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14 juin 2024

★¾ | La ligne

★¾ | La ligne

Réalisation: Ursula Meier | Dans les salles du Québec le 14 juin 2024 (Axia films)
La ligne ne démarre pas aussi bien que l'aurait probablement souhaité sa réalisatrice Ursula Meier. Dès sa séquence pré-générique, le film passe à côté de sa cible. Cette scène de violente dispute familiale, filmée au ralenti sur fond de musique classique, ressemble à une fausse bonne idée de mise en scène, en réalité sans grande force ni brio. La suite n'est pas plus convaincante, portée par des dialogues mal écrits dont les actrices semblent avoir le plus grand mal à se dépêtrer.
Heureusement, par moments, quelques instants presque réussis laissent espérer une reprise en main, mais cela n'est qu'illusion. La photographie, digne d'un morne téléfilm (pourtant signée Agnès Godard), et les personnages hautement caricaturaux (une artiste exaltée borderline, une artiste marginale, la bonne mère de famille et l'ado qui essaie de fuir en s'en remettant à Dieu) finissent par annihiler tous nos espoirs. Cette histoire de famille dysfonctionnelle avait pourtant du potentiel. De plus, la volonté de se limiter au présent, sans expliquer dans le détail les raisons de la discorde, est courageuse et permet d'éviter les pièges psychologisants.
Malheureusement, ces rares qualités ne suffisent pas à compenser les nombreuses faiblesses du film. Le manque de profondeur des personnages et la direction d'acteurs approximative plombent l'ensemble. Les tentatives de créer des moments de tension ou d'émotion tombent souvent à plat, laissant le spectateur, au mieux, indifférent, au pire, agacé.
En fin de compte, La ligne échoue à trouver son équilibre et à nous intéresser à ses personnages. Les intentions étaient louables, mais la réalisation n'est pas à la hauteur et les faiblesses finissent par prendre le dessus, faisant de ce film une déception. Ursula Meier, connue pour son talent à capturer les nuances des relations humaines, semble ici avoir manqué sa cible, nous laissant avec un sentiment de potentiel inexploité et de frustration.

7 juin 2024

★★★★ | L’enlèvement / Kidnapped: The Abduction of Edgardo Mortara (Rapito)

★★★★ | L’enlèvement / Kidnapped: The Abduction of Edgardo Mortara (Rapito)

Réalisation: Marco Bellocchio | Dans les salles du Québec le 7 juin 2024 (Métropole Films Distribution)
Rapito aborde un sujet incroyable qui s'est réellement déroulé en Italie au XIXe siècle : un enfant de huit ans est enlevé à sa famille pour être élevé selon la foi catholique... une servante l'ayant, lorsqu'il était nourrisson et malade, baptisé pour lui éviter d'errer dans les limbes en cas de décès. À partir de ce point de départ, Bellocchio et ses coscénaristes nous proposent un scénario précis et dépouillé qui évite les excès de pathos. Les faits s'enchaînent avec une précision et une fluidité impressionnantes, abordant avec justesse et intelligence des enjeux individuels, familiaux, religieux, voire historiques (la difficile et lente unité italienne).
Le classicisme de la mise en scène, loin de rebuter, parvient à nous plonger dans une époque pas si lointaine et une rigidité dogmatique effrayante (qui semble pour sa part encore moins lointaine). Elle sert également de terreau très fertile au personnage principal, ce jeune enfant arraché à ses parents, qui grandira atteint d'une sorte de syndrome de Stockholm avant l'heure, le poussant à devenir prêtre et à essayer de convertir sa famille plutôt que d'essayer de la rejoindre.
La musique, composée par Fabio Massimo Capogrosso, tour à tour discrète ou au contraire très présente, et la photographie, dirigée par Francesco Di Giacomo, tout en clair-obscur, contribuent également à l'atmosphère générale du film, à la fois captivante et inquiétante.
Au final, Rapito subjugue en nous rappelant, sans caricature, le danger de s'en remettre aveuglément à des dogmes qui se battent plus pour leur propre survie que pour l'intérêt des humains. Surtout, Bellocchio, à 84 ans, nous propose un de ses films majeurs et une des œuvres marquantes de cette année.

24 mai 2024

★★¾ | Daaaaaalí !

★★¾ | Daaaaaalí !

Réalisateur: Quentin Dupieux | Dans les salles du Québec le 24 mai 2024 ( Métropole Films Distribution)
Comment réaliser un biopic d’un artiste aussi improbable que Dalí, qui a presque réussi à éclipser aux yeux du grand public son propre génie créatif au profit du personnage extravagant qu’il s’est forgé ? Quentin Dupieux répond à cette interrogation par une démarche originale : en concevant un anti-biopic, et en fragmentant son personnage principal à travers l’interprétation de cinq acteurs différents. Cette approche est non seulement ingénieuse mais s’harmonise parfaitement avec l’esthétique de Dupieux. L'autre bonne idée est que le réalisateur n’a pas tenté de recréer les œuvres emblématiques du maître, mais plutôt de capturer un univers qui lui serait fidèle. Pour ce faire, il puise autant dans son propre imaginaire que dans un éventail de références culturelles, dont Luis Buñuel est la plus évidente.
Malheureusement, Dupieux paie ici le prix de sa boulimie de réalisateur hyperprolifique. Ses idées sont en effet parfois un peu bâclées, comme si, à force de tourner vite, il n’avait jamais vraiment la tête au projet qu’il est en train de filmer. Certes, le film regorge de trouvailles (la plus irrésistible est probablement, au tout début du film, ce couloir d’hôtel interminable). Néanmoins, le rythme s’essouffle plus rapidement que de coutume. Malgré sa brièveté (1 h 18), le film peine à maintenir son élan, et la boucle narrative finale que nous propose Dupieux ressemble plus à du surplace artistique qu’à une réelle proposition pertinente. De plus, la performance inégale des acteurs incarnant Dalí est flagrante, et fortement nuisible : si Edouard Baer et Jonathan Cohen brillent par leur talent, Pio Marmaï et Gilles Lellouche ne sont jamais à la hauteur de leur personnage.
En somme, Daaaaaalí ! n’est pas dénué de charme, mais il s’agit d’une œuvre mineure dans la filmographie de Dupieux. Cependant, l’espoir demeure : son prochain film sera probablement à la hauteur de nos attentes. Et si ce n’est pas le cas, il y aura toujours le suivant.

17 mai 2024

★★★½ | Le Mal n'existe pas / Devil Does Not Exist (悪は存在しない)

★★★½ | Le Mal n'existe pas / Devil Does Not Exist (悪は存在しない)

Réalisation: Ryûsuke Hamaguchi | Dans les salles du Québec le 17 mai 2024 (Enchanté Films)
Dans un petit village du Japon, où la sérénité et le lien profond avec la nature sont des piliers de la vie quotidienne, l’harmonie est brusquement menacée par l’arrivée de citadins assoiffés d’argent. Ces derniers projettent d’installer un “glamping” (contraction de glamour et camping), une initiative dont la conception maladroite pourrait porter préjudice à l’environnement local.
Comme on peut le constater à la lecture de ce court résumé, Le mal n'existe pas aborde un sujet à forte portée sociale et environnementale. Il est peut-être toutefois traité de façon un peu trop simpliste et manichéenne, bien que Ryûsuke Hamaguchi s’efforce d’apporter une certaine nuance dans la représentation des deux protagonistes citadins. Cependant, ces réserves semblent secondaires tant l’essence du film surpasse son intrigue. L’intérêt réside principalement dans les moments où Hamaguchi capture avec une sensibilité palpable le lien indéfectible entre la nature et les humains qui la chérissent, la comprennent, la respectent et la valorisent. Grâce à une réalisation subtile et des images parfois éblouissantes, agrémentées d’une utilisation habile de la musique, le premier et le dernier tiers du film sont un véritable régal cinématographique.
On pourrait alors presque regretter que le film ne soit pas plus audacieux, qu’il ne s’éloigne pas davantage d’une trame narrative quelque peu pesante, qu’il ne se laisse pas davantage emporter par l'observation de l’homme en symbiose avec la nature, qu’il ne se transforme pas en une fable poétique plutôt qu’en un drame social. Néanmoins, ces réserves s’estompent face aux innombrables atouts de l’œuvre. Et parmi eux, le plus remarquable est sans doute la séquence finale, qui condense tout ce que l’on a apprécié dans le film, enrichi d’un mélange de mystère, de violence et de douleur d’une intensité bouleversante.

3 mai 2024

★★ | Occupied City (Une ville occupée)

★★ | Occupied City (Une ville occupée)

Réalisation : Steve McQueen | Dans les salles du Québec le 3 mai 2024 (Enchanté Films)
Le problème lorsque l’on voit deux films en un, c’est que parfois, on a le sentiment que chaque film aurait été meilleur que la fusion des deux. Le premier film qu’aurait pu faire Steve McQueen avec Occupied City est un film documentaire de 4h30, sans commentaires, proposant des images d’Amsterdam pendant la COVID. Peut-être même que ce film aurait été fascinant, presque hypnotique, incitant parfois à l’introspection, parfois à la curiosité; nous questionnant sur notre rapport aux autres, à l’importance d’être ensemble. Mais n’insistons pas. Ce film n’existe pas. Il ne constitue que la bande image de Occupied City.
La bande son, elle, compose ce second film imaginaire. Ou peut-être aurait-elle pu former des épisodes d’un podcast de 4h30 consacré à la seconde guerre mondiale, et plus spécifiquement à des dizaines d’histoires consacrées à des personnes pourchassées pendant la seconde guerre mondiale et persécutées par le régime nazi. Adapté d’un livre de Bianca Stigter (l’épouse de McQueen), cette bande son est fascinante grâce à la voix de Melanie Hyams, mais aussi (et surtout) grâce au choix fait de parler de l’histoire sous l’angle de l’individu, pour redonner vie à toutes ces histoires individuelles qui formèrent un drame collectif.
Malheureusement, en fusionnant ce son et ces images, Steve McQueen nous propose un résultat parfois maladroit (l’un fait de l’ombre à l’autre, à moins que ça ne soit l’inverse), parfois carrément abjecte. (Non monsieur McQueen, la privation de liberté n’est pas la même quand on parle de mesure anti COVID et de Shoah, et les policiers qui font respecter les dites mesures n’ont rien de nazi, contrairement à ce que pourrait laisser supposer la superposition de certains commentaires à certaines images.)
Alors comme nous le disions, certaines images méritent d’être vues, le texte du film est passionnant et essentiel, car il redonne de l’humanité à ces individus que les nazis ont tenté de déshumaniser… Mais pour apprécier pleinement Occupied City, il serait préférable de le visionner en deux fois, soit un total de 9 heures (et oui !). La première fois avec des bouchons d’oreilles pour se concentrer sur les images, et la seconde fois avec un bandeau sur les yeux pour se concentrer sur la bande son. 

19 avril 2024

★★★★ | La bête

★★★★ | La bête

Réalisation : Bertrand Bonello | Dans les salles du Québec le 19 avril 2024 (Maison 4:3)

Nous avons le droit de penser que le cinéma de Bertrand Bonello est prétentieux, froid, ennuyeux et très surcoté. D’ailleurs, il faut bien admettre que c’est souvent le cas. Tout était d’ailleurs réuni pour qu’il en soit de même ici, et pourtant, comme l'indiquent les quatre étoiles ci-dessus, un miracle se produit.
Le cinéaste nous propose un puzzle dans lequel les pièces de trois blocs temporels s’emboîtent avec une précision chirurgicale, unis par deux mêmes personnages. Entre le Paris de 1910, le Los Angeles de 2014 et le monde de 2044 où règne l’IA, Gabrielle (Léa Seydoux) est confrontée au sentiment amoureux, mais également aux émotions et principalement à la peur. Le film semble d'ailleurs être une lutte entre la peur et l’amour, ou peut-être une tentative impossible de séparer ces deux sentiments. Paradoxalement, le film, qui place le refus de la perte des émotions au centre de sa réflexion, est tout sauf émotif. Il est précis, cérébral, ne laissant aucune place au hasard ou à l’imprévu, mais c’est justement ce qui fait sa force, ce qui rend encore plus émouvante cette lutte du personnage pour conserver à tout prix sa capacité à vivre des émotions, même si elles doivent lui être fatales. Ceci dit, ce n’est pas la seule force du film. Le mélange des genres, parfaitement orchestré et d’une fluidité impressionnante en est aussi une. Bertrand Bonello évolue avec une égale maîtrise dans le film d’époque que dans le thriller quasi horrifique ou dans la SF cérébrale. Et que dire de Léa Seydoux? Autre élément essentiel de la réussite de La bête. Présente dans presque tous les plans, elle incarne avec force la difficulté de vivre, comme si elle était perpétuellement hantée par la peur de son propre devenir.
Alors une nouvelle fois, Bertrand Bonello prend le risque d’agacer et de perdre son spectateur en route, à force de le saturer avec sa soif de perfection glaciale. Mais ici, elle ne nous écœure pas, mais bien au contraire nous nourrit de son regard désabusé sur un monde décidément bien trop complexe pour qu’il soit réduit à des fadaises. D'ailleurs, en sortant de la salle, nous n'avons qu'une envie: laisser décanter quelques jours, et y retourner.

5 avril 2024

★★★½ | La Chimera

★★★½ | La Chimera

Réalisation : Alice Rohrwacher | Dans les salles du Québec le 5 avril 2024 (Entract Films)
Avouons-le d’emblée, l’auteur de ces lignes n’est habituellement pas très sensible au charme des films d’Alice Rohrwacher. D’ailleurs, les premiers instants laissent présager le même effet, cette étrange impression de voir un film qui n’est pas fait pour soi. Et pourtant, petit à petit, l’ensemble un peu foutraque, étrange, d’une liberté parfois déroutante, presque insolente, finit par produire son effet. La bande sonore du film y contribue également, avec ses conversations à bâtons rompus et ses morceaux de musique entraînants. On se prend alors vite d’affection pour ces personnages imprévisibles et hauts en couleur et on se laisse guider par ce fil narratif pourtant très tenu, ou, pourrait-on dire, par ce fil rouge (clin d’œil pour ceux qui verront le film) qui prendra finalement plus d’importance qu’on pourrait le croire. Car tout ici ne tient qu’à un fil, qui pourrait casser à chaque instant et propulser le film vers un échec artistique… Il n’en est rien. L’intrigue minimaliste s’efface devant les éléments évoqués plus haut, mais surtout devant cette opposition entre le monde d’en haut et le monde d’en bas, celui des vivants et celui des morts, celui d’hier et celui de demain. Et finalement, nous nous laissons entraîner aux côtés de cet antihéros, ce pilleur de tombe à la recherche d’un amour perdu. Derrière la satire de l’appât du gain et du trafic d’objets anciens, se cache en effet autre chose qui nous aide à comprendre ce qui pousse ce personnage à déterrer les morts. Et qui rend presque beau ce blasphème, qui l’aide à tenir, par l’entremise de ce fameux fil rouge !
Osez donc vous aventurer dans ce film étrange, et laissez-vous porter par son charme. Et si ce n'est pas la cas, les dernières minutes, aussi simples que belles et poignantes, seront, souhaitons-le, votre récompense !

22 mars 2024

★★½ | La Fonte des glaces

★★½ | La Fonte des glaces

Réalisation: François Péloquin | Dans les salles du Québec le 22 mars 2024 (Maison 4:3)
Il est assez difficile de comprendre ce qu’a voulu faire François Péloquin en réalisant La fonte des glaces. Ou plutôt: il est difficile de comprendre pourquoi il a voulu intégrer tant d’éléments disparates dans un film sans être capable de créer un véritable liant entre ses différents éléments.
Lorsqu’il parle de la justice réparatrice, on a envie de lui conseiller de voir quelle finesse il est possible d'aborder un tel sujet dans Je verrai toujours vos visages.
Lorsqu’il parle des relations familiales, on a envie de lui dire que le cinéma québécois a déjà fait plusieurs fois le tour de la question.
Lorsqu’il parle de la vie des détenus, on a envie de lui dire que son regard est souvent trop superficiel pour nous apporter quoi que ce soit.
Lorsqu’il aborde le sujet de la vengeance ou de la rédemption, on a envie de lui dire qu’il n’a pas le temps de le traiter pleinement et qu’il est obligé de se contenter de raccourcis narratifs sans intérêt.
Enfin, lorsque la dernière partie lorgne vers le thriller, on a envie de lui dire qu’on a cessé de croire à ses propositions…
Et pourtant, allez savoir pourquoi, le film n’est pas totalement dénué de charme. Si l’écriture manque de finesse, les postes techniques sont occupés avec professionnalisme, la mise en scène efficace parvient presque à faire oublier les failles scénaristiques et les acteurs et actrices livrent tous et toutes une prestation sans faille. Irons-nous jusqu’à conseiller le film pour autant? Probablement pas. Mais on en aurait presque envie. C'est peut-être la magie Lothaire Bluteau qui opère ?

15 mars 2024

★★★½ | Tu ne sauras jamais

★★★½ | Tu ne sauras jamais

Réalisation : Robin Aubert | Dans les salles du Québec le 15 mars 2024 (Axia Films)
Sept ans après un film de zombie haut de gamme plébiscité par la critique (Les affamés, prix AQCC 2017), Robin Aubert nous revient avec une preuve supplémentaire de son talent de cinéaste qui semble ne jamais être là où on l’attend. Surtout, il nous prouve qu’il n’a pas peur des propositions radicales, au risque de déstabiliser. Il nous plonge en effet dans un CHSLD, en plein confinement, et nous propose de suivre la journée d’un vieillard, cloîtré dans sa chambre, cherchant à avoir des nouvelles de sa bien-aimée atteinte de la Covid.
Le rythme est lent, et rien ne se passe vraiment, comme si Aubert voulait nous forcer à vivre une journée de solitude, d’ennui et d’inquiétude. Il y parvient tellement qu’il prend le risque de perdre des spectateurs en route (le sempiternel effet de la radicalité). Cette perte potentielle d’intérêt du spectateur serait d’autant plus regrettable que vers la fin, le cinéaste nous réserve une petite pirouette scénaristique (minimaliste, mais tout de même), qui lui permet de faire valoir son talent de metteur en scène et de créer une ambiance improbable, presque fantastique, tout en laissant devenir son film particulièrement touchant.
Alors que le cinéma québécois est trop souvent amoindri par une scénarisation un peu trop sclérosé, Aubert se permet un minimaliste scénaristique comme on en voit trop rarement.
Associé à un vrai talent de metteur en scène, cela donne pourtant un résultat impressionnant, même si Tu ne sauras jamais est parfois difficile, voire désagréable, à regarder en raison de son sujet et d’une certaine complaisance dans la manière de filmer la déchéance physique. Mais là encore, on est radical où on ne l’est pas !
Au moins, Aubert ose… Ça fait tellement de bien, même si ça fait mal.

8 mars 2024

★★★★ | Les herbes sèches / About Dry Grasses (Kuru Otlar Üstüne)

★★★★ | Les herbes sèches / About Dry Grasses (Kuru Otlar Üstüne)

Réalisation: Nuri Bilge Ceylan | Dans les salles du Québec le 8 mars 2024 (Sphère Film)
Les herbes sèches nous place d’emblée en terrain connu : cette Anatolie déjà tant filmée par le cinéaste. L’action se situe ici en hiver, au moment du retour en classe après les vacances, et met en scène des enseignants qui attendent la possibilité d’une mutation pour quitter cette petite ville dans laquelle rien ne se passe, sentiment accentué par cette neige qui recouvre les paysages comme du coton. Ceylan filme les lieux (magnifiques), les personnages, leur ennui, leurs nombreuses discussions… jusqu’à ce qu’un événement qui pourrait sembler anodin déclenche une petite chaîne de microréactions. Elles sont scrutées par un cinéaste qui aime prendre le temps de regarder ses personnages, de les écouter, de comprendre les conséquences de l’ennui, de la solitude, des désillusions, des doutes, et de voir comment la veulerie peut venir ternir les sentiments que nous pouvions ressentir sur telle ou telle personne.
La force principale de Ceylan est de laisser vivre, bouger et faire parler ses personnages, de manière parfois un peu décalée, presque paradoxalement désincarnée. Tout pourrait mener à l’ennui (le film dure plus de trois heures et le film est très bavard). Pourtant, sa mise en scène, délicate et d’une inventivité tout en sobriété, parvient à jouer avec la distance à l’égard des protagonistes et à les rendre de moins en moins lointains, de plus en plus attachants, au fur et à mesure qu’ils dévoilent leurs failles, qui sont peut-être moins les symptômes d’une bassesse d’esprit que les conséquences d’un besoin maladroit de se protéger.
Sans jugement hâtif, avec une certaine compassion même, Ceylan nous offre, pendant près de 200 minutes, son regard sur la vie. Une vie qui ressemble à l’Anatolie qu’il filme, où l’été succède à l’hiver, et réciproquement, sans transition, sans prévenir, sans que l’on ne puisse rien y faire.

23 février 2024

★★½ | Lucy Grizzli Sophie

★★½ | Lucy Grizzli Sophie

Réalisation: Anne Émond | Dans les salles du Québec depuis le 23 février 2024 (Sphère Films)
Ne tournons pas autour du pot : Lucy Grizzli Sophie, le nouveau film de la maintenant chevronnée Anne Émond, ne nous laisse pas indifférents mais comporte d’importantes faiblesses. Adaptation de la pièce La meute par la dramaturge Catherine-Anne Toupin (qui reprend également son rôle), le film nous laisse sur notre faim, les deux éléments centraux (le sujet de la cyberintimidation et le huis clos) n’étant pas assez assumés ou maladroitement traités.
Pour ce qui est du sujet, la sortie récente du dernier film de Pascal Plante lui fait probablement beaucoup d’ombre. Certes, il n’était pas question de cet aspect précis du petit monde du Darknet dans Les chambres rouges, mais le film de Plante était documenté avec une rigueur qui manque parfois ici, la scénariste abordant un grand sujet en donnant l’impression d’avoir peur de l’affronter dans toute sa complexité, et préférant trop souvent avoir recours à des raccourcis un peu simplistes. Mais qu’importe si autre chose prend le dessus... Et cette autre chose avait tout pour être le huis clos anxiogène. Là encore, on a le sentiment que le travail n’est fait qu’à moitié. Peut-être est-ce par crainte de faire trop « théâtre filmé », mais l'éloignement récurrent de la maison où se déroule l’action n’apporte pas grand-chose. Pire : il annihile la tension que l’on pourrait ressentir. C’est d’autant plus regrettable que toutes les compétences requises pour réussir un tel projet sont au rendez-vous : d’une part, la volonté louable de la part de la scénariste de ne pas vouloir trop en dire sur le passé des personnages ; d’autre part, le talent du duo Émond / Olivier Gossot (le chef opérateur) pour créer une ambiance, une tension, voire un mystère un peu trouble par le biais de l’image ; et enfin un trio de comédien·ne·s remarquables (Toupin, Guillaume Cyr et Louise Roy, qui reprennent leurs rôles tenus sur scène).
Malgré nos réserves (pour ne pas dire nos regrets), nous avons donc envie de conseiller Lucy Grizzli Sophie, juste pour faire honneur aux talents indéniables que comporte ce film imparfait.

16 février 2024

★★★ ½ | Io Capitano (Moi Capitaine)

★★★ ½ | Io Capitano (Moi Capitaine)

Réalisateur : Matteo Garrone| Dans les salles du Québec le 16 février 2024 (Immina Films)
Avec Io Capitano, Matteo Garrone quitte l’Italie de Dogman  ou la fantaisie de Il Racconto dei racconti pour nous entraîner au Sénégal, aux côtés de deux cousins qui rêvent en secret d’une vie meilleure (et donc d’Europe… et d’Italie).
La description de la vie modeste d’une famille sénégalaise est à la fois très sobre et très belle. En quelques plans, Matteo Garrone donne vie à ses personnages, les montre évoluer dans une famille aimante et qui semble heureuse. Il nous montre aussi l’envie d’ailleurs par le biais de ces ados qui rêvent d’Europe via Youtube et qui ne veulent pas croire ceux qui disent que tout n’est pas si simple. En commençant ainsi, le cinéaste fait le choix de l’universel et nous parle d’une époque, la nôtre, qui a tout d’un miroir aux alouettes, que l’on soit Africain, Européen ou Nord-Américain (même si les rêves d’un petit occidental n’ont pas les mêmes conséquences que celui d’un Sénégalais). Après ce préambule très réussi, Garrone nous entraîne dans la partie la plus longue de son film : la traversée de l’Afrique, du Sénégal à la Libye. C’est-à-dire le retour à la réalité. Sur ses images souvent somptueuses, le cinéaste donne à son film les allures d’un récit initiatique. Si le parcours est semé d’embûches, Garrone a la bonne idée de ne pas (trop) charger la mule et évite d’ajouter à une situation déjà dense des fioritures dramatiques qui auraient pu alourdir son propos.
Il sait également restituer la douleur engendrée par toutes les épreuves (soulignons à ce titre la prestation particulièrement juste et attachante de Seydou Sarr, la grande découverte du film). Malheureusement, la dernière partie ne parvient plus à éviter les écueils jusqu’ici évités. La traversée de la Méditerranée n’évite pas le trop plein d’effets dramatiques et d'espoirs sirupeux. On aurait envie de dire au jeune héros de se calmer un peu, et que la suite ne va pas être si facile. Mais on préfère le laisser espérer. Surtout, on préfère se souvenir de tout ce qui précède. Car malgré nos réserves finales, Io Capitano mérite vraiment d’être vu.

9 février 2024

★★★½ | Le règne animal

★★★½ | Le règne animal

Réalisateur : Thomas Cailley | Dans les salles du Québec le 9 février 2024 (Métropole Films Distribution)
À la fin des Combattants, les personnages du premier film de Thomas Cailley nous avaient prévenu: « On reste à l’affût, sur nos gardes ». Leur avertissement résonne avec justesse dès le début du Règne animal, où l’incertitude règne, sauf en ce qui concerne une évidence : le pire est toujours possible.
Pour ses débuts, le réalisateur avait imaginé une comédie romantique qui, vers la fin, prenait des allures de film post-apocalyptique. Dans Le règne animal, son second opus, il explore un tout autre territoire : celui de la famille (le sujet central), ébranlée par des mutations. Ces êtres humains, qui se transforment progressivement en animaux, deviennent les vecteurs d’une réflexion profonde sur deux formes d’altérité. D’un côté, le malade incurable (symbolisée par la mère) qui s’éloigne inexorablement de la vie et de ses semblables. De l’autre, l’étranger (symbolisé par les autres mutants), incompris, qui peine à trouver sa place.
Sous couvert de fantastique, Thomas Cailley aborde ces thèmes passionnants avec finesse. Il n’oublie pas non plus le cœur du récit : la relation père-fils, un sujet trop souvent négligé au cinéma et ici traité avec brio. Les qualités déjà évidentes dans son premier film — une écriture habile, une mise en scène sobre et précise, une direction d’acteurs délicate et juste — sont encore présentes ici et contribuent à la réussite du long-métrage.
Pourtant, on pourrait presque regretter, de manière paradoxale, un excès de maîtrise. Thomas Cailley étouffe parfois son film sous le poids de sa volonté de bien faire, nous laissant nostalgiques du charme brut des Combattants.
Malgré cette petite réserve, il nous entraîne dans un univers très troublant car parfois si crédible (la battue finale aux allures de ratonade). Surtout, il suscite notre impatience : nous voulons le voir évoluer, et découvrir son troisième film sans attendre dix nouvelles années.

2 février 2024

★★★★ | Tótem

★★★★ | Tótem

Réalisatrice : Lila Avilés | Dans les salles du Québec le 2 février 2024 (Enchanté Films)
Tótem fait partie de ces joyaux qui vous prennent par surprise et vous captivent d’emblée grâce à leurs personnages. Dès la première scène, a priori anodine et pourtant captivante, nous ressentons la complicité qui unit une mère et sa fille. Très vite, ensuite, lorsqu’elles arrivent dans la maison familiale où doit se tenir une soirée d’anniversaire, nous mesurons les liens qui unissent les gens, non exempts de petites tensions mais surtout marqués par l’amour. Progressivement, à mesure que nous apprenons à les connaître, apparaissent de nombreux thèmes, sombres ou lumineux (les liens familiaux, le rapport unificateur à une nature discrète, la maladie contre laquelle on ne peut rien, la transmission, l’amour au sens large, la mort trop proche). La force de Lila Avilés est de les traiter avec sensibilité et délicatesse, de manière diffuse, sans nous imposer un discours mais en donnant au contraire plus d’importance à ses personnages qu’à sa propre vision des choses. Elle préfère les laisser jouer le rôle de transmetteurs. Pour cela, elle sait qu’il faut les rendre justes. Heureusement pour nous, elle ne se contente pas de ses certitudes mais s'appuie sur un véritable talent de metteuse en scène et d’observatrice. Elle scrute les enfants (tour à tour joueurs, curieux ou inquiets), les femmes qui s’activent pour préparer la fête tout en s'occupant des enfants, le grand-père qui cherche à maintenir le souvenir au delà de la mort, le père malade qui lutte toute la journée afin de trouver la force nécessaire pour être présent à la fête qu’on organise pour lui, les amis partagés entre les souvenirs émus et le présent festif… et pour chacun, la réalisatrice trouve la hauteur juste, la distance adéquate, l’angle de caméra qui permet à l'image de transmettre une émotion sans avoir recours au verbiage.
Cette force permet à Tótem d'être un véritable hymne à la vie, à l’humain et au monde qui l’entoure, traitant avec force et justesse des thèmes universels à travers le prisme de personnages vivants et authentiques.

19 janvier 2024

★★★ | The Zone of Interest  (La Zone d'intérêt)

★★★ | The Zone of Interest (La Zone d'intérêt)

Réalisation: Jonathan Glazer | Dans les salles du Québec le 18 janvier 2024 (Entract Films)
Le très attendu Zone of Interest, le dernier film de Jonathan Glazer, a fait l’objet de nombreuses discussions depuis sa première à Cannes et nous arrive avec une forte réputation de Palme d'or bis (de surcroît justifiée par l'obtention du Grand Prix). Le film suit la famille Höss, dont le père commande le camp d’Auschwitz et dont la mère est une maîtresse de maison modèle (maison située à proximité du camp). Glazer adopte une approche unique en se concentrant sur ce qui se passe en dehors du camp, évitant ainsi de montrer directement les horreurs commises à l’intérieur. C’est en adoptant ce point de vue qu’il choisit de traiter deux sujets : la négation et la banalité du mal.
Lorsque Glazer s’intéresse à l’épouse, dont la seule préoccupation est de s’occuper de son logis, le regard du cinéaste est en phase avec ce qu’il veut démontrer : le fait de ne pas voir permet de nier. Cependant, il est difficile d’ignorer ce qui se passe de l’autre côté du mur du camp, en raison des divers éléments que Glazer rappelle continuellement : bruits divers (cris, coups de feu, etc.), éléments visuels lointains mais impossibles à ignorer (fumée, miradors, etc.) mais également souvenirs directs des disparus (chaussures, vêtements ou dents en or qui sortent du camp pour être redistribués). En phase avec la logique du hors-champs mise en avant par Glazer, la démonstration tourne pourtant vite un peu à vide, comme si le cinéaste avait tout dit en 30 minutes et ne parvenait plus, par la suite, à transcender son concept.
Le second sujet, celui de la banalité du mal, est porté par le commandant du camp. Dans une scène parfaitement maîtrisée, Glazer nous dévoile toute la logique de cette banalité, lorsque Höss discute des aménagements qu’il pourrait apporter à l’usine d’incinération pour en augmenter la productivité. Les corps sont alors verbalement réduits à l’état de chargement, et l’augmentation de la capacité d’incinération fait totalement oublier l’horreur qui prend place à proximité des participants à cette réunion qui ressemble à n’importe quelle réunion de productivité de n’importe quelle usine. Cependant, on peut se demander pourquoi le second sujet nécessite la même logique de hors-champs / hors camp. N'est-ce pas uniquement par volonté de la part de Glazer de persister dans une direction artistique dont la justification théorique s’affaiblit pourtant au fur et à mesure du film?
Certes, Glazer montre la médiocrité de ces gens qui ne pensent qu’à réussir, c'est à dire à produire et plaire à sa hiérarchie pour l’un, et à s’occuper de la maison pour l’autre. Ceci ne nous apporte rien d’autre que nous n’imaginions déjà. Du haut de sa froide démonstration conceptuelle, le cinéaste ne dérange pas, ne fait pas douter, ne déstabilise pas, tout simplement car cette démonstration ressemble plus à une fausse bonne idée qu’à un réel point de vue. (Et là, forcement, on pense au Fils de Saul.)
Malgré ses ambitions, Zone of Interest ne parvient pas à dépasser les limites de son concept. Il reste néanmoins une œuvre d’un cinéaste dont le talent ne fait aucun doute, mais également un film qui soulève des questions importantes sur la nature humaine et la capacité de l’homme à nier l’horreur qui l’entoure. C'est déjà ça, mais de la part de l'auteur du sublime Under the Skin, nous étions en droit d'attendre beaucoup mieux.

12 janvier 2024

★★★ | La petite

★★★ | La petite

Réalisateur: Guillaume Nicloux | Dans les salles du Québec le 12 janvier 2024 (AZ Films)
Guillaume Nicloux, réalisateur à la fois fascinant et imprévisible, est connu pour son aptitude à naviguer entre un cinéma radical et un cinéma plus accessible et commercial. Son film, La petite s’inscrit dans cette dernière catégorie, bien que son point de départ — le deuil d’un fils — soit identique à celui de son meilleur film, Valley Of Love, qui appartient clairement à la première catégorie.
Il est captivant de constater comment ces deux films de Nicloux évoluent vers des propositions diamétralement opposées. Dans La petite, le deuil se transforme progressivement en une obsession de la part du protagoniste, interprété de manière sobre et rarement vue par Fabrice Luchini : retrouver la mère porteuse de l’enfant de son fils. Le film devient alors une réflexion sur la gestation pour autrui, les liens filiaux, la transmission, mais aussi sur la réparation d’un échec car le père, qui s’est éloigné de son propre fils, voit dans cette naissance à venir l’opportunité de repartir à zéro.
Nicloux traite ces sujets de manière relativement légère, voire distante, oscillant entre laconisme et superficialité, comme si le véritable thème de son film se trouvait ailleurs. Il construit d’ailleurs La petite la manière d’une comédie romantique classique : deux êtres que tout oppose finissent par s’apprécier malgré les apparences. Qu’on se rassure cependant. La relation ne débouche pas sur une romance entre le père du défunt et la mère porteuse, mais sur l’idée qu’un rapprochement peut exister en dehors des schémas traditionnels des relations humaines, et en dehors des apparences.
C’est cette impression de voir un film aux allures commerciales, qui ne l’est peut-être pas tout à fait vraiment, qui donne son charme à La petite. Le talent exceptionnel de Nicloux pour obtenir le meilleur de ses interprètes (nommons également Mara Taquin, magnifique) finit de nous convaincre. Bien que le film soit relativement mineur, il est particulièrement agréable et trouve parfaitement sa place dans la filmographie de ce réalisateur décidément unique.

22 décembre 2023

★★★½ | Anselm – Le bruit du temps (Anselm – Das Rauschen der Zeit)

★★★½ | Anselm – Le bruit du temps (Anselm – Das Rauschen der Zeit)

Réalisation: Wim Wenders | Dans les salles du Québec le 22 décembre 2023 (Métropole Films)
Wim Wenders aime à l'évidence la 3D (procédé qui pourrait pourtant sembler de plus en plus désuet) pour créer des films qui sortent vraiment de l'ordinaire. Plus de 10 ans après le très beau Pina, il nous livre avec Anselm – Le bruit du temps un nouveau documentaire en relief de grande qualité. Ici, Pina Bausch laisse la place à Anselm Kiefer, artiste contemporain que Wenders admire profondément. Le documentaire suit en partie les conventions du genre, avec des images d'archives et des scènes montrant l'artiste au travail, ce qui permet au cinéaste d'introduire l'œuvre et la démarche conceptuelle et thématique de l'artiste, offrant des pistes de réflexion sur l'Allemagne (son histoire, sa mythologie) et son lien avec le temps qui passe (et donc, avec la mémoire).
Au-delà de cet aspect, le film atteint son apogée lorsque Wenders embrasse pleinement son rôle de cinéaste/observateur de l'œuvre d'un autre artiste. Il se crée alors une fusion entre le travail de Kiefer et celui de Wenders. Cette fusion (un artiste film les œuvres d'un autre artiste) rappelle parfois la grâce des Ailes du désir, notamment par le choix de la musique, des images flottantes et de la voix off chuchotée. Cela est tellement évident que le spectateur a presque le sentiment, par (trop) courts instants d'une beauté impressionnante, de devenir l'ange Damiel, personnage inoubliable de l'œuvre majeure du cinéaste allemand. Comme l'ange jadis incarné par Bruno Ganz, nous devenons à notre tour des observateurs bienveillants, cherchant à comprendre à la fois la souffrance, les déchirures et la beauté du monde que le duo Kiefer/Wenders nous propose.
Pour ceux qui en douteraient, Anselm – Le bruit du temps n'a rien à voir avec un documentaire qui serait plus à sa place sur un écran de télévision que dans une salle de cinéma. Il s'agit bien au contraire d'une expérience immersive par excellence, un documentaire/essai à voir absolument en salle… et en 3D, bien sûr.

15 décembre 2023

★★★½ | Poor Things (Pauvres créatures)

★★★½ | Poor Things (Pauvres créatures)

Réalisateur : Yorgos Lanthimos | Dans les salles du Québec le 15 décembre (Buena Vista)
Avec son nouveau film, Yorgos Lanthimos nous livre un conte pour adultes haut de gamme qui commence comme un Frankenstein revu et corrigé, dans lequel Willem Dafoe incarne une sorte de fusion entre l’inventeur (pour son activité) et sa créature (pour son physique). Le personnage a dans un premier temps tout du héros de ce film qui nous plonge entre l’univers des films de James Whale et de ceux de la Hammer. Progressivement, le cinéaste place ensuite au centre de son film la jeune femme interprétée par Emma Stone, qui semble handicapéé par une forte déficience intellectuelle. Mais son personnage est plus complexe (nous comprendrons pourquoi plus tard) et va évoluer en même temps que le film en nous servant de guide dans ce récit d'apprentissage à travers un monde du XIXe siècle aux décors rétrofuturistes. Elle y découvre avec une délicieuse candeur l’humanité, avec tout ce que cela comporte de pire (soif de pouvoir, de puissance et dérives en tout genre). Cela permet à Lanthimos de se déchainer en critiquant la bassesse des hommes… mais aussi de beaucoup s’amuser. Parfois, la gaudriole prend le dessus sur le reste. Parfois, certaines scènes tombent un peu à plat. Mais le tout colle finalement plutôt bien avec cet univers d’excès !
Poor Things est peut-être le plus accessible de son auteur, peut-être aussi un des moins déroutant, malgré toutes ses trouvailles, justement car il s’agit d’un conte où il est clair dès le départ que tout est possible. Nous sommes en droit de préférer le Lanthimos qui nous dépeint une réalité qui déraille pour glisser vers l’absurde. Mais ne boudons pas notre plaisir devant ce spectacle à la fois acide et grandement divertissant, qui est également un attachant portrait de femme confrontée au monde, le tout magnifiquement filmé (si on accepte de rentrer dans ce délire à la fois visuellement kitch, gentiment gore et inoffensivement sexué…)

8 décembre 2023

★★★½ | Le Garçon et le Héron / The Boy and the Heron (君たちはどう生きるか)

★★★½ | Le Garçon et le Héron / The Boy and the Heron (君たちはどう生きるか)

Réalisateur : Hayao Miyazaki | Dans les salles du Québec le 8 décembre 2023 (Cineplex Entertainment)
En 2014, nous pensions que Le vent se lève allait être le dernier film de Hayao Miyazaki. Ce long-métrage étant assez inférieur au reste des films du génie de l'animation nippone, nous sommes ravis de voir arriver dans nos salles Le garçon est le héros (dont le titre japonais est beaucoup moins enfantin : Comment vivez-vous ?). Non seulement le nouveau Miyazaki est d'une qualité largement supérieure, mais il est de surcroît parfaitement adapté au statut de film-testament (ou de film-somme, pour faire moins morbide), tant il reprend bon nombre des thématiques aimées pas le réalisateur de 82 ans.
La première demi-heure est sublime, tout en lenteur et en succession de détails flirtant avec une forme de réalisme magique. Après cette fascinante introduction, Miyazaki se livre avec une fougue toute juvénile à un délire qui nous entraîne dans les mondes dont il a le secret, en suivant en enchevêtrement de fils narratifs qui lui permettent d'aborder de nombreuses thématiques, à tel point qu'on se demande parfois si ce n’est pas un peu trop, s'il ne va pas nous mener vers l'indigestion. Mais son grand âge nous pousse à l'indulgence, et le fait que ce film soit probablement son dernier rend presque touchante cette envie d'en dire beaucoup avant de se taire à jamais. Et de nous rappeler à l'occasion d'une scène de séparation que la mort n'est pas si grave si la vie qui l'a précèdé n'a pas été vaine.
En ce qui le concerne, d'un de vue cinématographique, il est évident que la sienne ne l'a pas été.

1 décembre 2023

★★★★ | Les feuilles mortes / Fallen Leaves (Kuolleet lehdet)

★★★★ | Les feuilles mortes / Fallen Leaves (Kuolleet lehdet)

Réalisation: Aki Kaurismaki | Dans les salles du Québec le 1 décembre 2023 (Enchanté Films)
Le nouveau Aki Kaurismaki est arrivé, et il est marqué par une guerre si proche (le conflit ukrainien) dont il est régulièrement question ici par l’intermédiaire des informations radiophoniques. Il s’agit d’ailleurs du seul lien avec le présent. La direction artistique est en effet volontairement vintage, mais  totalement en phase avec ce sentiment d’angoisse qui semble enrober le film : angoisse d’un monde en conflit perpétuel, mais aussi angoisse des héros face à leur quotidien, à leurs patrons, à l’alcool (« je bois car je suis déprimé, et je suis déprimé parce que ce que je bois »), aux malheureux hasards de la vie (un papier qui s’envole par accident ou un train qui passe au mauvais moment)… mais surtout angoisse face à la solitude. Pourtant, comme souvent chez le cinéaste, cette angoisse est combattue par un désir salutaire : celui de croire en l’autre, en l’amour, en la solidarité, en l’avenir.
On peut en effet plus que jamais parler ici d’un optimisme du désespoir. D’ailleurs, si le ton kaurismakien est bel et bien là, l’humour décalé est très discret, comme s’il était de plus en plus difficile de prendre de la distance face à ce monde et de trouver le moyen d’en rire. Mais cela n’empêche en rien Kaurismaki de continuer à croire en l’amour : un amour toujours inconditionnel pour la précision de ses plans et de sa direction d’acteurs, pour le cinéma (les références aux allures d’hommage se ramassent à la pelle dans ses Feuilles mortes), mais surtout un amour sans faille pour ses personnages. Il adore ces laissés-pour-compte, les rend beaux et leur offre la promesse d’une union salvatrice qui fera voler en éclat, et peut-être oublier, la folie des Hommes qui les entourent et qui se battent, toujours, pour tout et pour rien.