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29 septembre 2023

Les jours

Les jours

Réalisation: Geneviève Dulude-De Celles | Au Québec le 29 septembre 2023 (Maison 4:3)
Je ne rédigerai pas de critique du film Les jours, parce que son sujet est le genre de sujet inattaquable, et que je n’aurais donc pas grand-chose à dire si je devais m’abstenir de l’attaquer. Certes, ce qui est arrivé à la jeune femme au centre de ce documentaire est terrible : la découverte d’un cancer du sein avant même d’avoir 30 ans. Son traitement a été lourd, les effets secondaires traumatisants, le soutien de la famille sans bornes… tout ceci est vrai. Mais nous ne pouvons nous empêcher de nous questionner sur les choix de Geneviève Dulude-De Celles (qui nous avait notamment offert les jolis Bienvenue à F.L. et Une colonie). Nous avons en effet toujours le sentiment que la cinéaste était trop intimidée par son sujet pour donner une orientation discrète mais nécessaire à son film.
Pour être en accord avec la première ligne de ce texte, je n’écrirai pas de critique, mais me contenterai de dire que Les jours est à peu près tout ce que le magnifique Over My Dead Body n’était pas. Le film de Poupart était un vrai film de cinéma qui abordait une multitude de sujets, traités avec une force rare. Nous ne sommes pas non plus chez Sébastien Lifshitz, qui aurait choisi un autre traitement... ni chez tel ou tel (la liste pourrait être longue). Mais arrêtons d'imaginer ce qu'aurait pu être le film si... et contentons-nous d'un constat: Les jours est le témoignage très respectable d’une femme tout aussi respectable confrontée à un événement douloureux. Il est important de libérer la parole à propos de certains sujets, mais un témoignage seul, sans le travail d'un cinéaste pour le sublimer, est-il suffisant pour constituer un film ? On voit maintenant des milliers de témoignages sur les médias sociaux, parfois à propos d’événements ou de situations encore plus traumatisants. Ils sont parfois poignants. Ce ne sont pas des films pour autant.

15 septembre 2023

★★★ | Solo

★★★ | Solo

Réalisation : Sophie Dupuis | Dans les salles du Québec le 15 septembre 2023 (Axia Films)
Après un premier film plein de promesses (Chien de garde) et un second tout en déception (Souterrain), Sophie Dupuis revient en mettant la balle au centre, nous rassurant un peu sans non plus être à la hauteur de nos premières attentes.
Parmi les points positifs, soulignons son amour palpable pour les gens de la nuit, sa sensibilité pour les filmer et sa capacité à recréer des ambiances (aidé par le toujours talentueux Mathieu Laverdière à la photo). Certains de ses personnages sont très attachants et parfaitement incarnés, comme la plupart des artistes transformistes du cabaret (avec en tête, le héros interprété par un toujours juste Théodore Pellerin), mais également la sœur du héros (une Alice Moreault tout en amour) et sa mère biologique (une Anne-Marie Cadieux impressionnante dans ce rôle de mère qui peine à transmettre son amour).
Soulignons aussi le traitement global du thème central (les relations amoureuses toxiques), abordé avec une belle universalité, et qui évite ainsi certains écueils liés au cadre narratif.
Mais… à côté de ces éléments, nous devons admettre que certaines faiblesses ne permettent pas au film de décoller. La première consiste au choix de l’amoureux du héros. Non qu’il soit mauvais, Félix Maritaud doit incarner un personnage dont nous voyons trop vite le caractère manipulateur. Il est l’incarnation de certaines faiblesses d’une écriture qui manque de finesse et laisse trop apparaître ses grosses ficelles psychologico-narratives dans la manière de traiter une liste de sujets qui ressemble à un véritable cahier des charges.
Mais qu’importe, le film transmet assez d’espoir pour nous donner envie de continuer à suivre le cinéma de Sophie Dupuis, mais également pour nous donner envie de conseiller le visionnement de Solo.

1 septembre 2023

★★★½ | Richelieu

★★★½ | Richelieu

Réalisation: Pier-Philippe Chevigny | Dans les salles du Québec le 1e septembre 2023 (FunFilm)
Décidément, cet été québécois nous réserve de bien bonnes surprises. Après une réflexion sociétale flirtant avec le cinéma de genre (Les chambres rouges) et après le meilleur Émond depuis très longtemps (Une femme respectable), nous découvrons un film social d’une qualité rare au Québec. Certes, il y a ici ou là quelques petites faiblesses d’écriture, mais sans commune mesure avec les maladresses de bien des films locaux qui cherchent à trop en dire pour bien se faire comprendre, quitte à pousser le spectateur dans une indigestion de bons sentiments. Ici, à quelques exceptions près, le moteur du film est constitué de ses personnages (ouvriers guatémaltèques égarés dans le pseudo-Eldorado québécois, jeune employée utilisée comme courroie de transmission au service d’une machine humanovore, patron d’usine pris à la gorge par ses actionnaires, etc.). En restant à leurs côtés, mais surtout en les filmant comme il le fait, Pier-Philippe Chevigny parvient à les faire vivre, et ainsi à nos intéresser à leurs histoires, et par ricochet à nous présenter des enjeux plus universels.
Car oui, insistons, Chevigny filme à merveille. À la manière des Dardenne ici et là sans que la référence soit pour autant étouffante, mais aussi de manière plus surprenante (la scène de l’hôpital, qui tient plus en haleine que bien des grosses productions US). Dans l’ensemble, il multiplie les bons choix de mise en scène, trouve la bonne distance, dirige ses acteurs à la perfection, fait confiance à sa caméra pour raconter quelque chose plus que pour illustrer ce qui est dit ailleurs.
Alors qu’importe s’il est parfois un peu manichéen (la similitude avec la trilogie de Brizé sur le monde du travail nous montre ses petites limites) : Pier-Philippe Chevigny est jeune et n’en est qu’à son premier long. Les promesses de ses courts sont déjà devenues réalité. On a juste hâte de découvrir ses prochains films.
À suivre, donc.

25 août 2023

★★ | Manufacturing the Threat (Produire la menace)

★★ | Manufacturing the Threat (Produire la menace)

Réalisation: Amy Miller | Dans les salles du Québec le 25 août 2023 (Diffusion Multi-Monde)
Amy Miller, cinéaste militante qui nous a déjà livré plusieurs films aux sujets forts (les migrations, le complexe militaro-industriel, la crise climatique, l’accaparement des terres agricoles), nous revient avec un nouveau documentaire. Ici, les cibles sont les agences de sécurité canadiennes, et plus précisément leur utilisation depuis très longtemps d’agents provocateurs, qui s’infiltrent dans des organisations pour les inciter à passer à l’action afin, selon la thèse de Miller (et d'Alexandre Popovic, dont le film s’inspire), de justifier leur propre existence.
Pour étayer sa démonstration, elle interroge de nombreux intervenants acquis à sa cause et alterne une critique historique des services secrets avec un cas d’école : le cas de deux paumés manipulés par lesdits services jusqu’à ce qu’ils fassent une tentative d’attentat le jour de la fête nationale du Canada. Cette histoire, glaçante et terrifiante, aurait mérité un film conçu avec objectivité et le constat se serait imposé de lui-même. D’ailleurs, si on ne devait isoler de Produire la menace que les parties traitant de ce sujet, Miller y parvient presque. Malheureusement, elle a préféré en rajouter des couches en pratiquant la politique du je sais que j’ai raison donc je ne me pose pas de questions. Certes, les représentants des services incriminés ont refusé de participer au film, mais n’y avait-il pas d’autres intervenants possibles et d’autres questions à se poser? Les manipulations qu’elle condamne à juste titre ne peuvent-elles pas être réalisées par des vrais terroristes ? Et dans ce cas, comment faire pour les contrer ? Et de manière plus globale, les services qu’elle condamne n’ont-ils pas fait au moins une fois quelque chose d’utile ? En gros : Ne serait-ce pas plus constructif de mettre de l’avant leurs dysfonctionnements sans les condamner en bloc, sans la moindre nuance ?
En quittant le cas particulier (l’attentat avorté, qui répétons-le, est globalement bien traité et représente une grande partie du film) pour aller vers le cas général (une condamnation sans nuance des services secrets canadiens) sans avoir un minimum d’objectivité, Miller transforme ce qui aurait pu être une critique pertinente d’une institution en un acte purement militant, et refuse ainsi de se laisser confronter à ses propres contradictions. Cela va probablement plaire à ceux et celles qui ont les mêmes certitudes qu’elle, mais risque de toucher beaucoup moins les autres que si elle avait fait un choix clair : une étude de cas avec une rigueur journalistique ; ou une étude générale documentée et impartiale… au lieu de ce mélange maladroit entre la première et une version simpliste de la seconde.

18 août 2023

★★★½ | Une femme respectable

★★★½ | Une femme respectable

Réalisation Bernard Émond | Dans les salles du Québec le 18 août (Maison 4:3)
Voilà une fin d’été cinématographique québécois comme on les aime. Une semaine après Les chambres rouges de Pascal Plante, arrive en effet dans les salles un deuxième bon film, pourtant très différent du premier (quoi que).
En plus de cette réjouissance, il marque également le retour en force (peut‐être le chant du cygne ?) de Bernard Émond, qui s’était ces derniers temps fourvoyé dans des projets que l’on préfère oublier. Avec Une femme respectable, il ne se départit certes pas d’une certaine austérité, mais peaufine ses dialogues et sa structure narrative d’une manière à la fois juste et très épurée, au point peut-être d’en déstabiliser certains. Peu de dialogues, peu de développements scénaristiques majeurs, mais beaucoup de silences, de regards, de travail sur les corps qui n’osent pas bouger (et qui, s’ils le font, le font en vain). Avec tous ces éléments, Émond parvient à donner vie à deux êtres, à deux solitudes, à deux souffrances, et surtout à nous faire comprendre que les évidences peuvent être trompeuses. Le mari volage qui est allé refaire sa vie avec une autre n’est peut-être pas si mauvais. La femme légitime bien éduquée qui décide de l’aider ne le fait peut-être pas uniquement pour de pures raisons. En les regardant sans passion, le cinéaste crée une distance avec les personnages qui permet aux spectateurs de les considérer le plus objectivement possible, sans ce déluge d’émotions qui peuvent, lorsqu’on en abuse, annihiler tout esprit critique. Ainsi, Émond nous propose des personnages attachants et imparfaits à la fois… c’est-à-dire des personnages qui ressemblent à beaucoup d’entre nous.
Finalement, pour expliquer le « quoi que » du premier paragraphe, le film de Bernard Émond n’est peut-être pas si éloigné du film de Plante. Tous les deux, en passant par des chemins opposés, mettent la complexité des personnages au cœur de leurs films, optent pour une froideur bienvenue et nous proposent deux des meilleurs films québécois de cette année.

4 août 2023

★★★ | Shortcomings

★★★ | Shortcomings

Réalisation : Randall Park | Dans les salles du Québec le 4 août 2023 (Métropole Films Distribution)
Shortcomings est un petit film indépendant américain qui ressemble à beaucoup d'autres et qui dépeint les pérégrinations sentimentalo-identitaire de jeunes actifs. Nous devons cependant admettre qu'il est qualitativement bien plus intéressant que la moyenne du genre, le cœur du problème (l'appartenance à la communauté asiatique) étant plutôt bien traité, avec un mélange de pertinence et d'humour. Le héros, asiatique, est en effet pris entre les représentants de sa communauté (pour qui tout ce qui asiatique est forcément un peu mieux), sa cinéphilie (et donc l'ouverture sur le monde qu'elle représente)... et son fantasme de la femme blanche, qui vient transformer son ouverture sur le monde (qui pourrait laisser supposer une indifférence face à la couleur de l'autre) en un fantasme qui tourne à l'obsession. Cela permet au film de traiter des enjeux de société avec sérieux, sans pour autant dédaigner la comédie, qui va jusqu'à flirter avec l'absurde lorsque le protagoniste s'aperçoit que sa fiancée fréquente un blanc (mais d'ailleurs, l’est-il vraiment ?).
Le traitement du sujet, aussi pertinent qu'agréable, est renforcé par l'observation incisive de notre société dans laquelle chaque personne semble avoir du mal à accepter sa propre existence. (Problématique traitée toujours avec un humour bienvenu, comme c'est le cas pour cette sympathique actrice/chanteuse/performeuse/etc. qui n’embrasse pas car elle a peur des germes mais qui expose les photos de ses pipis du matin et qui vit avec un coloc se promenant perpétuellement nu).
Tous ces éléments sont intelligemment mis en forme pour dresser un portrait d'une société ou chacun semble confronté à des problèmes en tous genres. Mais nous pouvons regretter que la mise en scène ne soit pas à la hauteur de l'écriture. Même si le héros visionne chez lui des films d'Ozu et de Truffaut, le cinéaste ne leur arrive pas à la cheville. Les deux modèles étaient adeptes d'une mise en scène sobre, qui parvenait toutefois à donner du souffle à ses personnages et à générer des émotions. Randall Park, pour sa part, doit se contenter d'une esthétique de série télé bas de gamme (j'exagère à peine), et donc ne parvient pas à faire de son film une œuvre mémorable, malgré son caractère bien sympathique. Nous oublierons donc bien vite ce Shortcomings. Mais au moins, nous aurons eu le plaisir de passer 1 h 30 à le regarder, ce qui n'est déjà pas si mal.

28 juillet 2023

★★ | Le parfum vert

★★ | Le parfum vert

Réalisation: Nicolas Pariser | Dans les salles du Québec le 28 juillet 2023 (K-Films Amérique)
Quelques années après son très réussi Alice et le maire, Nicolas Pariser nous revient avec un film d’espionnage pour rire, truffé de références hitchocko-tintinesques, qui nous déçoit cependant rapidement. Les intentions avaient pourtant tout pour nous plaire et le mélange référentiel avait tout pour nous séduire, mais la mise en scène et le scénario de Pariser ne sont pas à la hauteur. Jamais en effet il n’arrive à insuffler à l’ensemble assez de fantaisie et de légèreté pour nous donner envie de partir à ses côtés dans un univers improbable, et donc… rien de ce qui nous est proposé n’est jamais plausible, ce qui nous éloigne du film, des enjeux, des personnages, de la proposition. Pire, Pariser se permet des incartades totalement hors-sujet (le dialogue autour d’Israël) et une histoire d’amour sans charme (n’est pas Hitchckock qui veut… ce que semblait savoir Hergé ; Pariser aurait dû suivre l’exemple belge). Même le dénouement, dont la petite fantaisie naive avait tout pour plaire, tombe à plat en raison de l’incapacité du cinéaste à voir su nous plonger dans l'état d’esprit d'un jeune de 7 à 77 ans heureux d’avoir vu un couple de sympathiques paumés sauver le monde grâce à un mélange de persévérance et de hasard éolien.
Heureusement, il reste le souvenir de deux acteurs que l’on aime beaucoup (Kiberlain / Lacoste), dont le talent n’a rien à voir avec l’improbabilité du couple fictif qu’ils forment.
Mais lorsqu'un cinéaste veut faire retourner le spectateur en enfance, il faut du talent. Sinon, ledit spectateur risque de se transformer en gamin capricieux, le jour de Noël, à la fois triste et boudeur après avoir découvert que le paquet tant convoité enfermait un cadeau qui ne lui convenait pas.

21 juillet 2023

★★★¼ | Oppenheimer

★★★¼ | Oppenheimer

Réalisation: Christopher Nolan | Dans les salles du Québec le 21 juillet 2023 (Universal)
Quelques années après Tenet, qui nous plongeait dans un grand n’importe quoi avec un immense talent, Christopher Nolan nous entraîne maintenant dans un épisode de notre histoire, mais également dans son film le plus bavard, aux côtés de l’inventeur de la bombe atomique. Cela lui permet d’aborder de manière frontale bon nombre de sujets passionnants. Parmi eux, celui qui occupe la première partie du film est principalement l’obsession scientifique qui pousse à résoudre un problème qui devient plus importante que les conséquences de la résolution dudit problème. S’ensuit alors, après deux heures, un des moments les plus marquants de l’œuvre de Nolan. On y voit Oppenheimer confronté aux conséquences de sa réussite scientifique, seul face à une foule en délire, mais incapable d’en partager la ferveur, enfin conscient du caractère destructeur de son exploit. La suite, composée d’un mélange de culpabilité, de convoitises et de scènes de procès vient compléter le tout. Le talent du cinéaste permet à l’ensemble d’être passionnant et parfois impressionnant. Il est toutefois regrettable que Nolan se laisse prendre à son propre jeu en abusant de certains de ces effets préférés, qui ne semblent pas toujours ici à leur place. Parmi les plus préjudiciables, notons les effets sonores pas toujours maîtrisés (dans le genre, Nolan était clairement plus à l’aise avec Dunkirk) et la structure du récit qui aurait probablement gagné à être plus sobre, et donc un peu plus linéaire (nous ne sommes pas dans Tenet, et la partie de ping-pong temporelle n’est pas toujours pertinente).
Donc, beaucoup de talent (on le savait), parfois un peu trop envie d’en faire l’étalage (on le savait aussi), mais le sujet passionnant finit par prendre le dessus sur la tendance de Nolan à se prendre les pieds dans un excès d’ambition. Par contre, pour ce qui est du constat et de ce que l’avenir peut nous réserver, il faut avouer que le délire Kubricko-Folamourien avait au final plus de force. Comme quoi la farce est parfois plus glaçante que la prétention.

17 juin 2023

★★★½ | Les enfants des autres

★★★½ | Les enfants des autres

Réalisation: Rebecca Zlotowski | Dans les salles du Québec le 16 juin 2023 (Sphère Films)
Rebecca Zlotowski est une cinéaste que l’on aime, notamment pour sa propension à prendre certains risques. On pourrait donc presque être déçu par son dernier film, celui qui a rencontré le plus grand succès dans les salles françaises… et pour cause : bien écrit et bon techniquement, il est dans un premier temps très convenu et pourrait presque nous décevoir en raison de ce seau « qualité France » qui semble lui coller à la peau.
Heureusement, même si Les enfants des autres a des apparences de films français vu et revu, il sait aborder un sujet rarement traité : le statut des conjoints, qui vivent avec les enfants des autres, les aiment, s’y attachent, jouent un rôle dans leur quotidien… et disparaissent de la circulation malgré eux lorsque l’histoire d’amour avec l’autre prend fin. Certes, on pourrait reprocher à Rebecca Zlotowski d’avoir concentré la narration sur une trop courte période (les enjeux auraient été plus forts si l’histoire d’amour, et donc la relation avec l’enfant de l’autre, avait plus duré). Mais la délicatesse de son traitement et de l’interprétation de Virginie Efira atténuent fortement ce reproche. De plus,  progressivement, le film élargit sa réflexion à un sujet plus vaste, le rôle que l’on peut jouer dans la vie des autres en général et pas uniquement en tant que beau-parent de quelques mois. C’est en ce sens que le film de Zlotowski sort du film convenu auquel on croit assister pendant une heure. La fonction de son héroïne n’est en effet pas limitée au statut de belle-mère fugace qui ne peut pas avoir d’enfants. Elle est aussi la grande sœur qui accompagne sa cadette depuis la mort lointaine de leur mère ou la prof attentive qui cherche à aider un élève dont les parents sont trop absents.
Au-delà de son sujet apparent, Zlotowski nous livre un film sur le rôle que peuvent prendre tous ses gens qui, parfois sans le savoir, ont contribué à être qui nous sommes. Comme quoi, même sans en avoir l’air, la cinéaste réussit tout de même à nous surprendre !

26 mai 2023

★★½ | You Hurt My Feeling

★★½ | You Hurt My Feeling

Réalisation : Nicole Holofcener | Dans les salles du Québec le 25 mai 2023 (Entract Films)
La réalisatrice Nicole Holofcener a tenu quelques fonctions (d’assistante de production à assistante monteuse) sur les films de Woody Allen pendant les heures de gloire du cinéaste New-Yorkais. L’ombre du géant déchu plane ainsi sur bon nombre de ses films, comme en témoignent les sujets abordés dans son dernier (conflits dans le couple, relations parfois difficiles entre parents et enfants, scènes de consultation chez le psy, New-Yorkitude assumée, etc.).
Hélas, nous sommes ici loin du Woody des grands jours, et nous ne pouvons nous empêcher, en visionnant le dernier film de la cinéaste, de nous souvenir qu’elle a également beaucoup œuvré à la télévision. You Hurt My Feeling, avec sa mise en scène paresseuse et ses dialogues omniprésents, nous donnent parfois l’impression de visionner un sympathique épisode d’une agréable mais mineure série New-Yorkaise. Certes, la photographie de Jeffrey Waldron est de bonne tenue et les thèmes abordés ont un petit potentiel (même si leur traitement est si frontal que le tout manque grandement de subtilité). Malheureusement, la mise en place d’environ trente minutes est laborieuse, et la suite, malgré quelques instants ou idées pertinentes, ne décolle jamais vraiment, comme si Holcener avait oublié certaines des leçons de la télévision (dont la plus importante: savoir aller à l’essentiel vite, bien et tenir en haleine).
Moins rythmé qu’une bonne série et moins virevoltant et inventif qu’un bon Allen, le Holofcener nouveau est  très oubliable, finalement sans grand intérêt (c’est un peu un « faut-il toujours dire la vérité ?» pour les nuls et les nantis), mais se laisse voir, ne serait-ce que pour le duo Julia Louis-Dreyfus / Tobias Menzies qui fonctionne plutôt bien, et pour le service minimum, qui semble respecter à la lettre le guide du bon petit film New-Yorkais qui aime enfoncer les portes ouvertes en se donnant l’impression d’être intelligent !

28 avril 2023

★★★★ | Tommy Guns (Nação Valente)

★★★★ | Tommy Guns (Nação Valente)

Réalisation : Carlos Conceição | Dans les salles du Québec le 28 avril 2023 (Cinéma du Parc)
L’intrigue de Nação Valente débute en Angola en 1974, un an avant l’indépendance du pays. Par petites touches, elle suit différents personnages, ou plutôt des petits moments de vies perturbées à leur manière par les tensions qui règnent dans le pays. En s’appuyant sur un rythme lent, magnifiquement maîtrisé, et une photographie sublime (signée Vasco Viana), Carlos Conceição filme les corps, les peurs, les folies, la fragilité de la vie, mais également la nature, la terre, et ce lien puissant qui l’unit à ceux qui y vivent. (Ce dernier aspect, très présent dès le début du film, prendra encore plus de sens vers la fin.)
Après une demi-heure, le titre du film apparaît (« Nation courageuse », en français). Son arrivée tardive peut surprendre, mais elle marque en réalité une rupture que le spectateur comprendra progressivement. Certains indices, cependant, lui mettront dès le début la puce à l’oreille, avec une multitude d’éléments improbables que le réalisateur parvient à rendre plausibles (des relations trop fraternelles entre soldats, un officier supérieur trop gradé pour commander une petite poignée d’hommes, des apparitions nocturnes trop troublantes pour n’être qu’anodines). La force du cinéaste est de nous entraîner avec lui dans ce monde incertain, qui semble celui du rêve, à moins qu’il ne soit celui de la folie des (ou d’un ?) homme(s). Mais au-delà de la facilité avec laquelle Carlos Conceição rend plausible l’improbable, la force de son film est de nous parler de décolonisation, de déracinement, de spoliation, de folie meurtrière, mais également du besoin de réconciliation, malgré le passé, malgré les tensions, malgré la violence, malgré les excès. Pour cela, le cinéaste a recours aux symboles ou aux l’allégories, de manière toujours intelligente et foisonnante. Chaque élément est porteur d’un sens jamais imposé au spectateur, qui aura la possibilité de visionner le film comme s’il s’agissait d’un rêve… ou d’en faire une analyse d’une grande richesse, aux allures de réflexion postcoloniale, selon son bon vouloir.
À ne manquer sous aucun prétexte… en salle, évidemment !

21 avril 2023

★★★★ | Beau Is Afraid (Beau a peur)

★★★★ | Beau Is Afraid (Beau a peur)

Réalisation: Ari ASter | Dans les salles du Québec le 21 avril 2023 (SPHÈRE Films)
Après deux premiers longs métrages qui nous avaient séduits par leur mise en scène mais un peu refroidis par des scénarios plus ambitieux que maîtrisés, Ari Aster nous revient enfin avec une œuvre réellement convaincante.
D’emblée, le cinéaste nous place aux côtés de Beau, dont la santé mentale n’est pas des plus enviables. À l’évidence, des troubles paranoïaques l’empêchent de vivre une vie épanouie. La bonne idée d’Aster est de nous montrer dans la première partie du film le monde d’après la perspective de Beau, tout en le rendant le plus réaliste possible (pas de grands angles marquant la déformation de la réalité ou d’effets de montage excessifs traduisant les pensées perturbées du héros). Le cauchemar éveillé et paranoïaque que vit Beau est donc parfaitement plausible visuellement (même si de plus en plus improbables dans les faits). Cet aspect, associé à un rythme particulièrement soutenu, ne laisse pas d’autre choix au spectateur que de se laisser entraîner aux côtés du personnage incarné par Joaquin Phoenix, comme si son monde torturé était également le nôtre.
Une fois cette étape parfaitement accomplie, Aster peut alors se permettre de le laisser s’égarer dans des mondes multiples (des souvenirs aux mondes parallèles de plus en plus improbables mais pourtant toujours en parfaire cohérence avec l’expérience proposée). Commence alors un voyage freudien et tragicomique époustouflant qui permet au cinéaste de confirmer son talent de faiseur d’images tout en nous faisant revenir sur l’opinion que nous nous faisions de lui. Il n’a en effet pas besoin d’un collaborateur à l’écriture pour élaborer un scénario lui permettant de donner libre cours à son talent (lire notre minicritique de Midsommar). Reste à savoir si ce voyage au pays des mères toxiques sera le point de départ d’une œuvre majeure ou un feu de paille pour ce cinéaste qui jouissait après ses deux premiers films d’un statut qu’il ne méritait probablement pas. Dans l’attente de la réponse, profitons tout simplement de Beau is Afraid, une des très belles surprises de ce début d’année.

14 avril 2023

★★★ | Showing Up (Les filles)

★★★ | Showing Up (Les filles)

Réalisation: Kelly Reichardt | Dams les salle du Québec le 14 avril 2023 (Sphère films)

Showing up est un film bien étrange ; un film qui semble tout mettre en œuvre pour ne pas se faire aimer, mais également le film de Kelly Reichardt dans lequel plane le plus un soupçon d'humour aussi omniprésent que délicieusement pince-sans-rire.
Le film propose en effet une multitude d’antihéros condamnés à la loose, des artistes sans talent, sans succès et sans perspective de gloire. Pour enfoncer le clou, la réalisatrice accorde le statut de personnage principal au plus paumé de tous (superbe Michelle Williams), une artiste sans succès, vivant dans un appartement sans eau chaude, exerçant un travail sans intérêt et incapable de sauver par elle-même un pigeon tombé dans les griffes de son chat.
Mais à force de traiter de personnages inconsistants, condamnés à une vie sans éclat et évoluant dans une école d'art ridicule, Kelly Reichardt finit par les rendre attachants grâce à sa sensibilité, à son amour pour les petits détails, à son refus de juger et de condamner quiconque, et à ses petites touches d'humour qui ne vont jamais trop loin (il aurait été facile de rire à leurs dépens, ce qu'elle ne fait à aucun moment).
Finalement, Showing up est un petit film délicatement dirigé, au charme évident et dont la plus grande ambition est paradoxalement de ne pas en avoir. Et ce n'est pas rien !

31 mars 2023

★★★½ | Fumer fait tousser

★★★½ | Fumer fait tousser

Réalisateur : Quentin Dupieux | Dans les salles du Québec le 31 mars 2023 (Métropole Films)
En arrivant devant un film de Quentin Dupieux, le spectateur sait qu’il aura droit à une expérience pas comme les autres. Fumer fait tousser ne déroge pas à la règle. Ici, le cinéaste donne vie à un groupe de justiciers en collants colorés. Après avoir tué une tortue géante, les super-héros (dignes d’une mauvaise série TV nipponne des années 1980) sont conviés par leur chef (un rat parlant et libidineux) à participer à une retraite à la campagne afin de renforcer la cohésion du groupe. Chacun racontant une histoire au coin du feu, le film se transforme en film à sketches au gore potache.
Le tout est toujours parfaitement exécuté, et permettrait presque au film de devenir une petite comédie sympathique et gentiment trash. Mais Dupieux ne se contente pas de rire. Certes, son film est moins mélancolique qu’Incroyable mais vrai... mais son dosage de désillusions, de peur d’un dérèglement du monde (voire de sa destruction), de prise de conscience de l’échec d’une vie, d’interrogations sur les dérives d’une époque (voire sur le désir/l’impossibilité d’en changer) finissent par donner de l’épaisseur à sa farce, comme si le rire était le seul moyen de faire face aux désillusions et à l’amertume!
Cela étant dit, le force de Dupieux et de laisser le spectateur libre et de ne rien se laisser imposer. La farce désabusée peut donc aussi être vue comme un petit délire loufoque et très drôle. Après avoir fait un cinéma à l’absurde parfois un peu trop auteurisant et abscons, Dupieux semble s’élargir à un public plus large. Et étrangement, le résultat y gagne au change…

24 mars 2023

★★★★ | Godland, une vie divine (Vanskabte land)

★★★★ | Godland, une vie divine (Vanskabte land)

Réalisation: Hlynur Pálmason | Dans les salles du Québec depuis le 24 mars 2023 (Enchanté Films)
Un jeune religieux est chargé d’apporter la bonne parole dans un territoire reculé et sauvage… Voilà qui nous rappelle bien des films dont l’action se déroule sur le continent américain. Mais ici, le froid, les paysages arides et les journées sans fin remplacent la luxuriance amazonienne puisque l’action se déroule en Islande ! D’ailleurs, le réalisateur Hlynur Pálmason semble prendre le contre-pied d’un Herzog, et Godland n'a rien d'un Aguirre. Sa mise en scène est posée, toute en retenue et en plans qui durent. La menace (des hommes, de la nature) est plus sourde, et la caméra de la directrice photo Maria von Hausswolff refuse de nous plonger dans l’action en optant pour une certaine distanciation. De son côté, l’acteur Elliott Crosset Hove est lui aussi à l’opposé d’un Kinski… même si son personnage finit par être atteint par le poids de sa mission, qui contribue à lui faire perdre progressivement la raison.
C’est d’ailleurs la force de ce film : jouer sur la lenteur, la beauté de ces paysages pourtant austères, la rudesse des gens rencontrés ; jouer sur cette impression que le temps se déroule plus lentement qu’ailleurs, comme si rien d'exceptionnel ne pouvait arriver. Et pourtant ! Aussi rarement que subrepticement, un accident se produit, un accès de violence, de rage. Mais cela est filmé de manière aussi apparemment détachée que le reste, comme s’il ne fallait pas insister. Et ce refus du spectaculaire produit un effet troublant, presque dérangeant, nous rappelant que tout peut toujours se produire à tout moment, y compris le pire, et que l’homme, même le plus investi par toutes les missions de monde, ne peut rien face à ces démons, au ressentiment des autres, à la puissance des terres... ces terres qui finissent, inexorablement, par nous rappeler à elles.
Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris.
Souviens-toi, Homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière.

10 mars 2023

★★★¼ | As Bestas

★★★¼ | As Bestas

Réalisateur: Rodrigo Sorogoyen | Dans les salles du Québec le 10 mars 2023 (Axia Films)
Décidemment, les campagnes espagnoles peinent à faire face à la transition écologique. Après les panneaux solaires de l'excellent Alcarràs, ce sont les éoliennes qui provoquent des troubles dans le petit village où sont venus s’installer deux Français adeptes du bio (Marina Foïs et Denis Ménochet). La comparaison ne va pas plus loin. Alors que le film de Carla Simón était un magnifique portrait de groupe, celui de Rodrigo Sorogoyen hésite entre le drame et le thriller. C’est d’ailleurs un peu la limite de ce film pourtant débordant de qualités. Le réalisateur semble en effet ne pas avoir totalement assumé la noirceur de son sujet. Alors qu’il aurait pu la renforcer par un traitement atmosphérique plus étouffant, il préfère jouer la carte de la psychologie, de l’écrit, du dialogue. Cela donne, il est vrai, naissance à une scène d’anthologie (une discussion, en plan séquence, dans un bar, entre deux individus accoudés au comptoir, avec un frère un peu simplet en arrière-plan). Cela fait aussi malheureusement ressortir certaines limites (les qualités d’actrice de Marina Foïs, dans une scène, elle aussi en plan séquence, entre une mère et sa fille). Heureusement, le reste de la distribution est parfait (de Ménochet aux acteurs espagnols), mais la prestation de Foïs nuit fortement aux scènes purement dramatiques, sur lesquelles Sorogoyen s'appuyait déjà un peu trop. (Relativisons toutefois. L'actrice a remporté de nombreux prix pour sa prestation… et l’auteur de ces lignes est peut-être plus allergique que d’autres à des tics d’actrice qui contrastent avec la grandeur et la pureté de la prestation de Ménochet).
Donc… d’une part, un film dramatique qui souffre d’un déséquilibre de jeu d’acteurs et d’un excès de psychologie; de l’autre un thriller qui ne s’assume pas… et au milieu, un metteur en scène qui ne sait pas sur quel pied danser, mais qui nous offre un film malgré tout très solidement exécuté et qui comporte de nombreux beaux moments. On se dit juste parfois qu’on est passé à côté d’un film immense. Il aurait peut-être eu besoin d’un peu moins de dialogues et d’un peu plus de cinéma. Avec les éléments et le talent dont Sorogoyen disposait, il y avait de quoi impressionner encore plus !

4 mars 2023

★★★ | Retour à Séoul

★★★ | Retour à Séoul

Réailisation: Davy Chou | Dans les salles du Québec le 3 mars 2023 (Métropole Films)
Pour son deuxième long métrage, Davy Chou choisit d’accompagner Freddie en Corée, le pays où elle est née il y a 25 ans, avant son adoption par une famille française.
D’emblée, la force de caractère du personnage et de son interprète Park Ji-min (parfaite) marquent les esprits. Déterminée, libre, volontaire, la jeune femme décide d’aller à la recherche de ses origines, c’est-à-dire de ses parents biologiques. De son côté, le réalisateur choisit de ne pas faire de cette quête le point central de son film, qui ressemble avant tout à un portrait d'une femme libre profitant de ce voyage impromptu pour devenir adulte. Cela permet probablement au cinéaste d’éviter certains excès mélodramatiques ou facilités psychologiques. Un autre choix intéressant consiste à ne pas avoir choisi une héroïne moralement irréprochable ou suscitant l'empathie. En effet, en plus de ses qualités évoquées plus haut, Freddie est également égoïste, n’a pas peur de blesser (que ce soit un amant de passage ou sa mère adoptive) et choisit une carrière professionnelle qui n’a rien pour la rendre sympathique. C’est donc en montrant sa soif de vivre pour elle et rien que pour elle, sans penser aux autres, que Davy Chou fait ressentir la souffrance de l’abandon et du déracinement.
Le traitement par ellipses du sujet ne rend-il pas cependant le constat un peu simpliste ? Nous sommes en droit de nous poser la question. Mais au-delà de cette interrogation, qui est pour nous la grande faiblesse du film, une chose est certaine : le talent du cinéaste est immense pour filmer le désir de vivre, la jeunesse, les fêtes, la nuit ou les instants de liberté ! De plus, Park Ji-min, totalement inconnue jusqu'alors, est une formidable révélation. Malgré nos réserves, ces arguments nous suffisent pour conseiller le visionnement de ce Retour à Séoul.

24 février 2023

★★★★ | Alcarràs

★★★★ | Alcarràs

Réalisation: Carla Simón | Dans les salles du Québec le 24 février 2023 (Cinéma du Parc)
Auréolé d’Ours d’or au Festival de Berlin, Alcarràs impressionne par sa délicatesse et sa simplicité apparente pour dépeindre une multitude de choses, aussi bien petites que grandes.
Dès le départ, la cinéaste Carla Simón nous met en contact d'enfants jouant dans les environs d’une maison familiale qui a tout d'un terrain de jeu enchanteur. Mais très vite, nous comprenons que le lieu est celui d'un drame à venir. Les terres qui permettent à la famille de vivre de la récolte fruitière vont en effet tomber dans les mains d’un nouveau propriétaire qui projette de transformer les lieux en parc de panneaux solaires. Au lieu de traiter le drame social de plein fouet, la cinéaste le traite par la bande, en se focalisant sur les membres de la famille. Elle les observe, les écoute, leur donne de l’espace pour s’exprimer, est attentive leurs petits instants de joie aussi bien qu’à leurs colères ou leurs tensions.
Grâce à cette mise en scène attentive qui parvient à donner vie de manière magistrale à de nombreux personnages de tous âges, mais également grâce à un scénario très intelligent, qui évolue lentement, par petites infos distillées avec justesse, la magie opère. Carla Simon, sans insister sur aucun enjeu, en laissant tout simplement vivre ses personnages, finit par parler de famille, de secteur agricole et d’énergie propre, d'illusions, de solidarité, de tensions, de l’irrémédiable ascension des puissants, mais également du vrai bonheur et de bien d'autres choses encore…
Alors qu'elle avait le point de départ pour faire un film de combat, elle semble préférer parler de la vie, tout simplement. (C’est peut-être un peu la même chose… mais si tout est question de point de vue, on préfère celui qu’elle prend!)

27 janvier 2023

★★★ ½ | Infinity Pool (Débordement)

★★★ ½ | Infinity Pool (Débordement)

Réalisation : Brandon Cronenberg | Dans les salles du Québec le 27 janvier 2023 (Entract Films)
Avec son troisième long métrage, Brandon Cronenberg continue sa progression et commence à se trouver un style (relativement) débarrassé des affèteries qui alourdissait ses œuvres précédentes. Certes, on pourrait encore lui reprocher son esthétisme lourdaud ou un amour mal maitrisé (et contre-productif) pour un gore d’un autre âge, mais ses qualités sont de plus en plus évidentes. Il parvient notamment avec Infinity Pool à installer avec talent ses personnages. Ce jeune couple un peu naïf à la plastique parfaite, que l’on croirait presque sorti d’un mélange de Triangle of Sadness (pour les jeunes gens trop beaux pour vivre des vacances heureuses) et de Old (pour le tout inclus de luxe), est en effet rendu crédible en quelques plans, tout comme cet autre couple qui semble particulièrement sympathique (mais quand même un peu inquiétant: la toujours excellente Mia Goth et un Jalil Lespert en grande forme). Très vite, bien évidemment, les vacances tournent au vinaigre, et Brandon Cronenberg sait faire monter la tension de manière aussi rapide qu’implacable. Lorsqu’un événement dramatique intervient, le spectateur se dit que les beaux tourtereaux connaissent le pire... et pourtant ! Cronenberg, avec intelligence, développe un scénario dans lequel la tragédie prend les allures d’un cauchemar d’autant plus troublant que s’y croisent des sentiments presque perpétuellement contradictoires, passant régulièrement d’un état à l’autre (de la peur de la mort à un sentiment de liberté absolue qui prendrait presque des allures d’immortalité).
Finalement, ce petit voyage au paradis de l’absurde devient une réflexion aussi troublante qu’efficace sur l’impunité, l’altérité, la perte des valeurs, la manipulation subie et provoquée... le tout bercé par une bande-son déstabilisante comme les aime le réalisateur.
Il est vrai, comme nous l’écrivions plus haut, quelques éléments viennent encore ternir l’ensemble, mais une chose est certaine : le fils Cronenberg progresse de film en film. On aimerait qu’il continue sur sa lancée, et qu’il parvienne à faire plus confiance à son écriture ou à sa capacité à créer un univers inquiétant et à moins s’appuyer sur des effets de cinéaste pas encore assez sûr de son talent. S’il y parvient, le prochain film pourrait faire très mal. Nous n’attendons que cela !

13 janvier 2023

★★★½ | Broker / Les Bonnes étoiles (브로커)

★★★½ | Broker / Les Bonnes étoiles (브로커)

Réalisation : Hirokazu Koreeda | Dans les salles du Québec le 12 janvier 2023 (Entract Films)
Après un bref passage en Europe qui a laissé perplexe (La vérité, 2019), le réalisateur japonais Hirokazu Koreeda revient en Asie pour son nouveau long métrage, en s’arrêtant du côté de la Corée du Sud. Nous seulement cela lui permet de diriger Song Kang-ho, l’acteur emblématique du cinéma local, mais cela lui permet également de retrouver un peu ses marques.
Une nouvelle fois, le thème de la famille est au cœur de Broker. La délicatesse de la mise en scène nous charme à nouveau et la compassion que le cinéaste ressent pour ses personnages nous émeut. Jamais des voleurs d’enfants n’ont été aussi sympathiques, et le faux road movie que leur offre Koreeda, en compagnie d’un orphelin en fugue et d’une jeune femme qui fuit ses démons, est un ravissement de chaque instant. Leur complicité grandissante rappelle parfois la famille reconstituée d’Une affaire de famille, mais Koreeda s’offre ici un scénario d’une construction un peu plus complexe, avec une intrigue et des personnages parallèles qui pourraient facilement faire chavirer Broker du côté du thriller. Mais que l’on se rassure, ce sont bien les personnages qui sont au centre du film, et le cinéaste garde le contrôle sur son petit monde et ses intrigues en les enrobant comme à l’accoutumée de grâce, de bonté, et de quelques moments magnifiques (de l’émotion de la scène de la grande roue à l’amusement enfantin de la scène de lavage de voiture).
Malheureusement, il déraille un peu dans une conclusion dont la mièvrerie est indigne de son talent et de sa finesse habituelle. Mais qu’à cela ne tienne… ce drame aux allures de comédie possède malgré tout un charme à la fois amusé et émouvant qui nous enchante malgré son trébuchage final !