18 juin 2021

★★★ | Censor

★★★ | Censor

Réalisation : Prano Bailey-Bond | Dans les salles et en VOD au Québec à partir du 17 juin 2021 (Métropole Films)
Censor, premier film très prometteur de la réalisatrice galloise Prano Bailey-Bond, est un film d’horreur psychologique qui se penche sur le phénomène des video nasty, ces films d’horreur à petit budget diffusés en vidéo et qui faisaient se déchaîner les bien-pensants de tout poil dans la Grande-Bretagne thatchérienne des années quatre-vingt.
On l’aura compris, avec un tel point de départ, il y a beaucoup à dire et à filmer, ce que fait avec plaisir et talent Bailey-Bond. De l’arrière-plan politique à la réflexion sur la violence au cinéma (rôle de la censure, incidence sur les spectateurs), en passant par un hommage visuel aux films de l’époque, Bailey-Bond installe de nombreux sujets avec une certaine assurance. Malheureusement, après cette mise en place plutôt maîtrisée, le déploiement des enjeux dramatiques et la conclusion sont beaucoup moins convaincants. Prise entre le désir de psychologisation (le rapport entre la vie et les films, la résurgence d’un traumatisme passé) et celui d’assumer les excès visuels inhérents aux films qu’elle aime tant, la cinéaste peine à convaincre et finit par s’embourber un peu dans son envie de faire un cinéma aussi riche thématiquement que visuellement.
Le résultat reste toutefois suffisamment compétent pour être plaisant, malgré la tournure maladroite que prend le film. Surtout, comme nous l’affirmions plus haut, Censor est plein de promesses, et nous avons hâte de découvrir la prochaine œuvre de la réalisatrice, une fois passée cette (compréhensible) envie de vouloir mettre beaucoup (et surtout trop) dans un premier film.

11 juin 2021

★★ | Pinocchio

★★ | Pinocchio

Réalisation : Matteo Garrone | Dans les salles du Québec le 11 juin 2021 (TVA films)
Source d’inspiration intemporelle, le roman pour enfants paru en 1881, Les aventures de Pinocchio de l’écrivain italien Carlo Callodi, compte à ce jour une dizaine d’adaptations pour le cinéma et le petit écran. Ce conte moral traditionnel, avec comme héros une marionnette de bois vivante qui apprend à devenir un garçon, s’apparente aussi à un récit d’apprentissage qui s’adresse autant aux petits qu’aux grands.
Tournée 17 ans après la désastreuse et luxueuse adaptation de Roberto Benigni, cette autre version (avec Benigni par-dessus le marché) était-elle nécessaire ? Alors que l’acteur ne s’est jamais remis de ce cuisant échec aussi bien commercial que critique, il incarne avec cabotinage et entrain Geppetto dans cette nouvelle adaptation mise en scène par le talentueux Matteo Garrone. Le réalisateur de Gomorrah délaisse la décrépitude humaine et noire de son dernier film (Dogman) pour se replonger dans un monde féerique et similaire à celui qu’il avait abordé avec un bonheur très inégal dans Tale of Tales, un film fantastique à la distribution internationale réalisé en 2015.
À l’instar des récents films de Tim Burton (Alice et Dumbo), ces nouvelles aventures de Pinocchio oublient l’essence du récit au profit d’une forme certes très soignée, mais vide. En privilégiant le style au lieu d’une construction narrative solide, le film s’enlise dans ses propres dédales et n’offre en fin de compte qu’une relecture longue et décevante d’une fable maintes fois racontée, dont l’avancement technologique semble être l’attrait principal. À noter que deux autres adaptations sont présentement en chantier: celle de Guillermo del Toro et Mark Gustafson prévue plus tard cette année chez Netflix de même qu’un remake en prises de vues réelles de la version de Disney par Robert Zemeckis avec Tom Hanks pour 2022 !

4 juin 2021

★★½ | Souterrain

★★½ | Souterrain

Réalisation: Sophie Dupuis | Dans les salles du Québec le 4 juin 2021 (Axia)

Nous avions beaucoup aimé Chien de garde. Avec son premier long métrage, Sophie Dupuis affirmait son amour pour le cinéma de genre et osait sortir des sentiers battus. Avec Souterrain, nous retrouvons cet amour pour le cinéma de genre (la dernière partie est une sorte de suspense minier) et cette envie de proposer autre chose (la vie et le travail des mineurs). Malheureusement, elle le fait ici avec beaucoup moins de réussite.
Certes, la cinéaste a du talent lorsqu’elle filme ce qui semble l’intéresser le plus (le rapprochement avec le cinéma de genre). Malheureusement, la majeure partie du film est constituée d’une mise en place laborieuse, qui semble rechercher en vain les petits moments de vie du quotidien, tout en abordant de manière maladroite de grands et graves sujets (le handicap et l’isolement qu’il provoque, les dangers de l’alcool au volant, les difficultés des rapports père-fils, la fausse couche et le traumatisme qu’elle représente, l’adoption et son refus de la part d’un “vrai” mâle (et donc, la paternité biologique vue comme indispensable à l’affirmation de sa virilité), etc.) Voilà donc beaucoup de sujets importants, dont certains ne sont pas souvent traités au cinéma. Malheureusement, ils sont si nombreux qu’aucun n’est ici vraiment abordé de front. On pourrait voir cela comme une volonté de subtilité, de distiller des sujets de société pour éveiller les consciences et laisser le spectateur y réfléchir selon son bon vouloir, mais ce n’est pas le cas non plus. Aussi bien en raison des maladresses d’écriture que des maladresses dans la direction d’acteur, on a le sentiment permanent que Dupuis  recherche plus l'effet que la vérité. Le film donne ainsi l’impression d’être composé d’une heure destinée à rassurer les investisseurs (on parle de vrais gens, avec de vrai problème, et qu’importe si on le fait à la va-vite) et d’une demi-heure enfin réussie (le drame de la mine, qui permet à Dupuis d’être dans un univers qui semble plus lui correspondre).
Nous conseillerons toutefois timidement de visionner Souterrain car il faut soutenir notre cinéma québécois en cette période difficile et car Sophie Dupuis nous rappelle in extremis qu’elle a du talent... mais nous ne pouvons que nous demander si les dithyrambes entendus ou lus ici et là ne sont pas un peu excessifs.

28 mai 2021

★★★½ | New Order (Nuevo orden)

★★★½ | New Order (Nuevo orden)

Réalisation: Michel Franco | Dans les salles du Québec le 28 mai 2021 (Entract films)
Le cinéaste mexicain Michel Franco, un habitué du Festival de Cannes, a présenté Nuevo orden à Venise en 2020, où il a reçu le Grand prix du jury. Il arrive au Québec cette semaine, et ne devrait pas laisser indifférent!
Le film s’ouvre avec quelques plans mystérieux, qui laissent imaginer une situation hors de contrôle et difficilement concevable. Mais très vite, le cinéaste nous propose un retour au confort d'une grande maison et à la promesse d'un avenir heureux, puisque le gratin local est réuni pour un mariage. Les invités célèbrent, les domestiques servent, tout semble bien aller. Pourtant, progressivement, un dérèglement s’installe jusqu'à l'irruption de contestataires armés qui volent et tuent. D'emblée, même si l’arrogance des nantis fait face à la souffrance des miséreux, Franco ne nous met pas aveuglément du côté des pauvres, dont certains agissent de manière disproportionnée. Le reste du film est à l'avenant. Jamais le cinéaste n’oppose un camp à l’autre. Il filme des hommes et des femmes qui voient le monde s’écrouler, quelle que soit leur condition sociale. Mais si la souffrance et la douleur peuvent toucher tout le monde, le mal aussi peut se glisser partout, y compris (surtout?) du côté de ceux censés protéger les populations.
Ce point de départ, et son refus de la facilité, est renforcé par les choix de mise en scène. Loin de suivre la voie de certains de ces compatriotes (nous pensons par exemple au Escalente de Heli), le cinéaste montre bien évidemment l'horreur d'une situation qui devient hors de contrôle, mais il refuse les images trop chocs et laisse assez de place au hors-champ. Avec ce choix, il rend aussi plus prégnante l'idée de la perte de contrôle, et colle parfaitement avec la logique du film (plusieurs protagonistes, séparés par les événements, ne savent pas ce qui se passe ailleurs!)
Malgré ses qualités, et peut-être en raison d'une absence de maîtrise totale de ses choix, le film n'a peut-être cependant pas toujours l'impact souhaité: certes, il refuse le coup de poing au visage, mais sa volonté de créer le malaise (sa recherche du coup de poing à l’estomac?) est parfois atténuée par une application trop visible. Ces petites réserves empêchent Nuevo orden de devenir un des grands films sur le dérèglement d'une société qui ne laisse que des perdants (sauf ceux qui avaient déjà le pouvoir des armes). Il n'en demeure pas moins un film paradoxalement dérangeant et courageux dans sa volonté de traiter ce dérèglement avec une (relative) retenue.

21 mai 2021

★★¾ | Riders of Justice (Retfærdighedens ryttere)

★★¾ | Riders of Justice (Retfærdighedens ryttere)

Réalisation: Anders Thomas Jensen | En salle et en VSD au Québec à partir du 21 mai (Métropole Films Distribution)
Markus (Mads Mikkelsen), militaire en mission à l’étranger, est visiblement en contrôle de ses émotions jusqu’à ce qu’il soit rappelé au pays lorsque sa femme est victime d’un accident mortel. Dans le même temps, deux spécialistes de statistiques, aidés par un hacker, sont persuadés que la cause n’est pas accidentelle et pensent avoir trouvé les coupables. La police ne les écoute pas. Ils contactent le veuf… et ces nouveaux justiciers dans la ville se mettent en tête de faire payer les présumés coupables. Au milieu de ce petit monde, la fille du militaire va, tour à tour, essayer de vivre avec le drame, de se rapprocher de son père et de faire comprendre aux adultes que la violence n’est pas la solution !
Voilà un bref résumé qui laisse volontairement de côté quelques thèmes abordés par le film… qui en comporte beaucoup trop (tout ne s’explique pas; il faut se méfier des fausses évidences; pour vivre heureux, vivons nos psychoses ensemble, etc.). Nous ne reviendrons pas dans le détail sur tous, ni sur cette impression constante que chaque pas en avant du film est compensé par un pas en arrière… mais nous ne pouvons que regretter cette impression de surplace. En effet, le tout est solidement filmé et les acteurs semblent bien s’amuser à jouer leur petite caricature (les trois geeks à la santé mentale défaillante et le militaire impassible), mais c’est peut-être aussi ce qui est à la base du principal problème du film. Certes, l’opposition entre les personnages porte souvent ses fruits et génère des situations assez amusantes, y compris dans la course à la violence et à la destruction des “coupables”, mais ce parti pris semble en totale opposition avec la thèse du film, qui est justement la condamnation de la violence. Anders Thomas Jensen aurait pu faire le choix d’aller vers une violence dérangeante, vers le cynisme, vers l’absurde, vers le film à thèse, ou prendre finalement beaucoup d’autres directions... mais à la place, il empile ces choix qui finissent par annuler leur propre portée.
Le film, au demeurant relativement plaisant, tourne alors de plus en plus en rond, s’étire de plus en plus inutilement, et finit par laisser un petit goût de vide. Certes, du vide relativement fun, solidement filmé, interprété par des acteurs parfaits… mais du vide quand même. À moins que ce soit du trop-plein. Parfois, comme ici, les deux se confondent!

14 mai 2021

★★★½ | Hygiène sociale

★★★½ | Hygiène sociale

Réalisation: Denis Côté | Dans les salles du Québec le 14 mai 2021

Même s'il est toujours question de nature et d'êtres marginaux à côté de la vie, Denis Côté se plaît à ne jamais faire le même film, alternant entre des projets plus «conventionnels» et des objets laboratoires à micro budget tournés en quelques jours seulement. C'est dans cette dernière catégorie que se classe Hygiène sociale, un de ses essais les plus originaux et libres en carrière.
Récompensée plus tôt cette année à Berlin, cette création hors norme est l'antidote parfait à la pandémie. Il s'agit d'une farce ludique et philosophique sur un voleur qui a maille à partir avec son entourage, la société et, surtout, sa propre existence. Le charme intemporel et anachronique du récit évoque les contes grecs et les saynètes de Marivaux. Les dialogues fondent littéralement dans la bouche, rappelant que son auteur peut être bon avec les mots, livrant des phrases savoureuses comme « J'aime bien tuer le temps; j'assassine aussi toutes mes nuits. » Mais contrairement à ce qu’il faisait dans Boris sans Béatrice, il agit ici sans prétention ni pédanterie, amusant beaucoup au passage tout en se dévoilant, même si l'ensemble n'apparaît pas particulièrement profond ou subtil.
Le tout aurait certainement été différent sans la présence de Maxim Gaudette. Peu importe si son personnage relève de l'archétype car l'acteur transcende l'écran de sa présence et de son charisme, alternant avec délectation entre différents niveaux de langage. Les comédiens déclament leur texte comme au théâtre et c'est justement cette scène qui sera reproduite — et détruite au passage — en plein air. Une barrière invisible sépare les êtres statiques et solitaires, incapables de bien communiquer ensemble — une ironie alors que le verbiage est roi — et qui est exprimé par leur distanciation physique et sociale.
Construit comme une succession d'élégants longs plans fixes extrêmement soignés visuellement, Hygiène sociale semble prendre un malin plaisir à étirer le temps. Pas tant pour concurrencer les maîtres du slow cinema (au contraire, on est ici plus près d'un Roy Andersson que d'un Tsai Ming-liang) que pour expérimenter avec légèreté pendant 75 minutes. L'enrobage sonore très travaillé n'est également jamais loin de la farce (avec ces corbeaux qui semblent constamment se moquer de ce qui est dit) et fidèle à son habitude, le cinéaste sabote son propre travail en y intégrant une succession de plans rapides et un ton qui devient plus ambigu. Contre toutes attentes, la cohérence est de mise, particulièrement lorsque les corps peuvent s'exprimer sur une mélodie contagieuse de Lebanon Hanover.
Denis Côté offre ainsi avec son 13e long métrage l'œuvre idéale pour oublier la pandémie et accueillir la saison estivale à bras ouverts. Qui eut cru que l'auteur de Curling allait offrir un jour le film québécois le plus drôle des dernières années ?