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15 mars 2024

★★★½ | Tu ne sauras jamais

★★★½ | Tu ne sauras jamais

Réalisation : Robin Aubert | Dans les salles du Québec le 15 mars 2024 (Axia Films)
Sept ans après un film de zombie haut de gamme plébiscité par la critique (Les affamés, prix AQCC 2017), Robin Aubert nous revient avec une preuve supplémentaire de son talent de cinéaste qui semble ne jamais être là où on l’attend. Surtout, il nous prouve qu’il n’a pas peur des propositions radicales, au risque de déstabiliser. Il nous plonge en effet dans un CHSLD, en plein confinement, et nous propose de suivre la journée d’un vieillard, cloîtré dans sa chambre, cherchant à avoir des nouvelles de sa bien-aimée atteinte de la Covid.
Le rythme est lent, et rien ne se passe vraiment, comme si Aubert voulait nous forcer à vivre une journée de solitude, d’ennui et d’inquiétude. Il y parvient tellement qu’il prend le risque de perdre des spectateurs en route (le sempiternel effet de la radicalité). Cette perte potentielle d’intérêt du spectateur serait d’autant plus regrettable que vers la fin, le cinéaste nous réserve une petite pirouette scénaristique (minimaliste, mais tout de même), qui lui permet de faire valoir son talent de metteur en scène et de créer une ambiance improbable, presque fantastique, tout en laissant devenir son film particulièrement touchant.
Alors que le cinéma québécois est trop souvent amoindri par une scénarisation un peu trop sclérosé, Aubert se permet un minimaliste scénaristique comme on en voit trop rarement.
Associé à un vrai talent de metteur en scène, cela donne pourtant un résultat impressionnant, même si Tu ne sauras jamais est parfois difficile, voire désagréable, à regarder en raison de son sujet et d’une certaine complaisance dans la manière de filmer la déchéance physique. Mais là encore, on est radical où on ne l’est pas !
Au moins, Aubert ose… Ça fait tellement de bien, même si ça fait mal.

8 mars 2024

★★★★ | Les herbes sèches / About Dry Grasses (Kuru Otlar Üstüne)

★★★★ | Les herbes sèches / About Dry Grasses (Kuru Otlar Üstüne)

Réalisation: Nuri Bilge Ceylan | Dans les salles du Québec le 8 mars 2024 (Sphère Film)
Les herbes sèches nous place d’emblée en terrain connu : cette Anatolie déjà tant filmée par le cinéaste. L’action se situe ici en hiver, au moment du retour en classe après les vacances, et met en scène des enseignants qui attendent la possibilité d’une mutation pour quitter cette petite ville dans laquelle rien ne se passe, sentiment accentué par cette neige qui recouvre les paysages comme du coton. Ceylan filme les lieux (magnifiques), les personnages, leur ennui, leurs nombreuses discussions… jusqu’à ce qu’un événement qui pourrait sembler anodin déclenche une petite chaîne de microréactions. Elles sont scrutées par un cinéaste qui aime prendre le temps de regarder ses personnages, de les écouter, de comprendre les conséquences de l’ennui, de la solitude, des désillusions, des doutes, et de voir comment la veulerie peut venir ternir les sentiments que nous pouvions ressentir sur telle ou telle personne.
La force principale de Ceylan est de laisser vivre, bouger et faire parler ses personnages, de manière parfois un peu décalée, presque paradoxalement désincarnée. Tout pourrait mener à l’ennui (le film dure plus de trois heures et le film est très bavard). Pourtant, sa mise en scène, délicate et d’une inventivité tout en sobriété, parvient à jouer avec la distance à l’égard des protagonistes et à les rendre de moins en moins lointains, de plus en plus attachants, au fur et à mesure qu’ils dévoilent leurs failles, qui sont peut-être moins les symptômes d’une bassesse d’esprit que les conséquences d’un besoin maladroit de se protéger.
Sans jugement hâtif, avec une certaine compassion même, Ceylan nous offre, pendant près de 200 minutes, son regard sur la vie. Une vie qui ressemble à l’Anatolie qu’il filme, où l’été succède à l’hiver, et réciproquement, sans transition, sans prévenir, sans que l’on ne puisse rien y faire.

23 février 2024

★★½ | Lucy Grizzli Sophie

★★½ | Lucy Grizzli Sophie

Réalisation: Anne Émond | Dans les salles du Québec depuis le 23 février 2024 (Sphère Films)
Ne tournons pas autour du pot : Lucy Grizzli Sophie, le nouveau film de la maintenant chevronnée Anne Émond, ne nous laisse pas indifférents mais comporte d’importantes faiblesses. Adaptation de la pièce La meute par la dramaturge Catherine-Anne Toupin (qui reprend également son rôle), le film nous laisse sur notre faim, les deux éléments centraux (le sujet de la cyberintimidation et le huis clos) n’étant pas assez assumés ou maladroitement traités.
Pour ce qui est du sujet, la sortie récente du dernier film de Pascal Plante lui fait probablement beaucoup d’ombre. Certes, il n’était pas question de cet aspect précis du petit monde du Darknet dans Les chambres rouges, mais le film de Plante était documenté avec une rigueur qui manque parfois ici, la scénariste abordant un grand sujet en donnant l’impression d’avoir peur de l’affronter dans toute sa complexité, et préférant trop souvent avoir recours à des raccourcis un peu simplistes. Mais qu’importe si autre chose prend le dessus... Et cette autre chose avait tout pour être le huis clos anxiogène. Là encore, on a le sentiment que le travail n’est fait qu’à moitié. Peut-être est-ce par crainte de faire trop « théâtre filmé », mais l'éloignement récurrent de la maison où se déroule l’action n’apporte pas grand-chose. Pire : il annihile la tension que l’on pourrait ressentir. C’est d’autant plus regrettable que toutes les compétences requises pour réussir un tel projet sont au rendez-vous : d’une part, la volonté louable de la part de la scénariste de ne pas vouloir trop en dire sur le passé des personnages ; d’autre part, le talent du duo Émond / Olivier Gossot (le chef opérateur) pour créer une ambiance, une tension, voire un mystère un peu trouble par le biais de l’image ; et enfin un trio de comédien·ne·s remarquables (Toupin, Guillaume Cyr et Louise Roy, qui reprennent leurs rôles tenus sur scène).
Malgré nos réserves (pour ne pas dire nos regrets), nous avons donc envie de conseiller Lucy Grizzli Sophie, juste pour faire honneur aux talents indéniables que comporte ce film imparfait.

16 février 2024

★★★★ | Perfect Days (Les Jours parfaits)

★★★★ | Perfect Days (Les Jours parfaits)

Réalisateur : Wim Wenders | Dans les salles du Québec le 16 février 2024 (Entract Films)
L’amour de Wim Wenders pour le Japon est bien connu. Ce qui devait être un documentaire sur les toilettes publiques du quartier de Shibuya à Tokyo, est devenu une fiction mettant en vedette l’immense Koji Yakusho (Cure, 13 Assassins) dans le rôle d’un quinquagénaire taciturne qui travaille dans ces toilettes publiques. On suit sa routine quotidienne bien établie et on découvre ses passions tranquilles jusqu’à la visite de sa nièce fugueuse et d’autres rencontres inattendues. Très inspiré en cette terre étrangère, mais familière pour lui, Wenders retrouve la superbe de sa belle époque avec ce drame profondément humain empreint de tendresse et de poésie. Une véritable ode à la vie et à tous ses petits plaisirs du quotidien, menée de main de maître et magnifiée à l’écran par un acteur au sommet de son art et récompensé par le prix d’interprétation masculine à Cannes l’an dernier.
Coécrit avec le japonais Takuma Takasaki, le film permet à Wenders de retrouver le plaisir de filmer un personnage en marge avec ce voyage introspectif et cette quête existentielle, véritable invitation à se recentrer sur ce qui nous est essentiel pour aspirer au bonheur. Le réalisateur de Paris-Texas retrouve aussi ses thèmes de prédilection non seulement avec cette quête existentielle, mais aussi avec cette difficulté de communiquer à travers ce « road movie » à l’intérieur même d’un quartier animé de Tokyo. C’est donc à travers la musique, la culture des plantes, la photographie et la littérature que son personnage savoure le moment présent et que sa vie prend tout son sens dans un film empreint d’humour qui fait l’éloge du contentement du moment présent. On y entend entre autres des vieux tubes de Lou Reed, Patti Smith, Otis Redding et Nina Simone qui défilent au diapason des états d’âme de ce préposé à l’entretien et qu’il écoute en cassette audio dans sa camionnette en se rendant et revenant du travail. Dans sa façon de filmer le quotidien avec cette douce mélancolie, Perfect Days est à ranger auprès de Paterson de Jim Jarmusch, qui a été l’assistant de Wenders à ses débuts et dont les parcours cinématographiques et les thématiques ne sont pas étrangers l’un à l’autre.
★★★ ½ | Io Capitano (Moi Capitaine)

★★★ ½ | Io Capitano (Moi Capitaine)

Réalisateur : Matteo Garrone| Dans les salles du Québec le 16 février 2024 (Immina Films)
Avec Io Capitano, Matteo Garrone quitte l’Italie de Dogman  ou la fantaisie de Il Racconto dei racconti pour nous entraîner au Sénégal, aux côtés de deux cousins qui rêvent en secret d’une vie meilleure (et donc d’Europe… et d’Italie).
La description de la vie modeste d’une famille sénégalaise est à la fois très sobre et très belle. En quelques plans, Matteo Garrone donne vie à ses personnages, les montre évoluer dans une famille aimante et qui semble heureuse. Il nous montre aussi l’envie d’ailleurs par le biais de ces ados qui rêvent d’Europe via Youtube et qui ne veulent pas croire ceux qui disent que tout n’est pas si simple. En commençant ainsi, le cinéaste fait le choix de l’universel et nous parle d’une époque, la nôtre, qui a tout d’un miroir aux alouettes, que l’on soit Africain, Européen ou Nord-Américain (même si les rêves d’un petit occidental n’ont pas les mêmes conséquences que celui d’un Sénégalais). Après ce préambule très réussi, Garrone nous entraîne dans la partie la plus longue de son film : la traversée de l’Afrique, du Sénégal à la Libye. C’est-à-dire le retour à la réalité. Sur ses images souvent somptueuses, le cinéaste donne à son film les allures d’un récit initiatique. Si le parcours est semé d’embûches, Garrone a la bonne idée de ne pas (trop) charger la mule et évite d’ajouter à une situation déjà dense des fioritures dramatiques qui auraient pu alourdir son propos.
Il sait également restituer la douleur engendrée par toutes les épreuves (soulignons à ce titre la prestation particulièrement juste et attachante de Seydou Sarr, la grande découverte du film). Malheureusement, la dernière partie ne parvient plus à éviter les écueils jusqu’ici évités. La traversée de la Méditerranée n’évite pas le trop plein d’effets dramatiques et d'espoirs sirupeux. On aurait envie de dire au jeune héros de se calmer un peu, et que la suite ne va pas être si facile. Mais on préfère le laisser espérer. Surtout, on préfère se souvenir de tout ce qui précède. Car malgré nos réserves finales, Io Capitano mérite vraiment d’être vu.

9 février 2024

★★★½ | Le règne animal

★★★½ | Le règne animal

Réalisateur : Thomas Cailley | Dans les salles du Québec le 9 février 2024 (Métropole Films Distribution)
À la fin des Combattants, les personnages du premier film de Thomas Cailley nous avaient prévenu: « On reste à l’affût, sur nos gardes ». Leur avertissement résonne avec justesse dès le début du Règne animal, où l’incertitude règne, sauf en ce qui concerne une évidence : le pire est toujours possible.
Pour ses débuts, le réalisateur avait imaginé une comédie romantique qui, vers la fin, prenait des allures de film post-apocalyptique. Dans Le règne animal, son second opus, il explore un tout autre territoire : celui de la famille (le sujet central), ébranlée par des mutations. Ces êtres humains, qui se transforment progressivement en animaux, deviennent les vecteurs d’une réflexion profonde sur deux formes d’altérité. D’un côté, le malade incurable (symbolisée par la mère) qui s’éloigne inexorablement de la vie et de ses semblables. De l’autre, l’étranger (symbolisé par les autres mutants), incompris, qui peine à trouver sa place.
Sous couvert de fantastique, Thomas Cailley aborde ces thèmes passionnants avec finesse. Il n’oublie pas non plus le cœur du récit : la relation père-fils, un sujet trop souvent négligé au cinéma et ici traité avec brio. Les qualités déjà évidentes dans son premier film — une écriture habile, une mise en scène sobre et précise, une direction d’acteurs délicate et juste — sont encore présentes ici et contribuent à la réussite du long-métrage.
Pourtant, on pourrait presque regretter, de manière paradoxale, un excès de maîtrise. Thomas Cailley étouffe parfois son film sous le poids de sa volonté de bien faire, nous laissant nostalgiques du charme brut des Combattants.
Malgré cette petite réserve, il nous entraîne dans un univers très troublant car parfois si crédible (la battue finale aux allures de ratonade). Surtout, il suscite notre impatience : nous voulons le voir évoluer, et découvrir son troisième film sans attendre dix nouvelles années.

2 février 2024

★★★★ | Tótem

★★★★ | Tótem

Réalisatrice : Lila Avilés | Dans les salles du Québec le 2 février 2024 (Enchanté Films)
Tótem fait partie de ces joyaux qui vous prennent par surprise et vous captivent d’emblée grâce à leurs personnages. Dès la première scène, a priori anodine et pourtant captivante, nous ressentons la complicité qui unit une mère et sa fille. Très vite, ensuite, lorsqu’elles arrivent dans la maison familiale où doit se tenir une soirée d’anniversaire, nous mesurons les liens qui unissent les gens, non exempts de petites tensions mais surtout marqués par l’amour. Progressivement, à mesure que nous apprenons à les connaître, apparaissent de nombreux thèmes, sombres ou lumineux (les liens familiaux, le rapport unificateur à une nature discrète, la maladie contre laquelle on ne peut rien, la transmission, l’amour au sens large, la mort trop proche). La force de Lila Avilés est de les traiter avec sensibilité et délicatesse, de manière diffuse, sans nous imposer un discours mais en donnant au contraire plus d’importance à ses personnages qu’à sa propre vision des choses. Elle préfère les laisser jouer le rôle de transmetteurs. Pour cela, elle sait qu’il faut les rendre justes. Heureusement pour nous, elle ne se contente pas de ses certitudes mais s'appuie sur un véritable talent de metteuse en scène et d’observatrice. Elle scrute les enfants (tour à tour joueurs, curieux ou inquiets), les femmes qui s’activent pour préparer la fête tout en s'occupant des enfants, le grand-père qui cherche à maintenir le souvenir au delà de la mort, le père malade qui lutte toute la journée afin de trouver la force nécessaire pour être présent à la fête qu’on organise pour lui, les amis partagés entre les souvenirs émus et le présent festif… et pour chacun, la réalisatrice trouve la hauteur juste, la distance adéquate, l’angle de caméra qui permet à l'image de transmettre une émotion sans avoir recours au verbiage.
Cette force permet à Tótem d'être un véritable hymne à la vie, à l’humain et au monde qui l’entoure, traitant avec force et justesse des thèmes universels à travers le prisme de personnages vivants et authentiques.

25 janvier 2024

★★★½ | La salles des profs / The Teacher’s Lounge (Das Lehrerzimmer)

★★★½ | La salles des profs / The Teacher’s Lounge (Das Lehrerzimmer)

Réalisation Ilker Çatak | Dans les salles du Québec le 26 janvier 2024 (Métropole Films Distribution)
Une enseignante dédiée tente de découvrir la vérité sur une série de vols qui ont lieu à son école. Sans réel soutien de ses collègues, de la direction ou des parents, elle se lance dans une croisade dont elle ne ressortira pas indemne. À la fois drame social et suspense, le film joue avec brio sur cet équilibre de genres. Alors qu’une enquête se déroule sous nos yeux, on assiste également à une critique d’un système scolaire souvent rigide.
La force du film se trouve dans l’interprétation de Léonie Benesch qui incarne avec nuance une enseignante idéaliste qui ne veut que le bien de ses élèves et de sa communauté. Plus on avance dans le film, plus elle sera confrontée à ses idéaux. Ses doutes deviennent nos doutes. On se demande si au final, elle fait partie du problème ? Le désir aveugle de justice a probablement un prix. L’école devient alors le reflet d’un problème plus large de société.
Le film brouille les cartes entre les notions de bien et de mal, héros et antihéros et pose des questions morales sans pour autant prendre partie. On ressort de cette expérience cinématographique confrontés à nos propres idéaux. Et si finalement, on faisait aussi partie du problème?

22 janvier 2024

★★★★½ | Les filles d'Olfa

★★★★½ | Les filles d'Olfa

Réalisation : Kaouther Ben Amid | Dans les salles du Québec le 19 janvier 2024 (Métropole Films distribution)
Classer Les filles d’Olfa dans la section documentaire serait de réduire le film à sa plus simple expression. Récompensé de l’Œil d’or du meilleur documentaire au dernier Festival de Cannes, ce sixième long métrage de la Tunisienne Kaouther Ben Hania relate le parcours difficile d’une femme qui a acquis une notoriété internationale en 2016 lorsqu’elle a rendu publique la radicalisation de ses deux filles aînées. Le film est interprété par la mère elle-même (Olfa Hamrouni) et par deux de ses filles, mais également par des actrices professionnelles (dont l’actrice célèbre Hend Sabri) qui incarnent ces trois personnages pour les scènes plus difficiles. Avec cette proposition, la réalisatrice nous offre une expérience inoubliable d’une rare puissance émotionnelle. Ce film inclassable et très original se présente à la fois comme un processus de psychanalyse familiale et une réflexion sur le deuil.
Le film cherche à recréer  la dynamique familiale au moment où les deux filles aînées ont quitté le foyer pour aller combattre aux côtés de Daech en Libye. Cette expérience cathartique et profondément humaine permet un voyage intime et bouleversant rempli de souvenirs aussi heureux que douloureux. La réalisatrice utilise intelligemment tout le potentiel formel et narratif à sa disposition afin de livrer une réflexion sur les relations mère/fille dans une société patriarcale et son engrenage infernal qui musèle toute forme de liberté. Avec son mélange d’improvisation, de répétitions, d’images d’archives, de making-of et grâce à la puissance du cadre, on atteint ici le summum de ce que peut être l’essence même du cinéma et son pouvoir de transcender la réalité. Les protagonistes se révèlent tous à la fois émouvantes et attachantes. Leur complicité et leur sororité rehaussent l’intensité émotionnelle à la hauteur de l’intensité dramatique du récit. En raison de la situation actuelle au Moyen-Orient et des nombreux conflits dans le monde, ce film essentiel et déchirant risque d’être ancré dans vos mémoires pendant longtemps.

19 janvier 2024

★★★ | The Zone of Interest  (La Zone d'intérêt)

★★★ | The Zone of Interest (La Zone d'intérêt)

Réalisation: Jonathan Glazer | Dans les salles du Québec le 18 janvier 2024 (Entract Films)
Le très attendu Zone of Interest, le dernier film de Jonathan Glazer, a fait l’objet de nombreuses discussions depuis sa première à Cannes et nous arrive avec une forte réputation de Palme d'or bis (de surcroît justifiée par l'obtention du Grand Prix). Le film suit la famille Höss, dont le père commande le camp d’Auschwitz et dont la mère est une maîtresse de maison modèle (maison située à proximité du camp). Glazer adopte une approche unique en se concentrant sur ce qui se passe en dehors du camp, évitant ainsi de montrer directement les horreurs commises à l’intérieur. C’est en adoptant ce point de vue qu’il choisit de traiter deux sujets : la négation et la banalité du mal.
Lorsque Glazer s’intéresse à l’épouse, dont la seule préoccupation est de s’occuper de son logis, le regard du cinéaste est en phase avec ce qu’il veut démontrer : le fait de ne pas voir permet de nier. Cependant, il est difficile d’ignorer ce qui se passe de l’autre côté du mur du camp, en raison des divers éléments que Glazer rappelle continuellement : bruits divers (cris, coups de feu, etc.), éléments visuels lointains mais impossibles à ignorer (fumée, miradors, etc.) mais également souvenirs directs des disparus (chaussures, vêtements ou dents en or qui sortent du camp pour être redistribués). En phase avec la logique du hors-champs mise en avant par Glazer, la démonstration tourne pourtant vite un peu à vide, comme si le cinéaste avait tout dit en 30 minutes et ne parvenait plus, par la suite, à transcender son concept.
Le second sujet, celui de la banalité du mal, est porté par le commandant du camp. Dans une scène parfaitement maîtrisée, Glazer nous dévoile toute la logique de cette banalité, lorsque Höss discute des aménagements qu’il pourrait apporter à l’usine d’incinération pour en augmenter la productivité. Les corps sont alors verbalement réduits à l’état de chargement, et l’augmentation de la capacité d’incinération fait totalement oublier l’horreur qui prend place à proximité des participants à cette réunion qui ressemble à n’importe quelle réunion de productivité de n’importe quelle usine. Cependant, on peut se demander pourquoi le second sujet nécessite la même logique de hors-champs / hors camp. N'est-ce pas uniquement par volonté de la part de Glazer de persister dans une direction artistique dont la justification théorique s’affaiblit pourtant au fur et à mesure du film?
Certes, Glazer montre la médiocrité de ces gens qui ne pensent qu’à réussir, c'est à dire à produire et plaire à sa hiérarchie pour l’un, et à s’occuper de la maison pour l’autre. Ceci ne nous apporte rien d’autre que nous n’imaginions déjà. Du haut de sa froide démonstration conceptuelle, le cinéaste ne dérange pas, ne fait pas douter, ne déstabilise pas, tout simplement car cette démonstration ressemble plus à une fausse bonne idée qu’à un réel point de vue. (Et là, forcement, on pense au Fils de Saul.)
Malgré ses ambitions, Zone of Interest ne parvient pas à dépasser les limites de son concept. Il reste néanmoins une œuvre d’un cinéaste dont le talent ne fait aucun doute, mais également un film qui soulève des questions importantes sur la nature humaine et la capacité de l’homme à nier l’horreur qui l’entoure. C'est déjà ça, mais de la part de l'auteur du sublime Under the Skin, nous étions en droit d'attendre beaucoup mieux.

12 janvier 2024

★★★ | La petite

★★★ | La petite

Réalisateur: Guillaume Nicloux | Dans les salles du Québec le 12 janvier 2024 (AZ Films)
Guillaume Nicloux, réalisateur à la fois fascinant et imprévisible, est connu pour son aptitude à naviguer entre un cinéma radical et un cinéma plus accessible et commercial. Son film, La petite s’inscrit dans cette dernière catégorie, bien que son point de départ — le deuil d’un fils — soit identique à celui de son meilleur film, Valley Of Love, qui appartient clairement à la première catégorie.
Il est captivant de constater comment ces deux films de Nicloux évoluent vers des propositions diamétralement opposées. Dans La petite, le deuil se transforme progressivement en une obsession de la part du protagoniste, interprété de manière sobre et rarement vue par Fabrice Luchini : retrouver la mère porteuse de l’enfant de son fils. Le film devient alors une réflexion sur la gestation pour autrui, les liens filiaux, la transmission, mais aussi sur la réparation d’un échec car le père, qui s’est éloigné de son propre fils, voit dans cette naissance à venir l’opportunité de repartir à zéro.
Nicloux traite ces sujets de manière relativement légère, voire distante, oscillant entre laconisme et superficialité, comme si le véritable thème de son film se trouvait ailleurs. Il construit d’ailleurs La petite la manière d’une comédie romantique classique : deux êtres que tout oppose finissent par s’apprécier malgré les apparences. Qu’on se rassure cependant. La relation ne débouche pas sur une romance entre le père du défunt et la mère porteuse, mais sur l’idée qu’un rapprochement peut exister en dehors des schémas traditionnels des relations humaines, et en dehors des apparences.
C’est cette impression de voir un film aux allures commerciales, qui ne l’est peut-être pas tout à fait vraiment, qui donne son charme à La petite. Le talent exceptionnel de Nicloux pour obtenir le meilleur de ses interprètes (nommons également Mara Taquin, magnifique) finit de nous convaincre. Bien que le film soit relativement mineur, il est particulièrement agréable et trouve parfaitement sa place dans la filmographie de ce réalisateur décidément unique.

22 décembre 2023

★★★½ | Anselm – Le bruit du temps (Anselm – Das Rauschen der Zeit)

★★★½ | Anselm – Le bruit du temps (Anselm – Das Rauschen der Zeit)

Réalisation: Wim Wenders | Dans les salles du Québec le 22 décembre 2023 (Métropole Films)
Wim Wenders aime à l'évidence la 3D (procédé qui pourrait pourtant sembler de plus en plus désuet) pour créer des films qui sortent vraiment de l'ordinaire. Plus de 10 ans après le très beau Pina, il nous livre avec Anselm – Le bruit du temps un nouveau documentaire en relief de grande qualité. Ici, Pina Bausch laisse la place à Anselm Kiefer, artiste contemporain que Wenders admire profondément. Le documentaire suit en partie les conventions du genre, avec des images d'archives et des scènes montrant l'artiste au travail, ce qui permet au cinéaste d'introduire l'œuvre et la démarche conceptuelle et thématique de l'artiste, offrant des pistes de réflexion sur l'Allemagne (son histoire, sa mythologie) et son lien avec le temps qui passe (et donc, avec la mémoire).
Au-delà de cet aspect, le film atteint son apogée lorsque Wenders embrasse pleinement son rôle de cinéaste/observateur de l'œuvre d'un autre artiste. Il se crée alors une fusion entre le travail de Kiefer et celui de Wenders. Cette fusion (un artiste film les œuvres d'un autre artiste) rappelle parfois la grâce des Ailes du désir, notamment par le choix de la musique, des images flottantes et de la voix off chuchotée. Cela est tellement évident que le spectateur a presque le sentiment, par (trop) courts instants d'une beauté impressionnante, de devenir l'ange Damiel, personnage inoubliable de l'œuvre majeure du cinéaste allemand. Comme l'ange jadis incarné par Bruno Ganz, nous devenons à notre tour des observateurs bienveillants, cherchant à comprendre à la fois la souffrance, les déchirures et la beauté du monde que le duo Kiefer/Wenders nous propose.
Pour ceux qui en douteraient, Anselm – Le bruit du temps n'a rien à voir avec un documentaire qui serait plus à sa place sur un écran de télévision que dans une salle de cinéma. Il s'agit bien au contraire d'une expérience immersive par excellence, un documentaire/essai à voir absolument en salle… et en 3D, bien sûr.

15 décembre 2023

★★★½ | Poor Things (Pauvres créatures)

★★★½ | Poor Things (Pauvres créatures)

Réalisateur : Yorgos Lanthimos | Dans les salles du Québec le 15 décembre (Buena Vista)
Avec son nouveau film, Yorgos Lanthimos nous livre un conte pour adultes haut de gamme qui commence comme un Frankenstein revu et corrigé, dans lequel Willem Dafoe incarne une sorte de fusion entre l’inventeur (pour son activité) et sa créature (pour son physique). Le personnage a dans un premier temps tout du héros de ce film qui nous plonge entre l’univers des films de James Whale et de ceux de la Hammer. Progressivement, le cinéaste place ensuite au centre de son film la jeune femme interprétée par Emma Stone, qui semble handicapéé par une forte déficience intellectuelle. Mais son personnage est plus complexe (nous comprendrons pourquoi plus tard) et va évoluer en même temps que le film en nous servant de guide dans ce récit d'apprentissage à travers un monde du XIXe siècle aux décors rétrofuturistes. Elle y découvre avec une délicieuse candeur l’humanité, avec tout ce que cela comporte de pire (soif de pouvoir, de puissance et dérives en tout genre). Cela permet à Lanthimos de se déchainer en critiquant la bassesse des hommes… mais aussi de beaucoup s’amuser. Parfois, la gaudriole prend le dessus sur le reste. Parfois, certaines scènes tombent un peu à plat. Mais le tout colle finalement plutôt bien avec cet univers d’excès !
Poor Things est peut-être le plus accessible de son auteur, peut-être aussi un des moins déroutant, malgré toutes ses trouvailles, justement car il s’agit d’un conte où il est clair dès le départ que tout est possible. Nous sommes en droit de préférer le Lanthimos qui nous dépeint une réalité qui déraille pour glisser vers l’absurde. Mais ne boudons pas notre plaisir devant ce spectacle à la fois acide et grandement divertissant, qui est également un attachant portrait de femme confrontée au monde, le tout magnifiquement filmé (si on accepte de rentrer dans ce délire à la fois visuellement kitch, gentiment gore et inoffensivement sexué…)

8 décembre 2023

★★★½ | Le Garçon et le Héron / The Boy and the Heron (君たちはどう生きるか)

★★★½ | Le Garçon et le Héron / The Boy and the Heron (君たちはどう生きるか)

Réalisateur : Hayao Miyazaki | Dans les salles du Québec le 8 décembre 2023 (Cineplex Entertainment)
En 2014, nous pensions que Le vent se lève allait être le dernier film de Hayao Miyazaki. Ce long-métrage étant assez inférieur au reste des films du génie de l'animation nippone, nous sommes ravis de voir arriver dans nos salles Le garçon est le héros (dont le titre japonais est beaucoup moins enfantin : Comment vivez-vous ?). Non seulement le nouveau Miyazaki est d'une qualité largement supérieure, mais il est de surcroît parfaitement adapté au statut de film-testament (ou de film-somme, pour faire moins morbide), tant il reprend bon nombre des thématiques aimées pas le réalisateur de 82 ans.
La première demi-heure est sublime, tout en lenteur et en succession de détails flirtant avec une forme de réalisme magique. Après cette fascinante introduction, Miyazaki se livre avec une fougue toute juvénile à un délire qui nous entraîne dans les mondes dont il a le secret, en suivant en enchevêtrement de fils narratifs qui lui permettent d'aborder de nombreuses thématiques, à tel point qu'on se demande parfois si ce n’est pas un peu trop, s'il ne va pas nous mener vers l'indigestion. Mais son grand âge nous pousse à l'indulgence, et le fait que ce film soit probablement son dernier rend presque touchante cette envie d'en dire beaucoup avant de se taire à jamais. Et de nous rappeler à l'occasion d'une scène de séparation que la mort n'est pas si grave si la vie qui l'a précèdé n'a pas été vaine.
En ce qui le concerne, d'un de vue cinématographique, il est évident que la sienne ne l'a pas été.

1 décembre 2023

★★★★ | Les feuilles mortes / Fallen Leaves (Kuolleet lehdet)

★★★★ | Les feuilles mortes / Fallen Leaves (Kuolleet lehdet)

Réalisation: Aki Kaurismaki | Dans les salles du Québec le 1 décembre 2023 (Enchanté Films)
Le nouveau Aki Kaurismaki est arrivé, et il est marqué par une guerre si proche (le conflit ukrainien) dont il est régulièrement question ici par l’intermédiaire des informations radiophoniques. Il s’agit d’ailleurs du seul lien avec le présent. La direction artistique est en effet volontairement vintage, mais  totalement en phase avec ce sentiment d’angoisse qui semble enrober le film : angoisse d’un monde en conflit perpétuel, mais aussi angoisse des héros face à leur quotidien, à leurs patrons, à l’alcool (« je bois car je suis déprimé, et je suis déprimé parce que ce que je bois »), aux malheureux hasards de la vie (un papier qui s’envole par accident ou un train qui passe au mauvais moment)… mais surtout angoisse face à la solitude. Pourtant, comme souvent chez le cinéaste, cette angoisse est combattue par un désir salutaire : celui de croire en l’autre, en l’amour, en la solidarité, en l’avenir.
On peut en effet plus que jamais parler ici d’un optimisme du désespoir. D’ailleurs, si le ton kaurismakien est bel et bien là, l’humour décalé est très discret, comme s’il était de plus en plus difficile de prendre de la distance face à ce monde et de trouver le moyen d’en rire. Mais cela n’empêche en rien Kaurismaki de continuer à croire en l’amour : un amour toujours inconditionnel pour la précision de ses plans et de sa direction d’acteurs, pour le cinéma (les références aux allures d’hommage se ramassent à la pelle dans ses Feuilles mortes), mais surtout un amour sans faille pour ses personnages. Il adore ces laissés-pour-compte, les rend beaux et leur offre la promesse d’une union salvatrice qui fera voler en éclat, et peut-être oublier, la folie des Hommes qui les entourent et qui se battent, toujours, pour tout et pour rien.

24 novembre 2023

★★★½ | L'amour et les forêts

★★★½ | L'amour et les forêts

Réalisation: Valérie Donzelli | Dans les salles du Québec le 24 novembre 2023 (Axia Films)
L’amour et les forêts aborde un sujet très lourd : celui de la violence conjugale. Filmé comme un thriller, le film nous fait découvrir une enseignante magnifiquement interprétée par Virginie Efira, qui tombe sous l’emprise d’un pervers narcissique.
Blanche Renard, professeur de français, s’éprend de Grégoire Lamoureux, un nom prédestiné pour une histoire qui commence bien, faite de belles promesses d’un avenir heureux. Pourtant, cette femme deviendra une épouse prisonnière de la jalousie de son mari.
La mise en scène de Valérie Donzelli, associée à direction photo de Laurent Tangy confère au film un aspect irréel, comme si cette relation toxique projetait l’héroïne pourtant éduquée et équilibrée en dehors de la réalité. Plus le film avance, moins Blanche maîtrise les événements et plus elle est enfermée dans une relation qui ressemble à un cauchemar.
Elle décide de s’échapper de sa vie d’épouse rangée en faisant une rencontre de passage. Cette scène permet à Donzelli de prolonger intelligemment l’univers irréel dans lequel elle nous plonge. Mais ici, ce qui pourrait ressembler à un cauchemar forestier prend progressivement des allures de rêve éveillé, notamment grâce à la photo qui se fait beaucoup plus lumineuse. Est-ce cette petite parenthèse qui permettra à Blanche d’avoir le courage de confronter son mari ?
La réalisatrice réussie ensuite, de manière intelligente et délicate, à nous faire ressentir la nouvelle réalité de sa protagoniste. Des gros plans sur son visage l’isolent enfin symboliquement de l’emprise de son mari, réduit à l’état de voix hors champ, voué à disparaître.
Au-delà de tout cela, la force principale du film est de nous montrer comment une relation toxique peut isoler un individu qui croit avoir une vie sociale mais dont l’omniprésence du conjoint l’isole et l’étouffe. Rien que pour cela, ce film est à ne pas manquer.

17 novembre 2023

★★★½ | Je verrai toujours vos visages

★★★½ | Je verrai toujours vos visages

Réalisation : Jeanne Herry | Dans les salles du Québec le 17 novembre 2023 (AZ FIlms)
Cinq ans après Pupille, Jeanne Herry continue de s’intéresser à certaines composantes méconnues de l’appareil sociojuridique français. Avec Je verrai toujours vos visages, elle prend comme point de départ la Justice Restaurative. Créée en France en 2014, elle permet aux personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles. Le sujet en soi est passionnant, et la cinéaste en a fait une fiction qui cherche à assumer à la fois son statut fictif et son approche didactique. Elle passe donc par une phase d’introduction qui met en place aussi bien les enjeux que les intervenants, puis propose en parallèle deux exemples : d’une part un groupe de victimes de vols avec violences confrontées à des agresseurs qu’ils ne connaissent pas ; et d’autre part une victime d’agression sexuelle confrontée a son grand frère agresseur.
Malheureusement, les deux histoires parallèles donnent dans un premier temps l’impression d’être utilisées pas soucis de relative exhaustivité (et donc, pour donner deux types d’exemples concrets : permettre aux victimes de rencontrer UN bourreau d’une part et SON bourreau de l’autre). On a alors souvent le sentiment que ces deux arcs narratifs auraient pu engendrer deux films distincts qui auraient semblé moins illustratifs. Cependant, malgré cette supposée faiblesse, l’ensemble reste à conseiller fortement. Au-delà de l’interprétation exemplaire, la qualité des dialogues fait la force du film et nous permet d’atténuer la critique précédente. Délicats, justes, respectueux de chacun, ils entraînent le spectateur dans des rencontres improbables et parfois bouleversantes. Surtout, ils permettent aux personnages de dépasser le statut de cas juridiques (l’agresseur et l’agressé) pour devenir humains avant tout, avec ce que cela implique de bon et de moins bon. À ce sujet, l’intrigue liée au viol vient contrebalancer celle des vols avec violences. Leurs deux conclusions distinctes viennent alors atténuer notre sentiment initial et justifier l’usage des deux arcs narratifs. En effet, même si cette Justice Restaurative est une belle idée, elle ne certifie en rien la réussite des démarches. Elle est une tentative pour faire avancer les choses… sans garantie, justement car elle implique l'humain, avec ses lueurs d’espoirs et ses failles. 

10 novembre 2023

★★★½ | The Holdovers (Ceux qui restent)

★★★½ | The Holdovers (Ceux qui restent)

Réalisateur: Alexander Payne | Dans les salles du Québec le 10 novembre 2023 (Universal)
Six ans après le décevant Downsizing (rare faux pas dans la carrière du cinéaste), Alexander Payne revient en bonne forme avec la comédie dramatique The Holdovers qui marque aussi les retrouvailles avec le comédien Paul Giamatti près de 20 ans après Sideways. Un rôle en or pour le comédien qui incarne un enseignant solitaire et détesté par ses élèves en raison de ses méthodes rigoureuses et qui va se lier d’amitié avec un jeune élève doué et abandonné durant la période des fêtes en 1970. Ce rôle bien écrit, campé avec nuance par un Giamatti en grande forme, pourrait d’ailleurs lui permettre de se retrouver parmi les finalistes à la prochaine cérémonie des Oscars.
Dans ce film, Payne délaisse le cynisme de certains de ses films précédents au profit d’un humanisme plus posé et sensible. Il y aborde des sujets graves tels que le deuil, la dépression, la séparation familiale, la solitude et le refuge dans l’alcool avec une grande finesse d’écriture et un parfait équilibre entre le drame et l’humour. Grâce au travail du scénariste de David Hemingson, on assiste à des joutes verbales et des conversations inspirantes jonchées de commentaires sarcastiques qui, bien que l’action se situe il y a plus de 50 ans, sonnent à la fois vraies et authentiques. La reconstitution historique est sobre, mais méticuleuse et le film baigne dans une atmosphère froide et incolore qui va prendre des couleurs à mesure que se révèlent les dessous et les traumatismes du passé des protagonistes. S’il y a un bémol à évoquer à l’ensemble est peut-être l’arc narratif et dramatique connu et somme toute prévisible qui n’échappe pas complètement aux barrières du genre. Mais le tout est bien dosé et peaufiné, ce qui pousse à pardonner cette familiarité narrative d’usage, car le film évite la mièvrerie et le côté moralisateur.
Pour ceux qui ont le blues à l’approche de la période des fêtes qui arrive à grands pas, The Holdvers est sans doute le remède idéal et un exemple d’une comédie de l’existence à la fois intelligente et douce-amère sur le besoin vital de connexion humaine. Voilà qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit de la période des réjouissances.

3 novembre 2023

★★★★ | Le procès Goldman

★★★★ | Le procès Goldman

Réalisation: Cédric Kahn | Dans les salles du Québec le 3 novembre 2023 (Funfilm Distribution)
Après trente-quatre années de carrière, le cinéaste Cédric Kahn nous livre incontestablement avec Le procès Goldman son meilleur film.
Pour parler de Pierre Golman, cette figure marquante de la France des années 70, Kahn aurait pu choisir la voie très convenue du biopic. Entre les idées politiques de son sujet (une extrême gauche très radicale), le basculement vers le banditisme, son statut d'auteur devenu coqueluche de l'intelligentsia de l'époque, mais aussi une société française en plein bouleversement idéologique, il aurait eu de quoi faire. Mais il a préféré se pencher sur le procès en appel de Pierre Goldman, dans lequel ce dernier cherche à clamer son innocence face à une accusation de double assassinat lors d'un braquage qui a mal tourné. Le cinéaste assume parfaitement son choix, puisqu'à l'exception du prologue, l'action du film se déroule intégralement au palais de justice pendant le procès.
Cela peut paraitre osé, et pourtant, ce point de vue offre à Kahn une grande liberté, comme si le temps passé dans son décor lui permettait d'en saisir à la perfection la cartographie. Cela lui autorise une mise en scène d'une précision et d'une justesse rares. Associée à des dialogues remarquables, elle permet aux acteurs de donner pleinement vie et épaisseurs à leurs personnages, tous traités avec la même attention. Même si on sent la fascination du cinéaste pour cet accusé hautement charismatique, il ne le défend pas aveuglément, n'en fait pas un martyre. Il l'observe, essaie de comprendre ses paradoxes, ses failles... comme il le fait d'ailleurs avec tous les autres personnages. À tel point que ce qui est dans une certaine mesure une réflexion sur la judéité, sur l'impartialité de corps policier, sur le racisme ordinaire ou encore sur l'héritage familial est finalement aussi quelque chose de plus universel : un grand film sur la fragilité des souvenirs et des certitudes, donc dans une certaine mesure, sur la fragilité de l'humain, et à travers cela, sur la difficulté de rendre la justice.
Un film aussi grand qu'il semble simple et dépouillé du moindre artifice.

27 octobre 2023

★★★★½ | Anatomie d'une chute

★★★★½ | Anatomie d'une chute

Réalisation : Justine Trier | Dans les salles du Québec le 27 octobre 2023 (Entract Films)
Après le surcoté La Bataille de Solférino et les pas-trop-mal-mais-sans-plus Victoria et Sibyl, nous n’attentions pas de la part de Triet un film d'une telle maîtrise. Le point de départ est pourtant simple : un homme est seul avec sa femme dans leur maison. On le retrouve mort après avoir chuté. Est-ce une mort accidentelle, un suicide ou un meurtre ?
À partir de ce qui ressemble à un thème éculé digne d’un épisode d’une mauvaise série télé, Triet et son scénariste Arthur Harari (également son conjoint dans la vie) enchaînent les bons choix. Non seulement, les éléments qui permettent de comprendre les protagonistes apparaissent progressivement, de la manière la plus naturelle possible, sans le moindre effet de manche… mais en plus, les personnages restent toujours au centre du récit, se laissent découvrir graduellement, dans leur richesse et leur complexité, voire dans des paradoxes qui ne sont probablement pas étrangers à tout un chacun. Jamais Triet ne les réduit au statut de pions au service de son développement narratif. Les personnages sont si authentiques que la trame policière (meurtre ou accident) se transforme vite en drame humain et en réflexion sur le couple, sur le caractère indélébile de certains drames passés, sur le désir, sur la paternité/maternité, sur la frustration liée à la difficulté de créer, etc.
Mais un scenario d’une telle intelligence ne suffit pas à produire une œuvre aussi maîtrisée. La mise en scène de Triet est tout aussi irréprochable. Avec une apparente sobriété, elle prend des petits risques, par petites touches, notamment dans sa manière de faire revivre des flash-back. Ses effets sont mesurés, pensés, toujours justes (nous pensons principalement à l’effet sonore lié au témoignage du fils, ou à la mise en image de la scène de la dispute, qui dure juste le temps qu’il faut). Elle excelle aussi dans le choix et la direction d’acteurs, qui rendent encore plus pertinents les dialogues. Nous connaissions le talent de Sandra Hüller, Swann Arlaud ou Antoine Reinartz. Ils sont à nouveau remarquables… mais tous les autres sont au diapason, y compris l’enfant (Milo Machado Graner) ou le chien (cela semble absurde de parler d’un chien dans ce cadre, mais son "personnage" est essentiel).
Voilà donc 2 h 30 qui semblent filer sans qu’on s’en aperçoive, une anatomie d’une chute qui a des allures d’anatomie d’un couple, un palme d’or féminine enfin à nouveau hautement méritée, qui fait oublier celle, trop politique et surfaite, de Julia Ducournau.
Un grand film, tout simplement.