16 septembre 2022

★★★½ | Pearl

★★★½ | Pearl

Réalisation: Ti West | Dans les salles du Québec le 16 septembre 2022 (VVS films)

Après le très agréable X, Ti West retrouve Mia Goth (également coscénariste) pour nous proposer un antépisode encore plus convaincant. Alors que X nous entraînait vers le cinéma d’horreur des années soixante-dix pour se terminer dans un excès grand-guignolesque qui pouvait conduire le spectateur près de l’indigestion, Pearl se fait plus sobre et maîtrisé en nous propulsant dans une esthétique digne de l’âge d’or de Hollywood. Très référentiel, le film nous plonge aussi bien dans le cinéma de genre horrifico-paranoïaque que dans la comédie musicale ou le mélodrame sirkien, en passant d’un genre à l’autre avec une fluidité impressionnante! Couleurs, direction artistique, musique, interprétation, tout le film respire le profond respect pour un cinéma disparu… ce qui n’empêche pas Ti West de laisser libre cours à son humour. Mais ici, l’humour n’est pas fun, mais tour à tour sombre ou désabusé, voir désespéré. La raison est l’intérêt qu’il témoigne pour son personnage principal, dont il parvient à brosser un beau portrait, celui d’une jeune femme de la campagne qui doit composer avec un mari parti à la guerre, un père malade, une mère tyrannique et surtout un désir de gloire si puissant (pour elle, la seule façon de sortir de sa condition) qu’il finit par lui faire tourner la tête jusqu’à l’entraîner vers une folie meurtrière. Du coup, il parvient à nous la rendre attachante malgré ses actes ignobles. Et lorsque le cinéaste donne l’impression de vouloir tourner sa folie en ridicule, il parvient toujours à nous laisser un arrière-goût en bouche qui nous pousse à nous apitoyer devant la douleur de cette femme détruite par un rêve de bonheur impossible. D’ailleurs, le dernier plan du film, interminable, sur le visage de Mia Goth crispé dans un rictus ou se mêlent la folie et la douleur, est probablement un des plus troublants vus au cinéma cette année!
★★★½ | Le rêve et la radio

★★★½ | Le rêve et la radio

Réalisation: Ana Tapia Rousiouk et Renaud Després-Larose | Dans les salles du Québec le 16 septembre 2022 (La distributruce de films)
Le rêve et la radio affiche d’emblée sa différence. Premier long métrage réalisé conjointement par Renaud Després-Larose et Ana Tapia Rousiouk, Le rêve et la radio opère à la fois avec calme (explorant son récit à partir de voix chuchotées et par scènes intimes) et avec des intentions maximalistes : les formes esthétiques changent à une vitesse ahurissante, laissant peu de temps de répit au spectateur.
Sur ses deux heures et quart, le film se perd et se retrouve constamment. La liberté créatrice déployée surprend, enchante, essouffle; les idées qui s’enchaînent sont tour à tour convenues et émouvantes, sans apparent discernement, sans intention de limiter le geste créatif, et s’orchestrent sur un nombre considérable de trouvailles esthétiques. Le récit, très simple, n’est qu’un support aux envies des réalisateurs. La ligne directrice, elle, se trouve dans l’imbroglio de concepts avancés. Avec le temps, certains thèmes s’esquissent, refont surface et affichent plus clairement les préoccupations des cinéastes : la difficulté de créer un art moral, honnête avec lui-même, voire de vivre une vie en phase avec ses valeurs personnelles dans un monde qui réduit les êtres à leur productivité.
Le rêve et la radio ne manque certainement pas d’aplomb. Si son ensemble est parfois vaporeux, voire donne l’impression d’être quelque peu aléatoire, il s’y trouve une œuvre d’une grande beauté qui traduit, à sa manière idiosyncrasique, de sincères préoccupations. Un OVNI, forcément, mais un qui émeut autant qu’il intrigue.
★★★½ | Incroyable mais vrai

★★★½ | Incroyable mais vrai

Réalisateur: Quentin Dupieux | Le16 septembre 2022 en exclusivité québécoise au Cinéma public
Après Mandibules et en attendant Fumer fait tousser, le prolifique artiste multidisciplinaire Quentin Dupieux continue d’alterner entre la musique électronique (sous le pseudonyme Mr. Oizo) et le cinéma avec des films aussi originaux que singuliers. Des films qui baignent dans un univers surréaliste à l’humour aussi cocasse que décalé. C’est le cas de Incroyable mais vrai qui s’inscrit parfaitement dans cette lignée où Dupieux s’amuse encore à nous surprendre et arrive à se renouveler sans se répéter. À partir d’un canevas assez simple mais hilarant — un couple décide d’investir dans une maison où un conduit vient littéralement bouleverser leur mode de vie et leur espace-temps — , Dupieux joue avec la notion de voyage dans le temps. A priori nonsensique, le canevas de départ prend tout son sens dans une deuxième partie où une réflexion sur le vieillissement et le temps qui passe apparaît petit à petit. Un deuxième acte où le sérieux côtoie avec un bonheur égal une prémisse moins absurde qu’elle en a l’air et qui devient progressivement un drame bourgeois réfléchi.
Alors qu’il retrouve Alain Chabat huit ans après Réalité, la révélation du film est la présence hilarante de Benoît Magimel — dans le rôle d’un ami féru de voitures et d’électronique — qui possède un don pour la comédie qu’on ne soupçonnait guère. On ne se lasse pas de ses nombreuses mésaventures en lien avec son nouveau pénis électronique ! Sans la touche magique de Dupieux, tout cela pourrait sombrer rapidement dans le nanar ridicule. Mais le cinéaste possède cette maîtrise de l’humour décalé et cette capacité à redresser son univers avant qu’il ne sombre dans le n’importe quoi grotesque. C’est grâce à cette volonté et ce vent de liberté autant dans la forme (les couleurs éclatées) que dans le fond qu’on est en présence d’un drame existentiel fantaisiste, un brin abracadabrant, mais empreint d’une profonde mélancolie. Comme quoi il faut bien s’amuser pour arriver à mieux réfléchir.
★★★★ | Serre moi fort

★★★★ | Serre moi fort

Réalisation: Mathieu Amalric | Le 16 septembre 2022 en exclusivité québécoise au Cinéma Moderne
Mathieu Amalric n'est pas seulement un excellent acteur. Il est en train de devenir un grand cinéaste. Depuis Tournée en 2010, ses réalisations se bonifient constamment, surtout lorsqu’il s'attaque à des institutions comme Simenon (magnifique La chambre bleue) et l'auteure de la chanson culte « L'aigle noir » (sublime Barbara).
Avec sa nouvelle création Serre moi fort, il adapte la pièce Je reviens de loin de Claudine Galéra, qui ne paie peut-être pas de mine sur papier : une femme (Vicky Krieps) abandonne son foyer en laissant ses deux enfants à son époux. Mais à l'écran, le résultat est tout simplement magistral.
Le récit qui semble se dérouler en ligne droite ne cesse de se dérober, mélangeant passé, présent, fantasmes, rêves et lubies à l'aide d'un montage vertigineux aux ellipses sidérantes. Un peu plus et l'ombre d'Alain Resnais de la grande époque (celles des années soixante) se ferait ressentir dans cette façon de jouer avec le temps et les souvenirs.
Ce procédé pourrait paraître radical et intellectuel, mais le réalisateur insuffle une bonne dose de sentiments, explorant les parts d'ombre de la psyché humaine. Tout d'un coup, le cinéphile se retrouve devant un mélo à la Douglas Sirk avec ces thèmes sensibles et délicats qui vont droit au cœur. Un équilibre entre la raison et l'émotion qui n'est pas évident à atteindre et qu'Amalric semble réussir les doigts dans le nez.
Le tout n'aurait cependant pas la même portée sans la prestation inoubliable de Vicky Krieps. Celle qui s'est fait connaître par le sublime Phantom Thread de Paul Thomas Anderson et qui n'a pratiquement plus déçu par la suite (sa forte présence dans Bergman Island de Mia Hansen-Love faisait oublier celle, plus que discutable, au sein du Old de M. Night Shyamalan) offre un nouveau jeu vigoureux, d'une subtilité à toute épreuve. Elle maîtrise l'ambiguïté mieux que quiconque, créant un attachement presque immédiat envers son personnage complexe et insaisissable.
Alors que les excellents films français distribués au Québec ne manquent depuis le début de 2022 (pensons seulement à L'événement, Les passagers de la nuit et, plus récemment, Bruno Reidal), il faudra maintenant rajouter Serre moi fort à cette liste sélecte qui risque fort de se retrouver dans notre palmarès de fin d'année.

9 septembre 2022

★★★★ | Bruno Reidal, confession d'un meurtrier

★★★★ | Bruno Reidal, confession d'un meurtrier

(Réalisation : Vincent Le Port | Dans les salles du Québec le 9 septembre (Maison 4:3)

Autant l’annoncer d’emblée: le premier long métrage de Vincent Le Port est d'une maîtrise et d'une intelligence impressionnantes.
Nous y suivons le parcours d'un adolescent hanté par le désir de donner la mort sous la forme de confessions qu'il écrit à la demande de ses psychiatres. Le film est dur par son sujet, mais également âpre par sa mise en scène, austère dans sa direction d'acteur et intemporel par son traitement. L’horreur du sujet se suffisant à elle-même, Le Port n’a recours à aucun effet de trop (qu'il soit visuel ou scénaristique). Chaque élément semble être à sa place, durer le temps qu'il faut, pour nous faire suivre la logique du meurtrier, nous faire comprendre sa souffrance et sa maladie. Bien évidemment, le héros est un monstre, et nous le savons tout de suite (même si nous n'apprendrons que plus tard qui il a tué, ce qui le rend encore plus monstrueux). Pourtant, à travers son choix narratif (apprendre à connaître le meurtrier par l'intermédiaire de ses écrits), le cinéaste nous oblige à nous rapprocher de lui. Plus que le parcours d'un meurtrier, c'est donc au parcours d'un enfant de la campagne presque comme les autres auquel nous assistons. Presque, car celui-ci est d’intelligence hors norme, mais est surtout l’esclave permanent de cette pulsion, de plus en plus obsédante, où se côtoient le désir de donner la mort et la jouissance sexuelle. Ce qui devient passionnant est donc cette lutte incessante d’un adolescent brillant pour résister à cette pulsion, cette lutte qui le ronge de l'intérieur, jusqu'au passage à l'acte, terrible, qui fera naître sur son visage habituellement tourmenté deux secondes d'un sourire apaisé qui aurait été le plus beau du monde s'il n'avait pas été lié avec l'acte de mort. Et surtout s'il n'avait pas été suivi d'un état encore pire, lorsque ce bonheur furtif devient sentiment de culpabilité, de honte, qui le pousse à se constituer prisonnier, comme s'il n'était plus possible de vivre face à un tel acte qui le condamne au regret éternel en échange de ces deux secondes de jouissances meurtrières.
Vous l’aurez compris, ce très grand premier film est à déconseiller aux âmes trop sensibles, mais indispensable aux cinéphiles !

2 septembre 2022

★★★ | Un bon patron / The Good Boss (El buen patrón)

★★★ | Un bon patron / The Good Boss (El buen patrón)

Réalisation: Fernando León de Aranoa | Dans les salles du Québec le 2 septembre 2022 (Métropole Films)

Comédie satirique et grinçante sur le monde du travail, teintée d'une touche de tragi-comique cynique, Un bon patron est aussi l’occasion pour Javier Bardem de s'en donner à cœur joie. Derrière ses grosses lunettes et sous son sourire de façade, il excelle dans le rôle d'un patron paternaliste et vétilleux dont le monde tourne autour de son entreprise spécialisée dans la fabrication de balances. Mais ce personnage dont la vie est réglée avec la même précision que ses balances va devoir affronter quelques imprévus (le licenciement d'un employé, l'arrivée d'une stagiaire, l'attribution du prix de la meilleure entreprise de la région, etc.) qui vont faire apparaître son vrai visage.
Au-delà de ce personnage, le film sait aussi créer des personnages secondaires tout aussi typés (chacun remplit une fonction bien précise, rien de plus) mais agréablement définis. On suit donc avec plaisir cette petite comédie humaine, même s’il faut admettre que le film pâtit d'une certaine similitude avec les comédies italienne des années 60/70. Alors que les meilleures d'entre elles trouvait un équilibre parfait entre la caricature et le cynisme, Un bon patron penche trop vers la caricature, au risque d'atténuer son propos.
Heureusement, l'ensemble est exécuté de manière certes sans grande surprise mais irréprochable. Si le film ne parvient pas à convaincre dans sa volonté de dépeindre de manière acerbe la société actuelle, il n’en demeure pas moins un divertissement très plaisant.