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20 janvier 2022

★★★½ | Un Héros (Ghahreman)

★★★½ | Un Héros (Ghahreman)

Réalisation: Asghar Farhadi | En VOD au Québec le 11 janvier 2022 (Amazon Prime Video)
Les créations d'Asghar Farhadi se suivent et se ressemblent. Les protagonistes pleins de bonne foi se font tous aspirer par les spirales implacables d'un système gangrené, d'une société déshumanisée où les règles sont impossibles à suivre sans se dérober.
Un héros (Grand prix à Cannes en 2021) ne fait pas exception, interrogeant la notion d'héroïsme à une époque complexe et ambiguë où la cupidité et les réseaux sociaux mènent le monde. En prison pour ne pas avoir épongé une dette, Rahim voit l'occasion de se racheter et de laver son nom en rendant une large somme d'or à son propriétaire. Le plan ne se déroule évidemment pas comme prévu…
Après son tiède Everybody Knows qui se déroulait en sol étranger, l'homme derrière le magnifique Une séparation retrouve ses repères en retournant chez lui. Construisant à nouveau son récit comme un suspense insoutenable, il propose un le long métrage qui électrocute les fondements d'une nation en troquant la subtilité pour l'efficacité. Le scénario riche de rebondissements fait fi d'invraisemblances tardives pour faire réagir, y arrivant aisément.
S'il n'y a rien de véritablement inédit sous le soleil et que son traitement pourrait paraître misanthrope, le créateur de l'oscarisé Le Client se démarque dans sa façon de développer son héros. Tout sourire, l'acteur Amir Jadidi laisse son charme naturel ressortir, finissant par manipuler son entourage comme le cinéaste manipule allègrement le cinéphile, multipliant de fausses joies en lui posant constamment des lapins.
Une certaine humanité transparaît pourtant à l'horizon, prenant la forme de l'honneur bafouée de Rahim et de son humiliation quotidienne. Face aux regards d'un fils bègue, il fera l'impossible pour ne pas boire complétement la tasse et bien paraître à ses yeux. Une moralité presque retrouvée pour une relation qui n'est pas sans rappeler celle, légendaire et universelle, qui s'établissait au cœur même du Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica.
Même s'il utilise encore et toujours le même canevas pour transcrire les dédales d'une société qui finit par broyer ses individus, Asghar Farhadi s'affiche au sommet de son art, signant avec Un héros son film le plus réussi depuis Le Passé. À découvrir si possible en doublé avec l'Ours d'Or 2020, Le diable n'existe pas de Mohammed Rasoulof, pour se rappeler que tout ne tourne peut-être pas rond en Iran.

5 novembre 2021

★★ |Eternals (Éternels)

★★ |Eternals (Éternels)

Réalisation: Chloé Zhao | Dans les salles du Québec le 5 novembre 2021 (Walt Disney Pictures)

Eternals est sans doute le long métrage de Marvel le plus attendu des critiques depuis des lustres. La présence de Chloé Zao (gagnante des Oscars du meilleur film et de la meilleure réalisatrice plus tôt cette année pour son magnifique Nomadland) derrière la caméra n'est sans doute pas étrangère à ça.
La déception est d'autant plus grande qu'on se retrouve devant une superproduction générique et sans âme, qui recycle les éléments narratifs habituels en alliant un peu n'importe comment l'intime et le spectaculaire. Le film présente pas moins de dix (!) nouveaux super-héros, mais aucun ne s'avère réellement attachant malgré la longue durée de l'entreprise (près de 2 heures 40 minutes).
Après l'agréable et léger divertissant Shang-Chi and the Legend of the Ten Rings, place à un épisode plus sombre qui tente de méditer sur l'existence, le sens de la vie, la notion de Bien et de Mal et même la théorie de l'évolution, en revenant notamment à des moments importants de la planète. Ce désir de profondeur s'avère seulement prétentieux et ridicule en raison d’un scénario rédigé à huit mains qui ne fait aucun sens et d'acteurs qui croient difficilement à ce qui se passe autour d'eux.
En se recentrant sur l'émotion et l'humanité des personnages (l'humour est rare et maladroit), le script verse régulièrement dans le kitsch le plus nauséabond, rappelant encore et toujours l'importance de travailler en équipe et la nécessité d'aimer. De la grosse guimauve collante qui se voit gratifiée d'une bonne dose de sirop.
Évidemment les fans ne sont pas nécessairement là pour l'histoire. Ce sont les scènes d'action qui les intéressent. Ces dernières, souvent redondantes, en mettent toutefois plein la vue et les oreilles même si le tout manque singulièrement d'originalité. Il y a bien quelques moments marquants, mais surtout une utilisation fastidieuse des plans sombres. Sans doute pour couvrir les effets spéciaux, inégaux et même risibles à certains endroits.
En continuant d'aseptiser son univers, Disney finit par vampiriser le talent à sa disposition pour offrir un énième produit lisse et interchangeable, bien de son époque (diversité, baiser homosexuel, etc.). Mais cette fois-ci, le résultat n'est vraiment pas à la hauteur. Chloé Zao méritait plus. Nous aussi. Il ne s'agit peut-être pas du pire Marvel au cinéma, mais certainement du plus décevant.

27 août 2021

★★★ | Prisoners of the Ghostland

★★★ | Prisoners of the Ghostland

Réalisation: Sion Sono | Dans les salles du Québec le 27 août 2021 (Métropole Films Distribution)

Ce n'était qu'une question de temps avant que Sion Sono tourne un film américain. Prisoners of the Ghostland propose une initiation à son art qui se veut amusante et simplifiée.
Cela ne prend que quelques secondes pour constater qu'on est bel et bien devant un long métrage du cinéaste culte de Suicide Club. Le réalisateur punk possède un style unique, conviant un chaos qui verse dans la surenchère, l'abondance de combats hystériques et sanguinolents, mélangeant allègrement trois ou quatre genres au passage. Un seul coup d'œil à la bande-annonce et le désir est grand de vivre l'expérience au cinéma, à délirer entre amis ou inconnus.
Le long métrage fonctionne d'ailleurs surtout comme un divertissement inconséquent à usage unique. C'est toutefois suffisamment grotesque, amusant, déstabilisant, étrange et malsain pour qu'on en redemande. Surtout chez le cinéphile qui ignore tout du metteur en scène nippon. Visuellement l'œuvre en impose, proposant de décadentes visions de l'enfer à rendre jaloux tous les westerns à la Mad Max de la planète. Et musicalement elle n'est pas en reste, conviant des synthétiseurs symphoniques qui ne laissent pas indifférents.
La poussière ne tarde cependant pas à retomber. Aussi efficace soit-il, l'exercice de style répétitif demeure classique, et il n'existe que pour dissimuler des thèmes ténus explorés superficiellement. Le scénario concocté par Reza Sixo Safai et Aaron Hendry est plus que limité, les dialogues sonnent creux et il n'y a aucun personnage réellement attachant ou intéressant. Un fait rare chez le créateur de Tag et Red Post on Escher Street.
Évidemment ce n'est pas une raison pour bouder son plaisir et ne pas prendre son pied. D’autant plus que Sion Sono a trouvé son parfait alter ego en Nicolas Cage. L'acteur le plus cinglé de sa génération, qui était si sobre et juste dans le récent Pig, s'amuse beaucoup ici, modulant sa performance à l'ensemble sans trop en faire pour autant. Une rencontre au sommet entre deux monstres sacrés dont la folie semble avoir peu d'égal.
Prisoners of the Ghostland, le premier film du réalisateur à être distribué au Québec depuis près de dix ans, semble donc être une carte de visite pour le faire connaître à un nouveau public. Peut-être qu'après, ses nouveaux fans voudront découvrir les Cold Fish et autres Love Exposure qui les marqueront à jamais...

14 mai 2021

★★★½ | Hygiène sociale

★★★½ | Hygiène sociale

Réalisation: Denis Côté | Dans les salles du Québec le 14 mai 2021

Même s'il est toujours question de nature et d'êtres marginaux à côté de la vie, Denis Côté se plaît à ne jamais faire le même film, alternant entre des projets plus «conventionnels» et des objets laboratoires à micro budget tournés en quelques jours seulement. C'est dans cette dernière catégorie que se classe Hygiène sociale, un de ses essais les plus originaux et libres en carrière.
Récompensée plus tôt cette année à Berlin, cette création hors norme est l'antidote parfait à la pandémie. Il s'agit d'une farce ludique et philosophique sur un voleur qui a maille à partir avec son entourage, la société et, surtout, sa propre existence. Le charme intemporel et anachronique du récit évoque les contes grecs et les saynètes de Marivaux. Les dialogues fondent littéralement dans la bouche, rappelant que son auteur peut être bon avec les mots, livrant des phrases savoureuses comme « J'aime bien tuer le temps; j'assassine aussi toutes mes nuits. » Mais contrairement à ce qu’il faisait dans Boris sans Béatrice, il agit ici sans prétention ni pédanterie, amusant beaucoup au passage tout en se dévoilant, même si l'ensemble n'apparaît pas particulièrement profond ou subtil.
Le tout aurait certainement été différent sans la présence de Maxim Gaudette. Peu importe si son personnage relève de l'archétype car l'acteur transcende l'écran de sa présence et de son charisme, alternant avec délectation entre différents niveaux de langage. Les comédiens déclament leur texte comme au théâtre et c'est justement cette scène qui sera reproduite — et détruite au passage — en plein air. Une barrière invisible sépare les êtres statiques et solitaires, incapables de bien communiquer ensemble — une ironie alors que le verbiage est roi — et qui est exprimé par leur distanciation physique et sociale.
Construit comme une succession d'élégants longs plans fixes extrêmement soignés visuellement, Hygiène sociale semble prendre un malin plaisir à étirer le temps. Pas tant pour concurrencer les maîtres du slow cinema (au contraire, on est ici plus près d'un Roy Andersson que d'un Tsai Ming-liang) que pour expérimenter avec légèreté pendant 75 minutes. L'enrobage sonore très travaillé n'est également jamais loin de la farce (avec ces corbeaux qui semblent constamment se moquer de ce qui est dit) et fidèle à son habitude, le cinéaste sabote son propre travail en y intégrant une succession de plans rapides et un ton qui devient plus ambigu. Contre toutes attentes, la cohérence est de mise, particulièrement lorsque les corps peuvent s'exprimer sur une mélodie contagieuse de Lebanon Hanover.
Denis Côté offre ainsi avec son 13e long métrage l'œuvre idéale pour oublier la pandémie et accueillir la saison estivale à bras ouverts. Qui eut cru que l'auteur de Curling allait offrir un jour le film québécois le plus drôle des dernières années ?

29 avril 2021

★★★½ | Pour l'éternité / About Endlessness (Om det oändliga)

★★★½ | Pour l'éternité / About Endlessness (Om det oändliga)

Réalisation: Roy Andersson | Disponible dans les salles et en VSD au Québec à partir du 30 avril 2021 (EyeSteelFilm)
Roy Andersson tourne peu mais ses films sont toujours des événements cinématographiques. C'est évidemment le cas de Pour l'éternité, son quatrième long métrage du présent siècle.
La première scène pique instantanément la curiosité du cinéphile. Il s'agit d'un couple enlacé dans le ciel, à l'instar d'une peinture de Chagall. Une image forte et mémorable, qui contraste avec le dernier plan: un homme seul qui tente de réparer sa voiture en panne dans un champ. Entre les deux, il s'agit du testament d'un créateur de 78 ans qui ne tournera peut-être plus jamais et qui explore les liens qui unissent et éloignent les gens.
Fidèle à ses habitudes, le cinéaste suédois déploie une multitude de saynètes de durée variable. Quelques personnages reviennent même si l'intérêt se trouve ailleurs. Sa mise en scène statique, récompensée à la Mostra en 2019 et reconnaissable entre toutes, prolonge le plan fixe afin de capter le quotidien de ses êtres. Sa photographie exceptionnelle baigne dans le gris, le brun et brume, rappelant le style d'Edward Hopper.
A priori, rien n'a vraiment changé depuis sa précédente trilogie, qui a démarré sur des chapeaux de roues en 2000 avec son extraordinaire Chansons du deuxième étage. On assiste encore au théâtre de l'absurde version Beckett, avec un humour mi-Tati mi-Kaurismäki qui a été, depuis, alimenté par Stéphane Lafleur.
Le spectateur ne se retrouve pas pour autant en terrain connu. Le rire ne s'accapare plus la part du lion, bien au contraire. Des thèmes plus sombres font leur entrée, que ce soit la solitude, la perte et la crise de la foi. Une gravité qu'annonçait déjà le précédent et sous-estimé Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence.
La condition humaine a toujours été au cœur des préoccupations de son auteur, qui se dépasse cette fois en liant les mal-être individuels et collectifs, créant des liens insoupçonnés envers le passé pour rappeler comment la colère présente peut trouver ses racines dans les crimes de l'Histoire.
Des constatations qui se font progressivement à l'aide d'un regard qui n'a pas perdu de son acuité et qui amalgame le ludique et le tragique. Une voix hors-champ féminine se fait parfois entendre, apportant poésie et émotion tout en évoquant le chef-d'œuvre Les ailes du désir de Wenders.
Court et infini à la fois, Pour l'éternité est un opus qui possède peu d'équivalents, si ce ne sont les précédentes créations d'Andersson. L'ensemble méritera probablement un certain temps d'adaptation pour un public non initié mais il ravira rapidement les autres, heureux de pouvoir s'y lover en ces jours si incertains.