24 novembre 2023

★★★½ | L'amour et les forêts

★★★½ | L'amour et les forêts

Réalisation: Valérie Donzelli | Dans les salles du Québec le 24 novembre 2023 (Axia Films)
L’amour et les forêts aborde un sujet très lourd : celui de la violence conjugale. Filmé comme un thriller, le film nous fait découvrir une enseignante magnifiquement interprétée par Virginie Efira, qui tombe sous l’emprise d’un pervers narcissique.
Blanche Renard, professeur de français, s’éprend de Grégoire Lamoureux, un nom prédestiné pour une histoire qui commence bien, faite de belles promesses d’un avenir heureux. Pourtant, cette femme deviendra une épouse prisonnière de la jalousie de son mari.
La mise en scène de Valérie Donzelli, associée à direction photo de Laurent Tangy confère au film un aspect irréel, comme si cette relation toxique projetait l’héroïne pourtant éduquée et équilibrée en dehors de la réalité. Plus le film avance, moins Blanche maîtrise les événements et plus elle est enfermée dans une relation qui ressemble à un cauchemar.
Elle décide de s’échapper de sa vie d’épouse rangée en faisant une rencontre de passage. Cette scène permet à Donzelli de prolonger intelligemment l’univers irréel dans lequel elle nous plonge. Mais ici, ce qui pourrait ressembler à un cauchemar forestier prend progressivement des allures de rêve éveillé, notamment grâce à la photo qui se fait beaucoup plus lumineuse. Est-ce cette petite parenthèse qui permettra à Blanche d’avoir le courage de confronter son mari ?
La réalisatrice réussie ensuite, de manière intelligente et délicate, à nous faire ressentir la nouvelle réalité de sa protagoniste. Des gros plans sur son visage l’isolent enfin symboliquement de l’emprise de son mari, réduit à l’état de voix hors champ, voué à disparaître.
Au-delà de tout cela, la force principale du film est de nous montrer comment une relation toxique peut isoler un individu qui croit avoir une vie sociale mais dont l’omniprésence du conjoint l’isole et l’étouffe. Rien que pour cela, ce film est à ne pas manquer.

17 novembre 2023

★★★½ | Je verrai toujours vos visages

★★★½ | Je verrai toujours vos visages

Réalisation : Jeanne Herry | Dans les salles du Québec le 17 novembre 2023 (AZ FIlms)
Cinq ans après Pupille, Jeanne Herry continue de s’intéresser à certaines composantes méconnues de l’appareil sociojuridique français. Avec Je verrai toujours vos visages, elle prend comme point de départ la Justice Restaurative. Créée en France en 2014, elle permet aux personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles. Le sujet en soi est passionnant, et la cinéaste en a fait une fiction qui cherche à assumer à la fois son statut fictif et son approche didactique. Elle passe donc par une phase d’introduction qui met en place aussi bien les enjeux que les intervenants, puis propose en parallèle deux exemples : d’une part un groupe de victimes de vols avec violences confrontées à des agresseurs qu’ils ne connaissent pas ; et d’autre part une victime d’agression sexuelle confrontée a son grand frère agresseur.
Malheureusement, les deux histoires parallèles donnent dans un premier temps l’impression d’être utilisées pas soucis de relative exhaustivité (et donc, pour donner deux types d’exemples concrets : permettre aux victimes de rencontrer UN bourreau d’une part et SON bourreau de l’autre). On a alors souvent le sentiment que ces deux arcs narratifs auraient pu engendrer deux films distincts qui auraient semblé moins illustratifs. Cependant, malgré cette supposée faiblesse, l’ensemble reste à conseiller fortement. Au-delà de l’interprétation exemplaire, la qualité des dialogues fait la force du film et nous permet d’atténuer la critique précédente. Délicats, justes, respectueux de chacun, ils entraînent le spectateur dans des rencontres improbables et parfois bouleversantes. Surtout, ils permettent aux personnages de dépasser le statut de cas juridiques (l’agresseur et l’agressé) pour devenir humains avant tout, avec ce que cela implique de bon et de moins bon. À ce sujet, l’intrigue liée au viol vient contrebalancer celle des vols avec violences. Leurs deux conclusions distinctes viennent alors atténuer notre sentiment initial et justifier l’usage des deux arcs narratifs. En effet, même si cette Justice Restaurative est une belle idée, elle ne certifie en rien la réussite des démarches. Elle est une tentative pour faire avancer les choses… sans garantie, justement car elle implique l'humain, avec ses lueurs d’espoirs et ses failles. 

10 novembre 2023

★★★½ | The Holdovers (Ceux qui restent)

★★★½ | The Holdovers (Ceux qui restent)

Réalisateur: Alexander Payne | Dans les salles du Québec le 10 novembre 2023 (Universal)
Six ans après le décevant Downsizing (rare faux pas dans la carrière du cinéaste), Alexander Payne revient en bonne forme avec la comédie dramatique The Holdovers qui marque aussi les retrouvailles avec le comédien Paul Giamatti près de 20 ans après Sideways. Un rôle en or pour le comédien qui incarne un enseignant solitaire et détesté par ses élèves en raison de ses méthodes rigoureuses et qui va se lier d’amitié avec un jeune élève doué et abandonné durant la période des fêtes en 1970. Ce rôle bien écrit, campé avec nuance par un Giamatti en grande forme, pourrait d’ailleurs lui permettre de se retrouver parmi les finalistes à la prochaine cérémonie des Oscars.
Dans ce film, Payne délaisse le cynisme de certains de ses films précédents au profit d’un humanisme plus posé et sensible. Il y aborde des sujets graves tels que le deuil, la dépression, la séparation familiale, la solitude et le refuge dans l’alcool avec une grande finesse d’écriture et un parfait équilibre entre le drame et l’humour. Grâce au travail du scénariste de David Hemingson, on assiste à des joutes verbales et des conversations inspirantes jonchées de commentaires sarcastiques qui, bien que l’action se situe il y a plus de 50 ans, sonnent à la fois vraies et authentiques. La reconstitution historique est sobre, mais méticuleuse et le film baigne dans une atmosphère froide et incolore qui va prendre des couleurs à mesure que se révèlent les dessous et les traumatismes du passé des protagonistes. S’il y a un bémol à évoquer à l’ensemble est peut-être l’arc narratif et dramatique connu et somme toute prévisible qui n’échappe pas complètement aux barrières du genre. Mais le tout est bien dosé et peaufiné, ce qui pousse à pardonner cette familiarité narrative d’usage, car le film évite la mièvrerie et le côté moralisateur.
Pour ceux qui ont le blues à l’approche de la période des fêtes qui arrive à grands pas, The Holdvers est sans doute le remède idéal et un exemple d’une comédie de l’existence à la fois intelligente et douce-amère sur le besoin vital de connexion humaine. Voilà qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit de la période des réjouissances.

3 novembre 2023

★★★★ | Le procès Goldman

★★★★ | Le procès Goldman

Réalisation: Cédric Kahn | Dans les salles du Québec le 3 novembre 2023 (Funfilm Distribution)
Après trente-quatre années de carrière, le cinéaste Cédric Kahn nous livre incontestablement avec Le procès Goldman son meilleur film.
Pour parler de Pierre Golman, cette figure marquante de la France des années 70, Kahn aurait pu choisir la voie très convenue du biopic. Entre les idées politiques de son sujet (une extrême gauche très radicale), le basculement vers le banditisme, son statut d'auteur devenu coqueluche de l'intelligentsia de l'époque, mais aussi une société française en plein bouleversement idéologique, il aurait eu de quoi faire. Mais il a préféré se pencher sur le procès en appel de Pierre Goldman, dans lequel ce dernier cherche à clamer son innocence face à une accusation de double assassinat lors d'un braquage qui a mal tourné. Le cinéaste assume parfaitement son choix, puisqu'à l'exception du prologue, l'action du film se déroule intégralement au palais de justice pendant le procès.
Cela peut paraitre osé, et pourtant, ce point de vue offre à Kahn une grande liberté, comme si le temps passé dans son décor lui permettait d'en saisir à la perfection la cartographie. Cela lui autorise une mise en scène d'une précision et d'une justesse rares. Associée à des dialogues remarquables, elle permet aux acteurs de donner pleinement vie et épaisseurs à leurs personnages, tous traités avec la même attention. Même si on sent la fascination du cinéaste pour cet accusé hautement charismatique, il ne le défend pas aveuglément, n'en fait pas un martyre. Il l'observe, essaie de comprendre ses paradoxes, ses failles... comme il le fait d'ailleurs avec tous les autres personnages. À tel point que ce qui est dans une certaine mesure une réflexion sur la judéité, sur l'impartialité de corps policier, sur le racisme ordinaire ou encore sur l'héritage familial est finalement aussi quelque chose de plus universel : un grand film sur la fragilité des souvenirs et des certitudes, donc dans une certaine mesure, sur la fragilité de l'humain, et à travers cela, sur la difficulté de rendre la justice.
Un film aussi grand qu'il semble simple et dépouillé du moindre artifice.

27 octobre 2023

★★★★½ | Anatomie d'une chute

★★★★½ | Anatomie d'une chute

Réalisation : Justine Trier | Dans les salles du Québec le 27 octobre 2023 (Entract Films)
Après le surcoté La Bataille de Solférino et les pas-trop-mal-mais-sans-plus Victoria et Sibyl, nous n’attentions pas de la part de Triet un film d'une telle maîtrise. Le point de départ est pourtant simple : un homme est seul avec sa femme dans leur maison. On le retrouve mort après avoir chuté. Est-ce une mort accidentelle, un suicide ou un meurtre ?
À partir de ce qui ressemble à un thème éculé digne d’un épisode d’une mauvaise série télé, Triet et son scénariste Arthur Harari (également son conjoint dans la vie) enchaînent les bons choix. Non seulement, les éléments qui permettent de comprendre les protagonistes apparaissent progressivement, de la manière la plus naturelle possible, sans le moindre effet de manche… mais en plus, les personnages restent toujours au centre du récit, se laissent découvrir graduellement, dans leur richesse et leur complexité, voire dans des paradoxes qui ne sont probablement pas étrangers à tout un chacun. Jamais Triet ne les réduit au statut de pions au service de son développement narratif. Les personnages sont si authentiques que la trame policière (meurtre ou accident) se transforme vite en drame humain et en réflexion sur le couple, sur le caractère indélébile de certains drames passés, sur le désir, sur la paternité/maternité, sur la frustration liée à la difficulté de créer, etc.
Mais un scenario d’une telle intelligence ne suffit pas à produire une œuvre aussi maîtrisée. La mise en scène de Triet est tout aussi irréprochable. Avec une apparente sobriété, elle prend des petits risques, par petites touches, notamment dans sa manière de faire revivre des flash-back. Ses effets sont mesurés, pensés, toujours justes (nous pensons principalement à l’effet sonore lié au témoignage du fils, ou à la mise en image de la scène de la dispute, qui dure juste le temps qu’il faut). Elle excelle aussi dans le choix et la direction d’acteurs, qui rendent encore plus pertinents les dialogues. Nous connaissions le talent de Sandra Hüller, Swann Arlaud ou Antoine Reinartz. Ils sont à nouveau remarquables… mais tous les autres sont au diapason, y compris l’enfant (Milo Machado Graner) ou le chien (cela semble absurde de parler d’un chien dans ce cadre, mais son "personnage" est essentiel).
Voilà donc 2 h 30 qui semblent filer sans qu’on s’en aperçoive, une anatomie d’une chute qui a des allures d’anatomie d’un couple, un palme d’or féminine enfin à nouveau hautement méritée, qui fait oublier celle, trop politique et surfaite, de Julia Ducournau.
Un grand film, tout simplement.
★★★ | The Killer (Le tueur)

★★★ | The Killer (Le tueur)

Réalisateur: David Fincher | Dans les salles du Québec le 27 octobre 2023 (Netflix)
Les vingt premières minutes de The Killer sont très prometteuses. Un tueur, dans sa planque, face à un hôtel de luxe, attend sa cible, se prépare, se livre à l’introspection, réfléchit à sa condition, à sa pratique. La mise en scène est précise, ne laisse rien au hasard, un peu à l’image du protagoniste. On pourrait presque reprocher à Fincher un excès de voix off, mais celle-ci n’est finalement pas intéressante. Elle ajoute un petit plus au caractère obsessionnel du tueur, à sa volonté de tout contrôler.
Mais après cela, tout s’écroule. Pour le tueur d’abord, car il échoue et doit alors vivre avec les conséquences de cet échec, puis se venger des gens qui lui veulent du mal. Tout s’écroule pour le film également. Progressivement, il perd pied et s’enfonce vers un petit film de vengeance qui n’a pas grand-chose à dire et qui enchaîne les scènes où le héros affronte tour à tour des personnages très différents. Certes, le talent est là, ce qui permet au spectateur de rester dans le film, mais Fincher ne va jamais au-delà du minimum syndical. Le film devient progressivement une petite production Netflix pour les soirées paresseuses et casanières des vendredis soir automnaux. Et comme la vie est bien faite, The Killer est justement un film Netflix et sera disponible sur la plateforme le 10 novembre !

20 octobre 2023

★★★ | Killers of the Flower Moon (La Note américaine)

★★★ | Killers of the Flower Moon (La Note américaine)

Réalisation: Martin Scorsese | Dans les salles du Québec le 20 octobre 2023 (Apple TV+)
À l’évidence, Scorsese est sincère et le sujet de Killers of the Flower Moon lui tient à cœur (suite à la découverte de gisements de pétrole sur les terres de la nation Osage, ses membres meurent les uns après les autres dans l’indifférence générale). Cela se ressent dans sa manière de dépeindre cette communauté autochtone, de la représenter, de la respecter. Il est également sincère dans sa façon de parler de son pays et de certains épisodes sombres du passé, sans la moindre concession ni aucune volonté de simplification manichéenne. Malheureusement, au-delà de ces bonnes intentions, le film n’est pas le plus habile de son réalisateur, comme s’il était étouffé par le poids de son sujet. La mise en place est particulièrement laborieuse (surtout quand on connaît l’habileté habituelle du cinéaste pour installer un sujet et des personnages), ce qui rend la première partie interminable. Heureusement, ici où là, Scorsese nous offre une idée d’écriture ou une fulgurance visuelle (les morts violentes sont filmées avec une froideur et un détachement qui nous glacent le sang, et font partie des images marquantes de la carrière du cinéaste, qui en a pourtant filmées beaucoup).
Par la suite, le processus s’inverse. Une fois les principaux éléments mis en place, le réalisateur semble plus à l’aise dans le développement du récit… même si certains bémols apparaissent. Le principal est le jeu de plus en plus caricatural de Leonardo DiCaprio, pourtant excellent acteur, qui en faut ici des tonnes, à tel point qu’il ferait presque passer De Niro pour un acteur bressonien. (Loin d’être anecdotique, cette remarque pose un réel problème, le jeu de l’acteur nous déconnectant parfois de son personnage, et donc du film, tant l’image de Marlon Brando semble se superposer à celle de DiCaprio dans la dernière demi-heure.) 
En alternant le bon et le moins bon, le cinéaste nous rappelle qu’un grand sujet peut faire un petit film. Un bon petit film, certes, mais un petit film quand même. Et qu’il soit signé du grand Scorsese n’y change rien.

13 octobre 2023

★★★ | Vampire humaniste cherche suicidaire consentant

★★★ | Vampire humaniste cherche suicidaire consentant

Réalisation: Ariane Louis-Seize | Dans les salles du Québec le 13 octobre 2023 (h264)
Voilà un premier long-métrage qui, à défaut d'être majeur, nous fait bien plaisir en parvenant à concilier le produit de consommation courante (un petit film de vampires / coming of age) avec des qualités que l'on retrouve rarement dans le cinéma québécois commercial. On aurait d'ailleurs presque envie de dire qu'il a des qualités dignes d'un bon film commercial américain (et oui, ça existe). La plus efficace est la capacité à reprendre des ingrédients peu originaux (la difficulté à trouver sa place dans un milieu dont on ne partage pas les valeurs, les ados marginaux, les relations avec leur famille ou les autres ados, les jobs d'ados, les partys d'ados, les scènes dans le gymnase ou dans l'autobus scolaire, etc.), d'y ajouter une petite spécificité (la vampire humaniste, une image ténébreuse), et de mélanger comédie et enjeux plus profonds avec un certain savoir-faire.
Le résultat est techniquement irréprochable. Mais c'est peut-être aussi un peu la limite du film. Trop propre, presque trop convenu malgré sa proposition de départ, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant ne transcende jamais son modèle, justement parce que chaque enjeu est traité de manière assez superficiel (le thème du suicide traité à la va-vite, l'histoire d'amour abordée sans émotion, l'impression de non-appartenance utilisée comme un passage obligé du genre).
Malgré tout cela, dans un contexte de cinéma commercial québécois, ce constat a priori négatif serait presque à mettre à l'avantage de ce film qui ne cherche pas à trop en dire sur tous les sujets du moment avec la volonté de cocher les cases destinées à satisfaire les subventionnaires. Probablement pour cela, et pour le charme de Sara Montpetit (parfaite dans son rôle de vampire trop humaniste), nous prenons un vrai plaisir devant ce petit film sitôt vu, sitôt oublié... mais qui aura au moins le mérite de nous faire passer un agréable moment tout en nous berçant de belles promesses quant à la suite de la carrière de sa réalisatrice Ariane Louis-Seize.

6 octobre 2023

★★½ | Testament

★★½ | Testament

Réalisation : Denys Arcand | Dans les salles du Québec le 6 octobre 2023 (TVA Films)

Si Testament avait été réalisé par n’importe qui d’autre que Denys Arcand, son réalisateur aurait probablement été lapidé en place publique, tant ses propos vont à l’encontre de la bien-pensance ambiante. Bien évidemment, la référence à la lapidation est peut-être excessive… mais on peut ici se le permettre. Le tout nouvel Arcand ne fait en effet pas dans la demi-mesure, et sa charge antiwoke possède la finesse d’un tir de lance-flamme. Les premières minutes sont à ce titre consternantes de bêtise. Nous vous épargnerons les blagues dignes de celles d’un mononc’ en fin de soirée… mais il est difficile de rire à ce premier quart d'heure, probablement car nous n’appartenons pas à la catégorie des vieux cons réacs auxquels le film s’adresse à l’évidence. Et pourtant, au fur et à mesure que le film avance, il se passe de belles petites choses entre Rémy Girard et Sophie Lorain, les visites de Marie-Mai (en madone aux allures de putain, à moins que ce ne soit l'inverse) sont touchantes, quelques instants/idées subreptices font mouche et nous rappellent que Denys Arcand n’est pas devenu ce qu’il est pour rien. Mais tout ceci est bien peu. Nous aurions préféré une charge contre les excès du wokisme plus constructive dans sa critique, et non ce jeu de massacre qui oppose deux camps irréconciliables, qui, pour faire aussi simpliste que le film, se résume à l’opposition entre les vieux cons et les jeunes cons.
Ce constat d’une société clivée pourrait être un triste et pertinent constat sur notre société qui n'aime à l'évidence pas la voie de la pondération, mais le fait qu’Arcand choisisse si grossièrement son camp désamorce cette possibilité. Pourtant, presque in extremis, le cinéaste nous livre un message d’amour et d’apaisement qui pourrait passer pour de la mièvrerie. Mais cette dernière provocation a presque quelque chose de touchant. Elle permet surtout au film d’éviter le naufrage. Car si Arcand n’est à l'évidence plus le bon cinéaste qu’il a été, ce film aura au moins le mérite de ne pas être aussi pitoyable que ses œuvres les plus récentes. (Il faut dire que, faire pire que Le règne de la beauté  ne doit pas être chose facile !)

29 septembre 2023

Les jours

Les jours

Réalisation: Geneviève Dulude-De Celles | Au Québec le 29 septembre 2023 (Maison 4:3)
Je ne rédigerai pas de critique du film Les jours, parce que son sujet est le genre de sujet inattaquable, et que je n’aurais donc pas grand-chose à dire si je devais m’abstenir de l’attaquer. Certes, ce qui est arrivé à la jeune femme au centre de ce documentaire est terrible : la découverte d’un cancer du sein avant même d’avoir 30 ans. Son traitement a été lourd, les effets secondaires traumatisants, le soutien de la famille sans bornes… tout ceci est vrai. Mais nous ne pouvons nous empêcher de nous questionner sur les choix de Geneviève Dulude-De Celles (qui nous avait notamment offert les jolis Bienvenue à F.L. et Une colonie). Nous avons en effet toujours le sentiment que la cinéaste était trop intimidée par son sujet pour donner une orientation discrète mais nécessaire à son film.
Pour être en accord avec la première ligne de ce texte, je n’écrirai pas de critique, mais me contenterai de dire que Les jours est à peu près tout ce que le magnifique Over My Dead Body n’était pas. Le film de Poupart était un vrai film de cinéma qui abordait une multitude de sujets, traités avec une force rare. Nous ne sommes pas non plus chez Sébastien Lifshitz, qui aurait choisi un autre traitement... ni chez tel ou tel (la liste pourrait être longue). Mais arrêtons d'imaginer ce qu'aurait pu être le film si... et contentons-nous d'un constat: Les jours est le témoignage très respectable d’une femme tout aussi respectable confrontée à un événement douloureux. Il est important de libérer la parole à propos de certains sujets, mais un témoignage seul, sans le travail d'un cinéaste pour le sublimer, est-il suffisant pour constituer un film ? On voit maintenant des milliers de témoignages sur les médias sociaux, parfois à propos d’événements ou de situations encore plus traumatisants. Ils sont parfois poignants. Ce ne sont pas des films pour autant.

22 septembre 2023

★★¼ | Simple comme Sylvain

★★¼ | Simple comme Sylvain

Réalisation : Monia Chokri | Dans les salles du Québec le 22 septembre 2023 (Immina Films)
Pour son troisième long métrage, l’actrice et réalisatrice québécoise Monia Chokri aborde le sujet de l’amour et des relations humaines et amoureuses avec la comédie romantique Simple comme Sylvain. Moins stylisé que ces deux précédentes réalisations, mais joliment mis en images par le vétéran André Turpin, il y a un je-ne-sais-quoi d’agaçant dans sa conception qui nous empêche de nous investir émotionnellement dans cette idylle entre une professeure de philosophie pour les aînés et un entrepreneur indépendant des Laurentides. Cette rencontre nourrie d’espoir et de changements donne lieu à un éventuel conflit de valeurs et de culture qui malheureusement ne dépasse jamais le stade du déséquilibre de pouvoir et de savoir.
Pourtant, la chimie passe bien au début entre une Magalie Lépine-Blondeau, plus sensible, et Pierre-Yves Cardinal, moins bien cerné car son personnage ne dépasse guère le stade de la caricature du gars des bois qui s’expriment mal, mais qui a le cœur à la bonne place. Dès que la première dispute survient, une scène plutôt maladroite qui sonne terriblement faux, le film dérape pour ne jamais retrouver le droit chemin. Si certains dialogues font mouche, d’autres sont plaqués dans la bouche de personnages secondaires qui ne semblent exister que pour meubler et nourrir les divers enjeux moraux et culturels. Le mariage entre la comédie romantique et la réflexion sur le concept d’amour à travers divers philosophes célèbres cités à coups d’exemples dans le cours de philosophie que donne la protagoniste se révèle vain.
Jamais cette bluette d’amour ne parvient à s’élever au-dessus d’une banale histoire de coup de foudre pour une femme à la croisée des chemins. Mais comme tout bon coup de foudre, le plaisir du visionnement est aussi éphémère et s’estompe le temps de le dire.

15 septembre 2023

★★★ | Solo

★★★ | Solo

Réalisation : Sophie Dupuis | Dans les salles du Québec le 15 septembre 2023 (Axia Films)
Après un premier film plein de promesses (Chien de garde) et un second tout en déception (Souterrain), Sophie Dupuis revient en mettant la balle au centre, nous rassurant un peu sans non plus être à la hauteur de nos premières attentes.
Parmi les points positifs, soulignons son amour palpable pour les gens de la nuit, sa sensibilité pour les filmer et sa capacité à recréer des ambiances (aidé par le toujours talentueux Mathieu Laverdière à la photo). Certains de ses personnages sont très attachants et parfaitement incarnés, comme la plupart des artistes transformistes du cabaret (avec en tête, le héros interprété par un toujours juste Théodore Pellerin), mais également la sœur du héros (une Alice Moreault tout en amour) et sa mère biologique (une Anne-Marie Cadieux impressionnante dans ce rôle de mère qui peine à transmettre son amour).
Soulignons aussi le traitement global du thème central (les relations amoureuses toxiques), abordé avec une belle universalité, et qui évite ainsi certains écueils liés au cadre narratif.
Mais… à côté de ces éléments, nous devons admettre que certaines faiblesses ne permettent pas au film de décoller. La première consiste au choix de l’amoureux du héros. Non qu’il soit mauvais, Félix Maritaud doit incarner un personnage dont nous voyons trop vite le caractère manipulateur. Il est l’incarnation de certaines faiblesses d’une écriture qui manque de finesse et laisse trop apparaître ses grosses ficelles psychologico-narratives dans la manière de traiter une liste de sujets qui ressemble à un véritable cahier des charges.
Mais qu’importe, le film transmet assez d’espoir pour nous donner envie de continuer à suivre le cinéma de Sophie Dupuis, mais également pour nous donner envie de conseiller le visionnement de Solo.

8 septembre 2023

★★★ | Irlande cahier bleu

★★★ | Irlande cahier bleu

Réalisation: Olivier Godin | Dans les salles du Québec le 8 septembre 2023
Présenté en première mondiale lors du récent Festival international de films Fantasia où il a remporté le prix décerné par l’AQCC pour le meilleur film de la section caméra Lucida, Irlande cahier bleu débarque sur nos écrans avec de bons échos. Ce nouvel essai du prolifique cinéaste indépendant québécois Olivier Godin est son dix-huitième films (son sixième long) depuis ses débuts en 2008. Bon an mal an, le Godin continue son exploration cinématographique avec le style distinctif qu’on lui connaît, et nous propose cette fois un conte surréaliste mettant en vedette les aventures d’un pompier poète et joueur de basket amateur (Emery Habwineza qui reprend ici son rôle de Ducarmel du film Il n’y a pas de faux métier) qui rêve de basket, de gloire et d’amour.
Tourné en 16mm avec un budget limité, Godin, à défaut de se réinventer, propose à nouveau un essai poético-drôle en forme de conte fantaisiste, avec une touche de surréalisme. On retrouve la verve de ses dialogues incongrus et farfelus, son sens de la poésie et son approche narrative non conventionnelle qui est non sans rappeler le cinéma de Quentin Dupieux, à une échelle beaucoup plus minimaliste bien évidemment.
Il y a beaucoup à aimer dans ce film, comme cette exploration de thèmes philosophiques et la recherche de façon insolite et hors du commun d’une quête existentielle, ainsi que cette manière libre et économe de filmer et monter son film. La présence de fidèles collaborateurs (Étienne Pilon et Ève Duranceau devant l’écran) et Renaud Desprès-Larose à la direction photo sont des plus-values à la méthode Godin. En revanche, il faut admettre que le film ne dépasse guère le stade de l’exercice de style, ludique certes et parfois brillant, mais qui peine toutefois à sortir de son enrobage et rouage créatif.

1 septembre 2023

★★★½ | Richelieu

★★★½ | Richelieu

Réalisation: Pier-Philippe Chevigny | Dans les salles du Québec le 1e septembre 2023 (FunFilm)
Décidément, cet été québécois nous réserve de bien bonnes surprises. Après une réflexion sociétale flirtant avec le cinéma de genre (Les chambres rouges) et après le meilleur Émond depuis très longtemps (Une femme respectable), nous découvrons un film social d’une qualité rare au Québec. Certes, il y a ici ou là quelques petites faiblesses d’écriture, mais sans commune mesure avec les maladresses de bien des films locaux qui cherchent à trop en dire pour bien se faire comprendre, quitte à pousser le spectateur dans une indigestion de bons sentiments. Ici, à quelques exceptions près, le moteur du film est constitué de ses personnages (ouvriers guatémaltèques égarés dans le pseudo-Eldorado québécois, jeune employée utilisée comme courroie de transmission au service d’une machine humanovore, patron d’usine pris à la gorge par ses actionnaires, etc.). En restant à leurs côtés, mais surtout en les filmant comme il le fait, Pier-Philippe Chevigny parvient à les faire vivre, et ainsi à nos intéresser à leurs histoires, et par ricochet à nous présenter des enjeux plus universels.
Car oui, insistons, Chevigny filme à merveille. À la manière des Dardenne ici et là sans que la référence soit pour autant étouffante, mais aussi de manière plus surprenante (la scène de l’hôpital, qui tient plus en haleine que bien des grosses productions US). Dans l’ensemble, il multiplie les bons choix de mise en scène, trouve la bonne distance, dirige ses acteurs à la perfection, fait confiance à sa caméra pour raconter quelque chose plus que pour illustrer ce qui est dit ailleurs.
Alors qu’importe s’il est parfois un peu manichéen (la similitude avec la trilogie de Brizé sur le monde du travail nous montre ses petites limites) : Pier-Philippe Chevigny est jeune et n’en est qu’à son premier long. Les promesses de ses courts sont déjà devenues réalité. On a juste hâte de découvrir ses prochains films.
À suivre, donc.

25 août 2023

★★ | Manufacturing the Threat (Produire la menace)

★★ | Manufacturing the Threat (Produire la menace)

Réalisation: Amy Miller | Dans les salles du Québec le 25 août 2023 (Diffusion Multi-Monde)
Amy Miller, cinéaste militante qui nous a déjà livré plusieurs films aux sujets forts (les migrations, le complexe militaro-industriel, la crise climatique, l’accaparement des terres agricoles), nous revient avec un nouveau documentaire. Ici, les cibles sont les agences de sécurité canadiennes, et plus précisément leur utilisation depuis très longtemps d’agents provocateurs, qui s’infiltrent dans des organisations pour les inciter à passer à l’action afin, selon la thèse de Miller (et d'Alexandre Popovic, dont le film s’inspire), de justifier leur propre existence.
Pour étayer sa démonstration, elle interroge de nombreux intervenants acquis à sa cause et alterne une critique historique des services secrets avec un cas d’école : le cas de deux paumés manipulés par lesdits services jusqu’à ce qu’ils fassent une tentative d’attentat le jour de la fête nationale du Canada. Cette histoire, glaçante et terrifiante, aurait mérité un film conçu avec objectivité et le constat se serait imposé de lui-même. D’ailleurs, si on ne devait isoler de Produire la menace que les parties traitant de ce sujet, Miller y parvient presque. Malheureusement, elle a préféré en rajouter des couches en pratiquant la politique du je sais que j’ai raison donc je ne me pose pas de questions. Certes, les représentants des services incriminés ont refusé de participer au film, mais n’y avait-il pas d’autres intervenants possibles et d’autres questions à se poser? Les manipulations qu’elle condamne à juste titre ne peuvent-elles pas être réalisées par des vrais terroristes ? Et dans ce cas, comment faire pour les contrer ? Et de manière plus globale, les services qu’elle condamne n’ont-ils pas fait au moins une fois quelque chose d’utile ? En gros : Ne serait-ce pas plus constructif de mettre de l’avant leurs dysfonctionnements sans les condamner en bloc, sans la moindre nuance ?
En quittant le cas particulier (l’attentat avorté, qui répétons-le, est globalement bien traité et représente une grande partie du film) pour aller vers le cas général (une condamnation sans nuance des services secrets canadiens) sans avoir un minimum d’objectivité, Miller transforme ce qui aurait pu être une critique pertinente d’une institution en un acte purement militant, et refuse ainsi de se laisser confronter à ses propres contradictions. Cela va probablement plaire à ceux et celles qui ont les mêmes certitudes qu’elle, mais risque de toucher beaucoup moins les autres que si elle avait fait un choix clair : une étude de cas avec une rigueur journalistique ; ou une étude générale documentée et impartiale… au lieu de ce mélange maladroit entre la première et une version simpliste de la seconde.

18 août 2023

★★★½ | Une femme respectable

★★★½ | Une femme respectable

Réalisation Bernard Émond | Dans les salles du Québec le 18 août (Maison 4:3)
Voilà une fin d’été cinématographique québécois comme on les aime. Une semaine après Les chambres rouges de Pascal Plante, arrive en effet dans les salles un deuxième bon film, pourtant très différent du premier (quoi que).
En plus de cette réjouissance, il marque également le retour en force (peut‐être le chant du cygne ?) de Bernard Émond, qui s’était ces derniers temps fourvoyé dans des projets que l’on préfère oublier. Avec Une femme respectable, il ne se départit certes pas d’une certaine austérité, mais peaufine ses dialogues et sa structure narrative d’une manière à la fois juste et très épurée, au point peut-être d’en déstabiliser certains. Peu de dialogues, peu de développements scénaristiques majeurs, mais beaucoup de silences, de regards, de travail sur les corps qui n’osent pas bouger (et qui, s’ils le font, le font en vain). Avec tous ces éléments, Émond parvient à donner vie à deux êtres, à deux solitudes, à deux souffrances, et surtout à nous faire comprendre que les évidences peuvent être trompeuses. Le mari volage qui est allé refaire sa vie avec une autre n’est peut-être pas si mauvais. La femme légitime bien éduquée qui décide de l’aider ne le fait peut-être pas uniquement pour de pures raisons. En les regardant sans passion, le cinéaste crée une distance avec les personnages qui permet aux spectateurs de les considérer le plus objectivement possible, sans ce déluge d’émotions qui peuvent, lorsqu’on en abuse, annihiler tout esprit critique. Ainsi, Émond nous propose des personnages attachants et imparfaits à la fois… c’est-à-dire des personnages qui ressemblent à beaucoup d’entre nous.
Finalement, pour expliquer le « quoi que » du premier paragraphe, le film de Bernard Émond n’est peut-être pas si éloigné du film de Plante. Tous les deux, en passant par des chemins opposés, mettent la complexité des personnages au cœur de leurs films, optent pour une froideur bienvenue et nous proposent deux des meilleurs films québécois de cette année.

11 août 2023

★★★½ | Les chambres rouges

★★★½ | Les chambres rouges

Réalisation : Pascal Plante | Dans les salles du Québec le 11 août 2023 (Entract Films)
Pascal Plante nous revient avec son troisième long métrage, et surtout avec une maîtrise de son scénario beaucoup plus conforme à nos attentes. On le savait talentueux au niveau de la mise en scène et de la direction d’acteurs (souvenons-nous de son court Blonde aux yeux bleus), mais il parvient enfin à nous proposer un scénario (presque totalement) départi des maladresses qui nuisaient à ses précédents longs.
Après nous avoir faits plonger dans la piscine olympique de Nadia Butterfly, il nous propose ici une visite des chambres rouges des tréfonds du Web, par l’intermédiaire de ce qui commence comme un film de procès (intelligente introduction qui pose quelques jalons de son fil narratif), se prolonge sur une mise en évidence de la bêtise humaine (dont sont victimes ces trois jeunes femmes torturées et assassinés par une vedette du dark web) pour devenir finalement le portrait d’une jeune femme (Juliette Gariépy, magnifique de charisme marmoréen), aussi froide que brillante, spectatrice du procès, mais pas uniquement.
Comme le tueur, elle agit dans l’ombre (joueuse de poker en ligne), comme lui, elle aime œuvrer devant les objectifs (elle est modèle pour des photographes), mais les deux profils sont pour le reste à l’opposé, comme le décrit intelligemment Plante, qui semble tellement apprécier la froideur analytique de son héroïne qu’il finit par faire de son film un prolongement de ce qu’elle dégage. Comme elle, le film est en contrôle, d’une froideur aussi fascinante que glaçante (voire troublante) mais capable de surprendre en déraillant parfois légèrement, bien souvent pour le meilleur.
Si l’on ajoute à cela une musique très en phase avec l’ensemble (signée Dominique Plante… tiens, tiens), on obtient un film québécois qui se démarque, qui ose, qui ne cherche pas à plaire à tout prix, qui aborde un sujet grave de manière documentée mais jamais trop maladroitement didactique, et qui fait mouche. Merci !

4 août 2023

★★★ | Shortcomings

★★★ | Shortcomings

Réalisation : Randall Park | Dans les salles du Québec le 4 août 2023 (Métropole Films Distribution)
Shortcomings est un petit film indépendant américain qui ressemble à beaucoup d'autres et qui dépeint les pérégrinations sentimentalo-identitaire de jeunes actifs. Nous devons cependant admettre qu'il est qualitativement bien plus intéressant que la moyenne du genre, le cœur du problème (l'appartenance à la communauté asiatique) étant plutôt bien traité, avec un mélange de pertinence et d'humour. Le héros, asiatique, est en effet pris entre les représentants de sa communauté (pour qui tout ce qui asiatique est forcément un peu mieux), sa cinéphilie (et donc l'ouverture sur le monde qu'elle représente)... et son fantasme de la femme blanche, qui vient transformer son ouverture sur le monde (qui pourrait laisser supposer une indifférence face à la couleur de l'autre) en un fantasme qui tourne à l'obsession. Cela permet au film de traiter des enjeux de société avec sérieux, sans pour autant dédaigner la comédie, qui va jusqu'à flirter avec l'absurde lorsque le protagoniste s'aperçoit que sa fiancée fréquente un blanc (mais d'ailleurs, l’est-il vraiment ?).
Le traitement du sujet, aussi pertinent qu'agréable, est renforcé par l'observation incisive de notre société dans laquelle chaque personne semble avoir du mal à accepter sa propre existence. (Problématique traitée toujours avec un humour bienvenu, comme c'est le cas pour cette sympathique actrice/chanteuse/performeuse/etc. qui n’embrasse pas car elle a peur des germes mais qui expose les photos de ses pipis du matin et qui vit avec un coloc se promenant perpétuellement nu).
Tous ces éléments sont intelligemment mis en forme pour dresser un portrait d'une société ou chacun semble confronté à des problèmes en tous genres. Mais nous pouvons regretter que la mise en scène ne soit pas à la hauteur de l'écriture. Même si le héros visionne chez lui des films d'Ozu et de Truffaut, le cinéaste ne leur arrive pas à la cheville. Les deux modèles étaient adeptes d'une mise en scène sobre, qui parvenait toutefois à donner du souffle à ses personnages et à générer des émotions. Randall Park, pour sa part, doit se contenter d'une esthétique de série télé bas de gamme (j'exagère à peine), et donc ne parvient pas à faire de son film une œuvre mémorable, malgré son caractère bien sympathique. Nous oublierons donc bien vite ce Shortcomings. Mais au moins, nous aurons eu le plaisir de passer 1 h 30 à le regarder, ce qui n'est déjà pas si mal.

28 juillet 2023

★★ | Le parfum vert

★★ | Le parfum vert

Réalisation: Nicolas Pariser | Dans les salles du Québec le 28 juillet 2023 (K-Films Amérique)
Quelques années après son très réussi Alice et le maire, Nicolas Pariser nous revient avec un film d’espionnage pour rire, truffé de références hitchocko-tintinesques, qui nous déçoit cependant rapidement. Les intentions avaient pourtant tout pour nous plaire et le mélange référentiel avait tout pour nous séduire, mais la mise en scène et le scénario de Pariser ne sont pas à la hauteur. Jamais en effet il n’arrive à insuffler à l’ensemble assez de fantaisie et de légèreté pour nous donner envie de partir à ses côtés dans un univers improbable, et donc… rien de ce qui nous est proposé n’est jamais plausible, ce qui nous éloigne du film, des enjeux, des personnages, de la proposition. Pire, Pariser se permet des incartades totalement hors-sujet (le dialogue autour d’Israël) et une histoire d’amour sans charme (n’est pas Hitchckock qui veut… ce que semblait savoir Hergé ; Pariser aurait dû suivre l’exemple belge). Même le dénouement, dont la petite fantaisie naive avait tout pour plaire, tombe à plat en raison de l’incapacité du cinéaste à voir su nous plonger dans l'état d’esprit d'un jeune de 7 à 77 ans heureux d’avoir vu un couple de sympathiques paumés sauver le monde grâce à un mélange de persévérance et de hasard éolien.
Heureusement, il reste le souvenir de deux acteurs que l’on aime beaucoup (Kiberlain / Lacoste), dont le talent n’a rien à voir avec l’improbabilité du couple fictif qu’ils forment.
Mais lorsqu'un cinéaste veut faire retourner le spectateur en enfance, il faut du talent. Sinon, ledit spectateur risque de se transformer en gamin capricieux, le jour de Noël, à la fois triste et boudeur après avoir découvert que le paquet tant convoité enfermait un cadeau qui ne lui convenait pas.

21 juillet 2023

★★★¼ | Oppenheimer

★★★¼ | Oppenheimer

Réalisation: Christopher Nolan | Dans les salles du Québec le 21 juillet 2023 (Universal)
Quelques années après Tenet, qui nous plongeait dans un grand n’importe quoi avec un immense talent, Christopher Nolan nous entraîne maintenant dans un épisode de notre histoire, mais également dans son film le plus bavard, aux côtés de l’inventeur de la bombe atomique. Cela lui permet d’aborder de manière frontale bon nombre de sujets passionnants. Parmi eux, celui qui occupe la première partie du film est principalement l’obsession scientifique qui pousse à résoudre un problème qui devient plus importante que les conséquences de la résolution dudit problème. S’ensuit alors, après deux heures, un des moments les plus marquants de l’œuvre de Nolan. On y voit Oppenheimer confronté aux conséquences de sa réussite scientifique, seul face à une foule en délire, mais incapable d’en partager la ferveur, enfin conscient du caractère destructeur de son exploit. La suite, composée d’un mélange de culpabilité, de convoitises et de scènes de procès vient compléter le tout. Le talent du cinéaste permet à l’ensemble d’être passionnant et parfois impressionnant. Il est toutefois regrettable que Nolan se laisse prendre à son propre jeu en abusant de certains de ces effets préférés, qui ne semblent pas toujours ici à leur place. Parmi les plus préjudiciables, notons les effets sonores pas toujours maîtrisés (dans le genre, Nolan était clairement plus à l’aise avec Dunkirk) et la structure du récit qui aurait probablement gagné à être plus sobre, et donc un peu plus linéaire (nous ne sommes pas dans Tenet, et la partie de ping-pong temporelle n’est pas toujours pertinente).
Donc, beaucoup de talent (on le savait), parfois un peu trop envie d’en faire l’étalage (on le savait aussi), mais le sujet passionnant finit par prendre le dessus sur la tendance de Nolan à se prendre les pieds dans un excès d’ambition. Par contre, pour ce qui est du constat et de ce que l’avenir peut nous réserver, il faut avouer que le délire Kubricko-Folamourien avait au final plus de force. Comme quoi la farce est parfois plus glaçante que la prétention.