pour impressionner, mais ça l’est assez pour maintenir notre attention, notre intérêt, et nous permettre de l’accompagner dans son voyage au cœur d’un vide au gout d'oxymoron: le vide par le trop-plein. C’est d’ailleurs ce voyage qui rend le film à la fois passionnant et complémentaire de ses œuvres précédentes, situées à Detroit. Après avoir filmé (dans It Follows et dans The Myth of the American Sleepover) des lieux qui se vident, des piscines désertes, des stationnements abandonnés et une jeunesse qui s’occupe comme elle peut, il s’intéresse ici à l’inverse: Los Angeles. La ville bâtie sur les rêves, où rien ne peut être quelconque, où tout est possible, où chacun a la certitude d’exister, mais également où tout doit avoir un sens… de la plus insignifiante performance au plus insignifiant détail. C’est ce qui va être à l’origine de la quête de Sam (Andrew Garfield, pour une fois excellent): trouver du sens à ce qui n’en a pas forcément… et donc se perdre dans la vacuité (pour lui insoupçonnée) de tout ce qui l’entoure! Comme David Robert Mitchell est respectueux de son personnage, il se perd lui aussi un peu dans son propre film. La démarche pourrait être louable, mais le fait de perdre son spectateur en route l'est un peu moins.
Contrairement à Sofia Coppola, qui nous a démontré qu’il est parfaitement possible de faire des films sur un sujet similaire (la vacuité (par le néant dans Somewhere et par l’insignifiance dans The Bling Ring)), Mitchell passe à côté. Heureusement, non seulement son talent omniprésent limite la casse, mais sa démarche artistiquement presque suicidaire fascine.
Et si Under the silver Lake était le meilleur film raté depuis des lustres?