13 mai 2022

★★★¾ | Petite maman

★★★¾ | Petite maman

Réalisation Céline Sciamma | Dans les salles du Québec le 13 mai 2022 (Entract)
Après son magistral Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma nous revient avec un film d’apparence beaucoup plus modeste. Pourtant, si la forme est moins sophistiquée et si les rôles principaux tiennent sur les frêles épaules de deux fillettes de 8 ans, ce très court film devient vite fascinant.
Dès le départ, les images très sobres sont mises au service des personnages (une mère et sa fille font face au deuil de leur mère / grand-mère). Sciamma observe et nous offre de beaux moments de complicité (ce qui est déjà beaucoup) mais soudain le film bascule dans un fantastique minimaliste, filmé le plus modestement du monde, comme si sa proposition pourtant invraisemblable ne faisait aucun doute. La simplicité de la démarche, des décors (une vieille maison bordée d’une forêt), des actrices (deux petites filles qui évoluent sous la caméra sans vraiment « jouer ») mais également l’apparent refus des développements narratifs trop complexes font que cela fonctionne à merveille. Sciamma construit en effet son scénario comme s’il ne se passait pas grand-chose… comme si permettre une rencontre qui relève de l’impossible n’était pas un élément sur lequel il fallait insister (ni douter!). Alors l’improbable devient possible, et le film transforme progressivement sa délicatesse en grâce et nous permet, l’air de rien, d’imaginer que peut-être, quelque part, grâce à la magie du cinéma, il est possible de devenir l’espace de quelques jours l’ami du même âge d’un parent redevenu enfant, ou de dire au revoir, l’air de rien, à une grand-mère récemment disparue.
Finalement, sur un mode faussement mineur, Petite maman est un grand film sur l’enfance, les liens entre les générations et le deuil... le tout en 1 h 13. Superbe!

6 mai 2022

★★★½ | Vortex

★★★½ | Vortex

Réalisateur: Gaspar Noé | Dans les salles du Québec le 6 mai 2022 (Cinéma du Parc)
Plus la filmographie de Gaspar Noé se développe, plus elle devient passionnante et cohérente, même lorsque ses films ne sont que partiellement convaincants (ce qui est souvent le cas… ).
On pourrait pourtant facilement se dire que Vortex est l’antithèse de ses films précédents (une histoire centrée sur un couple de vieillards; une mise en scène presque naturaliste, dénuée d’effets graphiques, visuellement proche d’un documentaire). Mais il n’en est rien : après quelques secondes, Noé nous propose un petit effet de style comme il les aimes : ici, un split screen scindant l’écran en deux mondes, en deux solitudes, et qui traduit la rupture générée par les déficiences cognitives de l’épouse. Noé reste également fidèle à ces thèmes (la déchéance, la mort, la séparation, la dépendance…), à ses faiblesses (des dialogues ou des développements narratifs souvent maladroits, presque naïfs, même s’ils sont rares) et à quelques facilités exercés cependant avec un certain talent (dans les dernières minutes principalement, avec ces images qui se voudraient trop ostensiblement marquantes).
Mais à côté de tout cela, il y a quelques moments sublimes (dont une discussion à trois sur un avenir incertain), une Françoise Lebrun et un Alex Lutz excellents (oublions le grand Dario, qui est plus à l'aise derrière la caméra), et surtout l’évidence, à chaque instant : du caractère écorché vif du cinéaste ; de sa peur de la déchéance, de la mort, de la séparation (bis repetita) ; de l’importance de la création pour (se donner l'illusion de) lutter contre l’inéluctable fin. C'est d'ailleurs plus pour cela que Vortex est bouleversant.
Et s’il était moins un film sur la séparation d’un couple par la mort qu'un film sur les doutes existentiels de Noé, dans le prolongement d'une œuvre hautement cohérente et indispensable, malgré les petits agacements qu’elle peut parfois susciter?

22 avril 2022

★★½ | Norbourg

★★½ | Norbourg

Réalisation: Maxime Giroux | Dans les salles du Québec le 22 avril 2022 (Entract Films et Maison 4:3)
Maxime Giroux (La grande noirceur) et Simon Lavoie (Nulle trace) sont deux des cinéastes les plus essentiels du Québec. Lorsque le premier réalise et que le second scénarise au sein du même film, cela ne pouvait que donner un résultat qui sorte des sentiers battus. C'est le cas de Norbourg… mais pas pour les bonnes raisons!
Inspiré d'un fait divers qui a secoué la Belle Province au milieu des années 2000, ce long métrage ne sait jamais sur quel pied danser. Est-ce une sombre histoire d'amitié et de trahison entre un fraudeur (François Arnaud) et un ancien homme vertueux (Vincent-Guillaume Otis) qui a été corrompu par le pouvoir et l'argent ? Ou une farce grossière et transgressive sur les milieux de la finance comme pouvaient l'être les beaucoup plus efficaces The Big Short ou The Wolf of Wall Street ? Dans tous les cas, le récit s'avère superficiel et il laisse souvent indifférent.
Il est en fait constamment en quête d'une identité qui lui est propre. Vulgarisés jusqu'à en devenir simplistes, les enjeux n'en demeurent pas moins verbeux et trop explicatifs, alors que de grosses ficelles pendent pour manipuler le spectateur (par exemple la pauvre petite fille de l'introduction qui risque de perdre son héritage). La mise en scène compétente qui exploite favorablement la grisaille et la solitude de la Métropole s'avère d'ailleurs un peu trop télévisuelle. Même la musique, au demeurant très soignée (certains échos évoquent Le cheval de Turin), finit par donner le tournis par son omniprésence et sa façon de tout souligner. Quant aux deux interprètes principaux, ils ne semblent pas toujours croire à leurs personnages avec leurs petits sourires en coin.
Et si l'intérêt résidait ailleurs ? C'est à se demander si Giroux et Lavoie, qui ont toujours œuvré au sein d'un septième art indépendant, n'ont pas voulu imiter leur sujet afin de palper un cinéma commercial et populaire en offrant exactement ce que le client demande : une production lisse et impersonnelle, pas inintéressante mais dénuée d'âme, qui embrasse volontairement les conventions pour — c'est à espérer pour eux — s'en mettre plein les poches. L'exercice de manipulation qui en découle ne livre peut-être pas toujours la marchandise, mais au moins il va plus loin que le résultat assez quelconque en place.

15 avril 2022

★★★★ | Les Olympiades

★★★★ | Les Olympiades

Réalisation: Jacques Audiard | Dans les salles du Québec le 15 avril 2022 (MK2 | MILE END)

Les liens entre le cinéma de Jacques Audiard et le cinéma de genre sont indéniables depuis ses débuts. Avec Les Olympiades, le cinéaste donne dans un premier temps l’impression de s’en éloigner pour aller vers un cinéma d’auteur plus classique.
Ce qui frappe d’emblée également, ce sont ses acteurs, inconnus ou peu connus (la « vedette » du film est Noémie Merlant), qui parviennent à incarner leurs personnages en quelques secondes avant de, progressivement, les rendre plus complexes, plus imparfaits… donc plus humains. Il faut reconnaître qu’ils sont aidés par la mise en scène d’Audiard, qui semble les aimer plus que tout et qui les sublime à merveille. Soulignons aussi le travail d’écriture qui a su engendrer ces trois (puis quatre) personnages attachants malgré leurs failles. Cependant, le scénario n’est pas a priori irréprochable, en raison de certaines facilités qui flirtent un peu trop avec le cliché (le portrait de la provinciale qui débarque de province, pour ne citer que le plus flagrant). De plus, le film donne régulièrement l’impression qu’Audiard nous propose la description d'une génération qu’il peine à comprendre vraiment.
Mais paradoxalement, ce qui pourrait ressembler à des points faibles se transforme petit à petit en force. Au fur et à mesure, ces éléments finissent en effet par créer une certaine distance avec le réel, une sorte de décalage permanent, renforcé par le noir et blanc, qui donne au film un aspect presque intemporel malgré des thèmes très contemporains (l'importance des médias sociaux par exemple). La force du film est d'assumer cette logique du décalage et d’en tirer profit en lui donnant un ton particulier, presque irréel, qui engendre à la fois un sentiment de légèreté et de désabusement constant, de gravité et d'humour. Finalement, Audiard, en s’éloignant du réel, en désancrant partiellement son film de son époque, en dépeignant des personnages multi-facettes, trouve un chemin indirect mais très efficace pour restituer l’essence de ce qui fait nos vies. Et finalement, contrairement aux apparences des débuts, il reste fidèle à lui-même, c’est-à-dire à son amour pour le cinéma de genre. À sa manière, ce sont bien les codes de la comédie romantique qu’il reprend ici, d’une manière aussi touchante qu’inhabituelle. Par ces personnages, par son décalage permanent, par son faux désespoir qui conduit finalement au bonheur, Les Olympiades nous surprend, nous enchante, nous marque profondément.

8 avril 2022

★★★¾ | Cow

★★★¾ | Cow

Réalisation: Andrea Arnold | Dans les salles du Québec le 8 avril 2022 (Cinéma du Parc)

Andrea Anold, réalisatrice notamment de Fish Tank et de American Honey, nous revient avec un documentaire qui délaisse l’adolescence au profit du monde animal. Cow met la vache au cœur de sa démarche. Peut-être devrions nous d’ailleurs plutôt dire : avec Cow, Andrea Arnold met sa caméra au cœur du troupeau. Elle y suit en effet une vache laitière (à l'exception d'une petite parenthèse avec un de ses veaux jusqu’à son départ de la ferme qui l’a vu naître), en restant toujours au plus près d’elle. Cette expérience hautement immersive, presque sans paroles (à l’exception des rares échanges des fermiers), nous fait vivre des bribes de vie d’une vache laitière pendant 94 minutes, de l’accouplement à la traite quotidienne, en passant par l’arrachement des petits et de rares moments de repos au champ (dont nous retiendrons un regard vers le ciel aux allures de méditation bovine particulièrement troublante). La force de Arnold est de nous montrer sans trop chercher à diriger notre regard. Ainsi, contrairement à Gunda (pour lequel j’ai plus de réserve que mon collègue, lire sa critique), Cow n’est pas une manipulation déguisée en expérience visuelle. Chez Armold, les images sont simples, jamais esthétisantes… et surtout, elle essaie de ne pas sombrer dans la facilité anthropomorphique (même si elle n’y parvient pas toujours totalement, ce qui est probablement la petite faiblesse du film). Elle se contente d’être au milieu des vaches, aux côtés de son sujet d’étude, avec la distance qui convient. Le trouble vient donc de notre observation de cette réalité plus que d’un message imposé, ce qui en augmente la force.
Ce sentiment trouve son apogée à la fin. Nous ne la raconterons pas, même si l’issue d’un animal de ferme est souvent la même pour une grande majorité. Pourtant ici, la fin de vie de la vache n’est pas celle qu’on anticipe. Une fin certes éprouvante pour le spectateur mais presque belle pour elle, très éloignée de celle de ses congénères qui connaîtront le stress de l’abattage à la chaîne. C’est la force du film : nous laisser comprendre la dureté des conditions d’élevage sans nous montrer le pire. Arnold n’impose pas un brûlot vegan simpliste, mais choisit de nous montrer juste ce qu’il faut pour nous donner envie de nous interroger sur notre rapport au monde animal. 

1 avril 2022

★★★½ | Le genou d'Ahed / Ahed's Knee (Ha'berech)

★★★½ | Le genou d'Ahed / Ahed's Knee (Ha'berech)

Réalisation Nadav Lapid | Dans les salles du Québec le 1er avril 2022 (Cinéma Du Parc)
Une route pluvieuse, une motocyclette file à toute vitesse. Sous le casque, une jeune femme qui se rend à une audition pour interpréter le rôle d’Ahed, adolescente qui a osé défier les forces armées israéliennes.
Le genou d'Ahed nous donne l'impression d'explorer une proposition déjà vue maintes fois au cinéma. Celle du film dans le film et du créateur qui doit lutter contre les conditions difficiles afin de créer une œuvre à la hauteur de ses ambitions. Nadav Lapid détourne rapidement et habilement les attentes en livrant une chronique incisive sur la relation entre l'artiste et l'État. À travers l'apparent cynisme du personnage d'un réalisateur invité à présenter l'un de ses films dans une petite ville, Lapid propose une exploration des liens que l'on entretient avec l'art (en tant que public ou créateur). Peut-on simplement consommer ou concevoir une œuvre dans le but d'échapper au réel ? Peut-on vraiment échapper au réel ou espérer le transformer à travers l’acte de création.
Ce combat entre réalité et fiction est soutenu par le combat interne du personnage principal lorsqu'on lui impose de choisir dans une liste de sujets à aborder lors de la discussion qui aura lieu après la projection de son film. C’est à l’extérieur de la salle de projection (le réalisateur déteste voir ses films) qu’on découvre l’étendue la complexité des effets de l'État sur sa population.
Sans jamais être lourd ou moralisateur, le film inscrit de manière presque ludique un tendre plaidoyer sur la nécessité de la création artistique et plus encore, de sa capacité à rejoindre tout type de public. La trame musicale, l’interprétation captivante de l’ensemble des comédiens, la structure narrative éclatée ainsi que les mouvements de caméra dynamique nous démontrent la maîtrise de la mise en scène.
Le genou d'Ahed est une œuvre saisissante qui ne cherche pas à imposer de vérité si ce n'est que l’acte de création est un risque qui ne devra pas reposer sur la répétition de schémas préétablis.