Affichage des articles dont le libellé est Québec. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Québec. Afficher tous les articles

22 mars 2024

★★½ | La Fonte des glaces

★★½ | La Fonte des glaces

Réalisation: François Péloquin | Dans les salles du Québec le 22 mars 2024 (Maison 4:3)
Il est assez difficile de comprendre ce qu’a voulu faire François Péloquin en réalisant La fonte des glaces. Ou plutôt: il est difficile de comprendre pourquoi il a voulu intégrer tant d’éléments disparates dans un film sans être capable de créer un véritable liant entre ses différents éléments.
Lorsqu’il parle de la justice réparatrice, on a envie de lui conseiller de voir quelle finesse il est possible d'aborder un tel sujet dans Je verrai toujours vos visages.
Lorsqu’il parle des relations familiales, on a envie de lui dire que le cinéma québécois a déjà fait plusieurs fois le tour de la question.
Lorsqu’il parle de la vie des détenus, on a envie de lui dire que son regard est souvent trop superficiel pour nous apporter quoi que ce soit.
Lorsqu’il aborde le sujet de la vengeance ou de la rédemption, on a envie de lui dire qu’il n’a pas le temps de le traiter pleinement et qu’il est obligé de se contenter de raccourcis narratifs sans intérêt.
Enfin, lorsque la dernière partie lorgne vers le thriller, on a envie de lui dire qu’on a cessé de croire à ses propositions…
Et pourtant, allez savoir pourquoi, le film n’est pas totalement dénué de charme. Si l’écriture manque de finesse, les postes techniques sont occupés avec professionnalisme, la mise en scène efficace parvient presque à faire oublier les failles scénaristiques et les acteurs et actrices livrent tous et toutes une prestation sans faille. Irons-nous jusqu’à conseiller le film pour autant? Probablement pas. Mais on en aurait presque envie. C'est peut-être la magie Lothaire Bluteau qui opère ?

15 mars 2024

★★★½ | Tu ne sauras jamais

★★★½ | Tu ne sauras jamais

Réalisation : Robin Aubert | Dans les salles du Québec le 15 mars 2024 (Axia Films)
Sept ans après un film de zombie haut de gamme plébiscité par la critique (Les affamés, prix AQCC 2017), Robin Aubert nous revient avec une preuve supplémentaire de son talent de cinéaste qui semble ne jamais être là où on l’attend. Surtout, il nous prouve qu’il n’a pas peur des propositions radicales, au risque de déstabiliser. Il nous plonge en effet dans un CHSLD, en plein confinement, et nous propose de suivre la journée d’un vieillard, cloîtré dans sa chambre, cherchant à avoir des nouvelles de sa bien-aimée atteinte de la Covid.
Le rythme est lent, et rien ne se passe vraiment, comme si Aubert voulait nous forcer à vivre une journée de solitude, d’ennui et d’inquiétude. Il y parvient tellement qu’il prend le risque de perdre des spectateurs en route (le sempiternel effet de la radicalité). Cette perte potentielle d’intérêt du spectateur serait d’autant plus regrettable que vers la fin, le cinéaste nous réserve une petite pirouette scénaristique (minimaliste, mais tout de même), qui lui permet de faire valoir son talent de metteur en scène et de créer une ambiance improbable, presque fantastique, tout en laissant devenir son film particulièrement touchant.
Alors que le cinéma québécois est trop souvent amoindri par une scénarisation un peu trop sclérosé, Aubert se permet un minimaliste scénaristique comme on en voit trop rarement.
Associé à un vrai talent de metteur en scène, cela donne pourtant un résultat impressionnant, même si Tu ne sauras jamais est parfois difficile, voire désagréable, à regarder en raison de son sujet et d’une certaine complaisance dans la manière de filmer la déchéance physique. Mais là encore, on est radical où on ne l’est pas !
Au moins, Aubert ose… Ça fait tellement de bien, même si ça fait mal.

23 février 2024

★★½ | Lucy Grizzli Sophie

★★½ | Lucy Grizzli Sophie

Réalisation: Anne Émond | Dans les salles du Québec depuis le 23 février 2024 (Sphère Films)
Ne tournons pas autour du pot : Lucy Grizzli Sophie, le nouveau film de la maintenant chevronnée Anne Émond, ne nous laisse pas indifférents mais comporte d’importantes faiblesses. Adaptation de la pièce La meute par la dramaturge Catherine-Anne Toupin (qui reprend également son rôle), le film nous laisse sur notre faim, les deux éléments centraux (le sujet de la cyberintimidation et le huis clos) n’étant pas assez assumés ou maladroitement traités.
Pour ce qui est du sujet, la sortie récente du dernier film de Pascal Plante lui fait probablement beaucoup d’ombre. Certes, il n’était pas question de cet aspect précis du petit monde du Darknet dans Les chambres rouges, mais le film de Plante était documenté avec une rigueur qui manque parfois ici, la scénariste abordant un grand sujet en donnant l’impression d’avoir peur de l’affronter dans toute sa complexité, et préférant trop souvent avoir recours à des raccourcis un peu simplistes. Mais qu’importe si autre chose prend le dessus... Et cette autre chose avait tout pour être le huis clos anxiogène. Là encore, on a le sentiment que le travail n’est fait qu’à moitié. Peut-être est-ce par crainte de faire trop « théâtre filmé », mais l'éloignement récurrent de la maison où se déroule l’action n’apporte pas grand-chose. Pire : il annihile la tension que l’on pourrait ressentir. C’est d’autant plus regrettable que toutes les compétences requises pour réussir un tel projet sont au rendez-vous : d’une part, la volonté louable de la part de la scénariste de ne pas vouloir trop en dire sur le passé des personnages ; d’autre part, le talent du duo Émond / Olivier Gossot (le chef opérateur) pour créer une ambiance, une tension, voire un mystère un peu trouble par le biais de l’image ; et enfin un trio de comédien·ne·s remarquables (Toupin, Guillaume Cyr et Louise Roy, qui reprennent leurs rôles tenus sur scène).
Malgré nos réserves (pour ne pas dire nos regrets), nous avons donc envie de conseiller Lucy Grizzli Sophie, juste pour faire honneur aux talents indéniables que comporte ce film imparfait.

13 octobre 2023

★★★ | Vampire humaniste cherche suicidaire consentant

★★★ | Vampire humaniste cherche suicidaire consentant

Réalisation: Ariane Louis-Seize | Dans les salles du Québec le 13 octobre 2023 (h264)
Voilà un premier long-métrage qui, à défaut d'être majeur, nous fait bien plaisir en parvenant à concilier le produit de consommation courante (un petit film de vampires / coming of age) avec des qualités que l'on retrouve rarement dans le cinéma québécois commercial. On aurait d'ailleurs presque envie de dire qu'il a des qualités dignes d'un bon film commercial américain (et oui, ça existe). La plus efficace est la capacité à reprendre des ingrédients peu originaux (la difficulté à trouver sa place dans un milieu dont on ne partage pas les valeurs, les ados marginaux, les relations avec leur famille ou les autres ados, les jobs d'ados, les partys d'ados, les scènes dans le gymnase ou dans l'autobus scolaire, etc.), d'y ajouter une petite spécificité (la vampire humaniste, une image ténébreuse), et de mélanger comédie et enjeux plus profonds avec un certain savoir-faire.
Le résultat est techniquement irréprochable. Mais c'est peut-être aussi un peu la limite du film. Trop propre, presque trop convenu malgré sa proposition de départ, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant ne transcende jamais son modèle, justement parce que chaque enjeu est traité de manière assez superficiel (le thème du suicide traité à la va-vite, l'histoire d'amour abordée sans émotion, l'impression de non-appartenance utilisée comme un passage obligé du genre).
Malgré tout cela, dans un contexte de cinéma commercial québécois, ce constat a priori négatif serait presque à mettre à l'avantage de ce film qui ne cherche pas à trop en dire sur tous les sujets du moment avec la volonté de cocher les cases destinées à satisfaire les subventionnaires. Probablement pour cela, et pour le charme de Sara Montpetit (parfaite dans son rôle de vampire trop humaniste), nous prenons un vrai plaisir devant ce petit film sitôt vu, sitôt oublié... mais qui aura au moins le mérite de nous faire passer un agréable moment tout en nous berçant de belles promesses quant à la suite de la carrière de sa réalisatrice Ariane Louis-Seize.

6 octobre 2023

★★½ | Testament

★★½ | Testament

Réalisation : Denys Arcand | Dans les salles du Québec le 6 octobre 2023 (TVA Films)

Si Testament avait été réalisé par n’importe qui d’autre que Denys Arcand, son réalisateur aurait probablement été lapidé en place publique, tant ses propos vont à l’encontre de la bien-pensance ambiante. Bien évidemment, la référence à la lapidation est peut-être excessive… mais on peut ici se le permettre. Le tout nouvel Arcand ne fait en effet pas dans la demi-mesure, et sa charge antiwoke possède la finesse d’un tir de lance-flamme. Les premières minutes sont à ce titre consternantes de bêtise. Nous vous épargnerons les blagues dignes de celles d’un mononc’ en fin de soirée… mais il est difficile de rire à ce premier quart d'heure, probablement car nous n’appartenons pas à la catégorie des vieux cons réacs auxquels le film s’adresse à l’évidence. Et pourtant, au fur et à mesure que le film avance, il se passe de belles petites choses entre Rémy Girard et Sophie Lorain, les visites de Marie-Mai (en madone aux allures de putain, à moins que ce ne soit l'inverse) sont touchantes, quelques instants/idées subreptices font mouche et nous rappellent que Denys Arcand n’est pas devenu ce qu’il est pour rien. Mais tout ceci est bien peu. Nous aurions préféré une charge contre les excès du wokisme plus constructive dans sa critique, et non ce jeu de massacre qui oppose deux camps irréconciliables, qui, pour faire aussi simpliste que le film, se résume à l’opposition entre les vieux cons et les jeunes cons.
Ce constat d’une société clivée pourrait être un triste et pertinent constat sur notre société qui n'aime à l'évidence pas la voie de la pondération, mais le fait qu’Arcand choisisse si grossièrement son camp désamorce cette possibilité. Pourtant, presque in extremis, le cinéaste nous livre un message d’amour et d’apaisement qui pourrait passer pour de la mièvrerie. Mais cette dernière provocation a presque quelque chose de touchant. Elle permet surtout au film d’éviter le naufrage. Car si Arcand n’est à l'évidence plus le bon cinéaste qu’il a été, ce film aura au moins le mérite de ne pas être aussi pitoyable que ses œuvres les plus récentes. (Il faut dire que, faire pire que Le règne de la beauté  ne doit pas être chose facile !)

29 septembre 2023

Les jours

Les jours

Réalisation: Geneviève Dulude-De Celles | Au Québec le 29 septembre 2023 (Maison 4:3)
Je ne rédigerai pas de critique du film Les jours, parce que son sujet est le genre de sujet inattaquable, et que je n’aurais donc pas grand-chose à dire si je devais m’abstenir de l’attaquer. Certes, ce qui est arrivé à la jeune femme au centre de ce documentaire est terrible : la découverte d’un cancer du sein avant même d’avoir 30 ans. Son traitement a été lourd, les effets secondaires traumatisants, le soutien de la famille sans bornes… tout ceci est vrai. Mais nous ne pouvons nous empêcher de nous questionner sur les choix de Geneviève Dulude-De Celles (qui nous avait notamment offert les jolis Bienvenue à F.L. et Une colonie). Nous avons en effet toujours le sentiment que la cinéaste était trop intimidée par son sujet pour donner une orientation discrète mais nécessaire à son film.
Pour être en accord avec la première ligne de ce texte, je n’écrirai pas de critique, mais me contenterai de dire que Les jours est à peu près tout ce que le magnifique Over My Dead Body n’était pas. Le film de Poupart était un vrai film de cinéma qui abordait une multitude de sujets, traités avec une force rare. Nous ne sommes pas non plus chez Sébastien Lifshitz, qui aurait choisi un autre traitement... ni chez tel ou tel (la liste pourrait être longue). Mais arrêtons d'imaginer ce qu'aurait pu être le film si... et contentons-nous d'un constat: Les jours est le témoignage très respectable d’une femme tout aussi respectable confrontée à un événement douloureux. Il est important de libérer la parole à propos de certains sujets, mais un témoignage seul, sans le travail d'un cinéaste pour le sublimer, est-il suffisant pour constituer un film ? On voit maintenant des milliers de témoignages sur les médias sociaux, parfois à propos d’événements ou de situations encore plus traumatisants. Ils sont parfois poignants. Ce ne sont pas des films pour autant.

22 septembre 2023

★★¼ | Simple comme Sylvain

★★¼ | Simple comme Sylvain

Réalisation : Monia Chokri | Dans les salles du Québec le 22 septembre 2023 (Immina Films)
Pour son troisième long métrage, l’actrice et réalisatrice québécoise Monia Chokri aborde le sujet de l’amour et des relations humaines et amoureuses avec la comédie romantique Simple comme Sylvain. Moins stylisé que ces deux précédentes réalisations, mais joliment mis en images par le vétéran André Turpin, il y a un je-ne-sais-quoi d’agaçant dans sa conception qui nous empêche de nous investir émotionnellement dans cette idylle entre une professeure de philosophie pour les aînés et un entrepreneur indépendant des Laurentides. Cette rencontre nourrie d’espoir et de changements donne lieu à un éventuel conflit de valeurs et de culture qui malheureusement ne dépasse jamais le stade du déséquilibre de pouvoir et de savoir.
Pourtant, la chimie passe bien au début entre une Magalie Lépine-Blondeau, plus sensible, et Pierre-Yves Cardinal, moins bien cerné car son personnage ne dépasse guère le stade de la caricature du gars des bois qui s’expriment mal, mais qui a le cœur à la bonne place. Dès que la première dispute survient, une scène plutôt maladroite qui sonne terriblement faux, le film dérape pour ne jamais retrouver le droit chemin. Si certains dialogues font mouche, d’autres sont plaqués dans la bouche de personnages secondaires qui ne semblent exister que pour meubler et nourrir les divers enjeux moraux et culturels. Le mariage entre la comédie romantique et la réflexion sur le concept d’amour à travers divers philosophes célèbres cités à coups d’exemples dans le cours de philosophie que donne la protagoniste se révèle vain.
Jamais cette bluette d’amour ne parvient à s’élever au-dessus d’une banale histoire de coup de foudre pour une femme à la croisée des chemins. Mais comme tout bon coup de foudre, le plaisir du visionnement est aussi éphémère et s’estompe le temps de le dire.

15 septembre 2023

★★★ | Solo

★★★ | Solo

Réalisation : Sophie Dupuis | Dans les salles du Québec le 15 septembre 2023 (Axia Films)
Après un premier film plein de promesses (Chien de garde) et un second tout en déception (Souterrain), Sophie Dupuis revient en mettant la balle au centre, nous rassurant un peu sans non plus être à la hauteur de nos premières attentes.
Parmi les points positifs, soulignons son amour palpable pour les gens de la nuit, sa sensibilité pour les filmer et sa capacité à recréer des ambiances (aidé par le toujours talentueux Mathieu Laverdière à la photo). Certains de ses personnages sont très attachants et parfaitement incarnés, comme la plupart des artistes transformistes du cabaret (avec en tête, le héros interprété par un toujours juste Théodore Pellerin), mais également la sœur du héros (une Alice Moreault tout en amour) et sa mère biologique (une Anne-Marie Cadieux impressionnante dans ce rôle de mère qui peine à transmettre son amour).
Soulignons aussi le traitement global du thème central (les relations amoureuses toxiques), abordé avec une belle universalité, et qui évite ainsi certains écueils liés au cadre narratif.
Mais… à côté de ces éléments, nous devons admettre que certaines faiblesses ne permettent pas au film de décoller. La première consiste au choix de l’amoureux du héros. Non qu’il soit mauvais, Félix Maritaud doit incarner un personnage dont nous voyons trop vite le caractère manipulateur. Il est l’incarnation de certaines faiblesses d’une écriture qui manque de finesse et laisse trop apparaître ses grosses ficelles psychologico-narratives dans la manière de traiter une liste de sujets qui ressemble à un véritable cahier des charges.
Mais qu’importe, le film transmet assez d’espoir pour nous donner envie de continuer à suivre le cinéma de Sophie Dupuis, mais également pour nous donner envie de conseiller le visionnement de Solo.

8 septembre 2023

★★★ | Irlande cahier bleu

★★★ | Irlande cahier bleu

Réalisation: Olivier Godin | Dans les salles du Québec le 8 septembre 2023
Présenté en première mondiale lors du récent Festival international de films Fantasia où il a remporté le prix décerné par l’AQCC pour le meilleur film de la section caméra Lucida, Irlande cahier bleu débarque sur nos écrans avec de bons échos. Ce nouvel essai du prolifique cinéaste indépendant québécois Olivier Godin est son dix-huitième films (son sixième long) depuis ses débuts en 2008. Bon an mal an, le Godin continue son exploration cinématographique avec le style distinctif qu’on lui connaît, et nous propose cette fois un conte surréaliste mettant en vedette les aventures d’un pompier poète et joueur de basket amateur (Emery Habwineza qui reprend ici son rôle de Ducarmel du film Il n’y a pas de faux métier) qui rêve de basket, de gloire et d’amour.
Tourné en 16mm avec un budget limité, Godin, à défaut de se réinventer, propose à nouveau un essai poético-drôle en forme de conte fantaisiste, avec une touche de surréalisme. On retrouve la verve de ses dialogues incongrus et farfelus, son sens de la poésie et son approche narrative non conventionnelle qui est non sans rappeler le cinéma de Quentin Dupieux, à une échelle beaucoup plus minimaliste bien évidemment.
Il y a beaucoup à aimer dans ce film, comme cette exploration de thèmes philosophiques et la recherche de façon insolite et hors du commun d’une quête existentielle, ainsi que cette manière libre et économe de filmer et monter son film. La présence de fidèles collaborateurs (Étienne Pilon et Ève Duranceau devant l’écran) et Renaud Desprès-Larose à la direction photo sont des plus-values à la méthode Godin. En revanche, il faut admettre que le film ne dépasse guère le stade de l’exercice de style, ludique certes et parfois brillant, mais qui peine toutefois à sortir de son enrobage et rouage créatif.

1 septembre 2023

★★★½ | Richelieu

★★★½ | Richelieu

Réalisation: Pier-Philippe Chevigny | Dans les salles du Québec le 1e septembre 2023 (FunFilm)
Décidément, cet été québécois nous réserve de bien bonnes surprises. Après une réflexion sociétale flirtant avec le cinéma de genre (Les chambres rouges) et après le meilleur Émond depuis très longtemps (Une femme respectable), nous découvrons un film social d’une qualité rare au Québec. Certes, il y a ici ou là quelques petites faiblesses d’écriture, mais sans commune mesure avec les maladresses de bien des films locaux qui cherchent à trop en dire pour bien se faire comprendre, quitte à pousser le spectateur dans une indigestion de bons sentiments. Ici, à quelques exceptions près, le moteur du film est constitué de ses personnages (ouvriers guatémaltèques égarés dans le pseudo-Eldorado québécois, jeune employée utilisée comme courroie de transmission au service d’une machine humanovore, patron d’usine pris à la gorge par ses actionnaires, etc.). En restant à leurs côtés, mais surtout en les filmant comme il le fait, Pier-Philippe Chevigny parvient à les faire vivre, et ainsi à nos intéresser à leurs histoires, et par ricochet à nous présenter des enjeux plus universels.
Car oui, insistons, Chevigny filme à merveille. À la manière des Dardenne ici et là sans que la référence soit pour autant étouffante, mais aussi de manière plus surprenante (la scène de l’hôpital, qui tient plus en haleine que bien des grosses productions US). Dans l’ensemble, il multiplie les bons choix de mise en scène, trouve la bonne distance, dirige ses acteurs à la perfection, fait confiance à sa caméra pour raconter quelque chose plus que pour illustrer ce qui est dit ailleurs.
Alors qu’importe s’il est parfois un peu manichéen (la similitude avec la trilogie de Brizé sur le monde du travail nous montre ses petites limites) : Pier-Philippe Chevigny est jeune et n’en est qu’à son premier long. Les promesses de ses courts sont déjà devenues réalité. On a juste hâte de découvrir ses prochains films.
À suivre, donc.

25 août 2023

★★ | Manufacturing the Threat (Produire la menace)

★★ | Manufacturing the Threat (Produire la menace)

Réalisation: Amy Miller | Dans les salles du Québec le 25 août 2023 (Diffusion Multi-Monde)
Amy Miller, cinéaste militante qui nous a déjà livré plusieurs films aux sujets forts (les migrations, le complexe militaro-industriel, la crise climatique, l’accaparement des terres agricoles), nous revient avec un nouveau documentaire. Ici, les cibles sont les agences de sécurité canadiennes, et plus précisément leur utilisation depuis très longtemps d’agents provocateurs, qui s’infiltrent dans des organisations pour les inciter à passer à l’action afin, selon la thèse de Miller (et d'Alexandre Popovic, dont le film s’inspire), de justifier leur propre existence.
Pour étayer sa démonstration, elle interroge de nombreux intervenants acquis à sa cause et alterne une critique historique des services secrets avec un cas d’école : le cas de deux paumés manipulés par lesdits services jusqu’à ce qu’ils fassent une tentative d’attentat le jour de la fête nationale du Canada. Cette histoire, glaçante et terrifiante, aurait mérité un film conçu avec objectivité et le constat se serait imposé de lui-même. D’ailleurs, si on ne devait isoler de Produire la menace que les parties traitant de ce sujet, Miller y parvient presque. Malheureusement, elle a préféré en rajouter des couches en pratiquant la politique du je sais que j’ai raison donc je ne me pose pas de questions. Certes, les représentants des services incriminés ont refusé de participer au film, mais n’y avait-il pas d’autres intervenants possibles et d’autres questions à se poser? Les manipulations qu’elle condamne à juste titre ne peuvent-elles pas être réalisées par des vrais terroristes ? Et dans ce cas, comment faire pour les contrer ? Et de manière plus globale, les services qu’elle condamne n’ont-ils pas fait au moins une fois quelque chose d’utile ? En gros : Ne serait-ce pas plus constructif de mettre de l’avant leurs dysfonctionnements sans les condamner en bloc, sans la moindre nuance ?
En quittant le cas particulier (l’attentat avorté, qui répétons-le, est globalement bien traité et représente une grande partie du film) pour aller vers le cas général (une condamnation sans nuance des services secrets canadiens) sans avoir un minimum d’objectivité, Miller transforme ce qui aurait pu être une critique pertinente d’une institution en un acte purement militant, et refuse ainsi de se laisser confronter à ses propres contradictions. Cela va probablement plaire à ceux et celles qui ont les mêmes certitudes qu’elle, mais risque de toucher beaucoup moins les autres que si elle avait fait un choix clair : une étude de cas avec une rigueur journalistique ; ou une étude générale documentée et impartiale… au lieu de ce mélange maladroit entre la première et une version simpliste de la seconde.

18 août 2023

★★★½ | Une femme respectable

★★★½ | Une femme respectable

Réalisation Bernard Émond | Dans les salles du Québec le 18 août (Maison 4:3)
Voilà une fin d’été cinématographique québécois comme on les aime. Une semaine après Les chambres rouges de Pascal Plante, arrive en effet dans les salles un deuxième bon film, pourtant très différent du premier (quoi que).
En plus de cette réjouissance, il marque également le retour en force (peut‐être le chant du cygne ?) de Bernard Émond, qui s’était ces derniers temps fourvoyé dans des projets que l’on préfère oublier. Avec Une femme respectable, il ne se départit certes pas d’une certaine austérité, mais peaufine ses dialogues et sa structure narrative d’une manière à la fois juste et très épurée, au point peut-être d’en déstabiliser certains. Peu de dialogues, peu de développements scénaristiques majeurs, mais beaucoup de silences, de regards, de travail sur les corps qui n’osent pas bouger (et qui, s’ils le font, le font en vain). Avec tous ces éléments, Émond parvient à donner vie à deux êtres, à deux solitudes, à deux souffrances, et surtout à nous faire comprendre que les évidences peuvent être trompeuses. Le mari volage qui est allé refaire sa vie avec une autre n’est peut-être pas si mauvais. La femme légitime bien éduquée qui décide de l’aider ne le fait peut-être pas uniquement pour de pures raisons. En les regardant sans passion, le cinéaste crée une distance avec les personnages qui permet aux spectateurs de les considérer le plus objectivement possible, sans ce déluge d’émotions qui peuvent, lorsqu’on en abuse, annihiler tout esprit critique. Ainsi, Émond nous propose des personnages attachants et imparfaits à la fois… c’est-à-dire des personnages qui ressemblent à beaucoup d’entre nous.
Finalement, pour expliquer le « quoi que » du premier paragraphe, le film de Bernard Émond n’est peut-être pas si éloigné du film de Plante. Tous les deux, en passant par des chemins opposés, mettent la complexité des personnages au cœur de leurs films, optent pour une froideur bienvenue et nous proposent deux des meilleurs films québécois de cette année.

11 août 2023

★★★½ | Les chambres rouges

★★★½ | Les chambres rouges

Réalisation : Pascal Plante | Dans les salles du Québec le 11 août 2023 (Entract Films)
Pascal Plante nous revient avec son troisième long métrage, et surtout avec une maîtrise de son scénario beaucoup plus conforme à nos attentes. On le savait talentueux au niveau de la mise en scène et de la direction d’acteurs (souvenons-nous de son court Blonde aux yeux bleus), mais il parvient enfin à nous proposer un scénario (presque totalement) départi des maladresses qui nuisaient à ses précédents longs.
Après nous avoir faits plonger dans la piscine olympique de Nadia Butterfly, il nous propose ici une visite des chambres rouges des tréfonds du Web, par l’intermédiaire de ce qui commence comme un film de procès (intelligente introduction qui pose quelques jalons de son fil narratif), se prolonge sur une mise en évidence de la bêtise humaine (dont sont victimes ces trois jeunes femmes torturées et assassinés par une vedette du dark web) pour devenir finalement le portrait d’une jeune femme (Juliette Gariépy, magnifique de charisme marmoréen), aussi froide que brillante, spectatrice du procès, mais pas uniquement.
Comme le tueur, elle agit dans l’ombre (joueuse de poker en ligne), comme lui, elle aime œuvrer devant les objectifs (elle est modèle pour des photographes), mais les deux profils sont pour le reste à l’opposé, comme le décrit intelligemment Plante, qui semble tellement apprécier la froideur analytique de son héroïne qu’il finit par faire de son film un prolongement de ce qu’elle dégage. Comme elle, le film est en contrôle, d’une froideur aussi fascinante que glaçante (voire troublante) mais capable de surprendre en déraillant parfois légèrement, bien souvent pour le meilleur.
Si l’on ajoute à cela une musique très en phase avec l’ensemble (signée Dominique Plante… tiens, tiens), on obtient un film québécois qui se démarque, qui ose, qui ne cherche pas à plaire à tout prix, qui aborde un sujet grave de manière documentée mais jamais trop maladroitement didactique, et qui fait mouche. Merci !

9 février 2023

★★★ | Cette maison

★★★ | Cette maison

Réalisation: Miryam Charles | Dans les du salles du Québec le 10 février (La Distributrice de films)
Après plusieurs courts métrages primés, Miryam Charles passe au long avec Cette maison : un essai documentaire en forme de biographie imaginaire qui évoque le meurtre de sa cousine survenu en janvier 2008 (elle ne cherche pas tant à élucider le meurtre de sa cousine qu’à nous convier à une forme de voyage spirituel qui mêle fantasmagorie et symboles) ; un premier essai ample et non linéaire sur le deuil, le sentiment d’appartenance où la cinéaste se questionne sur ses propres racines haïtiennes et sur son déracinement ; un essai docu-fictif où l’on voit la cousine, mort jeune, qui mène une existence imaginaire fictive et alternative des années plus tard ; un film sur la perte et le deuil dont l’espoir fait vivre.
La jeune cinéaste ne lésine pas sur ses ambitions dans son premier long. En mêlant le documentaire, la fiction, l’imaginaire et un univers romanesque, elle nous livre un film qui apparaît un peu chargé par endroits malgré sa relative courte durée (75 minutes). Ainsi en abordant de nombreux sujets qui lui tiennent à cœur et en les intégrant dans un seul et même film, la cinéaste nous y fait perdre au change… surtout lorsqu’elle fait allusion à la politique, au référendum de 1995 et au sentiment d’appartenance pour son pays d’origine. En revanche, elle se montre beaucoup plus convaincante quand elle rend hommage à la mère de sa cousine. Au niveau formel, avec ses images granuleuses tournées en 16 mm, son univers apparaît parfois comme un magnifique poème visuel à la fois cryptique et onirique. Mais le film de Miryam Charles aurait probablement gagné à moins jouer sur les limites spatiales proposées et à moins chercher à souligner les élucubrations de ses symboles et allégories, car souvent une image vaut mille mots.

11 novembre 2022

★★ | Chien Blanc

★★ | Chien Blanc

Réalisation: Anaïs Barbeau-Lavalette | Dans les salles du Québec depuis le 9 novembre 2022 (Sphère Films)
Au moment de la sortie de La déesse des mouches à feu, nous écrivions le plus grand bien du film, mais également notre (bonne) surprise de voir Anaïs Barbeau-Lavalette (la cinéaste, pas l'autrice) abandonner sa fâcheuse tendance à se laisser étouffer par des sujets inattaquables et des bons sentiments. Malheureusement, le film n'était à l'évidence qu'un heureux accident de parcours, probablement lié à l'intelligence du scénario écrit par Catherine Léger (d'après Geneviève Pettersen), qui laissait à la cinéaste la possibilité de s'exprimer par l'image.
Avec Chien blanc, elle semble se souvenir de son talent de cinéaste et parvient parfois à faire naître l'émotion d'un plan, d'une image, d'une idée de mise en scène. Mais ces petits instants ne sont que des brèves réminiscences de son précédent film. Bien sûr, le principal sujet traité est important (le racisme, vu à travers la situation des Noirs dans l'Amérique des années 60) et la cinéaste se penche sur lui avec application et respect. Mais elle n'est pas la première à le faire, d'autres l'ayant fait avec plus de finesse, et surtout avec une qualité essentielle qu'elle n'a visiblement pas: faire douter ceux qui ne pensent pas comme elle.
Ce n'est pas tout. Un autre défaut majeur est cette volonté de traiter trop de thèmes à la fois. En plus du premier trop lourd à porter, Barbeau-Lavalette se penche sur deux sujets qui apparaissent comme inutiles tant ils sont bâclés: la relation Romain Gary / Jean Seberg (qui avait pourtant tout pour être passionnante) et l'histoire de ce chien blanc, adorable avec les Blancs mais dressé pour s'attaquer aux Noirs (sujet tout aussi passionnant mais encore plus bâclé que le précédent). Dans son adaptation de 1982 (White Dog), Fuller avait fait un choix très différent et beaucoup plus judicieux, malgré le caractère mineur de son film.
Au final, la cinéaste nous livre donc trois films en un... sans en réussir un seul. Heureusement, son talent parvient à sauver l'ensemble par intermittences grâce à quelques propositions de mise en scène. Mais c'est bien trop peu par rapport à toutes ces attentes déçues.

30 septembre 2022

★★★ | Viking

★★★ | Viking

Réalisation : Stéphane Lafleur | Dans les salles du Québec le 30 septembre 2022 (Les films Opale)

Huit ans après Tu dors Nicole, Stéphane Lafleur nous revient enfin à la mise en scène avec Vicking, qui nous plonge dans un milieu désertique abritant cinq individus participant à une expérience : rester en isolement dans un environnement clos, dans des conditions proches de celles que vivent des astronautes envoyés sur Mars. Leur but : anticiper certains problèmes relationnels qui pourraient arriver là-haut.
On le comprend d’emblée : même si on retrouve un sens de l’absurde et une volonté de mettre l’humain au cœur de son œuvre, Lafleur s’éloigne un peu de ses deux premiers films en flirtant avec la science-fiction et en s’éloignant du périurbain. Il s’associe également avec un coscénariste (Éric K. Boulianne) dont l’univers plus déjanté que poétique semble très éloigné de celui de Lafleur. Le résultat ressemble peut-être un peu moins à du Lafleur, avec un fil narratif qui le structure plus que ses précédents, mais nous y retrouvons une constante : l’observation de l’humain, même si elle se fait de manière moins microscopique qu'à l’accoutumée. Ici en effet, ce qui semble important est la dynamique de groupe. Les protagonistes ne sont pas vus comme des entités évoluant dans un environnement qui leur semble étranger, mais comme des éléments d’un tout qui doivent cohabiter en se mettant au service d’une noble mission (sauver une mission spatiale du désastre). Si l’ensemble se fait avec un humour constant (qui en fait une comédie québécoise réussie), le film se fait également critique sur de nombreux aspects sociétaux : l’obligation de vivre en harmonie avec des gens qui nous sont éloignés (le récurant et amusant « Je suis content que nous ayons eu cette conversation »), l’obligation de répondre à un discours faussement valorisant (les participants pensent jouer un rôle important mais ne sont en réalité que des petits maillons perdus dans une chaîne bien plus grosses qu’ils ne l’imaginent)… mais également le besoin d’être avec ceux qu’on aime (la conclusion du film).
En fin de compte, si Viking n’a pas la singularité de ses précédents films (moins intéressant visuellement, plus classique narrativement), il présente également l’intérêt d’être plus abordable. Cela lui permettra-t-il de devenir le gros succès qui feront pâlir de jalousie les mauvaises comédies québécoises qui brillent parfois au box-office? Rien n’est moins sûr… mais rêvons un peu!

16 septembre 2022

★★★½ | Le rêve et la radio

★★★½ | Le rêve et la radio

Réalisation: Ana Tapia Rousiouk et Renaud Després-Larose | Dans les salles du Québec le 16 septembre 2022 (La distributruce de films)
Le rêve et la radio affiche d’emblée sa différence. Premier long métrage réalisé conjointement par Renaud Després-Larose et Ana Tapia Rousiouk, Le rêve et la radio opère à la fois avec calme (explorant son récit à partir de voix chuchotées et par scènes intimes) et avec des intentions maximalistes : les formes esthétiques changent à une vitesse ahurissante, laissant peu de temps de répit au spectateur.
Sur ses deux heures et quart, le film se perd et se retrouve constamment. La liberté créatrice déployée surprend, enchante, essouffle; les idées qui s’enchaînent sont tour à tour convenues et émouvantes, sans apparent discernement, sans intention de limiter le geste créatif, et s’orchestrent sur un nombre considérable de trouvailles esthétiques. Le récit, très simple, n’est qu’un support aux envies des réalisateurs. La ligne directrice, elle, se trouve dans l’imbroglio de concepts avancés. Avec le temps, certains thèmes s’esquissent, refont surface et affichent plus clairement les préoccupations des cinéastes : la difficulté de créer un art moral, honnête avec lui-même, voire de vivre une vie en phase avec ses valeurs personnelles dans un monde qui réduit les êtres à leur productivité.
Le rêve et la radio ne manque certainement pas d’aplomb. Si son ensemble est parfois vaporeux, voire donne l’impression d’être quelque peu aléatoire, il s’y trouve une œuvre d’une grande beauté qui traduit, à sa manière idiosyncrasique, de sincères préoccupations. Un OVNI, forcément, mais un qui émeut autant qu’il intrigue.

19 août 2022

★★★½ | Un été comme ça

★★★½ | Un été comme ça

Réalisation: Denis Côté | Dans les salles du Québec le 19 août (Maison 4 :3)
À Cinéfilic, on aime Denis Côté. Cependant, il faut admettre que le cinéaste a parfois tendance à regarder ses personnages un peu de haut, avec un sens du mépris certes irrésistible, mais pas adapté à tous les sujets… et à l'évidence pas adapté à Un été comme ça! (Voilà pour le préambule en forme d’interrogation inquiète.)
Nous y suivons en effet principalement trois femmes à la sexualité exacerbée, isolées de leur plein gré avec un accès très limité aux outils de communication modernes et au monde extérieur. Que l’on se rassure tout de suite par rapport au préambule de ce texte : Côté laisse son aspect cassant au vestiaire, et témoigne d'un respect pour ses personnages empreint d'une grande sensibilité. Cela est paradoxalement renforcé par une certaine distance dans le regard (même si la caméra est souvent très proche des personnages), qui le transforme en observateur sans concession (mais également sans jugement, ni complaisance, ni mièvrerie). Il filme donc ces femmes, leurs souvenirs (les souvenirs d’une orgie plutôt intense), leurs provocations corporelles (scène de masturbation, scène de fellation à la chaîne d'un terrain de soccer au complet), en mettant de l'avant tour à tour le plaisir qu'elles prennent ou les tourments qui les traversent, de manière antimoraliste et antipsychologique, mais également sans donner l'impression de se rincer l'œil derrière sa caméra. Il prend le temps de les observer, et parvient ainsi à en faire de véritables personnages et pas uniquement des archétypes. Qu'elles se soient livrées à telle ou telle pratique sont des faits auxquels il accorde la même importance que toutes les autres composantes de leur personnalité. En les filmant ainsi, elles ne sont plus des sujets d’étude mais des personnes, de plus en plus attachantes, mais également de plus en plus libérées face à l’image qu’elles renvoient au monde (les dernières scènes, à ce titre, sont très belles), des femmes que l'on aurait presque envie de rencontrer, de côtoyer, de connaître… et pas pour sauver leurs âmes malades, mais tout simplement pour ce qu'elles sont.
Filmé avec délicatesse, écrit avec une grande justesse (la scène avec le camionneur est une merveille d'écriture), Un été comme ça est peut-être, malgré l'aspect potentiellement provocateur de son sujet, un des films les plus sobres de la cinématographie de Côté, et peut-être, nous le verrons, l'un de ceux qui, parmi ses films purement narratifs, résisteront le mieux au passage du temps!

8 juillet 2022

Lignes de fuite

Lignes de fuite

Réalisation : Miryam Bouchard et Catherine Chabot | Dans les salles du Québec le 8 juillet 2022 (Séville)
Au moment décrire ce texte, les gros quotidiens du Québec ont déjà sortis leur critique. ★★★½ pour Le Devoir et Le Journal de Montréal, ★★★★ pour La Presse… À tel point qu’une question me taraude. Et si je n'avais pas vu le bon film? Ce film trop ostensiblement dans l'air du temps, qui prend un malin plaisir à enfoncer les portes ouvertes en cochant bien toutes les cases des sujets du moment, qui oublie que le langage cinématographique n'est pas fait que du dialogues et du jeu des acteurs et actrices, est-il bien celui qui reçoit les éloges! Bien évidemment, s'il s'agit bien du même film, je ne doute pas de la sincérité des personnes qui les ont dressées, et je suis heureux pour elles. J'aurais aimé partager leur enthousiasme. D’ailleurs, je dois admettre que la mise en avant de trois personnages féminins forts, dans un film coréalisé et produit par des femmes, fait plaisir à voir dans notre cinématographie. Je dois également admettre que la volonté de dresser un constat sur l’état de la société québécoise actuelle est louable, d'autant plus que cela est fait sans la moindre complaisance. Malheureusement, les intentions ne suffisent pas.
Pire: parmi les films québécois récents, si je devais choisir entre Lignes de fuite et Arsenault & Fils, je choisirais le film de Ouellet, qui parle de gens de régions que je ne connais pas, d'une histoire de braconnage, de gars pas intellos pour un sou qui ont des gros trucks, des chemises à carreaux et des guns (en clair, des gens que je ne connais pas non plus). Mais au moins, Ouellet sait écrire un scenario, sait dépeindre des personnages, et surtout, il sait réaliser des films, en faisant passer quelques idées aussi par la mise en scène (la position d'un corps, un geste, un regard, un petit rien). Je préfère ça à une adaptation théâtrale mal scénarisée (Émile Gaudreault, coscénariste, n'a pas fourni les films les plus subtils de notre cinématographie) et mise en scène comme une mauvaise série télé (avec quelques effets de mise en scène plus qu'une véritable mise en scène).
Mais comme c'est le début de l'été, je me permets de ne pas faire une critique du film, de ne pas attribuer d'étoiles. Et je retourne me coucher, en rêvant d'un film capable de nous regarder, en tant que société, droit dans les yeux, mais avec toutes les qualités qui font défaut ici. Dans le genre, le dernier commence à dater! Et depuis le temps, notre société a beaucoup changé.

17 juin 2022

★★★ | Arsenault & Fils

★★★ | Arsenault & Fils

Réalisation : Rafaël Ouellet | Dans les salles du Québec le 17 juin 2022 (Sphère Films)
Après plusieurs années d'absence au cinéma et une incursion peu convaincante dans un univers urbain (Gurov & Anna, 2015), Rafaël Ouellet nous revient avec un cinéma ancré en région, ce qui est plutôt une bonne chose. Alors bien évidemment, les fines bouches pourront regretter le Ouellet des débuts, plus radical, mais nous devons quand même avouer avoir été agréablement surpris par un film qui ne cache pas son intention d'aller vers un plus fort potentiel commercial, agrémenté pour l'occasion de touches de cinéma de genre… touches qui se font d'ailleurs de plus en plus prégnantes. Car si le film commence comme un drame régional, avec observation minutieuse de la vie des petites villes où tout le monde connaît tout le monde, il glisse de plus en plus ouvertement vers un sous-genre du polar que nous ne nommerons pas pour préserver le mystère. Au-delà des qualités évidentes d'emblée (un sens de l'observation, un amour pour ses acteurs et ses personnages, un sens du dialogue, une subtilité dans la mise en scène qui lui permet de dépasser la facture télévisuelle que l'on peut craindre un temps), c'est d'ailleurs ce glissement vers le cinéma de genre qui représente la plus belle surprise. On sait que la volonté de flirter avec le polar n'est pas toujours une réussite dans le cinéma québécois, mais ici Ouellet remplit son objectif et parvient à parler d'un sujet peu abordé (le braconnage), à livrer un beau portrait de groupe (la famille dans toute sa complexité), à jouer les fins observateurs de la vie d'une petite ville… tout en offrant un divertissement accessible au plus grand nombre, avec tout ce qu'il faut pour bien maintenir le spectateur en alerte!
Alors oui, avec les fines bouches, nous regretterons peut-être un peu le Ouellet d'antan… mais ce regret sera vite compensé par une autre évidence en forme d'interrogation: Et si, justement, c'était ce genre de cinéma, à la fois potentiellement populaire mais également intelligemment et rigoureusement exécuté, qui était encore trop rare dans la cinématographie québécoise actuelle?